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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 1 mars 2025

Palmarès des César 2025

En 2025, les César ont 50 ans et avaient choisi de moderniser la cérémonie. Ainsi, au lieu de faire porter la responsabilité du ton de la soirée sur un maitre de cérémonie unique ce sont treize artistes qui se sont partagés la tache.

Dans la mesure où Jean-Pascal Zadi prit la parole le premier les téléspectateurs n'ont pas forcément compris cette subtilité et ont pu penser qu'il avait lâché l'affaire en court de route. Le partage de la scène était pourtant une bonne idée et aurait mérité d'être expliqué. Il y eu donc au micro Pio Marmaï, Raphaël Quenard (qui tous les deux ont composé un duo hilarant sur la jalousie), Emmanuelle Béart, Alice Belaïdi, Cécile de France … qui ont chacun eu à coeur de mettre leur grain … d'humour dans la soirée.

C'est, je crois, la 6ème fois que j'écris un article à propos de cette soirée. Mon objectif n'est pas de la raconter mais d'en pointer quelques moments et de souligner quelques succès qui m'ont réjouie.

Alors que les invités s'installaient Jean-Pascal Zadi a voulu prendre le contrepied de la situation en promettant que "avoir un César, les gars c'est pas grave". Bien entendu c'est tout le contraire qu'il fallait entendre et j'imagine l'amertume de ceux qui, arrivés favoris comme l'équipe de L'Amour ouf (13 nominations) sont repartis bredouille, ou presque. Seul Alain Chabat obtiendra le Meilleur acteur dans un second rôle.

Pire encore pour Un p'tit truc en plus qui malgré 11 millions d'entrées (et c'est heureux pour ce film) n'obtiendra pas le César du meilleur premier film. Il faut reconnaitre que la compétition était sévère.

Déception aussi sans nul doute pour Miséricorde (8 nominations) et il faut souhaiter à David Ayala d'avoir une seconde chance en 2025 pour le rôle de Bruno, le fils d'Hélène Vincent dans On ira, le film de Enya Baroux, qui sortira le 12 mars.

La fanfare que Cédric Klapisch, avait convoquée pour cette soirée d'ouverture n'a pas davantage porté chance au film En fanfare (7 nominations, dont une pour Pierre Lottin qu'on retrouvera lui aussi dans On ira). Je signale d'ailleurs que le réalisateur de la soirée s'était largement trompé dans ses prévisions de statuettes. Les votants restent classiques dans leurs choix bien qu'ils ne soient pas passés à coté de films d'immenses qualités. Ils sont 4951 (à jour de leur cotisation) au 20 décembre 2024.

Catherine Deneuve, présidente de la cérémonie, a souligné la présence croissante des femmes à des postes clé dans le cinéma et a dédié (et c'était un soulagement de l'entendre après avoir subi le comportement du président américain à l'égard du président ukrainien) la soirée à l’Ukraine dont elle portait l'insigne : le cinéma a changé ma vie et j'espère que ma présence ce soir donnera de l'espoir à tous.

Nous avons revu des images iconiques de films d'Alain Delon qui ont fait venir une larme dans les yeux de son fils Anthony. Tout à l'heure, Pomme et Aliocha Schneider accompagneront trois jolies séquences In mémoriam, dédiées aux disparus de l'année et qui pour une fois a été imaginée de façon originale. Il y aura aussi un hommage à Michel Blanc qui sera pour Josiane Balasko l'occasion de souhaiter une Europe de la culture (sans doute irréaliste quand on voit combien l'institution est mise à mal). 

Puis ce fut le moment attendu de l'annonce de la Meilleure révélation masculine et le choix d'Abou Sangare dans L'Histoire de Souleymane a été une confirmation de tous les paris. Le comédien, qui est aujourd'hui mécanicien poids lourds dans un garage en Picardie, a ému ceux qui ne connaissaient pas son parcours. Très touché par sa reconnaissance il nous invite à réfléchir sur qu'est-ce que c'est que recevoir quand on peut donner. Personne ne mettra en doute la misère qu'il a connue et qui l'a poussé à traverser la Méditerranée.

Evidemment (mais est-ce vraiment utile de plaisanter sur ce sujet si sensible ?)  Jean-Pascal Zadi n'a pas pu s'empêcher de proposer à Julia Roberts, venue pour recevoir un César d'honneur de solliciter la nationalité française en affirmant que la France était une terre d'accueil pour les réfugiés. L'allusion était malgré tout directe au comportement choquant du président américain. L'actrice qui affirme que sa vie aujourd'hui est un rêve ne se lancera sans doute pas dans cette procédure.

Plus tard dans la soirée le film recevra 3 autres César : Boris Lojkine et Delphine Agut ont été remarqués pour le Meilleur scénario original (la vraie vie demeure la meilleure source d'inspiration, même s'il est nécessaire d'y apporter de la fiction)Xavier Sirven pour le Meilleur montage et côté interprétation Nina Meurisse en Meilleur second rôle … ce qui est presque amusant quand on songe que c'était la seule actrice professionnelle du film. Comme elle a raison de dire malgré tout qu'on n'est rien sans un bon scénario.

Il avait aussi été nominé comme Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur son mais il était quasi impossible de rivaliser avec Emilia Pérez de Jacques Audiard dans ces catégories.

Le film reçu d'abord le César de la Meilleure adaptation et le réalisateur monta sur scène avec son légendaire chapeau noir. Il challenge ainsi Le Comte de Monte-Cristo dans cette catégorie et celles du Meilleur film (succédant ainsi à Anatomie d'une chute de Justine Triet), du Meilleur son, Meilleure musique originale (pour  Clément Ducol et Camille) de la Meilleure photo, des Meilleurs effets visuels pour Cédric Fayolle qui travaillait pour la cinquième fois avec Jacques Audiard. Le réalisateur s'attendait-il à autant de succès ? Il a invoqué le psychanalyste Donald Winnicott disant être partagé entre le plaisir de se cacher et la terreur de ne pas être découvert. Merci de m'avoir trouvé !

Il concède juste Meilleurs costumes et Meilleurs décors pour Thierry Delettre (qui a bien raison de s'étonner que le Maquillage et la coiffure soient absents des César) et Stéphane Taillasson qui ont travaillé sur le film réalisé par Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière qui repartirent avec (seulement) deux récompenses. Le César des lycéens pourra-t-il consoler la production ?

La remise du César du premier film ne m'a pas surprise. J'avais découvert Vingt Dieux réalisé par Louise Courvoisier dans le cadre de la soirée surprise de l'AFCAE le premier lundi du mois. Son talent à mettre en lumière la jeunesse rurale est manifeste, tout comme l'est la qualité de l'interprétation de la non-comédienne Maïwène Barthelemy comme Meilleure révélation féminine, confirmant que, cette année, ce sont de vraies "révélations" féminine comme masculine, qui sont couronnées. La jeune femme s'est exprimée à travers un très beau discours.

Il n'empêche que mon coeur balançait malgré tout avec Le Royaume réalisé par Julien Colonna, lui aussi choisi par l'AFCAE.

Karim Leklou obtint le César du meilleur acteur pour sa très belle prestation dans Le roman de Jim. Le choix a dû être cornélien entre François Civil dans L'Amour oufBenjamin Lavernhe dans En fanfarePierre Niney dans Le Comte de Monte-Cristo et Tahar Rahim (si génial il faut le dire) dans Monsieur Aznavour. Passablement ému le vainqueur affirma : C'est pas normal ce qui se passe. Y a des gens dans ma tête qui font la fête. Le comédien a dédié sa récompense à tous les gentils et à tous les résilients.

Dix-sept ans après avoir reçu le César du Meilleur Espoir, Hafsia Herzi est couronnée Meilleure actrice pour Borgo. Elle aussi avait des concurrentes de taille : Adèle Exarchopoulos dans L'Amour ouf ; Karla Sofía Gascón dans Emilia Pérez ; Zoe Saldaña dans Emilia Pérez ; Hélène Vincent dans Quand vient l'automne. Cette dernière (meilleure actrice dans un second rôle pour La vie est un long fleuve tranquille en 1989) sera peut-être gagnante l'an prochain avec On ira.

Coté court, le Meilleur film de court métrage de fiction est L'Homme qui ne se taisait pas (Palme d'or à Cannes et nominé pour les Oscars) réalisé par Nebojša Slijepčevićle qui rappela la philosophie de son film : Il peut perdre sa vie en ne se taisant pas mais il peut changer le monde.

Meilleur film de court métrage d’animation Beurk ! réalisé par Loïc Espuche, également nommé aux Oscars et qui a beau être "court" a nécessité plus de cinq années de travail.

Meilleur film de court métrage documentaire Les Fiancées du Sud réalisé par Elena López Riera.

Le Meilleur film d’animation est le superbe Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau réalisé par Gints Zilbalodis et qui est aussi en lice pour les Oscars. Il totalise déjà plus de 620 000 entrées et porte un message de confiance, en soi et dans les autres.

Meilleur film documentaire La Ferme des Bertrand réalisé par Gilles Perret qui fit des remerciements éminemment politiques et souligna la nécessité de rendre visibles les invisibles, dédiant sa statuette à ceux qui luttent pour vivre de leur travail. On constate que le monde rural n'aura pas été oublié cette année avec au moins trois films célébrant cet univers, dont deux le Jura.

Le lauréat du César du Meilleur film étranger est La Zone d'intérêt (The Zone of Interest) réalisé par Jonathan Glazer qui fit un discours très remarqué à propos de Gaza et Israël. J'avais pour ma part l'espoir que le vainqueur soit Les Graines du figuier sauvage (Daneh Anjeer Moghadas) réalisé par Mohammad Rasoulof, autre film lui aussi très politique.

Outre le César d'honneur à l'actrice américaine Julia Roberts et un autre fut remis au réalisateur franco-grec Costa-Gavras qui remercia la "France accueillante".

Il fallait bien une séquence humour. Ce fut Franck Dubosc qui s'y colla, acceptant de recevoir un Césario, une statuette miniature destinée à tous ceux qui n'ont pas eu la grande. Avec 52 films à son actif il est étonnant qu'il soit passé "entre les mailles de la raquette". Qui sait si avec son réellement excellent Ours dans le Jura il n'aura pas le grand format l'an prochain ?

vendredi 28 février 2025

Les enjeux du théâtre pour demain

Les Molières avaient lancé pour le lundi 24 février une invitation à une après-midi de Rencontres sur le thème : Les enjeux du théâtre pour demain au Théâtre du Rond-Point.

L’échange fut animé par Fabienne Pascaud, avec la participation de (de droite à gauche sur la photo) : 
  • Jean Bellorini - Directeur du Théâtre national populaire à Villeurbanne
  • Catherine Blondeau - Directrice du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes
  • Thomas Jolly - Directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques
  • Sophie Zeller - Cheffe du service du spectacle vivant, adjointe du directeur général de la création artistique au Ministère de la Culture
  • Laurence de Magalhaes - Directrice du Théâtre du Rond-Point
  • Jean Robert-Charrier - Directeur des Bouffes parisiens et de la Porte-Saint-Martin (arrivé un peu plus tard en remplacement de Frédéric Biessy qui avait été annoncé, et qui donc ne figure pas sur la photo). 
Le sujet était fortement impliquant et les débats ont été riches, même si, dans la salle et par la suite, plusieurs personnes ont regretté une focalisation sur le théâtre public alors que des personnalités comptant dans le théâtre privé étaient dans les gradins et auraient eu leur mot à dire. Cependant, l'écart de fonctionnement entre les deux secteurs (malgré quelques porosités qu'il aurait été intéressant de souligner davantage) est tel qu'on comprend que les organisateurs aient cherché à éviter un affrontement.

Quoiqu'il en soit, je me répète, les échanges étaient de qualité et il faut saluer l'intuitive des Molières d'organiser ce type d'évènement. D'autant, qu'ensuite, un temps d'échanges "off" était prévu.

L'après-midi commença par une sorte de préambule, imposé en quelque sorte par l'actualité si cruciale touchant l'Ukraine. Il convenait de rappeler que, malgré les coupes budgétaires annoncées tout récemment, le théâtre français reste le plus protégé d'Europe. Et pourtant pendant la pandémie il n'avait pas été jugé comme "essentiel" à l'inverse du monde de l'édition.

Fabienne Pascaud a souligné que le premier à sabrer les crédits culturels fut en mai 2023 Laurent Wauquiez, alors président de la région Auvergne-Rhône-Alpes (il ne l'est pluspour cause de non-cumul des mandats). En deux ans, il aura supprimé quatre millions d'euros à 140 structures culturelles, ce qui ne provoqua pas tant d'écho que ça. En décembre 2024, Christelle Morançais, présidente de la région des Pays-de-la-Loire annonçait une réduction de 62 % dans le budget de la culture. Et voilà qu'en février 2025  le président du Conseil départemental, Kléber Mesquida (pourtant PS), a annoncé une baisse de 48 % des financements dédiés à la culture.

La question se pose par voie de conséquence : est-ce qu'il faut craindre que les baisses de l'Etat poussent les collectivités territoriales à arrêter les financements croisés, qui représentent tout de même les deux tiers des budgets ?

La valse des ministres (13 à la culture depuis l'an 2000) ne favorise pas la réflexion sur le long terme si on compare avec le temps qu'il faut pour, par exemple,  produire un opéra, en général plus qu'un mandat ministériel.

Oublierait-on qu'on a besoin du théâtre pour éclairer nos vies et leur donner du sens ?

jeudi 27 février 2025

Rencontre au musée de Cluny avec François Soutif pour Le chevalier à reculons

L’école des loisirs m’avait donné rendez-vous ce matin au musée de Cluny - musée national du Moyen Âge pour assister à une lecture dessinée de l’album Le chevalier à reculons ! En compagnie de son illustrateur François Soutif.

L’artiste s’est dit honoré et impressionné. Les enfants fascinés, ne perdant pas de vue le livre dont l’éditrice, Camille Guenot, tournait les pages tout en donnant vie à chaque personnage. Les adultes étaient davantage concentrés sur leur téléphone pour textoter et photographier.

Après un tracé fin au crayon le pinceau du dessinateur a fait apparaître l’armure, le casque et le chevalier prit totalement forme.
L’album joue avec le lecteur, l’invitant à tourner les pages ou à y rester. Le rapport texte-image dose suspense, peur et humour. L’histoire adopte bien sûr le lexique de la chevalerie tout en restant accessible.
François avait apporté plusieurs carnets de croquis préparatoires mettant en scène des chevaliers se promenant en forêt. Il nous confia que c’est le souvenir des tapisseries de la Dame à la licorne qu’il avait tant admirées quand il était parisien qui avait agi comme un déclic. Ce chef d’œuvre du genre de la tapisserie millefleurs serait sa principale source d’inspiration. Comme sur ces toiles, ses personnages seraient posés sans profondeur de champ sur un fonds saturé de végétaux et d’animaux.
Il ne s’est pas contenté de venir à notre rencontre avec ses carnets. Il y avait placé des marque pages pour guider notre regard. Il avait également apporté des planches de dessin et des essais de couleurs. Il nous expliqua la minutie (et le risque) de ce type d’opération puisqu’il faut deux à trois jours avant d’avoir terminé de poser les couleurs sur une planche avec la technique du glacis. On imagine le souci en cas de résultat insatisfaisant …
La question de savoir combien de temps il faut consacrer à chaque étape est un sujet qui taraude toujours les adultes.
Ce qui amuse l’illustrateur c’est la constatation que les Artisans d’autrefois (qu’il admire au plus haut point) ont pu faire preuve de fantaisie dans leurs représentations, ce qui témoigne d’une immense liberté que l’on ne soupçonne pas pour l’époque.

La formation du duo auteur/illustrateur suit divers chemins. Pour cette histoire, c’est l’éditrice qui a proposé le texte à François Soutif, persuadée qu’il serait sensible à sa dimension humoristique. Elle a reconnu avoir été surprise par ses premières maquettes qu’elle aurait pensé plus classiques. L’enrichissement qu’il a fait du texte de Sophie Lamoureux fut une très heureuse surprise pour sa créativité et l’abondance des références artistiques. On comprend en le lisant pourquoi le musée de Cluny s’est porté volontaire dans le cadre d’un partenariat.
Un an s’est écoulé entre les premiers croquis et le rendu des planches finales. Il travaille bien sûr sur un autre album pour lequel il s’est fixé la contrainte de n’utiliser que deux couleurs, l’indigo et le jaune orangé. Il nous a montré une première planche qui explose de tant de nuances qu’on mesure combien il est vrai que la contrainte rend créatif. Quelle chance puisque cet ouvrage comptera 80 pages, soit le double du Chevalier à reculons.

Nous avons été surpris d’apprendre que François n’a fait la connaissance avec l’autrice qu’hier. Il avait accepté de l’illustrer parce que son histoire l’avait fait rire.

Le grand exercice de l’illustration est de dire quelque chose de nouveau, de plus. Ici le foisonnement des plantes apporte une dimension supplémentaire. Et l'ajout d'animaux, en particulier un lapin tout autant. Je peux même dire que les tout-petits enfants, pas encore lecteurs, ont les yeux qui pétillent en scrutant les pages.

mercredi 26 février 2025

Un déjeuner dans le cadre splendide et historique de la Brasserie Mollard à Saint-Lazare

Combien de fois, comme tant de parisiens, suis-je passée dans le quartier sans penser à entrer chez Mollard ?

Les parisiens oublient que les établissements emblématiques du patrimoine ne sont pas exclusivement destinés aux touristes étrangers.

C'est la Gare Saint-Lazare, toute proche, qui a inauguré le principe des transports en commun avec des horaires fixes, ce qui a considérablement impacté la vie des banlieusards. Deux mosaïques en témoignent à l'entrée du restaurant. On y voit une très jolie dame descendre précipitamment les escaliers de la gare à la descente de son train, pressée sans doute de faire ses courses avant de déjeuner … à la brasserie. Et sur l'autre on la voit repartir et on devine l'expression "grands magasins" marquant ses paquets.  La mention 1895 indique la date de construction.
Elle enregistre toujours le plus grand nombre de trains au départ, et est également la gare qui accueille le plus de voyageurs en semaine (360 000 utilisateurs quotidiens). Non content d'attirer les habitants des banlieues Mollard a fait courir le tout-Paris pour une raison toute particulière en étant un des premiers à séparer les toilettes femmes de celles des hommes en 1895. Si on songe aux tenues vestimentaires féminines on en mesurera tout l'intérêt.
Des panneaux ont été conçus pour célébrer ces zones de villégiature toutes proches qu'étaient alors Ville-d'Avray, Saint-Germain-en-Laye. Mais on honore aussi Trouville où l'on se rendait pour prendre des bains de mer (dans le costume de bains de l'époque, plutôt encombrant, que l'on voit sur le mur).
Le propriétaire étant patriote il a fait placer aussi dans un salon la Lorraine (à gauche) et l'Alsace (à droite).
D'autres sont presque japonisantes. Toutes sont splendides et donnent une classe folle aux alcôves.
La vue est tout autant sollicitée dans cet établissement que le sera bientôt notre palais. Il est indéniable que le décor est époustouflant, surtout avec les glaces qui démultiplient l'espace. 
On comprend que les hommes d'affaires appréciaient d'y donner rendez-vous pour conclure les marchés, principalement après la Seconde guerre mondiale quand les bureaux avaient été endommagés.

On peut venir ici pour toutes les occasions, déjeuner en toute simplicité, organiser un repas d'affaires, dîner en amoureux en partageant la formule langouste. Quoiqu'il en soit vous serez confortablement installés dans un fauteuil ou sur une banquette en cuir. On vous apportera les couverts (en argent) adaptés à vos plats, posés sur une serviette pliées, monogrammée comme la nappe du M de Mollard, qui est le nom des fondateurs, un couple de savoyards, en 1867. Le ballet des serveurs est un spectacle en soi, tout de noir vêtus, avec long tablier blanc, plateau ovale sur l'épaule.
J'imagine que vous salivez de savoir ce qui figure au menu. La carte est longue, comprenant de grands classiques d'une brasserie et ces créations. Vous pourrez y lire l'histoire de la maison pendant qu'on prépare votre entrée. Peut-être un Velouté de butternut, dés de foie gras et huile de truffe ou un Carpaccio de noix de Saint-Jacques à la coriandre fraiche sur purée de mangue … On se partagera un verre de Pouilly-Fumé A.C. Blanc fumé Penard & fils.

mardi 25 février 2025

Une journée au Salon de l’Agriculture édition 2025

N’étant pas véritablement allée au Salon de l’Agriculture l’an dernier (j’avais juste entrevu un bâtiment en me rendant au très intéressant Salon des Fromages et Produits Laitiers) mon intérêt pour cette immense manifestation était de nouveau très vif.

D’abord, il faut rappeler que c’est un immense et formidable terrain de jeu(x) pour les visiteurs de tous âges et toutes origines comme pour les professionnels. Il comporte aussi une dimension d'apprentissage indéniable.

J’y ai consacré une journée en sachant pertinemment que je n’aurais pas l’occasion de pousser jusqu’au Hall 1, celui des animaux et des grands groupes. Tant pis. J’ai fait des choses très intéressantes. Et j’ai tout de même parcouru plus de 10 km, ce qui est une sorte d’exploit. Aller d’un bâtiment à un autre en coupant au court par l’extérieur était peu agréable en raison de la pluie. J’ai soudain compris pourquoi Aigle était partenaire de l’évènement en présentant à l'entrée du salon une botte Chambord géante de  6 mètres de haut et de près de 500 kg, soit dix fois plus grande que l'originale, fabriquée en France et à la main depuis 60 ans, dans l’usine de la marque à Ingrandes-sur-Vienne (86). Utilisée par de nombreux agriculteurs parce qu'elle est adaptée à un usage extérieur quotidien, elle est devenue un modèle icônique, best-seller de la marque.

En partenariat avec Groupama, Aigle proposait un jeu de piste à l'intérieur du SIA. Le but était de chercher toutes les bottes disséminées dans les allées pour tenter de remporter divers lots: 1 tenue complète (1 parka, 1 bonnet et 1 paire de bottes Chambord avec leur éponge lustrante), 10 paires de bottes Chambord et leur éponge lustrante ainsi que 20 casquettes. J'avoue avoir vite lâché l'affaire. On marche suffisamment sans ce défi. Et l'insolite ne manquait pas sur place.
Premières découvertes avec la Provence Côte d'Azur avec l'ail de Piolenc (que toute la journée on a confondu avec un poireau et qui est engagée dans une démarche IGP) et l'ail fumée, avec lesquelles je vais proposer plusieurs recettes dans les prochains jours. Avec peut-être, même si c'est surprenant, quelques-unes des premières fraises de Carpentras, une huile d'olive de Haute-Provence, et de la pomme Pink Lady (dont les sacs colorés colonisent littéralement les allées du SIA chaque année).
En passant en 2014 de 22 régions métropolitaines à 13 on a -je trouve- compliqué le repérage et perdu la spécificité territoriale. C'est manifeste sur le Salon de l'agriculture où il devient difficile de repérer un terroir en raison du gigantisme des espaces. Bien sûr, et il me semble que c'est une force pour elles, les régions Bretagne, Pays de la Loire, Provence Côte d'Azur, Corse (aurait-on pu oser y toucher pour la faire rejoindre la Provence ?) et l'Ile-de-France, la plus petite, n'ont pas été modifiées. La normandie et les Hauts-de France sont cohérentes.

Mais que penser de la Nouvelle Aquitaine qui en fusionne trois ? Six si on compare avec la carte des anciennes provinces françaises. Quelle cohérence peut-elle affirmer avec 12 départements et plus de 700 km du nord au sud ? Je ne pensais pas que la laiterie des Fayes qui produit l'excellentissime fromage blanc des Limousins (qui récolte le lait de 60 éleveurs dans un rayon de 60 km) se trouvait dans la même région que les Conserves Dupuy de Grand-Village Plage, sur l'ile d'Oléron, et que je vais prochainement visiter. Leur pâté de campagne est médaillé du concours agricole. Le Fagot, historiquement servi en traiteur par le boucher, avait besoin d'être ficelé, ce qui n'est plus nécessaire depuis qu'il est en verrine. L'entreprise peut toujours fabriquer ses spécialités (comme le très bon poulet au citron) en format terrine pour des repas rassemblant de nombreux convives.
Autant l'avouer : je me suis parfois égarée et il y a des départements que je n'ai jamais trouvés. Egalement des producteurs, comme Les pâtes du Vexin que j'ai pourtant goûtées à l'occasion d'une dégustation dans les allées. Il me semble que certains producteurs n'ont pas réussi à venir sur toute la durée du SIA et que donc la mention du numéro de leur stand n'était valable que certains jours. C'est ainsi que je n'ai pas félicités les producteurs du caviar d'Aquitaine enfin IGP depuis une dizaine de jours. J'avais fait un grand reportage sur le sujet en 2019.

Direction ensuite vers l’espace Grand Est, lequel justifie son nom puisqu'il s’étend sur 1 500 m² avec plus de 120 producteurs présents sur 62 stands de boutiques du terroir, des marques départementales et régionales, ainsi qu’un restaurant mettant à l’honneur les spécialités locales.

J'étais en bonne disposition pour tenter l'expérience immersive et inédite, "Dans le Noir" installée sur l'espace Grand Est. Il s'agissait d'une dégustation à l’aveugle de trois produits (mais nous ne savions pas lesquels avant d'entrer dans la boite noire) :
- des graines de chanvre décortiquées, de La Chanvrière (coopérative de plusieurs producteurs de chanvre), 
-  du fromage Chaource AOP,  fourni par Le Syndicat du Chaource
-  du jus de pomme du pays d'Othe, par les producteurs du Syndicat Cidricole du pays d'Othe 
Je n'ai reconnu que le fromage de Chaource (sans doute produit dans l'Aube car cette AOP est fabriquée aussi dans l'Yonne qui est en Bourgogne). Je n'avais jamais mangé de graines de chanvre écrasées et j'ai appris qu'on pouvait en saupoudrer les salades. J'ai été étonnée que le jus de fruit pétillant servi soit de la pomme (cela dit il était délicieux) car j'aurais pensé qu'on nous aurait fait découvrir la rhubarbe avec le Crillon des Vosges de Michel Moine… Je me suis régalée un peu plus tard dans la soirée avec un autre producteur, en dégustant des plats très originaux et ô combien savoureux comme des Boulettes de sanglier au Riesling, un Parmentier de cerf à la choucroute et oignon confit, un Tartare de chevreuil à la moutarde et herbes fraiches. 
Cour Rheoum produit un nectar de rhubarbe sans alcool mais aussi plusieurs pétillants de rhubarbe et un ratafia à partir de leurs pieds de rhubarbe qui poussent … dans les Hauts-de-France.

lundi 24 février 2025

Guten tag Madame Merkel de et avec Anna Fournier

Je n'avais pas eu l'opportunité de découvrir ce spectacle pendant le festival d'Avignon. Il tourne déjà depuis deux ans et quand on sort du Théâtre de la Pépinière on comprend que le succès ne s'émousse pas.

Guten tag, Madame Merkel est un seul en scène épique et satirique sur la vie de la chancelière allemande. C’est l’histoire de cette politicienne soit-disant "sans charisme" devenue la femme la plus puissante du monde. Avec une vingtaine d’autres personnages à ses côtés, de Bismarck à Theresa May en passant par Nicolas Sarkozy, Anna Fournier retrace la vie de cette femme hors normes, depuis la chute du mur du Berlin jusqu’à la fin de sa carrière, découvrant ainsi sous l’angle intime cette femme de pouvoir secrète à l’intelligence politique redoutable.

Elle s'est penchée sur ce destin parce qu'Angela (prononcer Anneguéla) est une incarnation prodigieuse des contradictions de notre temps. C’est une femme qui évolue avec sang-froid dans un monde d’hommes, qui a grandi dans un pays qui n’existe plus (la RDA, c'est-à-dire l'Allemagne de l'Est), et qui a dirigé d’un œil scientifique (est pour cause puisqu'elle était physicienne de formation) et néolibéral son pays alors que le monde autour de nous est en quête d’émotions et d’alternatives politiques.

Partant du constat qu’on ne règne pas sur un pays immense comme l’Allemagne en étant un enfant de chœur, une question passionnante se pose : qui est Angela Merkel ? Qui est-elle pour tenir le pouvoir si fort et si longtemps ? Qui est cette femme à l’allure passe-partout qui a gagné le respect de Vladimir Poutine et a influencé profondément les décisions européennes ?

La scénographie imaginée par Camille Duchemin est fonctionnelle : une chaise grise, un blouson rouge, un pardessus accroché à un cintre sur le mur du fond. Jérémie Papin et Léo Garnier ont inondé la scène d’une lumière rouge. Antoine Reibre nous fait entendre les coups de pioche. Vingt-huit ans après son édification, le mur a été démoli et les deux Allemagnes se rassemblent.

Cette femme est émouvante quand elle nous confie que son rêve de petite fille était d’être championne de patinage artistique, qu’adolescente elle ambitionnait de devenir cosmonaute. Elle sera physicienne et se passionnera pour la chimie quantique où elle excellera. Sa fluidité en anglais et surtout en russe sont des atouts supplémentaires. Mais dix ans plus tard, en 1989, la chute du mur la place face à une question cruciale : que va devenir "sa" RDA ? Elle rejoint le parti politique du CDU où elle occupe une position unique, en tant que femme, de religion protestante, et venant de l’Allemagne de l’Est… Mein Gott … commente-t-elle.

Son premier poste ministériel la propulse Ministre des Droits des femmes, de la Jeunesse, et très vite aussi de l’Environnement. Elle qui adore la randonnée refusera toujours de porter des escarpins et imposera les mocassins. En 2005, elle devient la première femme chancelière.

Les faits politiques s’enchaînent, les rencontres au sommet également, la roue tourne, mais elle reste au pouvoir jusqu’en 2021. Nous la retrouvons loin du pouvoir, s’interrogeant sur son rôle : Quelle est ma part dans tout çà ?

La femme est philosophe et reste lucide. Rien ne dure, elle le sait. Elle nous dira au revoir avec dignité en faisant le geste de la main qu’elle n’en dira pas plus. Bouche cousue.

Ce qu’il faut souligner c’est la parfaite association du sérieux car les faits ne sont pas inventés, tout est vrai, avec un humour insensé qui fait rire le public aux éclats à de multiples reprises. Anna Fournier est autant à l’aise dans la peau d’Angela que dans celle de Nicolas (Sarkozy) ou de Vladimir (Poutine) dont elle prend facilement l’accent et l’allure. Et la bande-son est elle aussi très réussie avec l'inévitable succès mélancolique de Camillo Felgen, auteur-interprète de Sag warum (Dis-moi pourquoi) qui sera un énorme tube à partir de 1959 et pendant de nombreuses années.

Alors que l’Europe est vacillante, il faut venir voir ce spectacle dont on sort requinqué. On comprend qu’il soit éligible aux Molières.

Guten tag Madame Merkel de Anna Fournier, pour le texte et la mise en scène
Avec, en alternance : Anna Fournier ou Candice Bouchet
Son : Antoine Reibre
Lumière : Jérémie Papin et Léo Garnier
Scénographie : Camille Duchemin
Costumes : Camille Aït Allouache
Les lundis, mardis et dimanches à 19 h
Au Théâtre de la Pépinière
7 rue Louis Le Grand - 75002 Paris
Prolongations du 12 janvier à fin avril 2025

dimanche 23 février 2025

A la recherche des profs perdus de Mathieu Bosque

Je n'avais peut-être pas très bien interprété le titre de ce livre en en lisant le résumé. Je pensais que Mathieu Bosque avait enquêté auprès d'enseignants tels que ceux que je connais, qui sont passés par les filières qui étaient "normales" disons jusque dans les années 2010 et qui sont en passe de baisser les bras parce que leur métier est devenu impraticable, du moins selon les objectifs qu'on leur avait fixés et qu'ils étaient d'accord pour atteindre.

A ma décharge, j'ai connu l'Education nationale de l'intérieur pendant seulement une vingtaine d'années et j'ai rompu tout lien en 2017. Donc avant les grands bouleversements que représentèrent d'une part la pandémie et d'autre part la suppression des IUFM et la pratique du job dating dont j'ignorais tout avant de lire cet ouvrage.

L'auteur se veut néanmoins encourageant en estimant que son enquête est nécessaire pour comprendre, et surtout pour agir. Il mène une réflexion passionnée pour retrouver l’espoir d’un avenir éducatif plus juste et ­inspirant.

Il est évident qu'un système qui place des enseignants sans formation face aux enfants qui ont la plus grosse probabilité de décrocher ne peut pas prétendre qu’il veut réduire les inégalités.

Un des gros intérêts de cet ouvrage est d'analyser les grandes périodes de crise des recrutements qui ont ponctué l’histoire de France. Elles furent nombreuses, à l'image des 38 personnes qui ont été, depuis 1958, ministre en charge de l’éducation, sous la responsabilité de 47 premiers ministres différents. Rappelons que Jean-Michel Blanquer, François Bayrou, Lionel Jospin et Luc Chatel ont été ministres en charge de l’Éducation à trois reprises dans la durée en conservant leur fonction lors de changements de gouvernement. Les ministres en pleine charge de l’éducation ne sont restés à leur poste que 186 jours en moyenne, soit un peu plus de six mois environ. Au cours de l’année 2024, ce seront pas moins de cinq personnes différentes qui auront exercé la fonction. Tout cela, l'auteur ne le dit pas mais cela explique pour partie l'échec de toutes les réformes.

Mathieu Bosque, qui est aussi le président de Picardie Debout, a une vision politique, et s'est donné pour mission de dévoiler des pistes pour réinventer l’école et redonner un sens fort à la vocation enseignante. Voilà pourquoi, entre autres, il reprend l'expérience (bien connue) de Serge Boimare s'appuyant dans les années 70 sur les mythes fondateurs pour déclencher l'envie d'apprendre (p. 109).

Il est utile de rappeler que (aussi) l’école a pour mission de faire de nos enfants des démocrates tolérants pour se prémunir contre l’approbation d’une dictature (p. 21) et je me souviens de prises de tête à propos de la différence philosophique entre éducation (nationale) et enseignement. Combien de fois ai-je eu le sentiment d’être piégée par une soit-disant loyauté à l’égard de mon employeur ?

Autant je n’avais jamais eu par le passé le moindre doute à appliquer les principes d’égalité du service public, auquel j’étais très attachée (et qui a volé en éclats) autant l’absence de critique (même constructive) m’a dérangée dans l’Education nationale.

Je doute vraiment de la volonté gouvernementale de revenir à un système qui fonctionne mieux. Il y a au moins dix ans, les hasards de la vie me plaçaient face à un homme politique qui avait le pouvoir d'agir. Il me faisait part de son immense regret de ne pas parvenir à établir de mixité sociale au sein des deux collèges de sa commune. Mon esprit pratique lui souffla immédiatement la solution : il suffisait de dédier toutes les classes de 6ème et 5ème à l'un, toutes les classes de 5ème et 3ème à l'autre pour obtenir 100% de mixité sociale sans même dépenser un euro. Il me répondit aussitôt : vous n'y pensez pas, les parents ne seraient pas d'accordJe crois avoir définitivement compris que la situation était "perdue" ce jour-là. et je ne suis pas surprise que Mathieu Bosque (qui arrive à semblable conclusion p. 134) souligne que les jeunes en difficulté sont concentrés dans certains collèges.

J'ai vu tant de dysfonctionnements que je ne pense pas qu'une ultime réforme puisse être salutaire. Il n'y a pas de volonté politique d'amélioration. J'ai suffisamment oeuvré (aussi) au sein d'autres institutions pour voir quand le système public est en panne.

Le crédit que j’accorde à cette institution est réduit à peau de chagrin. J'ai passé malgré tout quelques heures à lire cet ouvrage dans l'espoir de retrouver confiance.  Je dis bien institution car pour ce qui est des enseignants je continue à saluer leur dévouement chapeau bas. Je n’en connais aucun qui ne se préoccupe pas du devenir de ses élèves.

Mathieu Bosque brosse une école injuste, cruelle, sadique, enfin un système, et quelques comportements d'enseignants. Mais je ne suis pas d’accord. C’est la société qui est injuste, cruelle, sadique. L’école n’en est que le reflet.

A la recherche des profs perdus, enquête de Mathieu Bosque, éditions de l’Aube, en librairie depuis le 7 février 2025

samedi 22 février 2025

Ajouter de la vie aux jours d’Anne-Dauphine Julliand

Il existe sans doute des montagnes de livres sur le deuil mais celui d’Anne-Dauphine Julliand a ceci de particulier qu’il se concentre sur la vie. Ajouter de la vie aux jours est mince mais si riche !

Ce n'est pas un roman mais un témoignage.

N'ayant pas lu Deux petits pas sur le sable mouillé (2011) je n'étais pas au courant des premiers drames qui ont touché cette famille. Et j'ignorais que depuis il y avait eu un autre.

Après avoir perdu deux enfants atteintes d’une maladie génétique orpheline, la leucodystrophie, son fils ainé, Gaspard est mort. La veille de ses vingt ans. Suicide.

Evidemment que la première pensée qui nous viendrait, et ces parents se la sont posée, c'est la litanie des "et si…". C'est l'objet d'un chapitre du récit : Je fuis (p. 24). Les Si j’avais su, si je n’avais pas …etc … bref, stopper, endiguer le courant de la culpabilité. Et cela d'autant plus que leur fils leur avait confié ses tendances suicidaires, qu'il était pris en charge et qu'il était même hospitalisé à ce moment là. Il était impossible d'endiguer sa souffrance.

Notre premier réflexe, à nous tous, est de chercher à comprendre. Mais il n'y a pas de réponses. Comment expliquer l'inexplicable ? Comment peut-on se donner la mort à vingt ans quand on est aussi aimé ? Comment peut-on quitter la vie quand on aime autant ? Insondable mystère (p. 45).

Anne-Dauphine Julliand dit quelque chose de très juste : On perd ceux qui meurent une fois en entier, puis on les perd sans cesse en détail. Ce sont ces détails qui font les plus mal (p. 35). Elle fait allusion aux pensées qui alimentent la litanie des "plus jamais".

Elle souligne aussi combien il est vain d'imaginer qu'on pourrait être consolé de savoir qu'autrui vit une situation plus difficile. Au contraire, à ce que nous ressentons au plus profond de nous s'ajoute alors une pointe de culpabilité (p. 55).

Si les crises d’angoisse sont inévitables et surviennent par surprise ce n'est pas une raison de les laisser nous emporter. Et puisqu'on ne peut plus ajouter de jours à la vie il faut faire l'inverse, ajouter de la vie aux jours.

Elle n'a pas inventé la formule. C'est une citation du cancérologue Jean Bernard, médecin et académicien français, à propos de la prise en charge en soins palliatifs, quand l'issue ne fait plus de doute. Et s’il fallait résumer le principe ce serait de vivre aussi pleinement sa peine que sa joie.

Les paroles de cette maman sont vraies et nous touchent : J’écris. Parce que je suis en vie. Pour ceux qui sont en vie. J’écris, au nom de tous les miens. Ceux Là-Haut et ceux ici-bas. J’écris le lien. J’écris ce qui nous maintient. J’écris la vie.

Se dire quand ça pourrait être trop difficile : Allez, on y va (p. 134).

La mise en page est élégante, avec des titres dans un bleu profond qui se détache du texte et qui apportent de la douceur, commune partie de ciel.

Anne-Dauphine Julliand est journaliste, réalisatrice et romancière. Elle a connu un remarquable succès critique et public pour ses livres, notamment avec Deux petits pas sur le sable mouillé (Les Arènes, 2011) et Une journée particulière (Les Arènes, 2013). En 2017, elle a également réalisé un film documentaire Et les mistrals gagnants et a fondé en 2018 l’association Ce qui compte vraiment. Son premier roman Jules-César (Les Arènes) a été publié en 2019.

Ajouter de la vie aux jours d’Anne-Dauphine Julliand, Les Arènes, en librairie depuis le 10 octobre 2024

vendredi 21 février 2025

Découverte d'un Chardonnay californien

J'ai découvert ce vin par hasard, quelques minutes avant la fermeture de Wine Paris et j'ai été intriguée par la beauté de la bouteille dont l'étiquette dégageait une certaine naiveté.

Je peux le dire sans faire durer le suspense, ce n'est pas du tout un vin exceptionnel et je pense d'ailleurs qu'il n'en a pas la prétention. Mais il aura eu le mérite de me faire découvrir ce qu'il peut "donner" aux États-Unis, qui est tout de même le deuxième producteur de ce cépage, après la France.

C'est l'occasion de reprendre son histoire. C’est en Bourgogne, probablement courant XVIII°, que le Chardonnay voit le jour, grâce au croisement de deux variétés historiques : le pinot noir et le gouais blanc. Il séduit très vite par sa vigueur et ses qualités gustatives. Il donnera les Montrachet, Chablis (où il est le seul cépage autorisé pour obtenir l'AOC) ou les Pouilly-fuissé. On le trouve en assemblage en Champagne et il prend le nom de "blanc de blanc" quand il est seul en bouteille.

Les premiers pieds sont plantés sur le sol américain en 1912. Il faudra attendre une dégustation à l'aveugle le 24 mai 1976 pour placer un chardonnay de Californie au dessus des grands bourgognes. Le cépage se déploie alors largement sur la côte Ouest, pour atteindre les 41 000 hectares d’aujourd’hui, faisant des USA le second pays du chardonnay après la France (47 000 hectares).

Cette bouteille provient du domaine viticole Girasole (mot signifiant tournesol en espagnol à une lettre près) justifiant la présence de cette fleur de tournesol, implanté sur la cote californienne à 270 kilomètres au nord de San Francisco, dans le comté de Mendocino.

Mendocino est une ville côtière pittoresque, avec son centre-ville à l'architecture coloniale empreinte d'une atmosphère hippie, bordée de hautes falaises évoquant la région d'Etretat. Les forêts de séquoias sont majestueuses et c'est la région viticole la plus verte d'Amérique.

La robe est paille dorée brillante. mais je n'ai pas retrouvé au nez les arômes de pomme fraîche tranchée et des parfums subtils de banane et de cire d'abeille qui étaient promis. J'ai pourtant employé "le" verre idéal pour le Chardonnay, mis au point par Riedel.

En bouche les notes étaient fruitées et minérales, plutôt citronnées avec une acidité qui m'a semblé un peu accentuée. Il n'empêche qu'il ne démérita pas, en toute modération, sur une assiette de crevettes aux tagliatelles de carottes, sauce ailée et épicée. 

jeudi 20 février 2025

Les âmes féroces de Marie Vingtras

J'avais tellement aimé le premier roman de Marie Vingtras, Blizzard, lauréat du prix des libraires 2022, que je m'attendais à quelque chose d'encore plus fort avec Les âmes féroces. Autant dire que j'ai été comblée.
Leo n’est pas rentrée et le printemps s’entête dans sa douceur. Leo ne reviendra pas. La shérif Lauren Hobler découvre son corps au milieu des iris sauvages. Autour de la mort soudaine d’une jeune fille se tissent plusieurs destinées.
Pour élucider un mystère, mais lequel ? Celui de Leo, peut-être, et de ses silences. Celui de Lauren, coincée dans une petite ville qui ne la prend pas au sérieux. Il y a aussi Benjamin, le professeur de lettres, Emmy, sa meilleure amie, Seth, son père … et les autres…
Il en va des livres comme des plats cuisinés. La recette ne suffit pas. Autrement dit le sujet à lui seul ne permettra pas la réussite. Le succès tient à un équilibre entre style, phrases, lexique, rythme, ponctuation. Ce roman combine tous ces éléments à la perfection.

Je devrais ajouter que le succès est dépendant aussi de la puissance des uppercuts qu’on se prend au fil de la lecture. Le plus fracassant étant p. 173, mais je n’en donnerai pas le contenu. Et soyez certain que chaque saison du roman révélera le sien, chacune exprimant le point de vue d'un des personnages principaux.

Cette construction, qui permet de revenir en arrière et d'éclairer les scènes sous un autre angle, est absolument passionnante et menée avec brio. Elle offre aussi l'intérêt de permettre au lecteur d'éprouver colère ou empathie pour chacun des protagonistes. Ainsi Benjamin est touchant quand il se résout à renoncer : impossible d'oublier, impossible d'être oublié, alors pourquoi lutter ? (p. 92)

L'ampleur romanesque est digne des grands romans noirs américains et il est astucieux d'avoir choisi pour cadre une petite ville du Middle-West (mais c’aurait pû être aussi dans les Appalaches). Outre-Atlantique la culpabilité n’est pas envisagée comme en france. On le voit dans un film comme Sing sing ou Juré n°2 pour lequel j’écrivais que la vérité n’était pas nécessairement la justiceNous emmener aux USA permet aussi d'insuffler des problématiques économiques comme la crise des subprimes qui a conduit des milliers de familles américaines à une extrême pauvreté suite à leur surendettement. Egalement de traiter de manière "naturelle" les questions de discriminations sociales.

A Mercy les gens pensent tous se connaître et en savent si peu sur eux-mêmes. Pourtant rares sont ceux qui vont chercher à creuser : Dans une si petite ville on ne se complique pas à essayer de percevoir les ombres, les demi-teintes (p. 93).

Dieu sait pourtant combien chacun a sa part d'ombre. Les liens familiaux sont difficiles, marqués par des rapports mères-enfants complexes et une certaine brutalité sexuelle, avec des relations de domination. L'auteure teinte sa démonstration de féminisme : On prépare les filles à avoir honte de tout (p. 184). Le lecteur est ainsi amené à s'interroger sur la place des femmes dans la société et ce qui pousse les hommes à envisager leurs relations sous l'angle du rapport de forces.

Les rouages humains sont décortiqués, tout en nuances, et ce n'est pas négligeable, en s'attardant aussi sur la question de l'attachement, qu'il soit filial, maternel ou amoureux.

Les âmes féroces de Marie Vingtras, éditions de l'Olivier, en librairie depuis le 19 août 2024

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