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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 4 mai 2025

La conserverie Dupuy sur l'île d'Oléron

J'avais goûté les conserves Dupuy au Salon de l'agriculture et, apprenant que le site de production était ouvert à la visite chaque vendredi j'étais évidemment intéressée de m'y rendre à l'occasion d'un de mes séjours sur l'ile d'Oléron.

Originaire de Dordogne, la famille Dupuy s'est installée sur Oléron et c'est en 1958 que Pierre dit "Emile", issu d’une fratrie de 13 enfants, a fait naitre la tradition familiale en commençant son apprentissage de boucher dans la grande rue de Dolus.

C'est lui qui a mis au point les premières recettes qui perdurent au fil des années, sans doute parce qu'elles ont été très bien pensées.

En 1982 son fils Jean-Hugues et sa femme Véronique ont repris l'affaire. Leur grillon charentais sera maintes fois récompensé dans les concours régionaux. Leur fils Alexandre les épaulera en 2015. Puis c'est en 2022 le rachat par Damien Jourde et Julien Mesnard qui poursuivent les mêmes recettes tout en élargissant l'offre.

Le partage partage des tâches est fluide entre les deux dirigeants et avec les ouvriers. Damien et Julien s'entendent très bien et leur amitié remonte à leur adolescence puisqu'ils étaient scolarisés tous les deux au collège Aliénor d'Aquitaine du Chateau d'Oléron.
Alors que cette conserverie artisanale, aujourd'hui installée sur la commune de Le Grand-Village-Plage, était spécialisée à l'origine dans la charcuterie charentaise ils vont créer une gamme de terrines de poisson puis des terrines végétales depuis 2024. Parallèlement ils continuent la production des verrines qui ont fait le succès de la marque en bénéficiant chaque fois que nécessaire des conseils de Jean-Hugues Dupuy qui demeure en quelque sorte le garant de la transmission des recettes.

Plusieurs dénominations sont liées au terroir : Grillons Charentais, Fagot Charentais (qui doit son nom au fait qu'historiquement servi en traiteur par le boucher, il avait besoin d'être ficelé pour se tenir, ce qui n'est plus nécessaire depuis qu'il est préparé en verrine), Farci charentais, Campagne à l’oignon de Saint-Turjan et Lapin à l’oignon de Saint Turjan (oignon rouge de Saint-Trojan-Les-Bains).

La tradition s'accorde avec l'innovation puisque l'équipe a mis au point quatre recettes de poisson : Maquereau citron poivre de Kampot, Deux saumons crème de ciboulette, Merlu citron basilic et Moule crème de chorizo.

Les associations sont audacieuses également en matière végétale avec Tomate et Piment d’Espelette, Artichaut Citron et Basilic, Olive Verte Amandes et thym citronné, et surtout Piment Vert Ail et Coriandre.

Dans leur laboratoire de production, le travail à la main est encore très majoritaire et on comprend qu'ils soient 4 à se relayer. Chaque conserve est préparée avec attention. La qualité est au cœur de tout ce qui est fait en suivant en premier lieu ce qu'on appelle la marche en avant, après la traversée d'un sas de décontamination, de manière à respecter les règles d'hygiène, ce qui n'empêche bien évidemment pas de soumettre les conserves à des tests rigoureux pour en garantir la fraîcheur, la sécurité alimentaire et la qualité gustative.
Ainsi chaque lot est estampillé d'un code barre qui en assure la traçabilité et qui est apposé ainsi que la date idéale de consommation grâce à cette machine qui obéit à une "simple" clé USB. 
Mais avant l'étiquetage qui est une des dernières étapes il y a un travail considérable qui commence bien avant la cuisson. Le pâté est composé d'épaule, de poitrine et de gorge de porc, en respectant un équilibre entre les parties hachées et ce qui est broyé fin de manière à ce que le résultat présente plusieurs épaisseurs de viande qui est la signature du haut de gamme. Sachant que chaque marmite contient 20 kilos de produit je vous laisse imaginer la force manuelle qui est sollicitée pour casser régulièrement les morceaux (avec la spatule ci-dessus) sur la paroi afin d'obtenir du filandreux moyen avec de vrais morceaux. 
Et c'est à la louche au bec fin que chaque verrine de 180 grammes sera remplie l'une après l'autre. On positionnera ensuite les bocaux dans les autoclaves et on démarrera la stérilisation. Il sera environ 7 h 30 du matin et l'équipe pourra s'octroyer une courte pause.

samedi 3 mai 2025

La Bulle de Magali Michaut

Je viens de découvrir la Bulle de Magali Michaut. Cet EP de quatre titres est un petit trésor. Je ne connaissais pas cette autrice-compositrice-interprète qui a fait son entrée sur la scène musicale il y a pourtant déjà trois ans.

Elle me fait penser à Anne Sylvestre pour l’intensité des propos et par certains accents vocaux. Mais elle a un univers bien à elle qu’elle nous invite à partager. Viens dans ma bulle propose-t-elle dans la première chanson.

En toute logique, l’artiste explore le thème de l’attachement dans le second titre,  Reste avec moi que l’on pourra caractériser comme une très agréable ballade où la clarinette et le violoncelle se répondent dans une danse subtile, enveloppant une voix chargée d’émotion. Mais c’est bien davantage. Reste avec moi est la supplique silencieuse que l’enfant, le père vieillissant, la fille devenue adulte, adressent à celui ou celle qui doit partir et qui génère un sentiment d’abandon malgré la mobilisation d’un fort appétit de vivre. Ecoutez bien les paroles, elles sont très cinématographiques.

En troisième position, place à l’humour pour lancer sérieusement dans Où va-t-on ? un cri d’alarme à propos d’un monde à la dérive. Electron, neutron, bozon, proton, photon et gluon… se désespèrent d’un univers qui ne tourne plus rond. Je vous conseille de visionner l'adorable film d’animation qui accompagne cette chanson.

C’est en toute légitimité que l’autrice a écrit des paroles en glissant des termes scientifiques qui lui sont familiers. La jeune femme a depuis longtemps une double vie, en exerçant la profession de chercheuse en bio informatique l’amenant à interroger des séquences d’ADN. Ce métier l’a amenée à beaucoup voyagé, au Canada, aux Pays-Bas et au Danemark mais elle reste attachée à la ville où elle a grandi.

On regrette que ce soit le dernier. Cergy est une jolie déclaration d’amour à une ville que je n’aurais pas placée a priori sur le podium des cités radieuses. Magali la connait par coeur puisqu’elle y a longtemps vécu. C’est là qu’elle a suivi une formation de violoniste au Conservatoire et qu’elle y a appris à danser. Elle est convaincante pour me donner envie d’aller y faire un petit tour, m’installer au coin du feu qu’elle prépare à la fin et autour duquel j’espère qu’elle aura invité Pomme, Francis Cabrel, Ben Mazué et pourquoi pas Tom Poisson et Armelle Yons. Ensemble nous savourerions un chocolat chaud et nous pourrions parler de tant de choses !

Je n’avais pas entendu son premier album Impressionniste sorti il y a trois ans. Je me rattrape en écoutant celui-ci en boucle. Magali y cultive l’art de peindre la vie et les saisons, et chante ses peines et ses frustrations par petites touches.

Multiinstrumentiste, elle joue sur scène de sa guitare acoustique ou de l’éclectique selon l’effet recherché. Quand elle le peut elle est accompagnée par une violoncelliste ou un clarinettiste. Cela donne parfois des accent yiddishs comme vous pouvez les retrouver dans la video de Ma petite chanson parisienne qui figurait sur le précédent album.

On y trouvait aussi deux reprises, Les copains d’abord de Georges Brassens, et puis La montagne de Jean Ferrat, avec un couplet dans une langue mystérieuse à nos oreilles, le néerlandais.

Elle a déjà chanté dans 12 pays. Elle sera bientôt en concert au Théâtre de l’Echo, une salle proche des métros Alexandre Dumas (tout près du onzième arrondissement) et Maraicher (tout près de Nation). Elle se rendra à l’invitation du Concert Bucolique n°9 organisé par l’association Troyes chante le dimanche 8 juin. Vous pourrez l’y entendre en guitare-voix à 15 heures sous le grand saule emblématique de Polisy.

Mais je vous souffle un secret : elle se produit volontiers chez l’habitant. Et je vous laisse donc tous les liens pour la contacter.

Magali Michaut Nouvel EP Ma Bulle
Sortie le 23 mai 2025 chez Inouïe Distribution
Concert de sortie le 25 mai à 18 heures au Théâtre de l’Echo - 31/33 rue des Ormeaux - 75020
A La paillote d’Orléans le 18 mai, le 7 juin au Théâtre du Quai à Troyes et le 8 dans l’Aube

Retrouvez l'album sur toutes les plateformes : https://bit.ly/3xWw4MR
Site Officiel : https://bit.ly/3xXocKU
Facebook officiel : https://bit.ly/3EUSWO5
Instagram : https://bit.ly/3vLyQ4L
YouTube : https://bit.ly/3DYt17J

vendredi 2 mai 2025

Jacaranda de Gaël Faye

Après Petit pays, nous attendions tous un second roman. Il fallut quelques années, précisément huit ans, pour que Gaël Faye se décide à remettre un nouvel ouvrage à son éditeur. C’est encore un succès puisqu’il a été pressenti lui aussi pour le Goncourt et quelques autres prix et il a reçu le Renaudot.

Jacaranda creuse un peu plus le sillon précédemment emprunté, bien que ce ne soit pas la suite de Petit pays, en s’appuyant toujours sur des données historiques mais on n’oubliera pas qu’il s’agit d’un roman et que ce n’est pas réellement autobiographique. J’écris parce que ça dépasse ma propre personne, dit l’auteur.

Les prénoms ont été changés. Lui-même y apparaît sous les traits d’un jeune garçon, à qui il a donné le prénom de Milan, en référence à son admiration pour Kundera.

Ce que j’ai trouvé "agréable" c’est d’être dans l’ambiance, au coeur de l’action, et surtout de comprendre les évènements alors que je ne "suis pas du pays". Et que, comme tout le monde hélas, j’avais vu une guerre qu’on présentait comme interethnique alors qu’il s’est agi d’un génocide résultant d’une idéologie qui a conduit à l’instauration d’une carte d’identité ethnique. Elle a été imposée en 1931 conjointement par l’église catholique et le gouvernement belge. Ce racisme du XIX° siècle européen a été mis en place à partir des critères physiques contre des classes sociales et pas des ethnies.

Les massacres de Tutsi (on ne met pas de s pour le pluriel de Hutu et Hutsi) ont commencé dès 1959, entraînant un mouvement d’exil. Être Tutsi c’était être un cafard à supprimer. Tuer un Tutsi c’était comme couper de l’herbe, et ça ne méritait pas un procès. On comprend qu’ils vivaient en rasant les murs.

La famille de l'auteur s'est exilée trente ans au Burundi (auquel était consacré Petit pays) et il est arrivé au Rwanda après le génocide des Tutsi. Ce pays, décrit jusqu'alors par sa famille comme le pays du lait et du miel était devenu un charnier à ciel ouvert, ce qui, à onze ans est une vision d’horreur. Voilà pourquoi il a voulu en raconter l'histoire.

Gaël Faye s’est plongé dans les archives médiatiques de l’époque. Si bien que même s’il ne fut pas le témoin direct de chaque épisode, tout ce qu’il écrit a réellement existé. Il ne faut pas voir Jacaranda comme une suite du précédent roman mais une comme "pièce de puzzle" à ajouter en élargissement de la focale.

Eusébie -qui existait déjà dans le premier roman- en est le pivot central et c'est le seul personnage dont on ne connait pas le destin à la fin du roman. 

Toute guerre est horrible mais dans l’échelle du terrible, qu’y a-t-il de pire qu’un génocide perpétré par vos voisins, vos collègues, vos amis d’enfance ? Jacaranda est, comme je m’y attendais, un livre très émouvant parce qu’il est inspiré de faits réels. Certains passages sont difficiles à lire. Je n’ose imaginer comment les individus ont pu traverser de tels cauchemars. Fort heureusement la carte d’identité ethnique a été abolie après le génocide et il est désormais légalement interdit de se définir comme Hutu ou Tutsi.

Mais pour commencer, nous sommes d’abord mis en confiance avec les personnages dont nous partageons la vie d’avant, alors que le drame n’a pas encore eu lieu. Il surgit brutalement en la personne de Claude, un enfant au crâne blessé dont on ne sait rien. Et ce n’est qu'à l’occasion d’un voyage sur la terre de ses ancêtres que le jeune Milan va commencer à mesurer l’ampleur du drame historique, qui touche aussi sa proche famille.

Milan revient pour assister au procès ga. L’auteur nous épargne (à ce moment du roman) les récits insoutenables mais on en devine l’ampleur, surtout si on a une conscience politique et le souvenir des évènements qui ont fait la une des journaux. Celui de Claude se résume à quelques lignes (p. 125). 

La lecture de Jacaranda ne laisse pas place au doute. Gaël Faye se situe dans une posture de transmission même s’il ne l’a pas décidé en conscience. En raison de l'énormité des massacres 70% des rwandais vivant actuellement là-bas sont nés après le génocide. Il fait lui-même figure d'ancêtre quand on apprend qu'il avait 11 ans à la fin. Quand il vivait au Burundi il a connu son arrière-grand-mère, qui avait grandi avant la carte d’identité ethnique, et qui elle aussi s’appelait Rosalie. Il s'en estime très chanceux. Il a rencontré des métis qui portent en eux la double culture et qui parlent du silence à l’intérieur de leur famille voyant le Rwanda comme un pays lointain.

Le personnage de la mère, endurée dans le silence, est très représentatif. Les parents sont incapables de parler, et s'imaginent que c'est une façon de protéger leurs enfants. mais ce n'est pas la bonne manière de faire car ce comportement génère de l'insécurité et, par voie de conséquence, de la colère au nom du droit de savoir. Gaël Faye reconnait que l'écriture, même romanesque, avait pour lui été l'échelle qui lui avait permis de passer au dessus du mur (du silence).

Stella symbolise une autre forme de silence, celui qui permet de rentrer en soi. Si on est attentif, on la découvre perchée en haut de l'arbre sur la couverture du livre où l'arbre se détache en ombre chinoise. C'est un jacaranda dont les fleurs sont mauves, d'où la couleur de fond, et la référence à l’arbre généalogique est tentante. La petite fille croit qu’après sa mort sa grand-mère Rosalie trouvera refuge dans l’arbre qui accueille tous les disparus. C'est aussi le totem qui permettra à Milan de reconnaître la maison (p. 119).

Jacaranda est un livre dont la lecture peut être qualifiée de nécessaire pour comprendre la spirale infernale du génocide dans le formatage des populations. L’épisode de la destruction des motos (p. 186) témoigne de la spirale de la vengeance intergénérationnelle dans ce pays où la paix n’est qu’une guerre suspendue (p. 80).

Tout cela justifie probablement qu'on puisse faire des stocks de fête, au cas où. On rafistole nos foutues jeunesses gaspillées (p. 82). La forte maturité de Claude est sans doute le résultat de la guerre.

Ceux qui n'ont pas traversé les épreuves veulent comprendre et questionnent. Les autres veulent oublier. Le garçon proteste : Je ne suis pas un guide touristique de la douleur (p. 89). En tout cas Gaël Faye, et c'est en son honneur, ne dresse pas un portrait à charge. Il ne juge pas ses personnages même s’ils font des choses terribles et poursuit la quête infinie d'être juste en racontant l'histoire sur quatre générations, en plaçant ses personnages dans un esprit de dialogue et une tentative de pardon.

Il fait ainsi mentir la mère qui lui refuse le droit de savoir : - Mais qu’est-ce que tu crois, bon sang ? Tu es un étranger, Milan. Et moi aussi je suis devenue une étrangère ici. Je ne comprends rien à ce pays. Alors toi, même pas la peine d’y penser (p. 92).

Comme il a raison de braver l'interdit de remuer le passé !

On notera une place importante accordée aux livres. Le surnom de Sartre en est un indice. Et aussi à la musique dont on nous donne plusieurs titres de morceaux. Milan découvre le highlife, l’acrobat, le funk, la soûl, la rumba (p. 68), … qui ont sans doute influencé la carrière de musicien de l'auteur.

Jacaranda de Gaël Faye, Grasset, en librairie depuis le 14 août 2024
Nominations pour les Prix Renaudot, Prix Goncourt, Prix Renaudot des lycéens, Prix Femina des lycéens
Prix Renaudot

jeudi 1 mai 2025

Corps et âmes à la Bourse de Commerce

L’exposition Corps et âmes est présentée à l’appui d’une centaine d’œuvres de la Collection Pinault à la Bourse de Commerce. Elle offre une exploration de la représentation du corps dans l’art contemporain  jusqu’au 25 août 2025.

Nous sommes surveillés à l'entrée par une très grande sculpture en bois (301,5 × 83,5 × 107 cm) mais nous n'y prenons pas garde, préoccupés que nous sommes par la vérification de notre ticket d'admission. Et pourtant elle est très signifiante.

D'abord parce que c'est la toute première sculpture-autoportrait de Georg Baselitz, un immense peintre allemand encore vivant, dont les peintures provoqueront un choc dans quelques minutes et parce que le "petit" garçon tient caché derrière son dos un masque africain. Cet artiste a toujours dit avoir été très influencé par l'art africain et sa place est donc totalement légitime.

Meine neue Mütze (Ma nouvelle casquette), 2003 représente l’artiste enfant. Taillée à même un grand tronc de cèdre, elle conserve la trace de l’énergie du mouvement et a été ensuite rehaussée partiellement de peinture. Croisant les mains derrière le dos comme s’il voulait dissimuler une faute, l’enfant tient une tête de mort, évoquant aussi les vanités qui préviennent de notre prochaine disparition.

Ce qui est particulièrement intéressant dans les accrochages de la Bourse de Commerce c'est le concept : puiser dans sa propre collection, sans faire appel à d'autres musées, pour composer un parcours qui soit pleinement cohérent et en phase avec une thématique qui résonne dans la culture contemporaine. 

En conséquence l'endroit est davantage une galerie qu’un musée puisqu’aucune œuvre n’y est permanente. On y présente trois expositions temporaires par an. Cette fois le titre Corps et âmes se réfère à l'album du saxophoniste ténor de jazz Coleman Hawkins, comprenant des enregistrements réalisés entre 1939 et 1956 où figure l'une de ses performances les plus célèbres "Body and Soul". 

Tout fait sens et voilà pourquoi la musique a totalement sa place dans cette exposition.

S'il m'est facile d'en parler ici c'est parce que j'ai suivi deux médiations qui m'ont éclairée sur l'intention de la commissaire. Il faut vraiment louer les qualités de ces personnes qui, en 20 minutes chrono, nous donnent l'essentiel de ce qu'il faut comprendre du choix de quelques œuvres en adoptant un angle de vue. C'est gratuit. Il suffit d'être présent au point de ralliement à l'horaire annoncé et il y a de multiples séances dans la journée.

Je dois dire que c'était la première fois que j'avais l'opportunité de me rendre à la Bourse de commerce et j'ai été conquise. Par l'endroit (et je donnerai quelques éléments d'architecture à la fin de cet article) comme par le concept. J'imagine que chaque exposition créé la surprise. J'y ai retrouvé l'esprit que j'avais tant aimé à l'époque où existait le Centre culturel Vuitton (rue Bassano), mais à plus grande échelle encore.
Gideon Appah, 2021, huile, acrylique sur toile, diptyque, 120 × 300 cm (chaque panneau).
On est très vite saisi par deux toiles qui évoquent l’univers polynésien de Gauguin, par leurs couleurs saturées, la mer et le cheval (cf. Le cheval blanc, 1898, qui est au Musée d’Orsay). On pourra aussi trouver des inspirations de Matisse ou Cézanne dans le diptyque peint en 2021 par l’artiste ghanéen Gideon Appah, The Confidant (Le confident) et The Woman Bathing (Les baigneuses). A ceci près que les territoires paradisiaques sont des représentations du Ghana de l’Indépendance en 1957. Le bleu irréel des corps évoque un univers mythique et primordial et la promesse d’une terre retrouvée.

J'ai suivi une première médiation à propos de l'articulation corps-musique-danse dans les arts visuels. La musique est en lien avec la culture afro-américaine qu’on connait, blues, jazz et leurs branches comme le reggae ou le hip-hop. Le blues est né de l’esclavagisme, du mouvement d’une bêche, ou d’une machette, fait par les travailleurs des plantations, arrachés de leurs origines sans avoir la possibilité d’emporter avec eux le moindre moyen de créer et placés dans d’autres plantations, pour les empêcher (le terme est bien celui-là) de perpétuer leur culture. leur musique ne pouvait prendre vie que par le corps.

Arthur Jafa (dont un film est projeté dans la rotonde et sur lequel je reviendrai plus bas) parle de cette esthétique du blackness démarre à la fin des années 60, après la fin de la discrimination et le début des émeutes raciales. La musique permet de dire ce que le corps vit en en copiant les mouvements. La si forte présence de l’improvisation dans le jazz correspond à cette façon de devoir créer à partir de rien, témoignant que le moindre moyen peut conduire à la plus grande créativité.

Les collages qui s’enchaînent tout le long de l’escalier ont été réalisés en 2024 par William Kentridge. Cet artiste s’intéresse beaucoup à la musique et aux processions funéraires. Elles étaient accompagnées de fanfares où dominaient les instruments à vent et les percussions, composant des parades joyeuses. Il utilise, à la manière des dadaïstes, des matériaux peu coûteux et faciles à trouver, comme ce papier noir déchiré, pour les collages de silhouettes noires en procession de L’esprit d’escalier.
La réminiscence aux personnes qui ont travaillé dans le bâtiment, à l’époque de la Halle aux blés est évidente, mais peut aussi y voir une représentation des Forts des Halles qui travaillaient à côté autrefois, jusqu'au déménagement du marché à Rungis en 1969. Les escaliers étaient utilisés pour transporter les (lourds) sacs de grains. L’un d’eux était dévolu à la montée et le second à la descente, de manière à ce que les travailleurs ne se bousculent pas. Ce second escalier n’est d’ailleurs pas orné de personnages. On remarquera la présence du chat, rendant hommage aux animaux qu’on a domestiqué pour protéger les récoltes des rats et des souris.

Le thème de la procession rappelle aussi les bas-reliefs antiques aussi bien que les oeuvres de Goya ou les photographie de réfugiés rwandais et s’inscrit tout à fait dans le mouvement de l’Arte povera.
Avant de monter, on peut visionner, au pied de l’escalier à double révolution, Stéréoscope, un film d’animation 35 mm transféré en video d’un peu plus de 8 minutes. Il a été réalisé entre réalisme et surréalisme en 1999 par ce même artiste sud-africain, William Kentridge, pour restituer les tensions irrésolues de son pays à peine sorti de l’apartheid. Le personnage récurrent est Soho Eckstein, businessman blanc, se noyant à la fin dans sa tristesse.
On retrouve le chat qui grimpe aussi l’escalier. Les lignes bleues qui apparaissent dans le film m’ont semblé correspondre aux communications téléphoniques qui s’établissent entre les personnages au sein d’un immense central téléphonique sans parvenir à créer de lien entre les individus et ne permettant, in fine, aucune communication. 

Fidèle à la technique d’animation image par image (stop motion, à raison de 25 images par seconde), il réalise des courts métrages d'animation à partir de ses propres dessins au fusain qu'il retravaille et modifie par des additions ou des effacements. Chaque séquence animée est produite selon un processus d'altérations successives, de grattages et de dessins superposés, effacés pour laisser place à de nouveaux croquis et on voit nettement les traces blanches des effacements.

A l'étage plusieurs alcôves nous invitent à nous asseoir et écouter la play-list composée par Vincent Bessières. On peut prolonger le moment de retour chez soi en scannant un QR code. La prenant en cours de route je tombe sur Strange Fruit de Billy Holiday, la plus emblématique de toutes ses chansons dont je n’avais pas remarqué jusqu’à présent la longueur de l’introduction au piano.
The moral arc of history ideally bends towards justice but just as soon as not curves back around toward barbarism, sadism, and unrestrained chaos, graphite et pastel sur papier, 2010

mercredi 30 avril 2025

La Jeune femme à l'aiguille, film de Magnus von Horn

J’ai regretté d’être allée voir La Jeune femme à l'aiguille de Magnus von Horn parce qu’il est éprouvant et je comprends qu’il soit interdit aux moins de 12 ans. Cependant, je n’ai pas cessé pendant plusieurs jours de repenser à de nombreuses scènes et d’apprécier les qualités de cette coproduction danoise/polonaise et suédoise.

Il est rare qu’on nous propose un film de deux heures en noir et blanc. Nous ne sommes plus habitués à cette esthétique qui, pourtant, permet d’inscrire l’œuvre dans un contexte historique appartenant à la fois au passé et peut-être aussi à l’univers du conte fantastique.

Il y a beaucoup de faits surprenants dans l’histoire alors que le scénario a été écrit à partir d'évènements qui se sont réellement déroulés presque de cette façon au Danemark, et dont le traumatisme a traversé les générations. Si nous, spectateurs français, la considérons comme une invention osée, l’affaire Dagmar Overbye reste connue de tous comme le dossier criminel le plus controversé de l’histoire de ce pays, prouvant, encore une fois, que la société est capable malheureusement de produire des atrocités bien plus terribles que celles qu’imaginent les scénaristes.
Copenhague, 1918. Karoline, une jeune ouvrière, travaille dur dans une usine de confection textile pour survivre alors que son mari ne revient pas de la guerre. Elle le pense mort mais en l’absence de trace elle n’aura pas la reconnaissance de veuve de guerre, ni la pension correspondante. Elle tombe sincèrement amoureuse du patron de l’usine, tombe enceinte et se réjouit d’épouser cet homme. Hélas la mère de celui-ci a rêvé mieux pour son fils et l’oblige à la rejeter, en allant jusqu’à provoquer son renvoi de l’usine. Contrainte à l’avortement clandestin elle est sauvée in extremis par Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d'adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline endosse un rôle de nourrice à ses côtés. Parallèlement son mari est revenu, cachant sa « gueule cassée » derrière un masque de fer. Elle doit l’aider mais l’amour ne renaît pas de ses cendres …
Il y aura de multiples péripéties que je ne raconterai pas. Ce qui est passionnant dans ce film c’est d’abord la fresque sociale de ce microcosme danois où les puissants comme le patron de l’usine, au départ bienveillant, peut se révéler d’une lâcheté misérable alors que les monstres de foire cachent un coeur d’or. C’est ensuite la manière dont chaque personnage s’y prend pour lutter contre le déterminisme social et continuer à vivre alors que ses choix sont restreints, en interrogeant particulièrement le pouvoir des femmes à faire du bien … ou du mal. Car ce sont elles qui décident au final pour tout le monde. Personne n’est indemne, jusqu’à la pauvre gamine qui reçoit une claque monumentale de sa mère au début du film dans la scène de visite de la soupente.

Karoline est une jeune femme intègre qui subit une véritable descente aux enfers qui la contraint à renier ses principes au mépris de ses valeurs morales. L’ensemble donne l’illusion d’un conte avec les archétypes habituels : la jeune femme vivant dans la poussière d’un grenier sous-loué par une vieille cupide, la sorcière mielleuse qui cache un pouvoir destructeur, le pseudo prince charmant qui se transforme en serpent, une autre sorcière marchande de bonbons, dévoreuse d’enfants comme dans Hansel et Gretel, un Quasimodo amoureux de son Esmeralda. Sauf que ces personnages ont réellement existé, ce qui rend le tableau d’une froideur (renforcée par le noir et blanc) et d’une cruauté extrêmes.

Ce personnage de Karoline est interprété avec dignité par Victoria Carmen Sonne qui forme avec Trine Dyrholm un couple machiavélique. Je devrais parler de trio car la fille de Dagmar joue un rôle indéniable pour maintenir l’ensemble en équilibre.

La ville déploie ses masures le long de ruelles escarpées autour d’églises tordues qui semblent n’avoir pas changé depuis le Moyen-Age. Même les bains publics sont effrayants, exhibant des corps déformés par les années. C’est là aussi que Karoline tente de d’auto-avorter (avec une longue aiguille) au cours d’une scène d’une intensité violente effrayante.

Le cinéaste installe l'angoisse dès les premières images en superposant des visages distordus, par les cris et l’effroi, évoquant les toiles de Francis Bacon sur la partition grinçante de Frederikke Hoffmeier (musicienne expérimentale danoise dont le nom de scène est Puce Mary) et que nous retrouverons plus tard. Le film s’inscrit alors clairement dans la lignée des films d’épouvante même s’il se révèle par certains aspects comme une critique sociopolitique en démontrant que toutes les cause du mal sont sociales et complexes.

Certains spectateurs s’arrêteront à l’aspect, extrêmement actuel, du destin des êtres non désirés et le traitement que nous leur réservons dans la société. Mais, inversement, on peut y voir strictement l’inverse dans la scène finale.

La Jeune femme à l'aiguille de Magnus von Horn
Avec Trine Dyrholm (Dagmar), Victoria Carmen Sonne (Karoline), Besir Zeciri

mardi 29 avril 2025

Les clés du festival - L'aventure du Festival d'Avignon des origines à nos jours à la Maison Jean Vilar, Avignon

Lundi 24 mars avait lieu à la BnF, Site Richelieu, à Paris la conférence de presse de l'exposition Les clés du festival - L'aventure du Festival d'Avignon des origines à nos jours qui sera ouverte au public le 5 juillet 2025 à la Maison Jean Vilar d'Avignon.

La mission de la Maison Jean Vilar est de conserver la mémoire de Jean Vilar, en lien avec la BnF, en garantissant que les trésors communs demeurent accessibles et en bon état. Elle est ouverte toute l’année depuis 1979. Son activité s’intensifie naturellement pendant le festival.

Les habitués du Festival d’Avignon connaissent bien les trois clés qui en sont l’emblème. L’association Jean Vilar a noué un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, désireuse de se développer en région, pour relater l’aventure de cette manifestation depuis sa création et en restituer l’essentiel dans une exposition, dont le commissariat a été confié à Antoine de Baecque.

La date est aussi symbolique que le titre puisque c’est le jour du lancement du Festival In comme du Off. Les festivaliers ne sauront pas où donner de la tête mais par chance cette exposition sera accessible toute l’année (en dehors de la fermeture annuelle en août) et a priori pour une période de 6 à 10 ans.

Ce sera la première fois qu’une exposition sera consacrée au Festival et à plusieurs de ses spectacles qui ont marqué les esprits : Le prince de Hombourg de Jean Vilar, Le Mahabharata de Peter Brook, Thyeste de Thomas Jolly, Saigon de Caroline Guiela Nguyen comme les créations de Thomas Ostermeier, Anne Teresa de Keersmaeker, Rébécca Chaillon et Angelica Liddell.

On pourra par exemple y voir (ou revoir) ce costume porté par Cloé Obolensky, dans le rôle de Gandari, la mère de l’un des deux clans du Mahabharata créé en 1985 dans la carrière Boulbon et qui est un don récent du théâtre des Bouffes du Nord.

Le premier document présenté sera la lettre de René Char à Jean Vilar le mettant en relation avec un couple de marchands d’art préparant pour Avignon et la Grande Chapelle du Palais des Papes une exposition d’art moderne, avec des œuvres de Picasso, Léger, Chagall, Calder et Giacometti et qui souhaitaient accompagner l’événement de concerts de musique française et d’une représentation théâtrale dans la Cour d’honneur. Il fut proposé à Vilar d’y donner Meurtre dans la cathédrale, son dernier succès parisien.

Elle sera immersive et accessible à tous, avec un important dispositif de médiation culturelle. On commencera par l’envers du décor, en expliquant comment se transforment les lieux pour accueillir plus de 120 000 spectateurs à chaque édition.

Ensuite il sera question de la spécificité de cette ville, Avignon, qui se métamorphose rituellement en associant chaque fois des lieux supplémentaires. On reviendra par exemple sur l’ouverture des Carmes en 1967.

Un regard sera posé sur le festival Off qui ne cesse de se déployer depuis le milieu des années 60 jusqu’à inclure aujourd’hui environ 250 salles, et proposer 1600 spectacles par près de 1200 compagnies. C’est lui, il faut le reconnaître, qui donne son ambiance à la ville à travers ses parades, le tractage, l’affichage. Une maquette d’Avignon représentera l’ensemble. On n’occultera pas pour autant qu’il s’agit d’une entreprise commerciale qui coûte fort cher aux jeunes troupes avec la volonté non pas de dénoncer mais de rendre publique l’économie du Off.

Le festival ne serait pas ce qu’il est devenu sans le public. Il était donc logique d’en rendre compte, à la fois à travers les spectacles mais aussi les rencontres en pointant ce que le festival a pu changer dans le cours de la vie des spectateurs. Il est en effet source d’éveil de vocations.

Loin de se dérouler en vase clos il est aussi le miroir du monde et a connu des moments de trouble, notamment en 1968, avec les intermittents en 2003, à travers la Nuit d’Avignon s’inquiétant des élections législatives l’an dernier … Sans parler de son report l’année de la pandémie.

C’est avant tout la vitrine du théatre contemporain, montrant les dernières créations et mettant à l’honneur le travail des artistes, quitte à provoquer des chocs esthétiques. Le choix fut difficile mais il s’arrêta sur 150 spectacles qui furent parmi les plus grands moments du festival dont la trace existe en photos ou/et en captations.

La scénographe Claudine Bertomeu a choisi de travailler sur d’immenses tulles qui pourront autant évoquer un rideau de scène qu’une toile sur laquelle on pourra projeter des images et intégrer ainsi la théâtralité dans le parcours de visite. Plusieurs metteurs en scène ont confié des objets hautement symboliques, des manuscrits de Wajdi Mouawad, la couronne de Thyeste de Thomas Jolly, des objets prêtés par Olivier Py et Valère Novarina. D’autres surprises seront sonores. Chaque année présentera un focus particulier. Ce sera le spectacle Saigon en 2025.
Voici, ci-dessus une page manuscrite de La Servante, un spectacle d'une durée de vingt-quatre heures, sous-titré Histoire sans fin, écrit et mis en scène par Olivier Py, joué par vingt-huit acteurs sans interruption pendant sept jours et sept nuits au Gymnase Aubanel. Olivier Py a été directeur du festival d'Avignon de 2013 à 2022. On le surnomma le triple A parce qu'il y fut acteur, auteur et directeur.

lundi 28 avril 2025

Être une grenade dégoupillée

L’institutrice de maternelle avait prévenu ma mère. Marie-Claire inoccupée, c’est une grenade dégoupillée. Entendue comme un reproche, cette remarque m’a poursuivie toute ma vie. Et pourtant comme cette enseignante avait raison !

Bien des années plus tard, j’étais aux Galeries Lafayette, attendant l’arrivée d’une amie avec qui j’avais rendez-vous pour choisir une tenue pour je ne sais plus quelle occasion, quand, m’ennuyant fortement de son retard, je me suis assise sur les marches d’un escalier de bois pour tenter de me distraire en observant les allées et venues d’une clientèle indécise et nonchalante.

Les aiguilles de la grosse pendule ronde tournaient. A part çà il ne se passait pas grand chose. Je vous parle d’une époque où les smartphones n’existaient pas. C'était il y a un peu plus de trente ans. Et je n’avais pas non plus le moindre livre pour faire passer le temps.

Le haut-parleur cracha l’annonce d’un concours d’écriture organisé par le journal Libération dans le cadre du Salon du mariage. Il s’agissait de produire la plus belle lettre d’amour avec à la clé un voyage à Venise pour deux personnes. Il faudrait être douée en littérature pour oser se lancer.

D’interminables minutes s’écoulent. L’amie n’arrive pas. Je m’ennuie. L’annonce du concours se répète. Je finis par me renseigner sur le règlement de l’épreuve. Il n’y a pas de longueur minimale ni maximale. Je retourne sur mon escalier, déchire une feuille de mon agenda et compose en moins de trois minutes un petit poème de moins de dix lignes qui pourrait se résumer à une non-demande en mariage. Plutôt osé comme propos en la circonstance mais tout à fait en accord avec le côté rebelle de la grenade.

Mon amie arrivant, je glisse le papier dans l’urne et n’y pense plus. Quelques jours plus tard un coup de fil m’apprend que je suis l’heureuse gagnante … du premier prix s’il-vous-plaît. Je suis donc convoquée pour le recevoir en présence de photographes et du rédacteur en chef du journal sponsor.

Je me souviens de cette charmante cérémonie arrosée de champagne. Les trois élus (un homme et deux femmes) avaient comme moi fait le déplacement. Le second prix était un bouquet de roses rouges d’une taille démesurée. Le troisième un abonnement de six mois à Libération. Fort aimablement, le président du jury me demanda à combien d’années remontait mon mariage. Je paniquai. Avez-vous vraiment lu mon texte ? C’est la vérité vraie et on comprend que je ne suis pas mariée.

Je tremble quelques instants, prête à m’incliner devant mes challengers qui, de mon point de vue, avaient écrit bien plus joliment et surtout plus long que moi. J’ignore si être marié était une condition indispensable pour participer au concours (ce qui à la réflexion aurait été discriminatoire et sans doute illégal). Toujours est-il que, bon prince, personne ne s’opposa pas à ce que je conserve l’enveloppe contenant les billets d’avion et le voucher de l’hôtel.

Voilà comment et pourquoi je partis à Venise en voyage de non-noces avec celui qui n’était pas et ne fut jamais mon époux.

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Nouvelle écrite après avoir lu Les silences de Venise d'Evelyne Dress qui ont ravivé mes souvenirs.

dimanche 27 avril 2025

Le brasier de Florence Hinckel

Après ma lecture du Don de Marin j’ai eu à cœur de lire Le brasier à la fois avec mon regard d'adulte mais aussi avec celui d’une adolescente.

Je n’en ai que davantage apprécié les mises en garde et les accents féministes. Les discussions acharnées entre la reine et Hans Christian Andersen (1805-1875) m’ont réjouie. J’ai bien entendu appris beaucoup sur cet auteur dont on connaît peu la vie en France. J’ai mieux compris le sens caché des intrigues qu'il raconte dans des histoires qui l’ont rendu célèbre. J’ai adoré la modernité avec laquelle Florence Hinckel fait revivre le conte.
Il était une fois, il y a très longtemps, un vieux roi qui dirigeait cruellement l'île de Margelonne. Il a été une fois, au dix-neuvième siècle, Hans Andersen, le grand auteur de contes danois, qui raconta cette histoire, Les Cygnes sauvages. Il est une fois, aujourd'hui, Florence Hinckel qui revisite les personnages de ce conte. Et ils ont bien des choses à nous apprendre, des combats à inspirer, et des manières critiques et intelligentes de lire ce qui nous parvient du passé.
Sa relecture du célèbre conte fait apparaitre une critique de la religion et plusieurs points qui étaient en demi-teintes. Elle correspond aussi à la grande colère qu'elle éprouvait quand sa mère lui promettait qu'elle se calmerait avec le temps, alors que non, il n'en serait pas question. Elle s’exprime sans détour avec la volonté manifeste de secouer les consciences. En posant des questions qui pourraient fâcher comme par exemple : quel serait le don le plus appréciable, la beauté ou l’intelligence ? Une chose est certaine. Nous n’avons pas entre les mains un roman à l'eau de rose. 

Les cygnes sauvages contiennent tout le contexte incestuel, en particulier l'injonction au silence, la dissociation et le refuge onirique. Le roman appelle une autre lecture, cette fois contemporaine, celle de Triste tigre de Neige Sinno publié chez P.O.L. à la rentrée littéraire 2023.

J’ai apprécié aussi à la fin, comme une sorte de bonus après l'épilogue, le texte enrichi de rimes internes de ce qui est présenté comme étant Le brasier (p. 317 et suivantes).

Et puis il y a, en filigrane, une analyse du genre littéraire. Le conte doit-il se terminer bien comme le suggère l’expression conte de fées ? Doit-il comporter des faits cruels pour mieux mettre en garde où sont-ce là des péripéties horribles inventées par les conteuses pour mieux captiver leur auditoire ?

La fée est-elle une magicienne ou une sorcière ? On verra en tout cas qu’elle accorde foi à l’adage : ce que femme veut dieu le veut. Et elle brosse son portrait avec originalité quand elle entreprend une discussion animée avec Andersen (p. 256-57).

Initialement intitulée Les trois sorcières, le livre est devenu Le brasier, un nom sciemment choisi en opposition au bûcher destiné à brûler les sorcières (p. 289). L'illustration de la couverture, conçue par Ilya Haharev, est splendide, en clin d'œil aux militantes ukrainiennes pour les droits des femmes qui portaient toujours des couronnes de fleurs. L'illustratrice a ajouté une plume qui s'en échappe.

Les personnages dialoguent avec l'auteur et à travers les époques, ce qui est particulièrement original … et efficace. Un auteur a-t-il conscience qu’il est en son pouvoir d’agir sur l’avenir (p. 259) ? Florence sans doute oui. 

Une douceur n'annule pas une brutalité. Voilà une vérité que femmes et filles devraient se tatouer dans le cerveau (p. 245). Cette phrase n’échappera à aucun lecteur. D’ailleurs l’auteure nous l’avait donnée au cours d’une matinée organisée par son éditeur sur le thème des femmes et des enfants.

L’école des loisirs est féministe. On le savait depuis longtemps. On en a régulièrement des preuves. Ce n’est pas un hasard si elle publie aussi des auteures comme Flore Vesco qui transpose très finement les contes que l’on pense anodins.

Ce sont deux autrices dont les lectures sont essentielles aux adolescentes. L’une comme l’autre insiste régulièrement sur le pouvoir du "non".

Le brasier de Le brasier de Florence Hinckel, Ecole des loisirs, Ecole des loisirs, collection Medium, en librairie depuis février 2025

samedi 26 avril 2025

Les silences de Venise d’Evelyne Dress

Pour ce dernier roman, l’éditeur est resté fidèle à la couleur rouge qui témoigne si bien la passion avec laquelle Evelyne Dress compose des romans d’aventure, même s’ils ne sont pas classés dans cette catégorie.

J’ai retrouvé les ingrédients que j’avais appréciés dans les précédents : un point de départ exaltant, une sorte de mission impossible qui sera prétexte à un parcours initiatique, un chagrin d’amour qui sera le carburant d’une énergie sans faille, le voyage dans l’espace (cette fois concentré sur une ville, Venise) et dans le temps, la résolution d’un secret historique, et bien sûr la gourmandise qui témoigne d’un bel appétit de vivre.

Ajoutez en épices la beauté ensorcelante d’une ville romantique à souhait, de la musique de chambre, de la sensualité, des rencontres étonnantes, des évocations de Dante, de Casanova, de Napoléon à plusieurs reprises, de Saint-Exupéry et même du véritable maire de Venise, des relations conflictuelles entre mère et fille, la sagesse de la voix du père qui lui a enseigné que tout n’est que buée, quelques expressions en italien et vous aurez l’essentiel des Silences de Venise dont les chapitres principaux sont ponctués d’adorables petits dessins, sans doute de la plume de l’auteure.

La place Saint Marc n’était pas encore recouverte par l’Agua Alta que la gourmande Eva nous entraînait en ciré jaune boire un chocolat, non pas au café Pouchkine, mais chez Florian. Plus tard elle nous fera croquer dans son péché mignon, les cornichons, et c’est un de nos points communs -avec la Cité des Doges- même si je ne suis pas certaine que nous ayons la même recette. Je tiens la mienne de ma grand-mère et je crois que je les préfère aux bonbons.

J’ai revécu mes déambulations dans le dédale de ruelles et de ponts enjambant les canaux de cette cité unique. Je me suis rafraîchie sur le vaporetto et j’ai retrouvé l’atmosphère de Murano où je m’étais perdue, il y a quelques années. J’ai eu cette chance d’y passer un week-end dans des circonstances incroyables, à l’instar des nouvelles que j’ai racontées pendant le confinement. J’avais tout oublié de ce séjour. Ce livre a ravivé mes souvenirs. Mais ce n’est pas moi l’écrivaine, c’est Evelyne Dress.

Sans être elle-même généalogiste, Evelyne est fondamentalement intéressée par les histoires de famille et tout ce qui touche aux racines. On la devine, à de multiples reprises, dans le caractère de son héroïne, à laquelle elle a presque donné son prénom. Raconter l’histoire à la première personne renforce sans doute les similitudes mais surtout il insuffle de l’énergie si bien que je l’ai lu en moins de 24 heures. Ce n’est pas le genre de livre qu’on supporte de lâcher.
Généalogiste passionnée et consciencieuse, Eva, se jette à corps perdu dans l’enquête que lui a confiée Georgio Scorfano, un riche homme d’affaires qui a grandi dans un orphelinat et qui est plus que jamais déterminé à apprendre d’où il vient.
L’enquête la conduit à Venise où mystères et secrets hantent chaque ruelle. Tandis qu’elle fouille les archives, traverse de somptueux palais, et se perd dans un labyrinthe végétal, elle découvre qu’elle a rendez-vous avec ses propres désirs et le terrible passé de son client.
Ce roman initiatique explore la puissance du nom que l’on reçoit à la naissance et autour duquel on se construit. Il est aussi un double itinéraire généalogique et amoureux d’un homme et d’une femme en quête d’eux-mêmes et du bonheur, si tant est qu’on puisse le saisir.
Je ne connaissais rien du métier de généalogiste. Alors, forcément, cette lecture m’a passionnée. L’objet est assez proche de l’enquête policière. C’est non seulement un livre fort bien construit (je suis admirative du travail de recherche sans doute considérable) mais il y a aussi là matière à un film formidable, avec peut-être quelques accents fantastiques en lien avec les évocations historiques ou quelques évènements qui peuvent sembler surnaturels comme le décrochage d’un lustre de cristal (lequel n’est pas de Murano mais pourtant bien réel pour qui connait Evelyne) depuis le plafond de son domicile parisien (p. 30).

Comme à son habitude, elle glisse des perles culturelles entre les pages, nous apprenant (ou nous rappelant) par exemple l’origine du mot ghetto (p. 150). Elle distingue gondoles, vaporettos et traghettos dont elle nous explique l’utilité (p. 19). Elle établit très finement des parallèles entre des sujets apparement discordants. Elle fait ainsi observer que la Bible est assimilée à un labyrinthe : elle nécessite un effort de décryptage et d’interprétation (p. 84), et elle s’y emploie, en faisant intervenir un drôle de rabbin au sourire talmudique (p. 73).

Evelyne pourrait aussi réfléchir à la publication d’un guide gourmand (parisien ou plus large) tant elle collectionne les bonnes adresses. On peut compter sur elle pour glaner les meilleures.

Il n’y a que le titre que, à la réflexion, je ne validerais pas totalement car s’il y a certes des secrets, pesants et bouleversants, il n’y a pas de silences. J’ai entendu la musique résonner dans les églises, le clapotis de l’eau, la vaisselle qui s’entrechoque sur les nappes, le bruit de la vie qui s’agite sans cesse dans les ruelles, derrière les murs des palais palladiens, et surtout les battements de coeur et même des voix qui s’expriment depuis l’au-delà qui est finalement très proche.

Artiste complète, Evelyne Dress se révèle dans de multiples domaines artistiques, toujours avec bonheur et succès. Elle est actrice (Et la tendresse ? Bordel !) , réalisatrice (Pas d’amour sans amour), artiste-peintre (exposée deux fois au Grand Palais). Elle a déjà signé une dizaine de romans.
Les Silences de Venise d’Evelyne Dress, éditions Glyphe, en librairie depuis le 3 avril 2025
Livre lu en format numérique de 180 pages

vendredi 25 avril 2025

Les Sirènes d'Emilia Hart

Avoir lu le premier roman d’un auteur suscite naturellement l’envie de poursuivre la relation. Emilia Hart parvient à la fois à provoquer la surprise avec le second tout en demeurant dans sa ligne. Les sirènes est encore une histoire de destins croisés entre plusieurs femmes à quelques siècles d’écart.

Nous avons quitté la campagne pour partir sur les bords de la côte australienne. Autant dire que le dépaysement est total pour les lecteurs français.

Il me semble important de souligner le travail de la traductrice qui a su parfaitement restituer le style de cette autrice dont elle avait préalablement traduit La Maison aux sortilèges. Le destin est parfois malicieux puisque, juste avant, elle avait traduit la bande dessinée Jane face aux sirènes pour les éditions Rue de Sèvres. C’est aussi elle qui nous permet de lire en français Elin Hilderbrand et Victoria Hislop.

Lucy est une jeune femme sujette à des crises de somnambulisme et qui connait des soucis dermatologiques, étant allergique à l'eau depuis sa naissance. On découvrira plus tard que sa soeur présente des symptômes semblables. Quand Lucy ne verra comme solution que la fuite pour se protéger du mal qu’on lui a fait tout autant de celui dont elle est responsable elle ne pensera qu’à une seule personne, capable de la comprendre, sa soeur. Mais la maison délabrée de Jess, perchée au sommet d'une falaise battue par les vents, est désespérément vide, comme subitement abandonnée.

Elle se retrouve seule dans une ville côtière où rumeurs et légendes vont bon train. Au gré de ses rencontres, elle découvre les récits d'hommes disparus dans des circonstances mystérieuses et d'un bébé trouvé dans une grotte. Elle commence surtout à entendre des voix de femmes qui murmurent sur l'écume des vagues... faisant remonter les secrets du passé à la surface. Elles lui chuchotent l'histoire de deux sœurs, il y a deux siècles, dans un monde où les hommes étaient maîtres. Un monde et une histoire qui lui paraissent lointains et pourtant familiers.

Si les histoires de marins sont fréquents les romans mettant en scène des sirènes sont beaucoup plus rares et Emilia Hart propose une réinvention moderne et féministe du mythe. Ce n'est sans doute pas un hasard si elle donne à son héroïne le prénom de Lucy qui en anglais évoque immédiatement la mer (the sea).

Le roman s'articule entre trois époques : la fuite de Lucy (2019), le journal de sa soeur Jess (1999) et le récit de Mary qui débute en octobre 1800 en Irlande que le lecteur découvre très vite (p. 39) et qui alimente les rêves de Lucy.

Elle recevra peu d'aide, surtout de la voisine de sa soeur, Melody, et va devoir mettre à l'épreuve ses compétences d'apprenti-journaliste et faire preuve de beaucoup de courage pour tirer l'affaire au clair et pour, peut-être, retrouver sa soeur. A moins qu'elles ne sombrent toutes deux. Car comme il est écrit, l’océan donne mais il prend aussi (p. 148).

Ce roman parle foncièrement de sonorité et de résilience, deux thèmes chers à Emilia Hart et qui étaient déjà au coeur de son premier roman, lui aussi inscrit dans une atmosphère magique.

L'autrice confie dans les remerciements avoir écrit plusieurs versions successives du roman qui semble être le résultat d'un travail colossal. Elle donne ses références bibliographiques, auxquelles il faut ajouter Une vague de rêves que Louis Aragon écrivit en 1924, avant la naissance du mouvement surréaliste et qu'elle cite p. 293 : quand on dort, on convoque nos rêves, on entre en communication avec nos fantômes.

Il est touchant d'apprendre par ailleurs dans ces pages combien elle est convaincue que l'eau possède un pouvoir guérisseur et transformateur qu'elle associe à la rééducation qu'elle a entreprise après un AVC en 2017 alors qu'elle n'avait que 26 ans.

On perçoit aussi chez elle la volonté de dénoncer, ne serait-ce qu'a minima, le diktat de la beauté, régi par les réseaux sociaux ainsi que la vélocité avec laquelle il peut détruire une réputation.

Elle pointe aussi la pression pesant sur une femme voulant signaler un harcèlement. Ainsi la responsable du bien-être étudiant va dissuader Lucy de porter plainte et les circonstances vont même aller jusqu'à se retourner contre elle. A noter que la situation est en train de basculer en France après plusieurs procédures judiciaires. Ainsi par exemple apprend-on ces jours-ci le départ de Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d'Avignon, à la suite "d'accusations" de violences sexuelles et sexistes alors qu'il occupait un poste dans une autre organisation, et qui aura lieu à un moment critique trois semaines avant le lancement de la nouvelle édition du festival.

Les Sirènes d'Emilia Hart, traduit par Alice Delarbre, Les escales éditions, en librairie le 10 avril 2025

jeudi 24 avril 2025

Le don de Marin d’Ingrid Thobois

Parmi les livres présentés en février dernier par l’Ecole des loisirs dans le cadre d’une rencontre autour de la féminité et de l’enfance, j’avais retenu particulièrement Le don de Marin.

L’écriture d’Ingrid Thobois est vive, ne cache rien au lecteur et installe malgré tout une surprise constante. Même pour moi qui connaissais le sujet. Parce qu’on a beau savoir les choses, elles ne se déroulent pas exactement comme on l’a imaginé et c’est ce qui fait le sel de la vie, comme de ce roman.

Cette romancière-poétesse avait expliqué comment le réel nourrissait sa création. Quoique vivant désormais à Istanbul, elle reste traversée par les bruits du monde et n'est pas étrangère aux questions posées par les lois sur la bioéthique et la PMA. Elle a reçu les confidences de deux personnes ayant vécu cette aventure et ayant eu elle-même des enfants tardivement elle a conscience qu'elle aurait pu être concernée de près par le sujet.

Le roman aurait pu s'appeler Les absents du frigo en écho à ces photos qu'un enfant issus de PMA n'affichera nulle part à portée de regard, et pour cause.

Elle donne à Marin une maman magnifique pour qui rien n’est jamais un problème. Impossible d’être moins culpabilisante, ou plus tolérante. Marin a une autre mère, prévenante, merveilleuse, capable d’anticiper l’avenir. Marin a un papa qui est resté au bord de l’adolescence. Marin a un autre père, qui n’a aucun lien avec lui, ni génétique, ni biologique mais qui se conduira malgré tout comme on l’attend d’un papa. Marin est un enfant sur-aimé et c’est formidable. Il ne fait pas de doute, en lisant ce roman, que donner ses gamètes, ce n’est pas faire un enfant, c’est faire des parents (p. 53)

Ingrid Thobois met en garde contre les conclusions hâtives du fait de la synchronicité des faits (p. 112) en concluant que parfois dans la vie les choses n’ont ni rime ni raison. Et pourtant impossible de dénombrer les si fréquentes occurrences de "constellations signifiantes" pour désigner les multiples coïncidences de la vie.

Un des éléments de l'architecture du hasard est un des lieux victimes des attentats du 13 novembre 2015, en l'occurrence le Carillon (car il n'y a pas eu que le Bataclan, Le Petit Cambodge, La Bonne Bière, La Casa Nostra, Le Comptoir Voltaire, et La Belle Équipe a avoir été touchés). Un proverbe indien, cité dans le si beau film The Lunchbox assure que : parfois, le mauvais train vous amène à la bonne gare. Le personnage principal ajoute que renoncer à l'amour est peut-être la meilleure façon d'aimer (ce que démontre un autre film bouleversant, The Visitor, réalisé par Tom McCarthy avec Richard Jenkins en 2007).

En tant qu’adulte j’ai adoré cet ouvrage qui, sans être dystopique, nous entraine dans les années 2035, dans un avenir où l’état d’urgence écologique planétaire a été décrété (p. 123). L’auteure a bien raison de dénoncer cette Tour Eiffel qui faisait clignoter 20000 ampoules 5 minutes par heure il n’a y a pas si longtemps que çà (p. 147). Elle nous laisse calculer la dépense énergétique mais ajoute : Notre génération a hérité d’une planète bousillée au nom de caprices, d’inconséquence, de cynisme ou des trois à la fois.

Il faut croire que la mise en garde ne suffit pas puisqu’elle enfonce le clou, une fois de plus car ce ne sont pas les rappels à l’ordre qui manquent au fil des pages. La vapeur pourra-t-elle encore s’inverser ? Sommes-nous seulement les uns comme les autres en sursis ?

Il est malheureusement plus que probable qu’elle ait raison de ne pas être optimiste. Mais qui veut-elle alerter puisque théoriquement un roman édité en littérature jeunesse s’adresse à des adolescents. Sachant que leur taux de suicide ne cesse de progresser, en partie parce qu’ils sont désespérés de l’avenir, je ne pense pas que j’aurais dit les choses comme cela. 

En refermant ce roman qui se veut être une ode à la vie, je ressens des opinions partagées par ces discours parfois contradictoires.

Le don de Marin d'Ingrid Thobois, Ecole des loisirs, collection Médium, parution en février 2025

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