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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 25 novembre 2024

Pauline & Carton avec Christine Murillo

Elle arrive fringante, malicieuse, se réjouissant d’une salle comble, faisant sa révérence, un carton (mystère ?) à la main.

Elle va comme on dit, passer à table, c’est à dire nous offrir ses confidences. La table en question n’est pas très solide mais elle tient. A l’image de cette comédienne d’exception.

Et en terme de décor on ne pouvait pas imaginer plus simple ni plus léger que cet équipement de camping. Ne dit-on pas que les comédiens sont des saltimbanques ?

Je suis heureuse de passer cette soirée de dernière avec elle. J'avais affirmé que je viendrais, pas seulement à la comédienne, je me l’étais promis aussi à moi-même mais les mois ont passé et je n’avais pas trouvé de créneau. Mon excuse était que ça n’était pas tous les soirs à l’affiche.

La servante l'accompagne sur la scène. Cette lampe n'est allumée que lorsque les acteurs ont quitté la scène et permet à ceux qui travaillent la nuit de se diriger sans risquer de se faire mal. Elle a la réputation d'éloigner les fantômes. Il n'y a pas à en craindre ce soir alors Christine Murillo l'éteint en s'exclamant : Ah bon Dieu que je suis contente ! Est-elle encore Christine ou déjà Pauline ? Nous entrons de plain-pied dans ses souvenirs et peu nous importe qu'elle péclote côté mémoire.

Elle va régulièrement chercher le mot juste ou jouer à faire semblant. Quand elle butera sur ancillaire je ne suis pas certaine que tout le monde aura compris comme moi qu’elle faisait allusion aux servantes (les domestiques) qu’elle a interprétées si souvent. Toute la soirée elle va nous mener en bateau en faisant semblant de masquer ses pseudos trous de mémoire. Parfois certains spectateurs riront à retardement par exemple lorsqu'elle confondra engrais et anglais. Quelle saveur que ses inventions comme avoir la langue enfouifouinée.

Elle extirpe une brosse et deux barrettes de son carton fourre-tout et soupire qu'avant elle avait le visage lisse et portait des jupes plissées. Les lunettes posées sur un carnet de confessions, elle est devenue Pauline Carton (1884-1974). Elle nous apprend avoir gardé ce nom qui lui avait porté chance puisque c'était celui de son premier rôle, dans la pièce de Pierre Wolff, Le Ruisseau, en 1904. Elle était parvenue à se faire engager alors qu'elle n'avait aucune expérience et elle accepta de ne recevoir aucune rémunération tant le plaisir d'être sur scène la récompensait suffisamment.

Je ne suis pas sûre que Pauline Aimée Biarez aurait fait la même carrière que cette femme au caractère bien trempé qui démontre qu'il n'était pas nécessaire de coucher pour avoir un rôle. Son argumentation est implacable et drôle : elle incite à diviser le nombre de comédiennes (212 000) par celui de directeurs de salles (50 à 60 hommes) pour conclure que si c'était vrai ils auraient tous une vie de martyre.

Une idée en enchaine une autre. Elle adorait la tirade des "non merci" écrire par Edmond Rostand pour Cyrano (Acte II, scène 8). Je l'aime beaucoup également et je vous en sers de petits extraits :

Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ? Non, merci. (…)
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?… Non, merci. (…)
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! (…)
Travailler à se construire un nom. Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! (…) Non, merci ! non, merci ! non, merci !
Mais… chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre, (…)
Travailler sans souci de gloire ou de fortune, (…)
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! (…)
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

Cette dernière phrase est un bijou. Il faut l'entendre aussi nous dire La retraite de Russie de Victor Hugo en zézeyant. Le titre du poème est L'expiation et elle le maitrise à la perfection. Mais comment fait-elle çà ? Le public, ravi, applaudit.

Il battra des mains à chaque performance. Il faut dire qu'elle imite à la perfection Elviro Popesco, Danièle Gilbert et Michel Simon. C'est un émerveillement de l'entendre chanter que ce soit Par le trou, avec espièglerie, ou Bourvil avec tendresse, ou encore Sous les palétuviers, une chanson qu'elle interpréta en duo en 1934 avec le chanteur d'opérette René Koval au Théâtre des Variétés, pas très loin de la Scala. Elle se moque de Julien Clerc pour qui ils dorment sous le vent de la Californie.

Elle se moque de ses semblables qui lui demandait s'il était bien vrai que Fernandel (qui avait interprété six fois Don Camillo au cinéma) était entré dans les ordres. elle avoue un faible pour les forts (c'est le titre du premier album qu'elle enregistra en 1972), aimer le roman noir, Eddie Constantine (quand il chantait Cigarettes whisky et p’tites pépées). Mais plus que tout c'est le théâtre qu'elle aime avec ses incohérences, sa poussière, ses émotions et ses potins.

Elle évoque Jean Cocteau, Jean Marais et bien sûr Sacha Guitry qui la fit tourner dans une vingtaine de films (elle jouera dans plus de 250 films). On pourrait l'écouter jusqu'au bout de la nuit dérouler ses anecdotes, parfois à demi-mots. Tout est symbolique dans les rares objets qu'elle a glissé dans son carton, à commencer par le bouquet de violettes, en hommage au grand et sans doute unique amour de sa vie, le poète et écrivain genevois Jean Violette avec qui elle fut liée cinquante ans.

Il faut bien finir. On la voit à regret refourguer son tintouin dans le carton. On peut dire qu'elle a fait un carton dans cette Piccola Scala qu'elle remercie sans se risquer à donner la longue liste de tous ceux qu'elle voudrait honorer en rallumant la servante.
Très inspirée elle a composé juste avant de descendre sur la scène, une improvisation sur l'air de la Java bleue, devenue La Scala bleue, qui colle tout à fait à la situation. Nous avons du mal à accepter que la série soit terminée.
Christine Murillo, déjà riche de 4 Molière, a amplement mérité le Prix du brigadier pour cette création et on espère la voir très vite dans un nouveau spectacle.
Pauline & Carton
Adaptation Virginie Berling, Christine Murillo, Charles Tordjman
Mise en scène Charles Tordjman.
Avec Christine Murillo.
A La Scala Paris (La Piccola Scala), boulevard de Strasbourg - 75010 Paris
Dernière représentation le 25 novembre 2024

dimanche 24 novembre 2024

La Promesse de l’art de Patrice Trigano

Il est lourd mais pas pesant. Savant mais pas pédant. Précis mais accessible. Riche mais simple. Autobiographique mais pas nombriliste.

La Promesse de l’art est une invitation que nous fait Patrice Trigano à partager ses passions, du moins beaucoup d’entre elles, car je ne suis pas certaine qu’il ait épuisé les confidences qu’il excelle à distribuer.

Né en 1947, il a arpenté la scène de l'art et observé les artistes comme nul autre et c'est avec son regard que nous allons nous approcher de ceux qui ont représenté la scène artistique dans la deuxième moitié du XX° siècle. Il a obtenu le prix littéraire Drouot pour La Canne de Saint-Patrick en 2010.

Il se penche sur les grands moments de sa carrière de galeriste débutée en 1973, raconte ses réussites, ses craintes, ses doutes, ses échecs, et fait revivre les moments d’exception passés aux côtés des artistes qu’il a exposés et admirés : César, Mathieu, Matta, Hartung, Schneider, Zao Wou-Ki, Michaux, Chu Teh-Chun, Masson, Hélion, Clergue, Hiquily… et point n'est besoin d'être soi-même spécialiste pour apprécier ses confidences.

Les chapitres se découvrent l’un après l’autre à moins que, comme moi, vous ne résistiez pas à chercher dans la table des matières à propos de quel grand nom de la peinture ou de la sculpture vous avez envie d’entendre le point de vue du galeriste. Ou encore scruter dans l’index des noms quelques-uns que vous pourriez avoir approchés de près.

Je me suis ainsi réjouie d’apprendre tout le bien que Patrice Trigano pensait du festival d’Avignon, le in bien entendu dont il cite la formidable mise en scène du désormais célébrissime Thomas Jolly pour Thyeste mais aussi le off avec William Mesguisch dont il salue l’interprétation magistrale qu’il a faite avec Nathalie Lucas de la pièce Artaud Passion qu’il a lui-même écrite, une histoire librement inspirée de la rencontre de la jeune Florence Loeb, fille du galeriste Pierre Loeb avec le poète Antonin Artaud après ses neuf années d’internement (p. 569). Je ne serais pas étonnée qu’elle soit reprise dans le théâtre des Gémaux parisiens que la comédienne vient de reprendre avec Serge Paumier.

J'ai beaucoup aimé le chapitre consacré à Daniel Buren (p. 111), que j'ai eu l'honneur de côtoyer alors qu'il donnait ses ordres à une équipe de 7 assistants en combinaison blanche de coller, positionner, puis à la fin de déchirer. Cette oeuvre renvoyait le spectateur à lui-même, et le public de La Piscine de Châtenay-Malabry avait suivi, une heure durant, comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre, une chorégraphie dont personne sauf (peut-être) l'artiste ne maitrisait pas les codes mais qui nous enchantait. 
Il ne sera jamais rassasié et nous fait la confidence que l'insatisfaction lui donne des ailes (p. 23). Est-ce une raison supplémentaire pour avoir choisi comme couverture le tableau de Magritte intitulé La promesse ? Par fidélité aussi puisque c'est le premier artiste avec lequel il a correspondu, en 1967.

Quelques séries de photos en noir et blanc, pratiquement toutes prises sur le vif, sont une autre forme de témoignages.

Patrice Trigano connait quasiment tous les grands artistes de notre époque. Jusqu'à Robert Tatin dont il a bien entendu visité la propriété fantastique de Cossé-le-Vivien (p. 474), et sa Maison des champs qui m'a charmée autant que l'Allée des Géants a pu me stupéfier.
Ne manquez pas de vous promener dans ce musée à ciel ouvert qui est chaque année le cadre d'un spectacle du festival Les Nuits de la Mayenne.

Ce livre est presque un dialogue tant on a le sentiment que Patrice s’est installé dans le fauteuil d’à côté pour nous livrer ses souvenirs.

Galeriste, écrivain, homme de théâtre, il est l'auteur de nombreux livres qui, tous, mettent en lumière la relation passionnée de l'auteur avec la création sous toutes ses formes. Je rappelle d'ailleurs que j'avais lu de lui L’amour égorgé que je recommandais de lire, et relire …

La Promesse de l’art, Mémoire d’un galeriste de Patrice Trigano, aux Editions du Canoë, en librairie depuis le 1er novembre 2024

samedi 23 novembre 2024

5e édition du Salon du Livre Merveilleux chatenaisien

La 5e édition du Salon du Livre Merveilleux a invité aujourd'hui samedi 23 novembre 2024 les lecteurs à se plonger dans un univers riche et foisonnant sur le thème du rêve, en participant à de nombreuses animations, spectacles, ateliers, à rencontrer de nombreux auteurs et découvrir de 10h à 18h30 des éditeurs atypiques à la Médiathèque (7-9 rue des Vallées) où le salon se déroulait physiquement pour la première fois.

L'équipe a fait preuve d'une fougue insensée en consacrant un an à plier les origamis qui décoraient l'espace. Le résultat est si élégant qu'on espère qu'ils resteront en place le plus longtemps possible.

Pour la première fois la Ville a offert un "Chèque Merveilleux" de 10 € qui avait été envoyé aux parents des écoliers du CP au CM2 début novembre pour permettre aux écoliers de choisir un livre ou un ouvrage disponible sur le stand de la librairie châtenaisienne l’Îlot Livres ou plus tard à la libraire – 56 bis rue Jean Longuet – du 24 novembre au 22 décembre 2024.

Le programme était foisonnant et je ne suis pas étonnée du succès avec 1600 visiteurs.

Côté libraires il y avait L’Îlot Livres et Les Pêcheurs d’étoiles de Fontenay-aux-Roses.

Une vingtaine d'animations variées et de grande qualité ont été organisés de manière à toucher tous les publics. Quatre spectacles complétaient le dispositif. Evidemment il était impossible de tout suivre.

J'ai assisté -de 17 à 18 h 30- à la Lecture musicale de Carole Martinez qui fut un moment de pure magie et davantage un spectacle qu'une lecture. Il mériterait totalement d'être à l'affiche d'une petite salle parisienne comme par exemple le Poche Montparnasse.

D'abord parce que l'auteure a été comédienne et interprète donc admirablement les dialogues de son livre. Nous avons été plongés dans l'atmosphère des roses fauves (2020), un roman écrit en prolongement de l'immense succès de son premier ouvrage, Le coeur cousu, publié en février 2007 et qui a reçu neuf prix littéraires, dont le Prix Renaudot des lycéens 2007. 

La musique de Cristóbal Corbel accompagnait à merveille ce moment puisque le récit fait référence à des coutumes espagnoles. Je reviendrai bientôt sur le travail de ce guitariste aux compositions originales, capable tout autant de jouer en solo que d'accompagner la danse ou le chant. Il se produit seul et fait également partie des compagnies flamenco de Eva Luisa, Paco el Lobo et de Carlos Ruiz. Il vient de sortir l'album "Poema de Luna".
Ce soir sa musique était un dialogue unissant les mots de Carole Martinez comme les pas de la danseuse de flamenco Karine Herrou Gonzalez qui vit son art comme une respiration. Si vous l'avez vue sur la scène de Culture Box en janvier dernier vous pourrez mesurer la chance que nous avons eue de la voir danser.

Cette artiste a été danseuse classique et pianiste, spécialiste de littérature espagnole et de lettres classiques avant de se former à Séville et à Madrid pour devenir danseuse de flamenco. Elle a intégré la compagnie madrilène d’Antonio Reyes, s'est produit sur de multiples scènes en France et à l’étranger, a été invitée à danser dans plusieurs films et spectacles de Tony Gatlif et a travaillé avec de nombreux musiciens reconnus. Son langage chorégraphique est tissé d’intime et d’épure, de corps-percussion et de corps- mouvement. Sa présence dans ce trio a été unanimement saluée.

Carole Martinez est une auteure que j'aime beaucoup. En 2011, Du domaine des murmures a été récompensé par le Goncourt des lycéens et le prix Marcel Aymé décerné par le conseil régional de Franche-Comté. L'adaptation théâtrale que j'ai vue récemment au Lucernaire était prodigieuse. Et j'ajoute que son dernier roman Dors ton sommeil de brute est en lice pour le Prix du roman d'Antony. Autant dire que je reparlerai bientôt de Carole.
L'édition a été présente au cours de la journée avec :
• Les Argonautes. Maison d’édition indépendante, spécialisée en littérature européenne, fondée par Katharina Loix van Hooff en 2021. Emblématique de l’histoire et de la culture d’un pays, d’une ville, d’une région de l’Europe, chaque publication est pensée comme un événement.
• Kiléma. Maison d’édition indépendante dédiée au Facile à lire et à comprendre (FALC). Développé dans un premier temps pour les personnes présentant des troubles du développement intellectuel, le FALC s’étend à d’autres publics comme les lecteurs DYS ou TDAH, les personnes allophones, les personnes en situation d’illettrisme, les personnes vieillissantes ou encore les personnes sourdes.
• Les Éditions du Ricochet. Reconnues pour la qualité éditoriale de leurs albums documentaires, ces éditions ont à cœur de nourrir la curiosité, d’émerveiller et de mettre la connaissance scientifique à la portée de tous.
• Tom Pousse. Les éditions Tom Pousse se consacrent à la publication d’ouvrages destinés à aider les élèves ayant des difficultés scolaires, troubles des apprentissages, troubles DYS, TSA, TDAH et HP. Dans une démarche inclusive, Tom Pousse accompagne désormais les ados dans la lecture grâce à AdoDys, une collection de fictions.
• Les éditions du Panseur, créées en 2019, qui publient de la littérature contemporaine francophone. Dénicheur de nouveaux talents, le Panseur ne se refuse aucun registre littéraire pour le plus grand plaisir des lecteurs.
Des associations avaient répondu à l'appel comme Lire et Faire lire, si active dans les écoles de la commune, et Action éducation qui encourage le développement par l’éducation, en ciblant particulièrement les populations les plus vulnérables.

La Maison de Chateaubriand présentait l’exposition Atala 1801, voyage au coeur d’un roman. Il y avait aussi Doux Rêveurs, d’après l’album d’Isabelle Simler pour permettre aux enfants une immersion et un parcours sensoriel dans l’univers du livre. À partir de 3 ans. Mon petit point m’a dit, par la Maison d’édition Mes mains en or. À la découverte du braille. Et Manga Rakugo, par la Maison d’édition Ki-OOn en lien avec le spectacle Histoires tombées d’un éventail.
Outre Carole Martinez de nombreux auteurs et autrices sont venus tout au long de la journée pour dédicacer leurs ouvrages :
Véronique Foz, l’une des douze lauréat(e)s du concours Émergences de 2020. Sa nouvelle paraît peu après sous le titre Un éléphant dans un chapeau aux éditions Motus (album à partir de 5 ans).
Anouk Faure récompensée par le Grand Prix de l’Imaginaire 2024 pour son travail d’illustratrice sur le roman Les Trois Malla-Moulgars (éditions Callidor). ux saveurs d’océan.
Bertand Runtz, photographe, et alterne nouvelles et romans, avec une prédilection affirmée pour la forme courte, par exemple, Il faudra bien redescendre… (2024)
Estelle Faye qui a reçu une vingtaine de prix littéraires dans le domaine du roman noir pour adolescents ou du Young Adult revisitant les mythes grecs.
Gwen Guilyn, formée à la littérature anglophone, inspirée d’univers tels que ceux d’Edgar Allan Poe, ou encore Faulkner. Elle explore les dynamiques familiales à travers des univers gothiques et mouvants, proches du réalisme magique.
Gwendoline Simon, créatrice d’image animée par l’amour du manga.
Janis Jonevs sur le stand Les Argonautes
Laureen Bouyssou qui a déjà publié une soixantaine de livres et de jeux pour la jeunesse et qui écrit aussi des articles d’histoire et de science pour les hors-séries du magazine Sciences et Avenir.
Malika Doray qui a développé son goût de l’observation des rapports humains au cours de ses études en ethnologie, et qui s'adresse aux tout-petits en évoquant pour eux tous les sujets dans la douceur ou la bonne humeur.
Sandrine Garbuglia, auteure et metteuse en scène qui a collecté au Japon auprès des maîtres japonais de la parole leurs histoires méconnues du public francophone.
Siècle Vaelban autrice de romans jeunesse.
• Tristan-Frédéric Moir, auteur, psychanalyste, onirothérapeute, onirologue et spécialiste du langage du rêve.
Le merveilleux était aussi vivant à travers les compositions végétales et florales des travailleurs de l'atelier décoration florale de l'ESAT VIVRE installé 12 avenue des Fusillés à Chatenay-Malabry.

Rendez-vous est d'ores et déjà pris pour la prochaine édition qui aura lieu dans deux ans.

vendredi 22 novembre 2024

Le flan pâtissier de Grégory Cohen

Je ne sais plus comment elle m’est arrivée entre les mains. Considérant que réussir un flan relève de l’art, à moins d’employer de la poudre à flan (mais avec le risque d’avoir un appareil quasi “collé“ et donc absolument pas agréable en bouche) je m’étais juré d’avoir le cran d’essayer la formule mise au point par Grégory Cohen, que j’ai rencontré il y a quelques jours à l‘inauguration de son nouveau concept de restaurant One Place.

Par honnêteté intellectuelle je mettrai à la fin les proportions conseillées par le chef. Sachez que j’ai diminué un peu la quantité de sucre, la réduisant à 200 grammes, que n’ayant pas de crème liquide j’ai utilisé la même quantité de crème, mais sous forme allégée à 15%, et que faute de fécule de pomme de terre j’ai substitué avec la maïzena. Enfin je n’ai pas réservé au congélateur (trop petit) mais au réfrigérateur ou sur le balcon où la température voisine de zéro était une alliée.

Il faut croire que l’essentiel est dans la mise en oeuvre de la recette (que j’ai par contre suivie à la lettre) puisque le résultat a été tout simplement excellent, comme je n’osais l’espérer. Et il s'est bien accordé à un vin AOP Coteau du Vendomois.

La mise en oeuvre :
- Fouetter un œuf et six jaunes avec le sucre et la maïzena (j’ai utilisé le bras K de mon robot pâtissier)
- Pendant ce temps foncer la pâte dans le moule rond à bord haut et réserver au froid
- Parallèlement, faire chauffer le lait, la crème et la vanille
- Verser ce mélange chaud, mais pas forcément bouillant en 3 fois sur les œufs en continuant de battre
- Mettre la préparation 8 minutes à feu doux, sans cesser de fouetter : la crème ne doit pas attacher
- Laisser la préparation refroidir hors du feu, quitte à la transvaser dans un plat froid
- La verser une fois refroidie sur la pâte, puis mettre le moule 15 minutes environ au frais
- Enfourner 10 minutes à 240°C, puis 35 minutes à 180°C
- Laisser refroidir pour que le flan prenne
- Déguster à peine tiède
Les ingrédients de la recette d’origine :
1/2 litre de lait entier
25 cl de crème liquide
90 g de fécule de pomme de terre
6 jaunes d'œufs
1 œuf entier
220 g de sucre
De la vanille (j’ai pris de la vanille liquide)
Une pâte feuilletée (ou une pâte brisée)

jeudi 21 novembre 2024

Le syndrome de l’Orangerie de Grégoire Bouillier

J’avais tant entendu parler de ce livre présenté comme l’analyse de la série des Nymphéas peints par Claude Monet que je voulais comprendre ce que Grégoire Bouillier avait décrypté de ce chef d’œuvre.

On me l'avait vendu comme une enquête passionnante et virtuose toute en imbrications et superpositions de temps, de personnages célèbres, de lieux, à partir des toiles Nymphéas de Monet.

Si je me souvenais parfaitement des tableaux que j’ai admirés récemment aussi bien à la fondation Vuitton qu’au musée Marmottan Monet, il ne me restait que la vague impression d’une immensité de bleu troué de taches roses et vertes dont j’ignorais si je l’avais vue à la National Gallery de Washington (qui dispose de 28 oeuvres, dont Le Pont) ou au Musée de l’Orangerie que je n’étais plus certaine d’avoir visité.

Le sujet était passionnant car il est effectivement troublant de savoir que l’artiste avait pu peindre 97 mètres linéaires en délayant (le mot plairait à Grégoire Bouillier) le même thème pendant plus de trente ans. Une telle obsession méritait qu’on se penche dessus, au risque d’y sombrer. Le musée de l’orangerie devient pour lui une scène de crime. Il raconte son cheminement (intellectuel) avec humour en faisant preuve d’un lexique très contemporain, sans craindre la moindre vulgarité.

Certes, il y a de l'amusant dans l'échafaudage de Bouillier. Par exemple quand il décrypte (p. 70) la première apparition du professeur Tournesol en 1944 dans Le Trésor de Rackham le Rouge quand il vient sonner proposer à Tintin un petit sous-marin en forme de requin pour explorer sans danger les profondeurs de l'océan. 
Il en déduit (quelle imagination !) que si les Grands Panneaux cachent un Grand Secret, s’ils sont comme le professeur Tournesol qui, sous son déguisement, dissimule un fantôme du passé, il va le découvrir. Car la méthode est infaillible. Elle a fait ses preuves. Elle possède l’œil et le bon. (Tonnerre de Brest et foi de bachibouzouk).

Si on est tout à fait honnête, on se lasse de toutes les pistes empruntées par l’écrivain, y compris la traversée d’Auchwitz-Birkenau dont je n’ai pas compris le sens, peut-être parce que j’ai moi-même arpenté ce camp qui m’a laissé une horrible vision : tout y semble entretenu de telle sorte qu’il suffirait d’un (autre) fou pour qu’il reprenne son activité mortifère, malgré la verdure de l’herbe semée de pâquerettes le jour de ma venue.
C’est peut-être ce contraste qui a frappé Grégoire Bouiller en l’inversant aux Nymphéas. Sous la beauté de la composition se cacherait donc une pourriture ? Ce serait en premier lieu les morts d’une autre guerre mondiale, la première, puisque Monet offrit son travail à la France le 12 novembre 1918, au lendemain d’un armistice qu’il voulait célébrer. Et oui il a raison de voir que dans nymphéa, il y a le mot hymne (p. 35). Également de pointer que peindre 400 nymphéas, que jamais il n’appela nénuphars, c’est bien plus qu’une tocade (p. 86).

Toujours est-il que le voyage autobiographique que nous livre l’auteur s’étire comme la lave d’un volcan qui n’en finirait jamais de lancer de nouvelles cendres. Quant aux pistes d’explication que l’écrivain nous offre comme si c’était les siennes, je n'ai pas eu besoin de faire une enquête comparable à celles que lancent les profilers aguerris. Tout est expliqué au musée de l’Orangerie et de nombreux ouvrages ont déjà abordé ce thème, comme par exemple Deux remords de Claude Monet de Michel Bernard, paru à La Table Ronde en 2016.

Grégoire Bouillier ne pouvait pas l'ignorer mais il a cependant beaucoup investigué sur Internet. Il l’écrit noir sur blanc en nous rappelant la phrase d’André Breton : L’imaginaire, c’est ce qui tend à devenir réel (p. 186). Est-ce que cela justifie que nous prenions pour argent comptant les hypothèses que l’auteur échafaude ? Même et surtout lorsqu’il les tricote avec des faits avérés ? Même aussi en argumentant avec Beckett qui disait que tous les tableaux sont des "aveux" (p. 132) ?

Il m'avait donné la nausée en alternant ses réflexions sur Auchwitz et Giverny (que je connais aussi) en prétendant avoir songé qu’Auschwitz-Birkenau avait été une tentative absolument machiavélique d’effacer le jardin de Claude Monet (p. 152).

Est-ce bien utile aussi de s’appesantir sur ses énervements concernant (je le cite et vous remarquerez le style familier de ses termes) : cette "famille polonaise", à propos de laquelle je n’ai rien découvert sur Internet, pas même son nom, pas même la date de son installation dans la villa ? Pas même un post fielleux, une polémique, que dalle ! Bizarre, non ? Alors que le moindre pet-de-nonne dégénère en buzz planétaire ? (J’espère que le site Fortitude ne raconte pas des cracks ! En plus d’avoir l’air idiot, j’aurais l’air malin !) Si je m’écoutais, je mènerais bien ma petite enquête sur les mystérieux occupants de la "villa Höss".  (p. 191).

Il en rajoute une couche plutôt vulgaire un peu plus loin : fuck la famille, qu’elle aille se faire foutre, qu’elle crève, comme tous ces connards du Salon et tous ceux qui semblent sur Terre uniquement pour vous mettre des bâtons merdeux dans les roues (p. 204).

Des parenthèses, des mots du langage parlé, carrément orduriers, Grégoire ose tout, pensant sans doute que de son accumulation de pistes il finira par tirer le bon fil. Il m'est inutile de patienter jusqu'à l’ultime page pour brûler d’une envie dévorante, claquer le clapet de mon IPad (je lis en numérique) et partir pour l’Orangerie.
De retour, et un peu déçue, sans doute parce que les élucubrations de Grégoire Bouillier avaient brouillé ma fraicheur je dirais malgré tout qu'il est néanmoins intéressant de constater (je cite encore et toujours l’auteur) : Monet est à la fois simple et radical. Actant la mort de Camille, il supprime toute présence humaine dans sa peinture. (Pas de quartier !) Il fait le vide dans ses tableaux. Parce que personne ne peut remplacer Camille. Ce n’est peut-être pas conscient (p. 217).

Mais quand il compare Camille à Ophélie (p. 246) cela ne m'étonne pas le moins du monde, je me demandais quand cela allait arriver. Pas plus que je hausse le sourcil en lisant : Tout était en ordre et j’allais m’en aller, lorsque la pensée m’a traversé que c’était un nénuphar qui tuait Chloé dans L’Écume des jours de Boris Vian. Un nénuphar ! Vian avait imaginé le cancer sous la forme d’un nénuphar ! (p. 301)

Le roman, car c'est vraiment cela, s'étire sur 432 pages. C'est long, comme les panneaux, et même s'il y a des citations qui méritent d'être notées (vous les découvrirez en cliquant sur "plus d'infos") je ne trouve pas que ce livre mérite le succès qu'on lui accorde.

Le syndrome de l’Orangerie de Grégoire Bouillier, Flammarion, en librairie depuis le 21 août 2024
NB : la première photo n'est pas celle d'un tableau de Monet

mercredi 20 novembre 2024

L'adaptation d'Hamlet par Chela de Ferrari

J’ai vu 4 ou 5 versions d’Hamlet, toutes différentes, chacune réussie en ce sens que le chef-d’œuvre shakespearien y était donné dans ce que l’on croit être l’essentiel mais avec malgré tout un point de vue particulier. Je n’étais guère partante pour un autre. Et puis, très franchement, l’annonce appuyée sur la caractéristique de la distribution d’être composée de huit acteurs handicapés, dont sept atteints de trisomie 21, avait plutôt provoqué un rejet de ma part parce que je déteste me trouver en position de voyeurisme.

Inversement je ne suis pas quelqu’un qui reste campée sur ses positions. Et puis j’étais allée à la présentation du festival Imago et j’avais été surprise de constater combien le handicap peut être une force. Ce qui m’intéresse n’est pas l’aspect physique mais la performance.

Comme le souligne un des comédiens de cet Hamlet, ce qui compte pour lui est de jouer (le mot espagnol actuar ne permet pas la confusion avec s’amuser et le public applaudit sa confession). C’est là qu’est tout le sérieux de notre vie, et c’est la réponse à la question existentielle : être ou ne pas être …

Je suis heureuse d’avoir passé outre le sujet (je croyais Hamlet usé, sans surprise possible), la langue (c’est en espagnol surtitré) et le contexte (une telle pièce en 1h30 ne serait-elle pas dévoyée ?). J’ai assisté hier soir à un spectacle lumineux. Cet Hamlet a été présenté pour la première fois en France en 2023 et ce soir je comprends pourquoi tant de salles de spectacle se disputent pour obtenir une ou deux dates. Quelle chance pour le public que l'Azimut rejoigne cette année le festival Imago qui est riche de nombreuses belles propositions et particulièrement avec ce spectacle qui n'est pas un choix de complaisance.

Les premières secondes sont hallucinantes car c'est une scène d'accouchement, et manifestement filmée sans trucage. Sans doute une évocation de la "Sala de Parto", créée en 2013 par Chela De Ferrari au sein du théâtre La Plaza à Lima où depuis 2003 - et après 20 ans de dictature- plus de 120 pièces ont été produites parmi lesquels figurent des relectures d’œuvres classiques et créations contemporaines. La metteuse en scène et dramaturge d'origine péruvienne a développé un programme visant à stimuler la naissance d'une nouvelle écriture théâtrale en posant des questions-clés afin de mieux comprendre le monde contemporain et la nature humaine. En 2017, le titre de P.M.C (Personnalité Méritante de la Culture) lui a été décerné, marquant sa contribution au développement de la culture dans ce pays.

Le handicap ne l'effraie pas. Sans doute ne le voit-elle pas comme souvent nous le stigmatisons. C’est si vrai qu’au dernier festival d’Avignon elle a présenté La gaviota, d'après La Mouette avec une troupe d’interprètes principalement malvoyants et non-voyants qui ont donné un souffle très intime à cette œuvre majeure d’Anton Tchekhov.
Si c'est Jaime Cruz qui a impulsé chez la dramaturge le désir de reprendre Hamlet, alors qu'il était ouvreur de La Plaza, et si on le voit se couronner en priant le spectre de le regarder, il n'est pas le seul à interpréter le rôle titre et la troupe a raison de nous mettre en garde : Ne vous attendez pas à voir le Hamlet que vous connaissez.
Plusieurs garçons incarnent le prince du Danemark, et plusieurs filles seront Ophélie, tour à tour, prouvant que chacun de nous a quelque chose de l'un ou de l'autre de ces héros, dans la continuité de ceux qui les ont incarnés. On remarque à un moment sur le mur du fond les visages de grands comédiens dont on pense qu'ils ont joué le rôle. Pourtant j'ai nettement reconnu Gérard Philipe, mort le 25 novembre 59, dont je sais que le plus grand regret est de n'avoir pas eu le temps de l'interpréter sous la direction de Peter Brook. On aurait pu ajouter des femmes comme Anne Alvaro qui m'avait bouleversée dans la mise en scène de Gérard Watkins. Par contre nous serons d'accord pour estimer que le plus grand acteur à avoir eu ce privilège -mais au cinéma- est Laurence Olivier … dont Jaime Cruz reprendra les poses si caractéristiques.
Ça pourrait être caricatural mais c'est "juste" immensément joyeux. Le résultat est époustouflant et ce ne sont pas les bandes de jeunes (collégiens ou lycéens) qui diront le contraire. Ils ne se sont pas fait prier pour descendre sur la scène y danser avec les comédiens aux saluts. Il est vrai qu’à L'Azimut on a le sens de la fête depuis l’origine. 

Ces comédiens sont faits de l’étoffe de leurs rêves et la metteuse en scène Chela De Ferrari l’a bien compris. Il faut les remercier de les partager avec nous avec leurs questions, leurs doutes et leur joie de vivre si communicative.
Si c'était un pari il est réussi car on a bien sous les yeux l'essentiel de la pièce-fleuve de Shakespeare, apportant la preuve qu'il n'est pas nécessaire d'engager une trentaine d'axteurs (sans compter les figurants) pour restituer les questions universelles autour de l’amour, la relation aux parents comme la recherche de sa place dans le monde face à des personnages qui comme Claudius les qualifierait d'erreur de la nature.

Les huit acteurs ont commencé en se présentant tour à tour, et en prévenant de leurs différences, et de leurs difficultés éventuelles : nous allons parler le mieux possible et … vous avez les sous-titres ! Ce qui est inouï est que même le bégaiement va apporter une crédibilité supplémentaire aux paroles de l'acteur qui porte les interrogations existentielles. Il eut été impossible de faire jouer quelqu'un d'autre avec une telle intensité si authentique.

Leur demande arrive comme une vague : on demande à la société de respecter nos droits, sans préjugés et idées reçues. Et ils ont raison de vouloir le meilleur pour eux. Ils le méritent. Leurs paroles ont le pouvoir de nous émouvoir aux larmes en dissolvant le voile d'ignorance qui les recouvre. Nous les regardons et nous comprenons qu'ils sont notre miroir.

Les genres sont multiples. L'utilisation de la camera est originale, permettant d'enrichir une scène d'intimité jouée sur le sol, ou en multipliant les gros plans pour nous faire comprendre combien les sens peuvent être perturbés. En plus de jouer, ils dansent très bien et chantent avec talent. On reprend avec eux les paroles de leur rap au fur et à mesure qu'elles s'affichent sur l'écran.

Leur adresse au public est remarquable parce qu'elle évite de nous faire la morale. La célèbre scène de théâtre dans le théâtre imaginée par Hamlet pour confondre son oncle est interprété en faisant appel à des spectateurs (qui ne se font pas prier d'ailleurs). Leur sérieux est leur faiblesse et les "handicapés" interrompent ces amateurs brutalement, leur faisant comprendre qu'il faut jouer un arbre d'une autre manière, les guidant vers un jeu moins formaté : tu ne sauras pas faire comme nous !

Le drame, étymologiquement, est une action jouée sur scène, une pièce de théâtre et dans ce sens Hamlet en est l'archétype. Il est donc plus que normal que l'adaptation de Chela de Ferrari, co-élaborée avec sa troupe (où les filles sont autant admirables que les garçons), soit une démonstration admirable. J'en repars en estimant que de toutes les versions que j'ai vues, c'est la sienne qui est la plus forte.

Hamlet, librement adapté de William Shakespeare
Écriture et mise en scène Chela De Ferrari
Assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie – Claudia Tangoa, Jonathan Oliveros et Luis Alberto León
Avec Octavio Bernaza, Jaime Cruz, Lucas Demarchi, Manuel García, Diana Gutierrez, Cristina León Barandiarán, Ximena Rodríguez et Álvaro Toledo
Formation vocale – Alessandra Rodríguez
Chorégraphie de Mirella Carbone
Images de Lucho Soldevilla
Création lumière – Jesús Reyes
Vu le 19 novembre 2024 au Théâtre La Piscine de l'Azimut à Châtenay-Malabry (92)
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de ©Teatro La Plaza

mardi 19 novembre 2024

Juré N°2 de Clint Eastwood

Un film de Clint Eastwood, ça ne se manque pas. Surtout quand il est annoncé comme étant son dernier en raison de son grand âge (94 ans). Et je n'étais pas la seule à le penser puisque la salle était comble en pleine après-midi.

Juré N°2 commence avec un plan sur la statue d cela justice, les yeux bandés, tenant un glaive et une balance. Il se terminera d'ailleurs au même endroit.

L'affiche est très sombre et de fait ce film est assez noir. L'action se déroule en Géorgie et selon les lois américaines, un peu différente de celles qui régissent les débats en France et que je connais à travers l’excellent film de Daniel Auteuil, Le fil et le livre La jurée de Claire Jéhanno.

La sélection des jurés ne s'opère pas de la même façon d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Par contre le point commun est l’interdiction de refuser d'être juré. La seule façon d’y échapper est de se faire récuser, à condition de suggérer qu’on sera incapable de donner un avis en toute impartialité.

Justin Kemp (Nicholas Hoult), jeune homme marié à Allison (Zoey Deutch) qui subit une grossesse difficile demandera à être excusé en raison de la situation de sa femme, mais la juge Hollub refusera sa demande. Il va devoir suivre cette affaire d’homicide.

Le procès débute par l'exposé des faits. Après une violente dispute avec son petit ami James Sythe dans un bar, la jeune Kendall Carter s'est enfuie à pied sur la route Old Quarry, par une nuit extrêmement pluvieuse. Le lendemain matin, un randonneur a retrouvé son corps en contrebas d'un petit pont. Sythe est rapidement arrêté. L'affaire est confiée à la procureure adjointe Faith Killebrew (Toni Collette), qui se présente au même moment à l'élection de procureur de district et espère rallier l'électorat avec une condamnation très médiatisée pour violence domestique.

Le dossier de la procureure est solide. Un faisceau d’indices devrait permettre de condamner Sythe sans état d’âme. Mais Justin va soudain se rendre compte qu'il est personnellement impliqué dans cette affaire. Le spectateur va le voir se débattre entre plusieurs dilemmes, dire ou pas toute la vérité, en premier lieu à sa femme au risque de compromettre sa grossesse, avouer sa responsabilité à la cour au risque d'être condamné à une peine de trente ans, laissant ainsi seuls sa femme et leur bébé à naître, faire en sorte que le suspect ne soit pas jugé coupable à condition de faire tomber un à un les arguments à charge. Mais peut-on se protéger sans porter préjudice ?

Pour cela un des jurés et Justin aussi vont enquêter en parallèle des délibérations du jury, ce qui est formellement interdit. Et contrairement à l’habitude des américains d’avoir recours au profilage, ici il est peu question de psychologie pour résoudre l’énigme. Elle est là pour une autre raison.

On pense évidemment à 12 hommes en colère, la pièce de théâtre au cours de laquelle un seul des jurés est convaincu de l’innocence de l’accusé et parvient à retourner tous les autres. On est sans cesse partagé entre le souhait de permettre au héros de s’en sortir mais aussi celui que l’accusé puisse s’en tirer, d’autant qu’il ne semble pas si violent qu’on voudrait nous le faire croire. Mais l’annulation du procès semble in envisageable en raison de sa médiatisation. On réalise combien il est difficile de rendre la justice si on a quelque chose à perdre ou à gagner dans cette situation.

On entend alternativement la parole de l'accusation et celle de la défense pour décrire les faits et je me suis interrogée si c'était un artifice de montage ou la réalité. Cela se reproduit plusieurs fois et que défense et accusation progressent main dans la main est plutôt troublant. Est-ce typique des Etats-Unis ?

Cela devient gênant parce que cela nous rappelle qu’on est vraiment au cinéma, donc face à une fiction alors qu’on a envie d’y croire. Heureusement le scénario est à la hauteur de ce qu’on attend du réalisateur et l’interprétation est parfaite.

Alors on se prend au jeu et on se passionne en se demandant comment les choses vont évoluer. Un des intérêts du développement est de nous interroger sur la capacité (ou non) de l’être humain à avoir changé ou à s’être amélioré. Il y aura évidemment des hauts et des bas, des alliances et des retournements de situation, des moments d’émotion, jusqu’à la fin qui est (semi) ouverte, tout à fait opportune pour un réalisateur dont la filmographie concerne essentiellement des affaires de justice.

Sans révéler l’issue on peut dire que parfois la vérité n'est pas la justice.

Juré N°2 de Clint Eastwood
Scénario : Jonathan Abrams
Avec Nicholas Hoult, Toni Collette, J. K. Simmons, Zoey Deutch, Kiefer Sutherland, Chris Messina …

lundi 18 novembre 2024

Dégustation de Vins du Vendômois

Suite à un gros retard de la date des vendanges à cause de la pluie, les vignerons de l'appellation Coteaux du Vendômois avaient reporté à aujourd’hui la dégustation de leurs crus car ils souhaitent tous être présents. Finalement ce sont huit (sur les dix de l’appellation) qui ont pu présenter à Paris dans le sous-sol du Cloître Ouvert, 222 Rue du Faubourg Saint-Honoré. Six d’entre eux étaient physiquement sur place.

Je n’ai relevé que les noms des vins que j’ai pu goûter, et il va de soi qu’il faut consommer avec modération. Les cuvées apparaissant en rouge sont celles que j’ai préférées. Et si je ne me soucie pas du prix pendant que je déguste afin de ne subir aucune influence je tiens à souligner le rapport qualité-prix très favorable de cette appellation qui se situe très souvent entre 5 et 10 € la bouteille.

Cette AOP Coteaux du Vendômois s'étend sur 125 hectares, répartis sur 28 communes dans le pays des boucles du Loir, entre Vendôme et Montoire. Les vignerons (9 font des vins en AOC dont la cave coopérative créée en 1929, qui en regroupe 3) produisent des vins blancs à base de Chenin, les Gris sont issus uniquement du Pineau d’Aunis, cépage à forte identité, authentique de la région, et les vins rouges peuvent être issus avec ce cépage ou le résultat d’assemblage avec le Cabernet Franc, le Pinot noir et éventuellement le Gamay.

Très attachés à la culture de la vigne, ils pratiquent néanmoins la polyculture pour la plupart. La production en année pleine est d’environ 5 000 hectolitres en A.O.P. Coteaux du Vendômois.

Il faut rappeler que le Pineau d’Aunis est rare, particulier, unique et spécifique à sa région. Il est mentionné par les historiens dès le IXème siècle en Anjou si bien qu’on le cultive donc dans la vallée du Loir depuis plus de mille ans. Aujourd’hui, il n’est d’ailleurs plus guère cultivé que dans cette région - mis à part quelques communes de la Vallée du Cher… car le Cabernet franc l’a supplanté en Anjou. Sa production se répartit sur environ 140 hectares répartis sur 28 communes dans le pays des boucles du Loir, entre Vendôme et Montoire, composant l’aire géographique de l’AOP Coteaux du Vendômois et Vins de Pays (41).

C'est un très beau cépage qui revient au goût du jour pour des consommateurs avertis. En terme de volume, on le produit davantage en rouge qu'en rosé. Pour simplifier, il se reconnait au nez par ses nuances poivrées, parfois mentholées, et toujours épicées. En bouche se mêlent les petits fruits rouges et/ou noirs et des saveurs animales, autour d'une charpente aux tanins très agréablement fondus.

Commençons par La Cave du Vendômois, avec Nicolas Parmentier, venu avec une dizaine de bouteilles :

- Blanc Montagne Blanche 2022– AOP Coteaux du Vendômois - 100 % Chenin, élevé en cuve inox
- Blanc Les Coutis 2022– AOP Coteaux du Vendômois - 100 % Chenin – sans sulfite ajouté (qui a ma préférence comparativement au précédent)
- Blanc doux Montgreffier 2022 - AOP Coteaux du Vendômois - 100 % Chenin. Ce vin moelleux, bien évidemment sucré, est surprenant par un arôme étonnant de coing caramélisé.
- Gris Montagne Blanche 2023– AOP Coteaux du Vendômois - 100 % Pineau d'Aunis : un vin léger très agréable
- Gris Le Cocagne 2023– AOP Coteaux du Vendômois - 100 % Pineau d'Aunis, provenant de vignes poussant sur des argiles plus profondes que celles du vin précédent
- Rouge Le Haut des Coutis 2021 – AOP Coteaux du Vendômois - 100% Pineau d'Aunis – Sans sulfite ajouté. J’ai goûté le 2021 dont j’ai appris (et je comprends pourquoi) qu’il était le vin le plus vendu actuellement. Il est léger mais parfumé de fruits rouges, en particuliers la groseille. Parfait pour la charcuterie. J’avais chez moi un 2022, peut-être un peu plus aromatique encore, tirant sur la griotte, que j’ai associé avec de belles tranches de chapon farci aux pistaches et au foie gras.
Je l'ai ensuite associé avec un rôti de porc cuit en cocotte avec des oignons, carottes, un chou blanc, du laurier et un petit piment fumé mexicain Morita … en donnant à mes convives une idée de cadeau pour les fêtes de fin d'année …

dimanche 17 novembre 2024

Avant que ça commence de Marie-Laure Brunel et Valérie Péronnet

Avant que ça commence raconte sous forme de fiction réaliste les débuts de Marie-Laure Brunel. Cet opus (un second roman a été publié sous le titre Serrer les dents) est consacré aux mois qui ont précédé la création du premier service.

C’est en découvrant l’implication de Clarice Starling (interprétée par Jodie Foster) dans Le silence des agneaux réalisé à partir du roman de Thomas Harris en 1988 (p. 42que cette femme a eu la vocation de devenir profileuse.

Puisqu’il ne s’agit pas de trouver un tueur par intuition en se basant sur des impressions, mais après une analyse pointue de ses motivations Marie-Laure Brunel entreprend des études de droit et se spécialise en enquêtes criminelles et criminologie. La profession n’existait pas en France et elle était prête à passer par la case Gendarmerie pour l’exercer. Et on verra au fil des pages combien elle apprécie ses collègues, à une exception près, un supérieur macho dont elle réussira à se débarrasser, … sans avoir recours à la force.

Le parcours de Marie-Laure Brunel est totalement atypique et on comprend qu’elle ait fasciné Valérie Péronnet, venue l’interviewer pour Psychologies MagazineNée en 1964 à Dakar, cette journaliste indépendante travaille régulièrement pour cette revue et a été nègre pour une trentaine de récits, essais et témoignages. Son premier roman, Jeanne et Marguerite, paru aux éditions Calmann-Lévy en 2011, a été adapté au théâtre avec succès en 2013.

Dans le portrait qu’elle a fait d’elle, Valérie réussissait à lui faire dire des choses inédites sans la trahir, ce qui a instauré la confiance. Elles se sont rejointes sur leur attention extrême au moindre détail, même si leurs cadres de travail sont différents.

Etant également autobiographe, Valérie a l’habitude de prêter sa plume à des gens qui racontent leur vie. Si celle de l’officière en gendarmerie était tentante à raconter il y avait le barrage du secret professionnel. D’où l’idée de créer un personnage inspiré de cette femme hors-normes qui écrit au directeur de la gendarmerie, sans se rendre compte que ce n’est pas comme ça qu'on fait, en lui proposant son projet et qui est finalement embauchée.

Voilà pourquoi est née Mina Lacan jamais cynique, ni désabusée, davantage au service des vivants que désireuse de sanctionner les coupables, bien loin de l’image qu’on a de la profileuse qui, dans les séries est totalement allumée ou alcoolique. Si le tempérament de Mina est bien le sien il est évident que, dans la vraie vie, Marie-Laure n’a pas de sœur jumelle. Peut-être a-t-elle malgré tout une passion incommensurable pour toutes sortes de thé, à l’instar d’Amélie Nothomb bien connue pour aimer le champagne.

Les références ne laissent aucune place au doute. Je vérifierai en goûtant l’Empress Grey de Marks & Spencer dont elle dit le plus grand bien, à moins de me laisser tenter par ces deux spécialités de Mariage frères, le Blue Valentinequi associe des parfums fleuris à des accents zestés d’agrumes, ou encore le Chandernagorun thé noir enrichi d'épices parmi lesquels on reconnaît clou de girofle, cannelle, gingembre, cardamome et poivre. Pour ce qui est du très segmentant Lapsong Souchong (un thé noir fumé) je l’utilise personnellement pour parfumer une huile dans laquelle je fais mariner des coquilles Saint-Jacques. Plusieurs détails montrent une gendarme gourmande, généreuse à donner ses bonnes adresses comme Chez Marianne pour les amateurs de falafels, même si le restaurant ne se situe pas exactement rue des Rosiers (j’ai vérifié et cela m’est facile parce que je me souviens de la peinture murale du tigre sur la façade adjacente) mais tout près, à l’angle, au 2 rue des Hospitalières Saint-Gervais.
Était ce parce que c’était le premier d’une longue série que le débit des premières pages brouille les pistes ? Je me suis accrochée parce qu’on m’avait dit le plus grand bien de ce livre. Une fois l’affaire Courchon enclenchée c’est devenu un vrai page-turner à la hauteur de la réputation que les co-autrices ont désormais, non seulement à la gendarmerie (qui n'est jamais critiquée) mais aussi dans le milieu littéraire du polar dont elles respectent les codes. Et je ne serais pas surprise que ça déborde vers le cinéma.

La spécificité est la fidélité à des faits (hélas) réels, bien que modifiés afin de préserver les protagonistes dans le respect du réalisme, par égard aux victimes, pour qu’elles ne reconnaissent pas leurs affaires, et parce qu'il ne s'agit pas de faire un divertissement avec la douleur des familles. Seuls les professionnels impliqués s'apercevront des modifications qui, toutes, doivent rester cohérentes jusqu’à la dernière ligne. Impossible au passage qu'ils ne remarquent pas le lien très fort que la la lieutenante-colonelle entretient avec les équipes de terrain qui sont composées d'êtres passionnés dignes d’admiration et bien entendu de respect.

Je n’avais pas compris que le projet était de raconter toute la carrière de Mina, ce qui peut justifier de commencer par la fin, quand elle a 65 ans et de montrer l’évolution de carrière, avec des enquêtes de plus en plus conséquentes, en témoignant aussi des changements de son univers professionnel. Il est logique de dépeindre comment, petit à petit, les sciences du comportement, qui n’étaient pas encore utilisés dans la gendarmerie quand Marie-Laure y est entrée, sont devenues si essentielles.

On ne peut qu’admirer cette femme qui à 22 ans décide d’écrire directement sa volonté et son dynamisme au patron de la gendarmerie à qui elle propose de monter une équipe d’analystes du comportement. Elle a réussi à convaincre un univers très masculin de lui confier la création du Département des Sciences du Comportement au sein de la gendarmerie nationale à l’instar de ce qui existait au FBI. Elle deviendra le 9 octobre 2020 chef la division “cold cases“, renommée au printemps 2021 la DIvision des Affaires Non Elucidées (DiANE).

Le principal changement est d’avoir basculé de point de vue en essayant de comprendre le crime pour le résoudre. On peut présumer d’autres mutations comme le laisse entendre le personnage de fiction : L’informatique est vraiment en train de révolutionner les techniques d’enquête ! Et même si aucun ordinateur en pourra jamais remplacer la bouteille et l’intelligence d’un enquêteur, la finesse de ses perceptions, et la capacité à prendre en compte aussi, les inconcevables turpitudes et contradictions dont l’être humain est capable, c’est vraiment très excitant, ce qui est en train de se développer (p. 227).

Tout cela est bel et bien passionnant. A tel point que vous avez peut-être vu l’une ou l’autre dans une émission populaire ou dans une librairie (ci dessous Marie-Laure Brunel, à gauche, et Valérie Péronnet en dédicace).

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