dimanche 8 juin 2025

Maintenant je n'écris plus qu'en français de et avec Viktor Kyrylov

Je suis allée voir Maintenant je n'écris plus qu'en français dont le sujet m’interpellait et à propos duquel j’avais lu énormément (trop peut-être) de critiques positives.
Viktor, jeune ukrainien de 20 ans, se trouve à Moscou le 24 février 2022 lors de l’invasion russe en Ukraine. Il y vit depuis 3 ans, réalisant son rêve d’enfance : intégrer la plus prestigieuse école de théâtre russe, le GITIS. Il fait alors face aux bouleversements provoqués par la guerre : l’amour devient la haine, les amis d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui. Le rêve d’enfance devient une trahison à son peuple.
Il n’y a pas de doute possible. Viktor Kyrylov a énormément de mérite à écrire si bien et à parler si parfaitement notre langue. Je me réjouis sans aucune réserve qu’il soit, lui comme sa famille, loin de la guerre qui ravage l’Ukraine et qu’il ait réussi à quitter la Russie dès le début du conflit.

Son témoignage est émouvant et on perçoit combien il est sincère. Son interprétation est touchante. Mais, car il y a un mais pour moi, je n’ai pas vraiment eu le sentiment d’être au théâtre. Je n’ai pas vu de mise en scène, et pour cause d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas. Le programme fait mention du "regard amical d’Eric Ruf". Pourquoi ne pas avoir été plus loin ?  Peut-être parce que l’effort de mémorisation du texte français était déjà suffisamment complexe sans qu’on fasse peser une direction d’acteur ?

Je n’aurais pas été perturbée que Viktor s’exprime parfois en russe, qui est sa langue maternelle (même si je n’en parle pas la langue, et après tout il existe des solutions de surtitrage). Certes le titre du spectacle l’interdit d’une certaine manière mais le concept devient un piège joliment illustré par la photo que j'ai placée en tête de cet article (et que l'on voit correctement depuis quelques sièges bien précis) alors qu’il nous est bien précisé que Maintenant je n’écris plus qu’en français est une histoire ukrainienne.

Elle nous plonge dans un conflit qui traverse des siècles de destins mêlés entre deux peuples et met en lumière le rapport qu’ils entretiennent aujourd’hui. Le récit intime et les circonstances politiques et historiques s’entrechoquent : la famille et la patrie, la jeunesse et la mort, la haine et l’amour, la trahison et la culpabilité … Le spectacle pose effectivement une question essentielle : pourquoi combat-on ? Le spectacle n'y répond pas et l'option retenue par Viktor est la fuite et le renoncement à l’un comme à l’autre en choisissant d’appartenir désormais à un "troisième" pays, la France.

Bien entendu je ne juge pas son comportement mais le spectacle. J'aurais sans doute une autre réaction si je l'avais entendu dans le cadre d'une émission d'information ou de témoignage.

J'ai lu dans sa note d'intention "Jusqu’où je vais raconter mon histoire ? Cette histoire a un début, mais la fin reste à écrire : je continue à vivre dans les conditions qui m’ont été imposées par la guerre. C’est pourquoi je finis cette histoire par mon arrivée en France. L’adaptation, l’intégration... Ce sont des sujets qui méritent d’être détaillés dans un autre récit, un autre spectacle".

Il poursuit en insistant sur le fait qu'il a voulu poser la question de la guerre : comment elle arrive dans une vie, comment elle bouleverse une vie et un être.

Ce sont des choses horribles mais qui me sont familières parce que j'ai tant de fois entendu l'histoire de mes arrières grands-parents, de mes grands-parents et de mes parents, dont les parcours de vie ont été secoués par la Guerre de 1870, puis les deux Guerres Mondiales que je crois que je connais cela …

Je suis surprise également par l'emploi du verbe "raconter" alors qu'on aimerait tous "comprendre" quelle folie peut encore secouer l'Europe et menacer l'équilibre (donc fragile) qui a été reconstruit après 1945.

Il se dit en quelque sorte réfugié linguistique et s'il a raison d'écrire que la langue formate une façon de penser j'aurais aimé entendre en quoi l'acquisition du français l'a changé. Plus précisément quels bouleversements sont imputables à cette guerre et lesquels au changement de langue ?

Il écrit aussi : Si demain, la guerre arrive en France, que ferions-nous ? Cette maladresse syntaxique (il faudrait interroger : Si demain, la guerre arrivait en France, que ferions-nous ? ou bien Si demain, la guerre arrive en France, que ferons-nous ?) relève sans doute d'un acte manqué trahissant l'angoisse du futur.

C’est ça que je veux transmettre aux Français (…) après avoir vécu trois années dans ce pays, ce pays  incroyable, mais qui ne veut pas voir le danger qui le menace.

Je ne sais pas si nous sommes aveugles, en tout cas sans doute pas davantage que les 7 millions d'Ukrainiens vivant aujourd'hui en Europe et qui ne s'imaginaient pas devoir s'y installer.

Il n'en reste pas moins que je salue le mérite de ce comédien que je serais curieuse de voir distribué dans une pièce dans laquelle il ne sera pas impliqué émotionnellement.
Maintenant je n'écris plus qu'en français [création]
Texte & interprétation Viktor Kyrylov
Sous le regard amical d’Eric Ruf
Son Thomas Cany 
Scénographie & costumes Constant Chiassai-Polin 
Vidéo Clara Hubert 
Création lumière Anne Coudret 
Conseil dramaturgique Laurent Muhleisen  
Du vendredi 4 avril au dimanche 29 juin 
Avril & juin : Mer., Jeu. Ven. et Sam. 19h, Dim. 15h
Mai : Mer. 19h, Jeu., Ven. et Sam. 21h15, Dim. 15h
Théâtre de Belleville -16, Passage Piver - 75011 Paris
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Pauline Le Goff

samedi 7 juin 2025

Rebecca dans l’ombre d’Hollywood de Michel Moatti

J’étais préparée à la lecture de Rebecca, Dans l'ombre d'Hollywood par Hollywoodland de Zoé Brisby. Je retrouve, peut-être en pire, cette ambiance malsaine des coulisses des studios de cinéma. Pire parce qu’une série de meurtres de jeunes femmes, gravitant toutes autour du monde du cinéma, se succèdent dans West Hollywood. Dans le même temps, les incidents se multiplient sur le plateau, venant perturber le quotidien de stars lancées dans une féroce compétition pour occuper le devant de la scène. … 

Tout cela nous est raconté du point de vue de Judith Anderson, désormais au crépuscule de sa vie, célèbre pour son second rôle dans Rebecca d’Alfred Hitchcock. Elle nous immerge dans la suite d’événements survenus à l’automne 1939, lors du tournage à Hollywood.

J’ai retrouvé les personnages présents dans le roman de Zoé Brisby mais aussi ceux qui traversent la pièce qui était interprétée si brillamment par Catherine Silhol au Poche Montparnasse il y a quelques semaines. Elle incarnait Vivien Leigh se confiant à un public de journalistes dans une conférence de presse fictive.

Chaque célébrité a ses failles et si on éprouve de l’empathie pour l’une d’elles il n’est pas très commode de "changer de camp" en sympathisant avec une de ses adversaires. Car, on le sait bien, elles étaient tûtes rivales. Les metteurs en scène et les producteurs en profitaient pour tirer les ficelles. Si bien que même si la scène est fort bien écrite je me suis demandé si Serge Moatti n’avait pas un peu forcé la mesquinerie de Vivien Leigh pendant les trois jours où elle a imposé sa présence sur le tournage (p. 56).

Je n’avais pas perçu immédiatement si la silhouette féminine de la couverture était de face ou de dos, ce qui illustre bien toute l’ambiguïté du propos de Michel Moatti. A l’instar de Rebecca, morte ou suicidée gisant au fond d’une barque, nous sommes ballotés par les vagues du souvenir au gré de la volonté (perfide évidemment) de Judith Anderson, la si angoissante Mme Danvers, gouvernante du manoir de Manderley.

Le roman reste encore un des meilleurs romans policiers de tous les temps. Le film d’Alfred Hitchcock fut un immense succès qui se concrétisa par l’Oscar du premier film. Mais à quel prix !

On sait aujourd’hui combien Alfred Hitchcock manipulait et maltraitait ses actrices. Sa perversité était abyssale et sur ce point Serge Moatti n’est pas un lanceur d’alerte. Nous autres français n’avons pas perçu l’injonction d’ordre moral (p. 48) imposé par le sénateur William Hays (que dénonçait bien entendu Zoé Brisby dans son roman) alors que des comportements  autrement plus répréhensibles étaient étouffés dans une atmosphère malsaine de compétition.

On sait encore moins qu’Hollywood fut le théâtre de meurtres touchant des femmes qui n’avaient même pas acquis le statut (d’ailleurs ultra fragile) de starlette. Il nous glace le sang en les qualifiant de casting parallèle aux films qui se tournaient (p. 29).

En tricotant les coulisses du tournage avec des faits d’actualité de l’époque il réussit, avec ce douzième ouvrage, un roman noir éclairant l’envers du décor et restaurant la mémoire de tous les sacrifiés sur l’autel de la notoriété, victimes des cinglés attirés par les collines de Beverley (p. 201). Il nous donne aussi envie de retrouver Rebecca, tout autant le livre que le film pour les comprendre avec davantage d’acuité.

Journaliste, docteur en sociologie et ancien professeur à l’université, Michel Moatti est aussi l’auteur de Retour à Whitechapel, unanimement salué par la critique, de Tu n’auras pas peur, prix Polar de Cognac 2017, et de Darwin, le dernier chapitre, prix Max Gallo 2024.

Rebecca dans l’ombre d’Hollywood, de Michel Moatti, éditions Hervé Chopin, en librairie depuis le 7 mai 2025

vendredi 6 juin 2025

Toutes les autres de Clotilde Cavaroc

Je suis venue avant-hier voir spécialement la représentation unique de Toutes les autres en région parisienne, en avant-première du festival d'Avignon.
Clémence est en fauteuil roulant depuis son accident de voiture trois ans plus tôt. Souffrant d'une solitude affective, elle a recours à un accompagnant sexuel pour l'aider à se réapproprier son corps et redécouvrir les plaisirs charnels. Elle trouve chez Antoine non seulement un amant complice, mais aussi une oreille délicate. Antoine tombe sous le charme de cette femme drôle et touchante. Les sentiments prennent le pas sur le contrat de départ. Sentant qu'il a franchi la limite, Antoine décide d'interrompre les séances au grand désespoir de Clémence. 
Vous aurez compris que Toutes les autres parle de l'accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap, un moyen parmi d'autres de répondre à la détresse affective et sexuelle de ces personnes souvent reléguées au rang d’ "asexué.es". Sans se vouloir tribune ou plaidoyer, l’intention de Clotilde Cavaroc est de lever le tabou sur la sexualité des personnes handicapées et sur les travailleur.se.s du sexe.

De rouille et d’os, Intouchable, Le scaphandre et le papillon, Gabrielle, Simon de la Montana, Mon inséparable, Patients (tous chroniqués sur le blog, catégorie 7ème art) … beaucoup de films touchent au handicap mais rares sont ceux, même documentaires, qui explorent le sujet tabou de l'accompagnement sexuel. La réalisatrice Kathie Kriegel s’était prêtée avec brio à l'exercice dans son film A fleur de peau, un court-métrage primé en 2023 mais dont aucun extrait n’est encore accessible …

Il n’est donc pas faux de considérer que le sujet reste méconnu et l’autrice a longuement enquêté avant de commencer à écrire dans la continuité d’un court-métrage qu’elle avait tourné en 2022 avec deux comédiens qui sont aussi distribués au théâtre. Primé dans plusieurs festivals, Toutes les autres est à ce jour référencé à l’Agence du court-métrage, au catalogue de L’Extra court, et sur la plateforme Educ Arte.

Sur la scène le décor est sommaire, composé de plusieurs tapis sur lesquels on devine une table et un fauteuil roulant à jardin. Une voix off nous donne l’essentiel des chiffres à connaitre sur le nombre de personnes formées à l’accompagnement sexuel : 150 personnes en 2015 et seulement une trentaine sur le terrain.

On fait connaissance avec les personnages. Antoine (Stéphane Hausauer), infirmier de 47 ans, bouille sympathique, marié, vivant à Strasbourg, bien dans sa peau, donne de son temps à des handicapées 2 à 4 fois par mois comme assistant sexuel. L’activité est légale en Suisse, pas en France où elle est assimilée à de la prostitution, mais peut-on imaginer une condamnation pour délit d’humanité à l’égard de celles qu’il appelle des bénéficiaires

Il fait connaissance avec Clémence (Kimiko Kitamura) au cours d’un entretien téléphonique marqué par l’humour où il la met en garde de ses limites et du tarif de la prestation. Evidemment leur rencontre restitue l’étrangeté de la situation. On se doute bien que malgré tout ce type de relation n’est pas anodin et peut difficilement se limiter à un cadre professionnel même si les assistants bénéficient de réunions de recadrage avec des superviseurs.

A ce stade j’ai pensé au film de Frédéric Fonteyne, sorti en 199, avec Nathalie Baye et Sergi Lopez, Une liaison pornographique dans lequel un homme et une femme conviennent de se rencontrer pour assouvir un fantasme sexuel. Mais insidieusement, des sentiments se font jour et une relation se crée. Le sexe n'est plus la seule chose qui les réunit.

Clémence elle aussi s’attache (un peu trop) et comprenant que des sentiments pourraient prendre le pas sur le contrat de départ et qu'il a franchi la limite, Antoine décide d'interrompre les séances au grand désespoir de Clémence, provoquant un cri déchirant. Mais l’histoire n’est peut-être pas terminée …
L’accompagnement musical est choisi avec pertinence. Avec d’abord Da pacem domineun morceau d’Arvo Pärt, musicien estonien né en 1935, et qui est l'un des plus importants compositeurs vivants. Ses explorations et transgressions musicales influencent beaucoup ses contemporains. La chorégraphie sur La grande cascade de René Aubry est juste magnifique et il faut saluer le travail de Ira Nadia Kodiche qui a parfaitement dirigé les comédiens.

Citons aussi Pointillism de Laurent Dury, Daylight and the Sun d'Antony and the Johnsons et Après la Neige d'Airelle Besson.
 
Je te laisserai des mots de Patrick Watson est une autre chanson qui s’accorde très bien avec le contexte. Enfin quelle autre que Mais je t’aime par Camille Lelouche et Grand Corps malade aurait mieux convenu pour soutenir la déclaration d’amour de la jeune femme ?

On sort conquis par le propos, le jeu et la mise en scène (d’Elise Noiraud). Nous avons vu une femme qui est bien comme "toutes les autres". C’est un spectacle qui mérite toute l’attention du public.
Toutes les autres de Clotilde Cavaroc
Commande de mise en scène Elise Noiraud
Avec Kimiko Kitamura et Stéphane Hausauer
Création lumière François Leneveu
Scénographie Fanny Laplane
Chorégraphies Ira Nadia Kodiche
Mercredi 4 juin 2025 à 16h au Théâtre de Belleville qui reprendra le spectacle à la rentrée
À partir de 12 ans
Au festival d’Avignon à l’Artéphile du 4 au 26 juillet à 15 h 55, relâche les dimanches

jeudi 5 juin 2025

Happy Apocalypse de Jean-Christophe Dollé

Comme le dit Perle dans la bande-annonce de Happy Apocalypse tout n’est affaire que classification et il faut être nommé pour exister. Et la spectatrice que je suis a bien du mal à nommer ce spectacle qui se qualifie simplement  de "théâtre contemporain".

Après "E-génération", que j'avais vu au théâtre Victor Hugo dans le cadre du festival Virtuel.Hom(e), "Mangez le si vous voulez", "Téléphone-moi ", "Je vole… et le reste je le dirai aux ombres", "Allosaurus", "Le hasard merveilleux... Jean-Christophe Dollé présente cette nouvelle pièce qu’il a mise en scène avec Clotilde Morgiève.

Bien sûr on peut estimer que c'est un conte musical électro-pop, une protopie, qui questionne la place de l’humain, une ode à la fragilité où le burlesque, la poésie, l’astrophysique et la métaphysique se croisent dans un tourbillon psychédélique autour de 6 comédiens et 3 musiciens en live qui font vivre des personnages fantasques et quelques animaux pour donner à l’humanité une chance de se réinventer.

Bref c’est un spectacle hybride, donc pleinement cohérent avec le propos consistant à tisser une trame théâtrale à partir de Perle, au prénom clairement choisi sans hasard, résultat du croisement entre une femme et un Varan de Komodo. Elle serait le premier enfant hybride de l’histoire de l’humanité mais beaucoup d’autres humains à tête d’animal vont peupler la scène comme le suggère la photo qui ouvre cet article.

Le titre est autant une oxymore qu'une allitération sachant qu'apocalypse signifie "révélation" en grec. A l'inverse de la plupart des spectacles, celui-ci doit, me semble-t-il, être regardé pour ce qu'il est, sans trop réfléchir, à part deux-trois interrogations évidentes, à propos de ce qui détermine le monstre (où là encore l'étymologie est essentielle puisqu'il est ce qu'on montre), et de tout ce qui alimente l’éco-anxiété grandissante à mesure que l'on souligne les effets de la pollution, du capitalisme et de la croissance exponentielle, du réchauffement climatique et la dégradation de notre planète parallèlement à l'injonction à être heureux.

Au lieu de nous effrayer davantage, les créateurs de ce spectacle invitent les spectateurs à vivre en leur compagnie une folle fête, irrévérencieuse et transgressive.

Pour mieux y parvenir, outre un jeu très fin, mené par une formidable bande d'acteurs (capables d'endosser plusieurs rôles et de danser … et on imagine combien Aurélie Mouilhade a dû les faire répéter). Marie Hervé a imaginé un décor déstructuré, composé de cases sans cesse repositionnées dans un théâtre de théâtre de manipulations (bravo à la technique !) façon puzzle vertical ou tetrix dans une ambiance surréaliste et des couleurs pop et illustrant le théorème selon lequel le vide est une illusion.

L'ensemble baigne dans des tonalités de bleu intersidéral (Simon Demeslayqui parfois est difficile à supporter mais qui permet de focaliser le regard sur certains endroits. La musique, interprétée en live remplit une fonction essentielle. Les trois musiciens (parfois acteurs) sont totalement intégrés dans la progression de l'histoire : le claviériste Noé Dollé, le guitariste et bassiste Laurent Guillet et le batteur percussionniste Pierre Martin-Bànos.

La musique a spécialement été composée pour l'occasion, avec de multiples sources d'inspiration allant de Radio Head à Eminem en passant par Ben Mazué. On reconnaitra aussi le morceau Superman, de .1. Elle emprunte un chemin conduisant du chaos vers l’harmonie et s'il est vrai qu’elle adoucit les moeurs la technologie devrait adoucir l'existence.

Il faudrait sans doute pour cela arrêter de se poser des questions hautement existentielles comme Si tu m'oublies est-ce que j'existe moins ?

Qu’ajouter si ce n’est qu’on rit (aussi) régulièrement … 

Je conseille à ceux qui voudrait en savoir plus sur la genèse d'Happy apocalypse à consulter le dossier de la compagnie qui foisonne de références bibliographiques, iconographiques et musicales extrêmement recherchées. 
Happy Apocalypse de Jean-Christophe Dollé
Mise en scène : Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Assistés de : Madeleine Fourtune
Avec : Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève, Sol Espeche, Yann De Monterno, Géraldine Roguez, Noé Dollé, Rodrigo Viana, Pierre Martin, Simon Demeslay et la voix de Solenn Denis​
Scénographie et costumes : Marie Hervé
Création lumières, création machinerie plateau, régie générale : Simon Demeslay
Mise en son : Georges Hubert
Musiques : Jean-Christophe Dollé, Noé Dollé, Laurent Guillet et Georges Hubert
Chorégraphie : Aurélie Mouilhade
Couture : Julia Brochier
Perruques : Julie Poulain
Masques : Olga Reis
Coach vocal : Amélia Donnier
Assistanat régie générale : Lili Dollé​
Au Théâtre des Gémeaux Parisiens
Du 4 au 11 juin à 21h sauf le dimanche 8 juin à 17h
Relâche mardi 10 juin
Sera au Théâtre 11 pendant le festival d'Avignon du 5 au 24 juillet à 22h35
À partir de 13 ans
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Alessandro Gallo

mercredi 4 juin 2025

Avoir le réflexe Vendômois pour choisir un Gris

Je connais le travail des Vignerons des Côteaux du Vendômois, la variété de leurs vins, souvent bio, et qui sont commercialisés à des prix très raisonnables, ce qui bien entendu n’exclut pas de les consommer avec modération.

Les cuvées de Gris 2024 sont juste en bouteilles, ce qui me donne l’occasion de vous en reparler aujourd'hui avec un Coteaux du Vendômois Gris Montagne Blanche 2024 de la Cave Coopérative du Vendômois, dont le prix de vente (donné en fin d'article) signe un excellentissime rapport qualité/prix.

Je rappellerai d’abord, au risque de me répéter, que le cépage utilisé est le Pineau d’Aunis qui affectionne particulièrement ces terroirs de première côte. Il est issu du prieuré d’Aunis (près de Saumur) au XIème siècle. Ce cousin du Chenin Blanc s’est beaucoup développé dans le Vendômois depuis le début du XXème siècle et il constitue de nos jours la particularité de cette Appellation d’Origine Contrôlée.

La Montagne Blanche est un promontoire rocheux de tuffeau de couleur claire. Le donjon du chateau de Vendôme y fut autrefois érigé. Le Loir se divise en plusieurs bras au pied de la ville. Les vignobles se sont développés sur les coteaux et bénéficient d'un microclimat propice à la culture de la vigne. Le Pineau d’Aunis s’y exprime magnifiquement et confère aux Gris du Vendômois une typicité tout à fait originale.

C'est le terroir de silex rose qui apporte vivacité acidulée et élégance au vin tandis que l’argile lui confère rondeur et fruité. Les raisins ont été récoltés à pleine maturité, avec une superbe arrière saison, alliant la fraîcheur naturelle du Pineau d’Aunis à une belle intensité aromatique.

Pour les férus d’œnologie j’ajouterai que la vinification a été le résultat d’un pressurage pneumatique léger, d’un débourbage statique du moût 24 h suivi d’une fermentation à 14°C en cuves inox thermorégulées et d’un élevage sur lies fines pendant 4 mois.

La robe est saumon, avec des reflets argentés. Le nez est fondu et fruité, avec de la fraise, de la pêche de vigne et d'agrumes parmi lesquels on reconnaît le pamplemousse rosé. Des notes poivrées viennent soutenir les arômes de fruits murs et la pâte de coing.

La bouche est désaltérante et fraiche, avec une belle amplitude. Servir ce vin sur un melon avait de quoi surprendre mais la confrontation préparait le palais pour la suite.

On peut le proposer sur des charcuteries, des sushis, des gambas flambées, un filet de rouget, un rôti de veau et des fromages de chèvres affinés. Je l’ai associé à une tourte pousses d’épinard et saumon, aussi simple que bonne.
Je l’ai préparée avec une pâte feuilletée parce que je voulais ce coté beurré et croustillant. J’avais déposé des pousses d’épinards parmi lesquelles j’ai placé des morceaux de saumons d’environ 3 cm sur 2. J’ai nappé de 4 œufs battus avec un verre de lait et une cuillerée de maïzena.
Gris Montagne Blanche
Coteaux du Vendômois AOC
Cave Coopérative du Vendômois – 41100 Villiers sur Loir
Prix de vente à la cave 6 euros, 12 magnum

mardi 3 juin 2025

Les Dactylos, mise en scène d'Éric Chantelauze

Il ne faut pas craindre d'entendre un texte d'une horreur insensée sur l'état d'esprit de ce qu'on appelait le personnel de bureau. Certes, leur travail a considérablement changé depuis 60 ans. L'ordinateur a remplacé la Remington que j'ai remarquée (par hasard) dans la vitrine d'une boutique en sortant du Conservatoire de Versailles.

Alors qu’Eric Chantelauze change de costume dans les coulisses du théâtre Montansier où il vient d'interpréter Joseph Kessel dans Le chant des lions, son nom apparaît le même jour au générique d'une pièce en tant que metteur en scène.

Il s'agit d'une comédie sociale et romantique se déroulant au début des années soixante dans un bureau new-yorkais mais qu'on ne s'y trompe Les Dactylos mêle une certaine forme de mélancolie à un humour mordant.

Elle a été écrite par Murray Schisgal, un dramaturge, scénariste, producteur de cinéma et acteur américain (1926 - 2020). Ses pièces n’ont commencé à être connues en France que lorsque Laurent Terzieff décida d’en adapter plusieurs, dont Les dactylos, en 1963. Il a été le formidable scénariste du film de Sydney Pollack Tootsie, dans lequel il interpréta le rôle de Party Guest en 1982.
A partir d'une scénographie simple (mais efficace) Éric Chantelauze dirige avec finesse Jérôme Rodriguez (Paul) et Valentine Revel-Mouroz (Sylvia). Les premières minutes font penser à la manière de jouer de Jacques Tati dans les années 70. Les déplacements sont raides et caricaturaux à l'extrême … jusqu'à ce que le spectateur devine que le moindre geste est intentionnel pour signifier le niveau de routine et de conformisme des personnages. Comme ce sera jouissif de les voir ensuite "perdre les pédales".

Pour le moment ils commencent leur journée de bureau en retard mais Sylvia, qui arrive en claquant des talons, aura eu la présence d'esprit de reculer les aiguilles de la pendule murale. L'honneur de la jeune femme est sauf. Il est à la hauteur de sa promotion entant que "surveillante de tout le service" (à savoir juste deux personnes).

En une heure de temps, semblant se dérouler sur une journée, c'est toute leur vie qui défile sous nos yeux. Au tout début Sylvia Payton prend très au sérieux la mission de formation que lui a confiée son patron : apprendre le travail à Paul Cunningham, qui vient d’être engagé pour la seconder à taper des adresses à la machine. A la moindre des erreurs de ce collègue qui prétend être un peu rouillé cette employée consciencieuse qui "prend tout sur elle" est psycho-rigide et se révèle être une véritable miss catastrophe. 

Elle ne résistera pas longtemps au plaisir de lui révéler les manies du patron. Travailler n'empêche pas de parler et d'essayer d'en savoir plus sur la personnalité de chacun, quitte à le soumettre à une alternative truquée dont il se sortira par une réponse absurde. Le spectateur a bien compris ce qui est en train de se tramer mais se demande malgré tout jusqu'où la mise en scène va nous entrainer.

La surenchère semble sans bornes et enfle dans une forme de ping pong intellectuel au cours duquel chacun dit ses blessures sans parvenir à l'approbation de l'autre. le ton monte même si Sylvia prétend ne pas être énervée. Le ton bascule dès qu'elle a vu en Paul un homme à séduire et réciproquement. Rires et rapprochement nourrissent l'enthousiasme de la jeune femme qui envisage le mariage qu'il faut urgemment annoncer à la famille : Je vais appeler ma mère et vous votre femme. Mais le collègue n'entend pas les choses de cette oreille. On assiste à une crise très violente qui emprunte tous les codes du boulevard. Tout est prétexte à un effet comique.

Le temps semble avoir passé brutalement et cruellement. Les corps se sont dégradés. Les confidences deviennent amères. La misère intellectuelle refait surface et on découvre l'alcoolisme de Paul, qui déploie ses ambitions dans un déni remarquable. Ils tombent d'accord pour s'estimer tout seuls dans un monde cruel et solitaire, signant un nouveau rapprochement aussi fugace que le premier.

Ils sont désormais chacun dans sa bulle de folie et de démesure … mais consciencieux jusqu'au dernier instant. Murray Schisgal a composé une partition malicieuse et grinçante sur le quotidien monotone des employés de bureau. Eric Chantelauze s'empare du moindre effet comique possible pour en souligner une forme de détresse aussi noire qu'absurde, en poussant le curseur de l'humour le plus loin possible.
On rit et on croit l'époque révolue mais il existe sans doute encore des gens qui raisonnent comme ces deux employés qui sont confondants de sentiments médiocres, et qui ne réaliseront jamais leurs rêves, faute de s'en donner les moyens. 

Ce que réussissent formidablement les comédiens, ce n'est pas tant de les incarner, c'est de se livrer à ce qu'on appelle un numéro d'acteurs et il est hors normes. La musique choisie pour clore le spectacle est un dernier clin d'oeil puisqu'il s'agit de Can't Take My Eyes Off You (Je ne peux pas te quitter des yeux) chantée par Andy Williams. Le titre a été créé en 1967 par Frankie Valli et il est devenu un des titre les plus repris au monde, de Muse à Amanda Lear, en passant par Lauryn Hill, et même Line Renaud. 

Les Dactylos de Murray Schisgal
Adaptation de Laurent Terzieff
Mise en scène d'Éric Chantelauze
Avec Jérôme Rodriguez et Valentine Revel-Mouroz
Création dimanche 1 juin à 19h00 dans le cadre du Mois Molière 2025
Conservatoire à rayonnement régional de Versailles Grand Parc - Auditorium Claude Debussy - 24, rue de la Chancellerie - 78000 Versailles
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Le Mois Molière renforce son lien avec le festival d'Avignon. Après le succès de l’aventure d’un nouveau lieu de spectacle dans l’ancien Carmel d’Avignon où les spectacles ont fait quasi salle comble rapidement, une nouvelle demande a été adressée à François de Mazières par les propriétaires du réputé théâtre du Petit Louvre pour assurer sa programmation. Le Mois Molière sera ainsi présent dans trois salles du Off.

Les dactylos seront joués du 5 au 26 juillet à 18h15 au Petit Louvre, 23 rue Saint-Agricol, 84000 Avignon

lundi 2 juin 2025

Peacock, premier film de Bernhard Wenger

L'AFCAE a encore une fois mis à l'honneur un premier film et c'est une excellente découverte que celui du réalisateur autrichien Bernhard Wenger qui a été projeté ce soir par les salles adhérentes.

Son titre original, Peacock, parle sans doute dans toutes les langues. En français, on connait ce que signifie faire le paon. L'animal est symbole de beauté et de vanité mais on sait tous qu'il ne vole pas très bien et que son cri est affreux, ce qui ne le rend pas très sympathique même si ses plumes sont convoitées … pour orner un chapeau.

Les première minutes sont (volontairement) déroutantes. On comprend mal pourquoi il serait préférable de ne pas éteindre un incendie trop vite. Ni à quoi rime le billet que la femme tente de faire accepter à cet homme qui la raccompagne après un concert qu'ils ont agréablement suivi ensemble.

La révélation est stupéfiante. Nous allons suivre les pérégrinations professionnelles, et par voie de conséquence également personnelles, de Matthias (Albrecht Schuch) dont le travail consiste à être le partenaire idéal, en toutes occasions. Il peut donc aussi bien endosser le costume du parfait petit ami, du fils modèle ou même du sparring-partner pour vous entrainer à rompre avec un mari violent.

Par contre, et c'est là que la situation devient à la fois tragique mais aussi furieusement comique, il ne parvient plus à être lui-même dans sa vie quotidienne.

Bernhard Wenger a puisé l'idée du scénario en 2014 dans les agences pour "louer un ami" qui existe au Japon depuis au moins vingt ans déjà. Il est allé dans ce pays pour rencontrer des employés, et comprendre la raison d'être de ces agences et la manière dont les employés se préparent pour revêtir leurs rôles. Il a été touché par les confidences d'une personne qui est confrontée au dilemme de ne plus savoir qui elle est vraiment.

Ce qui renforce le mystère de la situation c'est que le personnage de Matthias, bien que dérouté, et presque paniqué, ne réagit pas autrement qu'en adoptant une passivité angoissante qui interroge le spectateur. Quel part de responsabilité Matthias a-t-il dans ce qui lui arrive ? Se pourrait-il qu'il ne soit que la victime d'un système perverti ? Et surtout, pourra-t-il rompre le cycle infernal, et si oui comment ?

Peacock est une comédie noire qui frôle le drame existentiel pour nous offrir une réflexion satirique sur les constructions sociales, les rôles qu'on s'acharne à jouer et les identités fabriquées. L'originalité de la mise en scène est renforcée par le fait que les effets comiques ne sont pas générés par les dialogues ou très peu, mais par l'absurdité des situations. Par exemple par la présence d'un énorme chien ou au contraire d'un minuscule animal. Et par la déconnection d'une maison où tout est régi par l'électronique.

Quand sa petite amie Sophia (Julia Franz Richter) lui demande quel vin il veut boire, il répond "comme tu préfères". Ce qui peut passer pour de la politesse sonne la fin pour Sophia :"Tu n’es plus une vraie personne", dit-elle à Matthias avant de le quitter.

On pourra penser à l'humour noir anglais ou à la manière pince-sans-rire que l'on a de s'exprimer dans les pays scandinaves mais sans mettre de coté le sens de la tragédie qui est particulier en Autriche. Si bien que le film prend parfois des allures de thriller quand l'aspect tragique devient effrayant, comme l'est le ronflement des pompes d'alimentation de la piscine.

Matthias va devoir travailler sur lui-même et sur ses problèmes, comme le lui suggère son ami et collègue David (Anton Noori). Mais rien ne semble fonctionner. Comme le paon de l’établissement où Matthias part en retraite, il devra rejeter le perfectionnisme afin de … peut-être … vraiment se trouver.

Matthias ayant parfois l'allure d'un robot, j'ai pensé au film I'm Your Man (Ich bin dein Mensch ou L'Homme idéal au Québec, ou Je suis ton homme). Dans ce film allemand réalisé à partir d'une nouvelle d'Emma Braslavsky par Maria Schrader et sorti en 2021 une scientifique acceptait, dans le cadre d'une expérience, de cohabiter avec un robot humanoïde, entièrement programmé en fonction de son caractère et de ses besoins. Il devait incarner l'époux parfait pour Alma, dont, jusqu'ici, la vie se résumait à la recherche scientifique.

Si la musique originale est composée par Lukas Lauermann, la bande son emploie fort astucieusement Unchained Melody par The Righteous Brothers

Peacock, premier film de Bernhard Wenger
Avec Albrecht Schuch, Julia Franz Richter, Anton Noori …
Festival de Venise 2024 - Semaine de la critique
Les Arcs Film Festival 2024 - Prix du Public et Mention spéciale du Jury Jeune
Festival Music & Cinema Marseille 2025 - Prix de la mise en scène
Sortie en salles le 18 juin

dimanche 1 juin 2025

Le Chant des Lions de Julien Delpech et Alexandre Foulon

Le Mois Molière est devenu un rendez-vous qui s'inscrit rituellement sur mon agenda pour la quatrième année consécutive (même si je l’avais découvert en 2014 au Potager du Roi mais à l’époque Versailles me semblait être au bout du monde).

J’essaie désormais chaque année de voir quelques créations. Impossible d’assister à toutes les représentations, elles sont « trop » nombreuses (330 cette année sur 62 lieux) mais j’approuve totalement la volonté de François de Mazières créateur du Mois Molière et désormais maire de Versailles de vouloir ce festival accessible à tous les publics, et dans tous les quartiers. Une des preuves en est la gratuité de multiples séances, ou leur tarif symbolique fixé à 2 €.

Il avait insisté au cours de la conférence de presse d’annonce du Mois Molière sur la place accordée au théâtre contemporain … et à la musique, ce qu’illustre parfaitement la création de la nouvelle pièce de Julien Delpech et Alexandre Foulon Le Chant des Lions (ci-contre à coté de Charlotte Mazneff).

Traditionnellement le festival ouvre dans la Cour de la Grande Écurie du Roi, donc en plein air et même si l’endroit ne permet pas l’installation de lumières comme dans une salle de spectacles ni la projection d’images dont les metteurs en scène adeptes de lapping sont du coup privés, j’avoue que l’extérieur apporte une dimension particulière, une atmosphère que nous apprécions tous comme un moment hors du temps.

La météo était incertaine hier, pour le premier soir de création. La metteuse en scène Charlotte Mazneff a fait pression pour ne pas faire courir de risque au décor et au dispositif technique. Le Théâtre Montansier a dû ouvrir spécialement pour accueillir l’équipe. On comprend pourquoi quand on découvre la scénographie d’Antoine Milian, à la fois sophistiqué et simple.
Elle permet au spectateur de passer en un claquement de doigt de l’appartement de Kessel à une salle de restaurant ou une scène de cabaret, tout autant qu’un wagon de restaurant pour finalemetn se retrouver dans le bureau de De Gaulle puis dans les studios d’enregistrement de la BBC.
A cour, une sorte de standard téléphonique sera le quartier général d’un curieux ingénieur du son, artiste en bruitages (Thierry Pietra ci-dessus avec Elodie Colin) qui, outre une infinité de second rôles lui donnant l’occasion d’un joli travail sur les voix et les imitations, nous révèle les coulisses de plusieurs bruitages : battements de coeur, déflagration, train, …, une averse et des claquements de bottes allemands, et même de la musique avec un verre. C’est Mehdi Bourayou, compositeur et acteur (ci-dessous à droite de Charlotte Mazneff), qui a imaginé cet univers sonore dans lequel il a même réussi à intégrer un extrait de la Symphonie de la machine à écrire de Leroy-Anderson, qui annoncerait presque le spectacle suivant, Les dactylos, qui sera créé au Conservatoire (et auquel je consacrerai un article très bientôt).

Côté lumières nous avions été prévenus que le temps avait manqué pour installer le dispositif tel que Moïse Hill l’avait prévu (et la difficulté aurait encore été supérieure en extérieur en fin d’après-midi) mais le résultat était déjà très prometteur.

Ce spectacle raconte la genèse du Chant des Partisans qui fut composé dans le but d’unir et de motiver les résistants afin qu’ils jouent un rôle décisif lors du Débarquement sur les plages normandes. C’était l’air préféré de son père, ce qui explique son émotion lorsque les deux auteurs, Julien Delpech et Alexandre Foulon, lui ont proposé de le monter. Ayant monté récemment avec eux Les téméraires à propos de l’affaire Dreyfus, elle ne pouvait qu’être partante pour cette nouvelle aventure.

Il ont travaillé un an à l’écriture en jouant avec la chronologie et en faisant de cette chanson, qui fut écrite par Maurice Druon et Joseph Kessel une double déclaration d’amour. Celle de Joseph, surnommé le lion à Germaine Sablon (1895-1985), et celle de Lazare Kessel, le frère de Joseph (1899-1920) à Léonilla Samuel, parents de Maurice. Ce dernier couple apparaît régulièrement par le biais de flash-backs.

C’est un spectacle de théâtre qui accorde une place de choix à la chanson, ce qui donne l’occasion aux auteurs de nous faire entendre quelques-unes de la trentaine qu’enregistra Germaine Sablon et dont nous n’avons guère conservé en mémoire que le Chant des partisans.

Une part importante est aussi consacrée au travail de l’armée des ombres à laquelle appartenait Katia Gangardt, la deuxième épouse de Joseph Kessel (avec d’autres célébrités qui n’apparaissent pas dans la pièce comme Marcel Pagnol ou Gastion Gallimard). On devine le rôle que Germaine a joué dans la Résistance. Engagée dans la France libre, elle poursuivit la guerre en tant qu'infirmière jusqu’en Italie et en France. Elle sera décorée après la Libération de la médaille de la Résistance et de la Croix de guerre, et plus tard la Légion d’honneur, ce qui fait d'elle la plus décorée des chanteuses. Elle méritait bien que sa mémoire soit honorée un jour sur une scène de théâtre !

Les dialogues se concentrent sur un moment de la vie amoureuse du Lion, partagé entre Katia et Germaine, bien avant qu’il ne rencontre Michèle Winifred O’Brien à Londres en 1944, la fameuse "beautiful darling" et qui sera sa troisième épouse.

La vie de Kessel a sans doute été simplifiée par les auteurs en raison de sa complexité. Ils ont conservé l'essentiel pour servir le propos du spectacle. Ceux qui sont voudront absolument démêler l’authentique de l’invention trouveront les clés, scène par scène, dans le livre qui publie le texte de la pièce.

Ils ont en tout cas réussi à ciseler de jolis dialogues pour des comédiens qui s’en emparent avec délice. Kessel (Eric Chantelauze) refuse de se laisser enfermer dans un livre comme une fleur dans un herbier. Katia (formidable Élodie Colin qui incarne aussi la Carpe, une résistante d’un courage exemplaire) accepte qu’on ne mette pas un lion en cage mais qu’on le laisse gambader jusqu’à ce qu’il revienne.

Après plusieurs péripéties inspirées par les évènements historiques, qui permet à Thibault Pinson d’incarner plusieurs personnages savoureux, viendra l’instant de la création d’une chanson qui unisse, rassemble, fédère. Un lyrisme sans borne est à l’œuvre : Je veux sentir siffler les balles au-dessus de ma tête (…) Ton arme c’est ta plume, ta chance c’est de pouvoir (encore) écrire.

On connait les qualités de Vanessa Cailhol autant à l’aise comme comédienne (sa dernière apparition dans Maupassant Inside était prodigieuse) que comme chanteuse (on se souvient de sa présence dans Courgette, qui lui valut un Molière l’an dernier). Il faut saluer sa présence joyeuse et sa voix superbe. Elle nous a offert une magnifique interprétation de Mon homme et bien entendu le fameux Chant des partisans qu’elle démarre presque a capella pour la finir en chœur. Nous sommes le 30 mai 1943, et ce morceau est enregistré pour le film de propagande Three Songs about Resistance (d'Alberto Cavalcanti).

C’est lorsque les choses ne sont pas raisonnables que tout devient possible. Ce spectacle est intentionnellement émouvant mais il présente aussi beaucoup d’instants humoristiques, dosés avec précision.
Le Chant des Lions de Julien Delpech et Alexandre Foulon
Mise en scène et dramaturgie de Charlotte Matzneff
Avec Mehdi Bourayou, Vanessa Cailhol, Éric Chantelauze, Élodie Colin, Thierry Pietra, Thibault Pinson
Scénographie Antoine Milian
Musique Mehdi Bourayou
Lumière Moîse Hill
Costumes Corinne Rossi
Création Mois Molière 2025 le 31 mai à 20h30 et le 1er juin à 17h00
Théâtre Montansier - 13, rue des Réservoirs - 78000 Versailles
Tarif : 2 € • Réservation obligatoire

Festival Off Avignon 2025
Du 5 au 26 juillet à 14h40, Relâches les mercredis 9, 16 et 23 juillet
Au Théâtre des Gémeaux - 10 rue du Vieux Sextier - 84000 Avignon