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mercredi 12 février 2025

Le rôle du verre dans l’expérience de la dégustation des vins

Je suis convaincue depuis très longtemps que le verre a son importance dans l’appréciation d’une boisson, a fortiori s’il s’agit d’un vin.

Il ne s'agit pas d'une mode même si dans les séries Netflix c'est la forme du verre à Chardonnay qui est privilégiée pour son esthétisme, même lorsque les acteurs sont censés déguster un Gin tonic.

La situation est pire encore aux USA où, pour des raisons de commodité, on déguste une fois sur deux dans des gobelets en carton afin d’éviter d’avoir à laver. Peut-on encore parler de dégustation ?

Je crois que la première personne à m’avoir donné le conseil le plus essentiel est un sommelier du Plaza à l’occasion d’une visite de l’établissement dans le cadre des journées du Patrimoine : il est impératif d’utiliser un verre avec un buvant fin.

Grosse modo, un verre c’est un calice (gobelet ou ballon) qui le relie par son pied (tige, jambe) à la base (coupelle, socle ou cuvette). Le pied et la base n’ont aucune importance dans la dégustation et ne l'influenceront en aucune manière.

Maximilien Riedel avait astucieusement développé une gamme de verres sans pied en 2004 adaptée à la taille réduite des placards new-yorkais. Seul le calice a son importance dans la dégustation. C’est la partie la plus technique et la plus variable. On y retrouve, de haut en bas, le buvant, la cheminée, l’épaule, la paraison et le bouton.

Le buvant est donc le contour de la partie supérieure du verre sur laquelle se posent les lèvres. Plus il est fin, plus il se fera oublier sur les lèvres et permettra de mettre le vin en valeur. Cette partie est un signe de qualité.

Vient ensuite la cheminée qui est la partie haute du calice. Elle peut être large, très large, cintrée ou resserrée. C’est surtout sa forme qui sera déterminante pour dédier un vin à un verre. Il est fréquent qu’elle soit un peu resserrée pour concentrer les arômes du vin et les diriger vers le nez.

L’épaule est la partie la plus large du calice, où se développent les arômes au contact de l’air. Il est absurde de remplir le calice au-delà de l’épaule car les arômes auront du mal à se développer. La paraison est la partie basse du calice qui accueille le vin. Elle peut être de forme ronde/galbée ou au contraire droite/angulaire. 

Le bouton est l'endroit qui lie le gobelet à la jambe du verre. Théoriquement il n’est pas visible en fabrication artisanale, parce que le calice et la jambe sont soufflés à partir de la même boule de verre. Il est plus marqué en fabrication mécanique puisque les parties sont fabriquées séparément et soudées. S’agissant des verres à champagne certains fabricants ajoutent intentionnellement une imperfection à la base du calice, qu’on appelle point mousse pour stimuler l'acide carbonique des vins mousseux, les faire plus vite pétiller, ce qui sublime l'arôme et le goût.

J’avais d’ailleurs eu l’occasion de faire une dégustation comparative du même champagne dans quatre verres différents qui avait été impitoyable pour certains verres, essentiellement en raison du buvant. Si je n’étais donc absolument pas sceptique devant l’idée que la forme d’un verre puisse avoir elle aussi de l'influence au nez et encore plus en bouche sur l’appréciation d’un vin j’aurais pour autant été incapable de faire un choix raisonné en matière de forme de calice. Le vin doit pourtant être servi dans un verre adapté. 

Je savais que Riedel organisait des ateliers pour comprendre pourquoi la forme d’un verre, loin d’être anodine, se doit d’être adaptée aux caractéristiques du vin pour en offrir le meilleur. Je n’avais jamais eu l’occasion d’y participer. Wine Paris, dont la marque est partenaire historique du salon, m’offrit cette opportunité. Une vraie chance et une heure riche d’enseignement puisqu’elle a été orchestrée par Victor Ulrich, directeur France Riedel.

S'il ne fallait mémoriser que l'essentiel je rappellerais :
- C'est le calice qui compte dans l'appréciation du vin, et en premier lieu la finesse du buvant
- Il ne faut pas servir le vin au-dessus de l'épaule (l'épaisseur de deux doigts suffit) et bien entendu à la température idoine, 4 degrés pour les blancs.
- Si le vin est un mélange on prendra le verre correspondant au cépage prioritaire par exemple le Performance Syrah en cas d'assemblage si Syrah/Grenache/Mourvedre….) et si on ne peut retenir qu'un seul verre (celui que Victor Ulrich qualifie avec humour de 4x4, on privilégiera la forme du verre dit à Riesling. 
- Avant toute chose, tapisser le verre avec le vin en l'inclinant pour éliminer les odeurs parasites
J'ai cru comprendre que la prise de photographies pendant la master-class était interdite. Je me suis donc limitée au strict nécessaire. En tout cas je vous recommande de suivre cet exercice si vous en avez l'occasion. C'est absolument passionnant, de par la connaissance de Victor Ulrich, et de la puissance de la démonstration qui m'a bluffée. Difficile ensuite de poursuivre les dégustations sur Wine Paris même si le verre (Riedel) 4X4 comme le surnomme le directeur, est polyvalent. Si vous aimez les chiffres sachez que le fabricant en livre 230 000 sur le salon et que, en nombre de verres lavés, le total s'élève à 4,5 millions de verres. Je vous laisse évaluer la quantité de vin …

Quand nous entrons dans la salle les vins qui serviront au test ont déjà été versés, dans des petits gobelets en plastique dont la forme rappelle le verre dominical de nos grands-mères. L'usage voulait qu'on le remplisse à ras bord, empêchant la libération des arômesCes gobelets sont derrière les 4 verres principaux, de gauche à droite :
  • du Riesling devant un verre Riedel Véloce Riesling référence 6330-15
  • du Chardonnay devant un verre Riedel Véloce Chardonnay réf 6330-97
  • du Pinot noir devant un verre Riedel Véloce Pinot noir référence 6330-07
  • du Saint-Estèphe donc un blend Cabernet-Merlot devant un verre Riedel Véloce Cabernet/Merlot référence 6330-0
Une bouteille d'eau est à disposition ainsi qu'un crachoir. On ne connait pas, à ce stade, les noms des vins ni les domaines de provenance. Tous les verres appartiennent à la gamme Véloce d'une collection innovante et ultralégère, ce qui est un avantage énorme. On pourrait les croire soufflés en bouche mais ils sont pourtant 100% mécaniques (donc à prix raisonnable) fabriqués en Allemagne. Le soufflé bouche est fait en Autriche.

Les noms des cépages sont gravés sur les socles, ce qui est bien pratique pour les identifier mais il existe une version du Riesling sans mention afin de faciliter la mise en place sur les tables des restaurants.

A ce propos il faut savoir que s'il existe d’autres verriers de qualité, très différents, certains aujourd'hui sont revendeurs mais non fabricants. Riedel est fabricant et ne met jamais son nom sur une bouteille. 

Victor Ulrich commença naturellement par rappeler que l’histoire de la maison (demeurée une entreprise familiale) remonte aux années 50 et s’est transmise sur 11 générations. Elle est née à Kufstein, en Autriche, dans le Tyrol, dans la zone de production d'un vin très connu dans le pays, le Grüner Veltliner, même si les meilleurs de ces vins proviennent du nord-est de l'Autriche, des régions viticoles de Wachau, du Kamptal et du Kremstal qui longent le Danube.

Le Grüner Veltliner est le vin d'exportation le plus célèbre d'Autriche. Il produit de délicieux vins blancs croquants et frais au goût avec des notes de pomme mûre et une touche de poivre blanc caractéristique et intrigante. J'ai eu l'occasion de le goûter le lendemain et j'en parlerai prochainement dans ces colonnes.

Georges Riedel a développé le concept de verres adaptés dans les années 50 après avoir découvert l’intérêt d’un verre destiné au Bourgogne grand cru qui jusque là était servi dans un énorme verre dit "bocal à poisson". 

Une table raffinée se devait alors de préférer un grand verre pour l’eau et une déclinaison de plusieurs tailles pour les vins sans oublier la flûte (terrible erreur) pour le Champagne. Le nec plus ultra était de placer sur la table des Bacarrat ou Saint-Louis de différentes tailles et couleurs. 

C’est précisément en 1955 que naît cette forme d’œuf refermé qui depuis est devenu une évidence. 

La méthode de recherche de Riedel privilégie le travail en collaboration avec les vignerons et les sommeliers. Sans chercher le beau, le léger, le brillant mais la performance et la fonctionnalité. Pour ce faire le fabricant crée un ou plusieurs prototypes qui sont soumis à des vignerons en dégustation. Par exemple pour une recherche de verre "Vallée du Rhône" on soumettra plusieurs prototypes contenant de la Syrah. On éliminera au fur et à mesure les modèles non satisfaisants suite à un vote à main levée obéissant à la question : on aime ou on n'aime pas. La dégustation est très empirique et prime sur la carte de la langue. L'intégralité de la recherche s'effectue sour forme d'ateliers coopératifs. Le résultat est prouvé. Ce n'est pas un argument marketing.

On peut aller très loin. Pour Dom Perignon on n’a pas cherché à faire un verre à champagne mais un verre spécifique pour cette marque. Il a été choisi parmi 12 hypothèses, dans une démarche qui me semble ressembler à celle de fromagers qui ont déterminé quel (nouveau) couteau serait spécialement adapté à la fourme d'Ambert AOC. Des verres ont également été conçus pour le café pour Nespresso. Et pour le saké. Je montrerai en fin d'article ce qui est préconisé pour la Tequila.
Ceci posé, la master-class proprement dite pouvait commencer (les bouteilles sont placées dans l'ordre inverse sur la photographie) :
  1. le Riesling Alsace Grand Cru Rosacker Julien Schaal
  2. le Chardonnay de Limoux Gérard Bertrand Aigle Royal
  3. le Clos des Langres Monopole Rouge Domaine d'Ardhuy 2022
  4. le Château Phélan-Ségur Saint-Estèphe 2017
1 - Le Riesling Alsace Grand Cru Rosacker Julien Schaal provient comme son nom l'indique du prestigieux terroir du rozacker. Ce premier exercice confirme le rôle du verre dans l’appréciation du nez. Mais il met aussi en évidence son importance en bouche, autrement dit le "toucher de bouche". Car il faut rappeler que le flux de vin arrive en bouche différemment selon la manière de boire. Par gravité, à la bouteille. Par pression, à la paille. Par action mécanique, au verre.

On va le déguster dans le premier verre (à Riesling) après avoir tapissé le verre pour éliminer les parasites d’odeur. Il révèle tout d'abord des arômes de fleurs, de pêche et bien sur d'agrumes citronnés. Provenant d'un terroir calcaire, ce vin exprime évidemment une fraîcheur minérale où le silex est bien présent. L'équilibre se perçoit entre fruit, structure et minéralité.

Si on tente une dégustation dans le deuxième verre (à Chardonnay, qui ne conviendra qu'à ce cépage) on va précisément perdre cet équilibre, et le résultat sera pire qu'avec le gobelet plastique. Une des causes est le mouvement de bascule de la main pour provoquer la coulée du vin car cette fois le liquide arrive sur le haut du palais alors qu'avec le premier verre il touche d'abord le bout de la langue. L'intérêt floral a totalement disparu. Le breuvage est devenu amer et alcooleux. Cette expérience démontre pourquoi certains consommateurs (qui ne sont pas nécessairement passionnés par la minéralité du Riesling) rejettent ces vins à propos desquels les spécialistes s'ébahissent de leur tension.

La démonstration confirme un ressenti différent en termes de sensibilité, d’amertume, de tannin, de fruit et d’acidité. La carte de la langue se vérifie dans pas mal de cas. Comment peut-on ruiner l’étape essentielle de la dégustation au mépris de tout le travail effectué dans la vigne et dans les chais ?

2 - Le Chardonnay AOP Limoux Gérard Bertrand Aigle Royal.
Ce vin offre la quintessence de la culture de ce cépage noble qu'est le Chardonnay sur un terroir unique dans le Languedoc (mélange de climat montagnard et méditerranéen) à 500 mètres d'altitude exposée plein sud faisant face aux montagnes.

On va utiliser le verre n°2 qui est aussi taillé pour un Pouligny ou un Meursault et bien sûr le Chardonnay de Californie mais ce n'est absolument pas un verre polyvalent. Une fois bien laviné, on reconnait les arômes fruités typiques d'ananas, pêche de vigne, abricot, amande, et floraux de fleurs blanches, puis de vanille. Cette dégustation témoigne de l'ampleur florale, d'une belle fraîcheur, avec un très léger marquage bois.

Avec le premier verre (pourtant 4x4) on sera davantage sur l’alcooleux. On perdra des arômes. On sera moins précis.

3 - Le Clos des Langres Monopole Rouge Domaine d'Ardhuy 2022
Ce Pinot noir séduit par son élégance et la puissance de son côté "boule de fruits", un terme qui parle aux consommateurs. Dans le verre numéro 3 il révèlera avec délicatesse et précision toutes les composantes de cerise, griotte, cassis, framboise alors que le numéro 2 effacera son explosivité au profit d'une acidité que l'on ne recherche absolument pas.

Ce verre spécialement conçu pour le Pinot mettra aussi en valeur les tanins (qui n'étaient pas présents en blanc). Quant au verre à Bordeaux, le quatrième, il fait perdre le fruit.
4 - Le Château Phélan-Ségur Saint-Estèphe 2017 vinifié avec deux cépages, le Cabernet et le Merlot, qu'il sera important de carafer, peut-être pas avec une carafe aussi sophistiquée que le modèle Mamba photographié ci-dessus dans lequel le vin traverse plusieurs chambres, profitant d'une double décantation et d'une aération et qui permet de servir la juste quantité par rapport au verre.

Cette fois on va s'intéresser aux tanins, ce qui est encore plus difficile à tester quand le vin est jeune. Au nez, au-dessus du gobelet plastique nous ne sentons rien.

Constitué au début du XIX°, le château Phélan-Ségur est l'œuvre d'un remarquable viticulteur, M. Phelan, entrepreneur d'origine irlandaise, venu s'établir à Saint-Estèphe. Son vin est structuré et élégant avec une texture savoureuse, une belle onctuosité et de la puissance autour de tanins racés, parfaitement maitrisés, sans astringence (qui est la première critique souvent formulée à ces vins là).

Le verre n°4 est parfait, mieux que le n°3, à la fois pour exprimer les caractéristiques positives des tannins mais aussi les arômes et saveurs de cassis et de mûre.

Au terme de cette master-class, que l'on prolongerait volontiers tant elle est riche d'enseignement nous avons compris les enjeux même si le principe n'est pas d'imposer un dogme. Bien entendu il demeure vrai qu'il faut consommer avec modération. Nous avons eu la chance de repartir avec le set comprenant les quatre verres Riedel Véloce utilisés (valeur prix public 118 €).
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J'ai voulu ensuite vérifier s'il existait un alcool oublié par Riedel et je n'ai pas trouvé. Pour preuve avec le verre à Tequila est parfait pour mettre en valeur toutes les subtilités de la boisson nationale du Mexique. La forme de ce verre a été conçue en 2001, suite à deux ateliers de dégustation dirigés par Georg Riedel et auxquels ont participé plus de deux douzaines de producteurs de Tequila, des officiels et des connaisseurs. Il a été désigné "verre officiel à Tequila" par le Conseil Régulateur de la Tequila pour sa capacité à mettre en valeur les meilleurs Reposados, Añejos et Reservas de Casa Tequilas.
Fait de cristal pur, à la machine, il passe au lave-vaisselle et sa forme n'a rien à voir avec ce qu'on trouve dans le pays, que je connais bien et qui est toujours à bord épais comme on peut le remarquer sur ces clichés que j'ai pris en situation avec des contenants que j'ai ramené de l'état de Tequila à un retour de voyage :

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