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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 24 novembre 2023

Denali de Nicolas Le Bricquir

Il y a des spectacles qu’on aime et dont on ne garde pourtant aucun souvenir. Il y en a d’autres qui marquent à vie. Denali est de ceux-là. Je ne peux pas imaginer qu’il laisse qui que ce soit indifférent.

Pour le sujet, qui témoigne (c’est bien le mot qui convient) de la perte de repères engendrée par l’usage abusif des réseaux sociaux. Pour l’interprétation au cordeau par de jeunes comédiens (donc ultra prometteurs). Pour la mise en scène originale mais toujours à bon escient. Pour l’audace de cette équipe qui doit être félicitée et encouragée à continuer de nous surprendre, de nous interroger et de nous faire vibrer.

Denali est une œuvre de fiction inspirée de faits réels. C’est clairement affiché sur la scène. Voilà qui nous permet de prendre un peu de recul parce que les faits qui vont se dérouler sous nos yeux, en direct, vont être violents, même si nous ne verrons pas une goutte de sang, je rassure les âmes sensibles.
Le mardi 4 juin 2019, Cynthia Hoffman, 19 ans, est retrouvée morte, ligotée et bâillonnée dans la rivière Eklutna en Alaska. Elle a été abattue d’une balle dans la nuque. Les derniers à l’avoir vue sont Denali Brehmer, 18 ans, et Kayden McIntosh, 16 ans. En les interrogeant, les détectives Jessica Hais et Lenny Torres vont mettre à jour une sordide histoire.
A la fin j’hésiterai à prendre parti quant à la culpabilité des adolescents. Ne seraient-ils pas autant victimes que coupables ? Et qui devrait assumer alors la responsabilité de leurs actes ? La faute à notre société, aux parents ? A un défaut d’éducation ? A une surutilisation des réseaux sociaux ? En tout cas leur perte de repères est tragique et on aimerait que ce fait divers ne se répète pas.

La forme est d’une vraie originalité qui a été choisie pour mieux marquer l’esprit du spectateur. On hésitera à parler de théâtre et pourtant c’en est tout à fait. La scénographie intègre les codes de la série policière, en parvenant à projeter le générique, le résumé des épisodes précédents, et bien évidemment de véritables images d’archives à la fin du spectacle. On pourrait penser à un documentaire mais il n’y a aucune vidéo. Toutes les scènes sont jouées en réel. Le public est quasiment face à une illusion d’optique comme si ce qui nous apparait n’était pas réel.

Tout s'enchaîne à un rythme fou. On ne zappe pas une miette de chaque reconstitution. On perd vite la notion du lieu, du temps, et par voie de conséquence de la réalité, … un peu à l’instar de cette jeunesse qui ne voit plus la frontière entre le bien et le mal, le permis et le tabou.

Les paroles des chansons que nous entendons (et dont nous reconnaissons plusieurs titres) défilent sur un banc-titre. Nous ne pouvons pas détourner les yeux de ces textes provocateurs, qui paraissaient inoffensifs tant que nous étions protégés de leur signification par l'emploi de la langue anglaise.

Il faut remercier Nicolas Le Bricquir, auteur et metteur en scène, de nous offrir un moment de thâtreé de cette ampleur et de nous ouvrir les yeux -et les oreilles- sur cette jeunesse qui erre dans un monde d’apparences, façonné par leurs smartphones. L’histoire de jeunes qui se construisent dans le regard des autres, par écran interposé, avec pour seul but : être riches et célèbres, puisque c’est ça, réussir. À tout prix, jusqu'à commettre l'irréparable.

Denali a été créé dans le cadre du Concours Jeunes Metteurs en Scène 2021 au Théâtre 13. Il a remporté à l'unanimité le Prix du public, ce qui lui permit d'être ensuite accueilli en résidence au Centquatre-Paris en février 2022 pour le retravailler afin de l'amener plus loin dans son esthétique et son écriture. On ne s'étonnera pas que la forme actuelle ait été un succès au dernier festival d'Avignon.

On lui souhaite de surprendre longtemps tous les publics.
Denali de et mis en scène par Nicolas Le Bricquir
Avec Lucie Brunet, Lou Guyot, Caroline Fouilhoux, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire
Assistante à la mise en scène Charlotte Levy
Musiques Louise Guillaume
Au Studio Marigny
Carré Marigny, à l'angle de l'avenue des Champs-Élysées et de l'avenue de Marigny, 75008 Paris.
du 17 novembre au 31 décembre 2023
du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est une photo de répétition réalisée par Louise Guillaume

jeudi 23 novembre 2023

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée est typiquement le spectacle dont on ne peut faire que des compliments.

Le texte et l’interprétation sont très justes. Les costumes élégants. Même si nous sommes davantage dans une cave que dans un grenier les vieilles pierres de ce cadre naturel composent un décor qui convient à merveille.

La pièce d’Alfred de Musset est intemporelle puisque le thème est la naissance du sentiment amoureux et sa déclaration.

Le seul bémol serait peut-être sa brièveté mais l’équipe artistique a trouvé une parade en demandant à Isabelle Andréani de créer une brève « comédie- proverbe » dans son contexte le plus intime en regardant l’auteur par le trou d’une serrure, comme une petite souris...

Après s’être plongée dans le secret de sa vie, tumultueuse et mouvementée, elle a imaginé que ses deux serviteurs pourraient témoigner de son quotidien, de ses tourments, de ses amours et leur a accordé le droit de commenter ses œuvres. Comme l’explique le cocher, quand on fait ce métier on attend beaucoup, ce qui laisse du temps pour lire. Ainsi, au fil de ses découvertes avec la servante il va découvrit qu’il ont une passion commune pour les livres, les poèmes et les pièces d’Alfred de Musset. Ils pourront même donner, à travers certains extraits de ses écrits, tout l’éventail de son style. Et nous assisterons aux prémices de leur connivence alors qu’ils font un décryptage croustillant des amours de leur patron avec Georges Sand. 

Placée en « lever de rideau », La clef du grenier d’Alfred nous donne les éléments de compréhension de l’œuvre de l’écrivain en révélant certains de ses secrets... avant d’enchaîner avec la pièce proprement dite.
À Paris, en septembre 1851, la servante et le nouveau cocher de la maison pénètrent dans le grenier d’Alfred de Musset pour récupérer les harnais du coche... C’est alors qu’ils découvrent des textes inédits et le récit d’anecdotes piquantes qui vont bientôt les conduire à jouer eux-mêmes Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée et progressivement se déclarer de façon singulière leur amour...
Il y a beaucoup de fantaisie dans cette pièce qui procure sans nul doute un grand plaisir aux deux comédiens. Leur connivence est savoureuses. Les dialogues sont une suite de réparties souvent très drôles.  Les batailles de mots s’enchaînent. Avec de jolies trouvailles comme celle consistant à cacher une déclaration d’amour en la découpant en morceaux de manière à ce qu’elle n’apparaisse que si on pense, par exemple, à ne lire qu’une phrase sur deux.

S’il est nécessaire que le public accourt à la création d’un spectacle il est bon également qu’il songe à venir (aussi) plus tard. Car il ne faut jamais arrêter de parler du théâtre. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée n’en est pas à sa première saison et elle n’a rien perdu de sa fraicheur. C’est l’apanage des valeurs sûres.
La clef du grenier d’Alfred d’Isabelle Andreani
Suivi de  Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset 
Mise en scène de Xavier Lemaire  
Avec Agathe Quelquejay et Michel Laliberté 
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris
Jusqu’au 09 janvier 2024
Les mardis à 19h15
Relâche le 26 décembre
Une pièce accessible à partir de 12 ans

mercredi 22 novembre 2023

How to have sex, le film de Molly Manning Walker

Je suis allée voir How to have sex après avoir visionné la bande-annonce et sachant que la réalisatrice, Molly Manning Walker le dédiait à  à "tous ceux qui ont été agressés sexuellement".
Afin de célébrer la fin du lycée, Tara, Skye et Em s'offrent leurs premières vacances entre copines dans une station méditerranéenne ultra fréquentée. Le trio compte bien enchaîner les fêtes, cuites et nuits blanches, en compagnie de colocs anglais rencontrés à leur arrivée. Pour la jeune Tara, ce voyage de tous les excès a la saveur électrisante des premières fois… jusqu'au vertige. Face au tourbillon de l'euphorie collective, est-elle vraiment libre d'accepter ou de refuser chaque expérience qui se présentera à elle ?
Tara en est le personnage principal. Elle porte bravement un collier marqué Angel. Elle est douce, confiante, peut-être un petit peu trop crédule. Elle n'a que l'intention de faire la fête avec ses deux meilleurs amies à Malia (en Crète) et sans doute en ramener de bons souvenirs. Le trio est joyeux et affiche le bonheur simple d'être ensemble. Mais les rencontres ne seront pas à la hauteur de leurs rêves. 

Le thème du consentement est largement traité depuis quelques années. Il y eu d'abord le questionnement Est-ce dire oui que ne pas dire non ? qui était bouleversant dans la pièce de théâtre Pompiers. Il y eut bien entendu les témoignages émouvants de Camille Kouchner et de Vanessa Spingora (plus réussi selon moi en livre qu'en version cinématographique).

Et voilà que Molly Manning Walker creuse différemment le sujet en démontrant que dire oui ne signifie pas forcément donner son accord en pleine conscience. La violence est toute en retenue et c'est évidemment poignant.

La réalisatrice n'est pas tout à fait la seule à pointer cette aspect. Il est très présent dans le livre Ce qui nous rend vivants dont les actrices précisent dans une note (p. 445) qu'en France une femme sur six fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti ni désiré.

On espère tous que les choses vont changer. Ce film y participe.

How to have sex, le film de Molly Manning Walke
Avec Mia McKenna-Bruce, Lara Peake, Enva Lewis, Shaun Thomas, Samuel Bottomle
Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023
En salles depuis le 15 novembre 2023

mardi 21 novembre 2023

Madame Marguerite … avec Emilie Chevrillon

Je connais bien Madame Marguerite  Cette pièce a été écrite par Roberto Athayde. Je l’ai vue interprétée avec une émotion sans pareille par Annie Girardot. Je l’ai redécouverte dans la version plus politique de Stéphanie Bataille. En la reprenant, Emilie Chevrillon la transforme en une sorte de stand up surréaliste à la limite de ce qu’on appelle une performance, mais je suis sûre qu’on peut revenir le lendemain, l’interprétation sera identique.

Toujours est-il que les actions s’enchaînent comme si elles n’avaient pas été prévues et que la comédienne, habitée par un feu intérieur, s’embrase et disjoncte littéralement. C’est du grand art. Il faut beaucoup de technique pour jouer autant border-line avec un tel naturel et une impertinence ultra controlée dans un décor évoquant une salle de classe d’avant-guerre.

Bien entendu, étant régulièrement repris dans le monde entier il n’a d’intérêt sur scène que si la proposition est différente des précédentes. Sinon, autant le lire, ce que je recommande aussi car le propos est diablement d’actualité. Les dictatures n’ont hélas pas disparu et il faut sans relâche dénoncer à quelle folie peut conduire la soif de pouvoir.

Ce monologue tragicomique pour une femme impétueuse, interprété par les plus grandes comédiennes avec un succès constant, avait été écrit au Brésil pour dénoncer la tyrannie. Universel et plus que jamais d'actualité, il nous confronte à la folie.

Le spectacle fourmille d’astuces pour traduire ce dérèglement. L’enseignante, la fleur au tableau, la tête sur le plateau, est comme écrasée par la responsabilité, apparaît parfois de taille lilliputienne, minuscule sur sa chaise haute, ou au contraire géante pour effrayer, menacer, bref s'imposer, bidouillant un artifice derrière son bureau.

La mégalomanie de l’enseignante de CM1 n’est exacerbée que pour mieux en dénoncer les excès. Les enfants ayant la manie de tout prendre à rebours devraient -contrairement à l’ordre qui leur est donné- n’avoir qu’une envie, celle de désobéir pour vivre en adulte libre.

Le texte a été traduit en français par l’auteur lui-même, sans édulcorer sa force et sa liberté d’expression. Les injures, gros mots et propos excessifs se multiplient avec insolence et sans tabou.

Sous couvert de comédie, la comédienne devient tragédienne en laissant libre cours à une infinie palette de talents : actrice, mais aussi danseuse, chanteuse, mime … et même contorsioniste. Elle sait tout faire, y compris nous entraîner dans une séance de yoga ou de lévitation. Sa souplesse est vertigineuse. Ses mimiques sont désopilantes. Ses roulements d’yeux valent ceux d’un tambour.

On se souviendra d'elle fredonnant Manhã de Carnaval, la si jolie chanson du compositeur brésilien Luiz Bonfá et du parolier Antonin Maria, apparue en 1959.

On se souviendra d’elle dansant sur la musique d'un film de Chaplin un tango endiablé avec un squelette sur la musique typiquement argentine de La Cumparsita de Carlos Gardel. Ou encore de son interprétation du Lac des cygnes.

On se souviendra car on ne risque pas de l'oublier, cette leçon sur l'horreur qui se cache derrière les rires et les bravos. Tant il est vrai que dans certains pays la vie est un coup de massue.
Madame Marguerite de Roberto Athayde
Mis en scène par Michel Giès
Avec Emilie Chevrillon
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris
Les mardi et mercredi à 21 heures jusqu’au 17 janvier 2024

lundi 20 novembre 2023

Dégustation Pessac-Léognan de Château de France chez Dame Augustine

Il m'est facile de conserver des souvenirs visuels, d'engranger des musiques (dont je ne mémorise pas toujours le titre et le nom du compositeur). Les souvenirs gustatifs sont plus vagues, hormis curieusement pour les fromages. Sauf à en faire son métier nous ne sommes pas éduqués pour constituer une bibliothèque de saveurs.

Voilà pourquoi je suis toujours enthousiaste à la perspective de faire une dégustation d'un cru que je connais déjà. Aujourd'hui, ce fut Pessac Leognan de Château de France. Est-ce parce que le nouveau millésime répond à la promesse que l'on pressentait il y a quelques mois, est-ce parce que Lilian Douchet, le chef de Dame Augustine a particulièrement su trouver les meilleurs accords, toujours est-il que je l'ai apprécié encore davantage que l'an dernier.
Arnaud Thomassin, propriétaire et directeur de cette propriété familiale de 40 ha en AOP Pessac-Léognan, peut être fier de ses dernières cuvées. Elles sont déjà prometteuses et révèleront tout leur potentiel après quelques années de garde. Ainsi le Château de France rouge 2018 gagnera à être conservé encore dix ans.

Nous avons commencé par une dégustation classique à l'horizontale avec les blancs 2022 puis avec les rouges 2021 parmi lesquels il manquait le Bec-en-Sabot, certes quasi confidentiel mais si intéressant.

N'existant qu'en rouge, il a été créé en 1992 et fut le premier à porter le nom d’un oiseau, en l’occurrence un étrange oiseau rare, vivant dans les marais à papyrus de l’est de l’Afrique, dont l'étiquette comporte une illustration.

Je l’avais associé l'an dernier avec un "simple" croque-madame avec lequel s'accordaient son nez de groseilles, d'airelles, de tabac, de clou de girofle et de framboises, et en bouche, ses flaveurs minérales et de fruits rouges. 

Le Coquillas 2021 a été récolté pendant une année difficile (en raison des gelées) mais aromatique. Son nez est très harmonieux et doux, d’abricot confit, lychee et fruits à chair blanche, puis de miel. La bouche est joliment structurée, parce que gras et fraîcheur se combinent avec beaucoup d’élégance, laissant place à une finale minérale.

En rouge, “Coquillas” évoque encore la présence de nombreux coquillages dans plusieurs parcelles de la propriété.La robe est grenat assez profond avec un nez de fruits noirs frais et de réglisse et une touche de fumé. La structure s’achève sur des notes minérales et finement poivrées.

dimanche 19 novembre 2023

Les aliénés du Monument National

Savez-vous ce qu’est un aliéné ? C’est le terme employé au Mobilier national pour désigner un objet libéré de son appartenance aux collections nationales. Signifiant dès le XII° siècle "rendre autre", "détacher" il est devenu synonyme de folie lorsqu'il s'agit d'êtres humains mais conserve son sens premier pour les meubles qui sont devenus sans valeur et dont il convient de se débarrasser.

Par un retournement de situation, une quarantaine d'artistes ont pu avoir carte blanche pour sublimer 53 pièces destinées à être détruites et qui sont désormais élevées au rang d’œuvre d’art. Ce qui est particulièrement intéressant pour éduquer notre regard c’est leur placement devant des tapisseries tissées entre 1951 et 2016 dans les manufactures des Gobelins, de Beauvais ou d'Aubusson

J'ai été enthousiasmée par l'idée et par la réalisation de ce travail qui est présenté dans une exposition en accès libre et qui devrait passionner tous les âges, qu’on soit (ou pas encore) fan de décoration et d'upcycling.
Cette publication est illustrée par les oeuvres qui ont été réalisées et les tapisseries devant lesquelles elles sont placées. Leur titre et les noms des artistes sont mentionnés en fin d’article pour ne pas ralentir la lecture.
C'est la seconde fois que le Mobilier national propose à des artistes de réinventer ses trésors en disgrâce en leur donnant toute liberté denréinventer, embellir, modifier, sublimer ces objets. Je n'avais jamais franchi les portes de cet endroit jusque là et j'ai été séduite. Cette institution, pour ceux qui ne le sauraient pas, est le garde-meuble officiel de la République. Il conserve dans ses collections les meubles du pouvoir français, qu'il soit royal, républicain ou impérial. Ce garde-meuble exceptionnel peut ainsi meubler et fournir du matériel aux bâtiments officiels, tels que le palais de l'Élysée, ou les ministères.
Créé au XVII° siècle par Louis XVI, le Garde-Meuble de la Couronne, devenu le Mobilier national est, depuis toujours un acteur majeur dans la valorisation et le développement des métiers d’art et du design. Il a aujourd'hui trois missions principales : meubler les bâtiments officiels de la République, assurer la conservation de la collection et promouvoir la création contemporaine. Il se charge aussi de :
- Créer pour le compte de l’État du mobilier et des œuvres textiles ;
- Conserver et restaurer ses collections constituées de 100 000 objets textiles et mobiliers ;
- Perpétuer et transmettre les savoir-faire et techniques traditionnels des métiers d’art grâce à 7 ateliers de restauration ;
- Mettre en valeur son patrimoine par des expositions, prêts et publications.
Les meubles conservés par le Mobilier national sont "inaliénables" : ils ne peuvent être ni cédés ni vendus. Après des siècles d'existence, les collections sont très conséquentes... comptant plus de 180 000 meubles. C'est pourquoi un tri est parfois fait, pour se débarrasser de certaines pièces devenues sans valeur après avoir perdu leur caractère patrimonial au fil des années. Inutilisés, en mauvais état ou sans intérêt historique particulier, ces meubles peuvent alors être détruits, vendus ou réutilisés après avis d’un comité scientifique et devenir donc "aliénés" pour être remis à l'administration des Domaines pour être vendus.
La démarche de les confier alors à des artistes contemporains est à la fois artistique et écologique, certes insolite et osée mais intéressante. Tables, chaises, bureaux, consoles, chevets, chandeliers, commodes... Tous les meubles cédés se voient parés de couleurs, de nouvelles matières, de nouveaux volumes... Une fois réinterprétés, remodelés, redécorés voire transformés par les artistes ils retrouvent une valeur patrimoniale et réintègrent les collections du Mobilier national. Plusieurs films sont projetés dans lesquels les artistes expliquent la manière dont ils se sont saisi du projet et comment ils ont procédé.
Qui sait, ils seront peut-être choisis un jour pour embellir un salon ministériel. Que l’art contemporain redonne leurs lettres de noblesse à des meubles qui ont perdu leur intérêt patrimonial est une approche innovante et originale qui permet de préserver ce mobilier tout en s’inscrivant dans l’ère du temps avec une volonté de réutiliser l’existant.
Pour l’anecdote, l’idée de la première exposition a germé sur les trottoirs parisiens en tombant sur une commode Louis XVI sans valeur historique abandonnée dans la rue et attendant d’être récupérée par les encombrants. Yves Badetz, ancien inspecteur au Mobilier national et conservateur au musée d'Orsay, prend conscience du rejet dont sont victimes les meubles anciens de familles.
Il songe à l’impact écologique qu’ils pourraient avoir  …s’ils étaient réutilisés puisque les remplacer par du neuf implique de couper des arbres ou de polluer les rivières italiennes pour produire du marbre. Souvent robustes, on ne leur reproche que leur style un peu "vieillot".

samedi 18 novembre 2023

La passion de Dodin Bouffant, le film de Tran Anh Hung

Par chance il me restait une portion … de pot-au-feu et j’ai pu satisfaire ma fringale en rentrant du cinéma. La passion de Dodin Bouffant ne m’a pas … passionnée, hélas.

Je ne comprends pas que ce film ait reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. J’ai vu un documentaire, d’ailleurs bien fait, et je pourrais énumérer chacun des ustensiles, plats de cuisson (comme la si caractéristique turbotière en cuivre que j’avais vue chez Mauviel 1830, qui reste la seule entreprise française encore capable de produire aujourd’hui) ou de service (je me suis réjouie de voir à l’honneur un cul noir comme celui dont j’ai hérité de ma mère et qui est en photo ci-contre) avec de bons, voire très bons acteurs (en particulier évidemment Juliette Binoche et Benoit Magimel), mais pas un film.

On ne pourra pas dire que le duo n’est pas crédible. Juliette et Benoit furent considérés, il y a presque 25 ans, comme formant un couple magnifique. Ils étaient alors Georges et Alfred de Musset dans Les enfants du siècle de Diane Kurys (1999). Ils ont eu une fille, Hannah (née en 1999), mais ils se sont séparés en 2003. 

Ce qui est formidable, je le reconnais bien volontiers, c’est que pour une fois le tablier de la cuisinière ne sort pas du pressing. Ses mains sont en action et il faut admettre qu’elle s’y connait, au moins a minima. 

Mais quelle torture de voir tous ces plats nous passer sous le nez. J’espère que le jury des Oscars sera magnifiquement masochiste sinon c’est la statuette qui va passer sous le nez du réalisateur qui avoue volontiers ne pas savoir cuisiner. Si le contraire avait été vrai il n’aurait sans doute pas choisi d’adapter l’historie d’un cuisinier qui n’a jamais existé. C’est un personnage fictif, imaginé par l’historien Marcel Rouff en s’inspirant d’authentiques grands noms de la gastronomie française comme Brillat-Savarin, at qui a écrit le roman "La vie et la passion de Dodin Bouffant, gourmet",

La trame de l’histoire n’est d’ailleurs pas respectée car la cuisinière Eugénie disparait dès le premier chapitre, et est remplacée par une paysanne que le metteur en scène ne fait apparaitre que dans le dernier tiers du film, de manière à développer la relation amoureuse entre Dodin et Eugénie. C’est ce qu’on appelle en cuisine, une revisite.

Comble de l’affaire, je n’ai pas glané le moindre conseil culinaire. Pierre Gagnaire que je respecte infiniment, et qui a sans doute été un excellent auxiliaire sur le film, fait une apparition grotesque. On lui fait lire un menu, engoncé dans un ridicule costume de pâtissier et coiffé de la toque de Maurice Carême. Il ne fait aucun doute qu’il n’a aucun talent pour la lecture, et encore moins pour le métier d’acteur. Si encore il avait été devant un fourneau on aurait compris.

Bref, je me suis royalement ennuyée, pressée d’arriver au bout de ces ripailles qui me soulevaient le coeur. Lorsque la caméra a fait deux fois (oui deux fois, pulvérisant le record de Claude Lelouch) le tour de l’immense cuisine seigneuriale j’ai su que j’allais enfin être autorisée à me lever de table, malheureuse qu'au long de ces 2 heures 15 de belles images je n’ai pas ressenti l’émotion qui m’avait gagnée avec L’odeur de la papaye verte, du même réalisateur Tran Anh Hung.

Le comité de sélection des films présentés aux Oscars a écarté deux longs-métrages exceptionnels, Le Règne animal et Anatomie d’une chute, croyant sûrement donner davantage sa chance à la France avec cette Passion qui en rappelle une autre, celle d’une femme dans Le festin de Babette qui reçut l’Oscar du meilleur film étranger en 1987. Mais celui-là avait un scénario … écrit d’après une nouvelle de Karen Blixen.

Je me suis retenue de quitter la salle au moment de la scène de "dégustation" des ortolans, dont on ne voit pas les convives s’empiffrer, sans doute parce que Pierre Gagnaire a fait une mise en garde de l’interdiction de consommer ces oiseaux protégés. Je connais des chefs qui servent ce mets délicat dans le plus grand secret aux grands de ce monde, soit-disant garants du respect des lois.

Vous retiendrez malgré tout cette affirmation juste du cuisinier jouant au pédagogue : il faut de la culture, de la mémoire pour que le goût se forme. Je dirais qu’il faut surtout goûter et regoûter, suivant la recommandation que j’ai entendue d’un autre chef étoilé, Guy Martin, propriétaire du grand Véfour, il faut avoir gouté au moins seize fois avant d’affirmer qu’on n’aime pas (tel ou tel produit). 

Pour ceux qui voudraient une recette de pot-au-feu réaliste (car celui du chef étoilé exige une tranche de foie gras frais) suivez le lien. Et pour les autres, qui ont pu être choqué par mon emploi du terme de cul noir, il désigne un plat de service épais et par conséquent lourd, dont le fonds est recouvert d'un émail brun foncé obtenu grâce à l'oxyde de manganèse choisi pour la robustesse qu'il procure à la pièce mais aussi pour la modicité de son prix.

L’aspect de cette faïence est généralement grossier parce qu’on utilise de l’argile d'un blanc grisâtre qui se craquelle. Quant à la décoration, elle est souvent naïve, réduite à l’essentiel pour connoter un univers campagnard et humble, ce qui confère un charme rustique à ce plat qui s’accorde très bien avec un pot-au-feu.

La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung
Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Pierre Gagnaire …
D'après le roman de Marcel Rouff, paru en 1924, La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet, aux éditions Menu Fretin
En salles le 8 novembre
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Article illustré par la photographie d’un pot-au-feu (recette à venir prochainement) associé en toute modération avec la cuvée anniversaire d’un Pessac Leognan Rouge Chateau de France 2021.
Les vignes de Cabernet Sauvignon puisent leurs ressources dans un terroir de Graves très profondes, parfois sur un sous-sol argilo calcaire. Les raisons sont récoltés manuellement. La vinification s'effectue pendant 7 à 10 jours de fermentation, puis 3 à 4 semaines de macération en cuves de 130 hl et 85 hl. La fermentation malo-lactique a lieu en cuves et l’élevage se poursuit en Barriques neuves (30%) et de un vin pendant 12 mois. Une légère filtration est réalisée avant la mise en bouteille.
La Robe est rubis profond. Le Nez intense fait immédiatement penser à des fruits rouges (cassis, myrtilles, cerises) et au pain d’épices. En bouche, le vin est sans surprise épicé et réglissé. Ses tanins sont élégants. Les arômes boisés sont très fins, avec une note fumée en finale et une très belle longueur.
C’est un vin de grande garde que les connaisseurs dégustent sur des viandes grillées ou rôties, au cours d’un repas qui se termine avec une poire au vin et aux épices.
Pourtant il confère une noblesse certaine à un plat rustique comme le pot-au-feu, pourvu que les viandes soient savoureuses et que les légumes ne soient pas surcuits.
Château de France, 98 avenue de Mont de Marsan, 33850 Léognan-Gironde,
contact@chateau-de-france.com

vendredi 17 novembre 2023

Allosaurus (même rue, même cabine) de Jean-Christophe Dollé

Je ne sais pas si on peut dire qu’on a tous un souvenir très fort lié à un épisode de notre vie dans lequel une cabine téléphonique (ou son absence) aura joué un rôle essentiel, un de ces trucs où on sait que notre avenir est en bascule. En tout cas j’en ai, très précis, et je pourrais les raconter en détail, jusqu’à la température qui régnait à ce moment là ou le vêtement que je portais.

Alors, forcément, un spectacle qui se déroule sur une placette où se dresse une cabine téléphonique, ça me parle. Mais, même si vous avez moins de trente ans vous comprendrez immédiatement les limites et paradoxalement l’espace de liberté que cet endroit clos de moins de un mètre carré a pu apporter à ses usagers, mot qu’on employait alors pour désigner les clients d’un service public, donc accessible à tous, pourvu que la cabine soit en état de fonctionnement évidemment, mais ceci est une autre histoire.

Que vous ayez donc utilisé ou pas cet objet vous saisirez très vite les enjeux d’Allosaurus. Le titre est une double allusion à la préhistoire par le suffixe (saurus) qui connote l’époque des dinosaures et le préfixe (allo) qui théoriquement signifie ce qui est étranger (allopathie, allophone, qui parle une autre langue). Ce n’est qu’au moment d’écrire cette chronique que je réalise que cela renvoie aussi, et sans doute de manière évidente pour les concepteurs du spectacle à ce petit mot chargé d’instaurer la fonction pratique de la conversation : allo, j’écoute …

D’ailleurs ne croyez pas que c'est une déformation du hello que les anglais emploient pour se saluer, ou du allo qu'utilisent les allemands et les québécois en guise de bonjour, au-revoir et salut. On fait "allo" en décrochant le combiné tandis que les Italiens disent "pronto", les Japonais "moshi moshi" et les Espagnols "diga".

Cela signifie j'écoute en hongrois (plus précisément Hallo) ce qui nous renvoie à l'invention du entral téléphonique par le hongrois Tivadar Puskas en avril 1877.

Ce spectacle est intéressant à plusieurs titres, et au-delà du sien, de titre. Il porte tout ce qui fait le tissu des relations humaines et des émotions. On en parle comme d’un spectacle immersif mais je n’irai pas jusque là parce que les spectateurs qui entrent en scène ont été retenus avant et qu’ils savent parfaitement ce qu’ils ont à faire. L’effet de surprise n’est pas de leur côté mais du nôtre. Dans un véritable théâtre immersif on laisse une part au hasard alors qu’ici tout est sous contrôle, mais sans le montrer.
Lou, Had et Tadz ne se connaissent pas. Nous découvrirons leurs histoires, ce qui les anime et leur soif d’absolu au gré des coups de fil qu’ils passeront dans la cabine téléphonique. Se dévoilant dans la solitude de ce confessionnal à ciel ouvert, hermétique aux oreilles du monde, ils vont pouvoir à leur manière aimer jusqu’à en devenir fous. Les trois fil de leurs confessions se dérouleront en un conte moderne, poétique et surréaliste. qui les fera cheminer les uns vers les autres sans qu'ils l'aient prévu. 
Les existences des trois personnages principaux, bien distincts au départ, vont se croiser et se recroiser. La cabine qui est un sas de solitude va devenir un lieu de réparation et de construction d’un avenir commun, On assiste à cette évolution de la même manière que l’on voit la musique s’élaborer sous nos yeux.

Il ne s’agit pas d’un spectacle historique sur une étape de l’évolution des télécommunications mais bien d’une interrogation sur l'essence même de la communication, ses difficultés à être partagée malgré l’apparente facilité de la technologie, Il y a bien entendu quelques anciens trucs et astuces qui seront révélés ou rappelés comme l’opportunité de rappeler le dernier numéro en composant *0 (n’essayez pas avec un portable, vous aurez un échec d’appel).

La cabine était un lieu de rendez-vous, pas forcément programmés, mais il est vrai que les habitués finissaient par se reconnaître et parfois engager la conversation. C’était l’endroit de situations insolites, quiproquos … mais aussi et surtout de fortes émotions. On n’y venait pas juste pour bavarder, raconter sa journée, passer le temps comme on le fait de nos jours avec nos smartphones. Téléphoner n’était un acte anodin, et rarement quotidien. C’est cela que Allosaurus restitue très bien.

Le fil téléphonique relie les gens, parfois les étrangle, et n’est pas magique. On croit obtenir l’amour des autres en essayant de leur faire plaisir mais ça n’a rien à voir.

Allosaurus n’est pas un spectacle immersif dans le sens où je l’entends mais il ne laisse pas indifférent, loin de là. La dramaturgie est très élaborée avec un sens de la répétition qui prend un élan poétique et un final qui nous laisse sans voix.

jeudi 16 novembre 2023

Black Legends, le musical

Black Legends est une revue musicale destinée à tous les publics, regroupant 20 chanteurs, danseurs et musiciens sur un plateau où les instruments résonnent live : guitare, basse, batterie et cuivres. Si la musique est jouée en direct au moins certaines chansons sont interprétées en play-back, cela se voit à la manière d’articuler les paroles. Cela étant la performance physique est telle que je comprends tout à fait qu’il soit impossible de tenir aussi longtemps en dansant et en chantant, même en étant sonorisé.

Le spectacle est une grande fresque musicale qui est organisée de manière chronologique. Ce choix de mise en scène facilite la progression en se voulant historique même si parfois on devine quelques tentatives d’analyse.

Sur ce point, il me semble que la soirée aurait gagné en densité avec une dramaturgie qui aurait fait office d’analyse de la condition noire et de la manière dont la musique a participé à son émancipation. Elle aurait aussi permis d’instiller un peu de suspens. Une fois qu’on a compris qu’on va avancer dans le temps l’arrivée de chaque séquence ne présente pas de surprise puisqu’on connait l’évolution historique.

Néanmoins les danseurs sont exceptionnels et il faut complimenter les concepteurs des chorégraphies ainsi que les interprètes. La centaine de costumes et les accessoires ajoutent une dimension réaliste qui situe immédiatement la scène dans sa période de référence. Quant aux lumières elles sont également superbes avec des pinceaux qui dessinent des espaces précis. L’énergie de la troupe est remarquable et leur incursion parmi le public a déchainé les applaudissements. A plusieurs reprises leur dynamisme a entrainé les spectateurs à se lever et à danser, à chanter aussi et c’était très joyeux. Pour toutes ces raisons il a bien mérité leTrophée 2023 de la revue ou du spectacle musical et le Trophée 2023 du collectif de spectacle musical.

Il ne faut pas pour autant oublier le propos. Certes la musique afro-américaine est rythmée et enlevée mais elle s’appuie sur des faits qui sont très souvent tragiques, comme l’esclavage, les atrocités du Ku Klux Klan, l’application rigide et inhumaine de la ségrégation, la lutte pour les droits civiques, le rôle de Rosa Park, d’Angela Davis, de Malcom X, de Martin Luther King (dont il est bon d’entendre la propre voix s’élever pour dire qu’il a un rêve), l’assassinat de Kennedy, la bouffée d’espoir qui accompagna l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche … mais comment oublier la succession avec Trump et le racisme systémique américain ?

Certes on voit dans le dernier quart d'heure un groupe de femmes et d’hommes décliner leur profession (avocate, banquier, médecin, assistante sociale, astrophysicienne, patron de restaurant …) et le message est positif mais la condition des Noirs n’est pas brillante aux Etats-Unis, et beaucoup vivent encore dans des ghettos.

Si on considère Black Legends uniquement sous l’aspect musical alors par contre on peut dire que le résultat est à la hauteur de nos attentes. Quel plaisir de deviner dès les premières notes les morceaux qu’on aime tant (dommage malgré tout que les intitulés ne s’affichent pas sur un banc-titre) et de réentendre de grands standards comme (impossible de tous les citer) :

mercredi 15 novembre 2023

Le théorème de Marguerite, un film de Anna Novion

Ce n’est pas un des blockbusters du moment mais la sensibilité et l’intelligence avec laquelle Anna Novion a tourné ce film est à pointer et je ne suis pas étonnée qu’il ait été remarqué dans plusieurs festivals, Angoulême, Cannes bien sûr et en sélection offficielle, et Cabourg où il a obtenu le Grand prix du public. J’ai adoré, preuve que je peux encore m’enthousiasmer au cinéma malgré quelques récents coups de griffe.

C’est le troisième long-métrage de la réalisatrice franco-suédoise dont je me souviens parfaitement du premier, Les grandes personnes, avec Jean-Pierre Darroussin et Anaïs Demoustier, que j’avais découvert en 2007, juste avant la création du blog. Plus récemment, elle a réalisé plusieurs épisodes des saisons 4 et 5 de la série de Canal +, le Bureau des légendes.

L’avenir de Marguerite, brillante élève en Mathématiques à l’ENS, semble tout tracé. Seule fille de sa promo, elle termine une thèse qu’elle doit exposer devant un parterre de chercheurs. Le jour J, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. Marguerite décide de tout quitter pour tout recommencer.

Ce qui est intéressant, c’est qu’en tant que spectateur, on ne connait pas beaucoup le milieu des mathématiques et on n’irait pas vraiment spontanément voir un film qui traite de ce sujet. Il est a minima abordé dans À beautiful mind, peut-être aussi La machine de Turing, voilà tout.

La réalisatrice -qui n’est pas mathématicienne ni d’ailleurs joueuse de maj-jong- démontre qu’il peut y avoir de la poésie dans cet univers pourvu de le traiter avec sérieux mais sous l’angle de la comédie romantique, sans occulter le plaisir lié à l’activité de recherche en mathématiques, l’exigence scientifique, le dépassement de soi, la liberté de création, la confrontation aux autres, l’épanouissement personnel et humain, qui sont d’ailleurs des caractéristiques applicables aussi à son métier de réalisatrice.

Le film n’aurait pas pu se faire sans le concours d’Ariane Mézard, une brillante mathématicienne française, qui a coaché sa huitième doctorante, d’abord imaginaire. Il a donc fallu trouver un sujet de thèse, travailler la bibliographie, trouver un cheminement, défendre et présenter le théorème obtenu. C’est Anna Novion qui a suggéré la pyramide de Goldbach et elles ont travaillé trois ou quatre ans, le temps d’un doctorat. Anna a produit des idées de scénario qu’il fallait mettre "en mathématiques" un peu comme "en musique"  y compris instiller une erreur, ce qui fut très difficile à imaginer.

Ceci permit que les plans sur les écritures mathématiques soient tous exacts. On peut y reconnaître les intensités de blanc des craies, leur réflexion de la lumière, certaines formules ayant été "maquillées" pour devenir fluorescentes. Les équations que l’on voit dans le film sont belles comme des hiéroglyphes mais toutes authentiques, c’est Ariane Mézard qui s’y est engagée. La conjecture de Goldbach, que veut prouver Marguerite, est un problème qui n’a pas encore été résolu. Et ce qui est fou, c’est qu’Ariane a fait de vraies avancées sur le sujet en amont du tournage. Les mathématiciens qui, dans le futur, voudront démontrer Goldbach pourront voir le film et y trouver des éléments clé.

mardi 14 novembre 2023

Comment préparer le chou chinois

Je n’avais pas du tout l’habitude de consommer du chou chinois et je n’y pensais jamais.

Un jour je me suis retrouvée avec une brassée de feuilles destinées à être jetées et qui me semblaient tout à fait consommables.

Alors je me suis renseignée.

On peut bien entendu faire du kimchi avec ce chou. C’en est l’ingrédient indispensable. Mais je laisse aux spécialistes le soin de le préparer.

Sans aller jusque là, on peut déjà s’en régaler cru et en salade, avec de la vinaigrette … pourvu de l’avoir laissé tremper une quarantaine de minutes dans l’eau froide. Franchement on aurait tort de s’en priver car il ne réclame quasi aucun épluchage, juste d’être taillé au couteau en fines lamelles.
Il est également très bon cuit avec (beaucoup) d’ail et servi avec un hachis de fines herbes.
Si on veut « faire exotique » on peut l’associer à des travers de porc caramélisés et pourquoi pas ajouter quelques pommes de terre rôties.

lundi 13 novembre 2023

L’ abbé Pierre, une vie de combats, un film de Frédéric Tellier

Retracer l’essentiel de la vie de l’Abbé Pierre méritait bien un film de plus de deux heures. Ce que j’ai entre autres apprécié c’est qu’il ne se focalise pas seulement sur sa personne mais bien sur ses combats et qu’il n’oublie pas ceux sans qui il n’aurait pas pu réussir.
Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.
Je croyais bien connaitre cette histoire et pourtant comme beaucoup j'ignorais le rôle si fondamental joué par une femme, Lucie Coutaz et il était plus qu'important qu'on lui rende enfin hommage.

J'ai beaucoup apprécié que le réalisateur ne fasse pas un biopic à la distribution prestigieuse. Je n'ai pas reconnu d'emblée Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française. Il est vraiment l'abbé avant d'être lui-même et c'est une prestation formidable de le voir si bien vieillir sur plusieurs décennies. A la fin je voyais "vraiment" l'abbé Pierre, étant même persuadée d'assister à des images d'archives. Dans la séquence correspondant à l'année 2004 on ne reconnaît pas le comédien tant le maquillage (et le jeu aussi) est très bien réalisé. Nul doute qu'un tel exploit devrait être salué aux prochains Césars.

Pareillement pour Emmanuelle Bercot que je n'avais pas davantage reconnue. Elle est époustouflante de naturel. Du coup il est très agréable de voir un film d’époque qui permet d’y croire et non d'assister à la performance d'acteurs qui occupent l'écran.

Le film est très sombre au début, en toute logique car la France traverse la guerre. Les images seront dans cette même gamme chromatique à chaque fois que la situation dramatique le justifie. Le réalisateur n'hésite pas à flouter certains plans, ce qui nous oblige parfois à cligner des yeux. On sentirait presque le froid percer nos vêtements. Il y a très peu de musiques additionnelles, à part quelques morceaux comme La java bleue. Bref, vous aurez compris que Frédéric Tellier nous propose un objet dans lequel on pénètre comme dans un documentaire.

D'une part il porte à notre connaissance des éléments de biographie de cet homme que l'on ignore, comme ses origines sociales (que l'on pensait modestes même si ce n'est évidemment pas un défaut d'être né dans la richesse), le fait qu'il ne réussit pas à s'imposer chez les Capucins, comme son rôle pendant la Seconde Guerre Mondiale et notamment en Maurienne, consistant essentiellement à apporter du cyanure à des personnes qui vont mourir, son changement d'identité, ses difficultés à assumer sa position de député,  sa surconsommation d’amphétamines et les problèmes de santé liés aussi au manque de sommeil, son accident en Juillet 63 dans un naufrage (et qui faillit lui couter la vie) …

Il nous présente ses traits de caractères qui eux ont davantage été médiatisés mais qui restent indispensables pour comprendre son cheminement.

dimanche 12 novembre 2023

Alfred et Violetta par le Théâtre Gabriadze à La Scala

Je n’ai pas voulu manquer le retour en France de la merveilleuse troupe de théâtre de marionnettes fondée en 1981 par Rezo Gabriadze, scénariste, réalisateur, peintre et sculpteur.

Bien que de taille modeste (la salle ne peut accueillir que 80 personnes), le Gabriadze Theater de Tbilissi (Géorgie) fait partie des institutions culturelles les plus importantes au monde. 

Rezo Gabriadze est donc une des figures majeures du théâtre européen. Avant de disparaître en 2021, il a entièrement renouvelé la forme de son premier spectacle, Alfred et Violetta, librement inspiré de La Traviata.
C'est son fils Leo,  producteur créatif du Gabriadze Theater depuis plus de quinze ans qui introduit le spectacle. Sur son impulsion, quatre spectacles ont été montés, des dizaines de tournées ont été organisées et le théâtre a participé à des festivals de premier plan. En 2012, il a organisé l'exposition de Rezo Gabriadze au Musée Pouchkine, puis est devenu directeur artistique du Théâtre Gabriadze en 2019. C'est lui qui a mis en scène Alfredo et Violetta en 2021 (et Le Diamant du maréchal de Pant'e en 2023) selon une nouvelle adaptation dont la première mondiale a eu lieu au théâtre Goldoni de Venise, en février 2022. Et depuis, le spectacle tourne en Europe.

Nouveaux décors, nouveaux personnages, nouvelles musiques, nouvelles lumières, c’est une pièce aussi émouvante que saisissante que le fils livre en héritage de son père avec une émotion visible. Il a respecté la trame de la fameuse histoire imaginée par Alexandre Dumas et orchestrée par Verdi en suivant la transposition imaginée par son père pour situer l'action à Tbilissi, la capitale géorgienne, en 1991, donc en pleine guerre civile, puis ensuite à Milan, Venise, Rome, Khashuri, Abastumani et Dighomi.

Tout est beau, extrêmement minutieux, à commencer par le rideau de scène, et la manipulation est d'une précision et d'une harmonie exemplaires qui permettent aux marionnettes de prendre vie. Mon seul regret, bien que j'étais assise dans les premiers rangs, fut de m'apercevoir après le spectacle que l'on pouvait disposer de jumelles. J'aurais adoré percevoir les détails qui, déjà de loin, semblait d'une grande précision. Vous voilà prévenus.

samedi 11 novembre 2023

Le jour et l'heure de Carole Fives

J’ai choisi ce livre à la bibliothèque uniquement sur le nom de l’auteure sans rien savoir du sujet. Je n’ai pas lu la quatrième de couverture et pour une fois ma chronique ne dira rien du sujet, si ce n’est que ce matin, alors que je commençais mon petit déjeuner, j’avais compris dès la première ligne de la page 13 (seulement la cinquième page de texte) où Carole Fives allait m’emmener. 

J’aurais pu interrompre ma lecture. J’avais des urgences à régler et pas besoin d'un prétexte fallacieux pour arrêter. Mais je n’ai pas lâché, me disant que si je n’étais pas distraite ou dérangée par un coup de fil intempestif j’aurais achevé le voyage avant midi. Pas question de remettre la fin à ce soir. 

Le jour et l'heure est un roman choral qui permet de suivre la même scène en changeant de focale. Le thème (dont je ne dirais rien) est admettons "difficile" mais il y a tant d'humour que j'ai franchement souvent éclaté de rire, notamment au moment de la scène de photographie au Polaroïd, quoique la partie de pitch and putt en Ecosse ne soit pas triste non plus.

Je ne vous donnerai qu'une citation, universelle : J’ai compris qu’on n’arrive à rien tout seul (p. 31).

L'éditeur aurait pu choisir le vert de l'espérance pour la couverture mais je ne vois rien d'autre à reprocher à ce roman dont l'écriture était nécessaire, tout autant d'ailleurs que Tenir jusqu'à l'aube que je recommande également.

Le jour et l'heure de Carole Fives, Editions Jean-Claude Lattès, en librairie depuis le 23 août 2023

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