Julie Otsuka est une nageuse, d’abord de pleine mer quand elle était adolescente dans l’Océan Pacifique de la Californie, puis dans une piscine new-yorkaise à l’âge adulte. Elle connait donc bien cette pratique particulière, à mi-chemin entre loisir et sport, et a eu le temps d’enregistrer les rituels et les petites manies des nageurs qu’elle nous restitue avec une pointe de malice.
Elle a souvent expliqué être venue à la littérature après avoir voulu être peintre, ne se trouvant pas assez douée dans cet art. Rien d’étonnant à ce qu’elle décrive chaque scène à la perfection.
J'avais énormément apprécié Celles qui n'avaient jamais vu la mer, que j'ai recommandé à moult reprises et j'étais déçue de ne rien lire de plus de cette auteure si sensible. Dix ans de silence, c'est énorme. La ligne de nage ne pouvait que retenir mon attention alors que la natation n'est absolument pas mon activité favorite, loin de là.
Heureusement, à force de multiplier les séjours sur l'île d'Oléron je ne suis plus aquaphobe, ayant réussi à éprouver dans l'eau de mer d'agréables sensations qui se sont substituées aux souvenirs d'expériences désagréables en piscine. Mais cet endroit ne me tente pas davantage. Je ne suis pas assez encline au lâcher-prise et surtout je ne goute pas le pouvoir hypnotique de l'eau douce où l'auteure compare la pratique de la nage à une forme de méditation.
Il n’empêche que mon état d’esprit m’a permis de prendre beaucoup de plaisir à la lecture de la première partie de ce roman qui, ne se déroule pas « que » dans une piscine. Je précise d’ailleurs qu’il n’est absolument pas nécessaire d’être bon nageur pour se plonger avec délice entre ses lignes. Julie Otsuka fait preuve d’humour autant que de philosophie. Et les remarques intérieures qu’elle ajoute en italiques sont très pertinentes.
Sous prétexte de nous narrer le quotidien d’un groupe de personnes en pointant aussi bien ce qui les rassemble (la piscine) que ce qui les sépare (leur vie en haut) elle aborde des sujets qui nous préoccupent tous et qui sont plus ou moins tabous, comme la fin inéluctable de la vie, les compromissions avec soi-même, les bons et les mauvais côtés des relations humaines.
Tout glisse. C’est passionnant comme un thriller. On sait la Californie (où elle réside) construite sur la faille de San Andreas et on se dit qu’il se pourrait que la catastrophe finisse par advenir. Mais alors comment expliquer qu’elle soit encore de notre monde pour en témoigner ?
On se surprend à élucubrer tout un tas de suppositions. Bref, on se passionne pour ce qui démarre tout de même comme un non-évènement. Et pour cause, puisque Julie Otsuka affirme en interview ne pas être une écrivaine métaphorique. La fissure qui apparaît dans le fond du bassin annonce pour elle bel et bien la fin de cette piscine idyllique mais cela ne la dérange pas qu’on en fasse une autre interprétation.
Le titre français est excellent. Le titre original, the Swimmers, était moins fort et moins énigmatique, trop concentré me semble-t-il sur le groupe, même si le roman parle essentiellement -dans la première partie- de ces hommes et de ces femmes. Cependant le pluriel correspondait à une des spécificités de son style est d’utiliser la première personne du pluriel, ce qui donne un aspect choral à son écriture en insufflant une forme de musicalité car les phrases sont courtes et déclaratives. Le nous renvoie à un collectif qui est plus puissant que l’individuel. Mais si dans la première partie il est sympathique, il bascule dans le chapitre intitulé Bellavista et devient autoritaire et oppressant car c’est la voix de dominants, qui plus est invisibles, faisant penser à l'univers de Big Brother.
L’auteur oppose d’abord le monde de là en bas (la piscine) avec celui d'en haut (soit disant la vraie vie). Mais on verra que la minuscule fissure qui apparaît dans le monde idéal, qui serait celui d’en bas, est le signe annonciateur d’une rupture autrement plus radicale et irréversible. On comprend alors quelle place elle occupe elle-même dans ce processus qu’elle décrit admirablement, même si je dois dire (sans spoiler l’issue) que j’ai fini par me lasser de cette narration dont je voyais arriver le point final. Et dont, surtout, j’ai trouvé le déroulé extrêmement angoissant.
La couverture est admirablement choisie pour symboliser la défaillance qui est le coeur de l’histoire. Un déchirement dont la fermeture éclair d’un maillot de bains est l’allégorie parfaite.
La ligne de nage de Julie Otsuka, traduit. de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
Collection Du monde entier, Gallimard, en librairie depuis le 1er septembre 2022
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