jeudi 5 septembre 2024

RENTREE 42, Bienvenue les enfants

Toutes les rentrées ne sont pas équivalentes. Je me souviens de celle de Toussaint 2015 particulièrement tendue et angoissante après l’attentat du Bataclan et des journalistes de Charlie Hebdo à deux pas de la Comédie Bastille où a eu lieu ce soir la première parisienne de la dernière pièce de Pierre-Olivier Scotto (dont j'ai appris qu'il est fils d’instituteuret Xavier Lemaire qui ont écrit ensemble pour la seconde fois.

Le spectacle RENTREE 42, Bienvenue les enfants est de saison mais on espère que les temps ont définitivement changé.

A cette époque les soit disants vacances s’achèvent fin septembre. Soit-disants car, pour beaucoup d’enfants, il fallait aider la famille à expédier les travaux agricoles et particulièrement les vendanges (qui avec le réchauffement climatique sont terminées aujourd’hui bien avant la fin septembre mais c’est une autre histoire). 

Ce ne sera qu’en 1959 que les grandes vacances seront déplacées dans leur ensemble de deux semaines : elles commenceront plus tôt (le 1er juillet) et finiront plus tôt (vers la mi-septembre). L’allongement du premier trimestre sera compensé par la libération de 4 jours à la Toussaint pour qu’il y ait une "petite coupure". Et maintenant que la rentrée s’effectue au 1er septembre, les vacances de Toussaint sont portées à deux semaines.

Revenons en 1942. La rentrée aura lieu le 2 octobre. C’est bien normal. Le 1er, les enseignantes se retrouvent et préparent leur classe. C’est toujours normal. Le décor est réaliste et nous sommes, spectateurs, placés en position d'élèves invisibles.

Monsieur Bastien (Dominique Thomaschante Maurice Chevallier. La salle de classe va se réveiller de la trève estivale. Gisèle, la directrice (Anne Richard) efface "Au-revoir les enfants" du tableau noir et inscrit la date de demain, le 1er octobre 1942. Les vacances sont terminées et elle exprime sa nostalgie à propos de la maison et de son potager situés à Antony (92). On saura plus tard combien l’endroit compte pour elle.

Bien accueillir les élèves suppose de les connaître et de disposer de leurs noms, encore contrôlés aujourd’hui par les mairies pour ce qui est des écoles primaires. Et pourtant la directrice ne parvient pas à se faire remettre les listes. 

Il est prévu un peu plus de 120 filles (l’école ne sera mixte que dans les années 70) pour 4 maîtresses. Les classes seront chargées. Cela reste normal pour l’époque. Les enseignantes sont plus ou moins heureuses de se retrouver, masquant leurs émotions dues au contexte tragique général car la France reste en guerre. On est soulagé de savoir Pétain aux affaires car les combats ont cessé ou on est furieux de vivre dans un pays sous domination allemande. On s’accommode quand on a un père a la tête d’une chocolaterie. On se rebelle quand ses amis sont communistes. On s’affole quand on est fragile (incroyable Isabelle Andreani qui a inventé la gestuelle de Lucienne Tatillard). On essaie de maintenir l’ordre quand on est directrice d’école. On fait de son mieux pour aider quand on est le gardien de l’établissement mais on n’oublie pas la précédente … guerre où on a laissé un bras. 

Le premier acte installe l’ambiance, rappelle les privations dont on sent le poids et les petits bonheurs magiques comme la perspective de faire croire qu’on porte de vrais bas (avec couture apparente sur l’arrière de la jambe) ou le plaisir de savourer un vrai café qui déclenchera un soupir d'aise. On a appris à vivre rationné (savez-vous que faute de tissu on a créé la jupe crayon ?), y compris pour les fournitures scolaires, à l'exception de la craie. On enfile la blouse bleue réglementaire et rassemble le matériel parmi lequel figure le masque à gaz réglementaire. Radio Paris, peu informative, claironne que Cadum est le meilleur des savons. Tout se passe sous le portrait quasi lumineux du maréchal. On mesure la crainte oppressante de conséquences éventuelles si on n’appliquait pas fermement les principes de neutralité et de discrétion afférents à l’école publique. Lucienne joue la victimisation, se plaignant d’une poisse constante qui nous ferait croire qu'elle seule est frappée par le malheur, en l’occurrence le risque d’être mutée dans un bureau en cas de fermeture de classe pour manque d’effectifs. L'énergie qui se vit sur le plateau allège néanmoins l'atmosphère, surtout quand on ponctue ses plaintes d'adages qui font rire le public : Ne sois pas modeste, les autres le sont pour toi. Ou encore : Le silence est la seule chose en or que les femmes détestent.

La Marseillaise est interdite et la devise complète est devenue Travail-Famille-Patrie. Chacun exprime son aversion pour l’occupant, mais par petites touches, parfois comiques, quand les allemands sont comparés aux artichauts, un légume qui présente plus de déchet que de chair comestible. Au mur, les cartes reflètent la nouvelle géographie de la France coupée en deux par la ligne de démarcation entre le nord occupé et la France libre.

Ce qui ne sera pas normal ce sera la rareté des élèves qui vont se présenter le lendemain. Mais pourquoi ? Elles ne sont que 14 à se présenter au portail alors qu’elles sont 123 inscrites. Comment justifier 109 retardataires ? Le spectateur en apprend assez vite la raison mais je ne vais pas la dire ici. Je préciserai juste que le trouble grandit quand nous réalisons que nous sommes à quelques centaines de mètres du quartier où se trouvait l’école de cette histoire, l’école élémentaire des Hospitalières-Saint-Gervais au coeur du Marais.

Les programmes ont évolué. Les fondamentaux sont : moralisme, patriotisme et vie pratique. L’accent sera porté sur les travaux manuels à la demande du maréchal pour préparer les garçons à devenir artisans, les filles à être de bonnes maîtresses de maison. Le sport sera au centre des apprentissages. La venue du grand champion de tennis Jean Borotra est déjà annoncé. On cite Sarah Bernhardt comme exemple de volonté, élevée dans la misère et aujourd’hui artiste adulée dans le monde entier.

Les enseignantes ont du mal à se projeter. Le départ de leur collègue Rachel Meyer reste une douloureuse interrogation. On apprend que des écoles du IV°, du XI° et du XX° arrondissement seront fermées au retour des vacances de Noël. Et ce que je peux raconter c'est comment la directrice cherche une solution qui garantisse la survie de l’établissement. Par exemple en constituant une classe unique dans laquelle les institutrices se relayeront en appliquant la métaphore du lancer de ballon. Mais, comme le déplore Monique Ricou (Emilie Chevrillon) : Les gamines seraient-elles dans de très jolis camps de repos en Bavière ? Ça ne tourne pas rond dans l’carré d’l'hypothénuse. Il est temps de prendre des virages en ligne droite.

Ce qui est très réussi dans l’écriture c’est le tricotage entre la grande et la petite histoire. Il est savoureux de nous restituer l’épisode (hélas bien réel puisque 4115 élèves seront privés de rentrée scolaire en octobre 42) en le faisant vivre par le biais de femmes et d’hommes qui l’ont traversé. C’est l’occasion de secouer nos consciences. Rien n’est jamais acquis et l’horreur se répète au bout du monde, on le sait. 

Ce qui est très réussi c’est la distribution car les acteurs incarnent toutes les tendances de l’époque. Jusqu’au fonctionnaire d’état trop dévoué à sa hiérarchie, avec pour justification le fait que le ministère de l’Éducation nationale est occupé (du 25 février 1942 au 20 août 1944) par un fanatique de la collaboration, obsédé par l'ordre nazi, un certain Abel Bonnard, qui est une sorte d'anti Jules Ferry. Les comédiens se connaissent et sont amis dans la (vraie) vie. Leur cohésion de groupe s’en ressent.

Ce qui est très réussi et moins fréquent c’est d’avoir pensé à faire basculer la tragédie dans une sorte de comédie à l’italienne. Le perdant sera cet inspecteur de l’Education nationale (formidable Michel Laliberté dont le jeu évoquera souvent le comédien Michel Serrault) suite à quelques scènes fort jubilatoires. L’équipe fait acte de résistance et chacun s’y met, y compris la jeunette bourgeoise Fanny Lucet (Suzy Courcellequi semblait avoir des idées différentes au début de la pièce.

La fin ne console pas du drame mais elle ouvre sur l’espérance. On peut applaudir.
Ce spectacle qui passe du rire aux larmes en revenant sur le rire est utile et humaniste, surtout en temps de remise en cause de la démocratie. Parlons-en aux enfants et venons avec eux au théâtre !
RENTREE 42, Bienvenue les enfants de Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire
Mise en scène de Xavier Lemaire
Avec Anne Richard  (la directrice Gisèle Blanc), Isabelle Andréani  (Lucienne Tatillard), Emilie Chevrillon (Monique Ricou), Fanny Lucet  (Suzy Courcelle), Dominique Thomas (le gardien Adolphe Bastien) et Michel Laliberté (l'inspecteur Monsieur Person)
Décors : Caroline Mexme - Lumières : Didier Brun - Musique : Phlippe Bozo - Costumes : Christine Vilers
Du dimanche 08 septembre au dimanche 05 janvier 2025
Au Théâtre Comédie Bastille
5 rue Nicolas Appert - 75011 Paris - 01 48 07 52 07

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