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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 30 septembre 2024

Masterclass sur les vins suisses animée par Paolo Basso

J’ai été invitée par Monsieur l’Ambassadeur de Suisse en France Roberto Balzaretti et les équipes de Swiss Wine Promotion à une Masterclass exclusive sur les vins suisses animée par Paolo Basso, meilleur sommelier du monde 2013, dans la cave du Nymphée de l’Ambassade. Ce moment nous a permis de comprendre combien le vin est la carte postale gustative de la Suisse

Un pavillon a été érigé dans les jardins en l’honneur des Jeux Olympiques avec un système de sécurité conséquent qui met à l’abri des regards le bâtiment officiel qui fut autrefois la résidence d’un baron suisse libertin ayant tenté, en vain, de séduire Marie-Antoinette.

L’hôtel de Besenval est resté marqué par une des passions de son ancien propriétaire pour les fruits exotiques et les animaux. Mais nous ne verrons pas cette fois-ci le salon aux perroquets, les chaises aux dossiers évoquant des fables de La Fontaine, ni la tapisserie des Gobelins.

La Suisse est un pays de vins dont la culture est solidement enracinée dans les traditions. Le pays compte 2500 vignerons installés sur 14 696 hectares et cultivant un nombre considérable de cépages (250) dont les principaux sont le pinot noir et le chasselas et comprenant 24 cépages historiquement suisses.

Si on observe le logo de Swiss Wine on notera qu’il représente les 6 régions vinicoles, selon leur importance relative avec de gauche à droite et de haut en bas la région des trois Lacs, la Suisse alémanique, puis les cantons de Vaud, de Genève, du Valais et du Tessin.
La Masterclass a eu ceci de particulièrement bien conçu, puisque nous avons déguster au moins une bouteille de chacun de ces régions. Elle s’est déroulée dans la cave installée dans un ancien therme à l’atmosphère de chapelle.

Pour commencer : un Bayel Grand Cru 2023 classé Féchy La Côte AOC

La commune de Féchy est située dans le canton de Vaud, à l’ouest de la Suisse. Le cépage utilisé, un chasselas, est emblématique de cette région. Il est un "interprète" du sol en raison de sa neutralité. Sa capacité à vieillir, et même à donner des vins de garde, dépend de la façon dont on a taillé la vigne. Il peut rester encore excellent 50 ans après la récolte si la bouteille comporte un bouchon à vis, même s’il ne semble pas traditionnel.

Aujourd’hui le besoin de production  est moins important, mais on attend le meilleur, ce qui autorise de tailler plus sévèrement.

C’est un vin jaune paille, très clair, de bonne intensité, avec un arôme typique de feuilles de tilleul puis de pamplemousse. La pierre à fusil est légère, avec en bouche, tout comme l’ananas, avec une petite amertume réglissée qui apparaît en finale du fait de la rétroolfaction, Ce vin est délicat et frais, très classique.

dimanche 29 septembre 2024

Les graines du figuier sauvage, un film de Mohammad Rasoulof

On m’avait dit, s’il n’y a qu’un film à voir cet automne c’est Les graines du figuier. Je ne pouvais pas ignorer le conseil. J’ai passé outre la longueur (trois heures tout de même), et le sujet que j’imaginais -à juste titre- proche de Badjens ou du Gardien de Téhéran et des pièces de théâtre crées par des iraniennes comme 4211 km (qui est repris à la rentrée au Studio Marigny).

Connaître la situation de ce pays, et particulièrement la condition des femmes m’a permis d’entrer directement (et sans surprise) dans le propos du film.

On nous explique cependant immédiatement la métaphore du titre. L’arbre dont le nom latin est Ficus religiosa (et Dieu sait combien la religion est au coeur du politique en Iran), également figuier sacré ou figuier étrangleur est une plante qui a trouvé une astuce pour s’adapter à des conditions extrêmes. L’absence de lumière de la canopée tropicale accorde peu de chance de germination aux graines tombées sur le sol à l’inverse de celles déposées en hauteur sur des troncs ou des branches d’arbres à l’intérieur des déjections d’oiseaux gourmands.

En se développant, la plante épiphyte produit des branches et des racines aériennes qui s’enfonceront dans le sol dès qu’elles auront réussi à l’atteindre. Elle n’aura alors plus besoin de la structure pour se développer. À nous d’interpréter l’esprit par la suite mais la plus vraisemblable prédit la réussite du mouvement de rébellion Femmes-Vie-Liberté, né de la mort de la jeune Mahsa Amini en garde à vue à Téhéran après son arrestation pour port "inapproprié" de son foulard et qui a inspiré Mohammad Rasoulof alors qu’il était lui-même encore incarcéré.

Il a pris, tout comme son équipe, des risques mesurés mais très réels pour réaliser cette fiction dans le plus grand secret, ce qui imposait des conditions de tournage particulières. Une des contraintes fut de privilégier les scènes d’intérieur pour des raisons de sécurité, ce qui a convenu parfaitement au scénario, et réciproquement. 

Pour les scènes de rue et de manifestations le réalisateur n’a eu qu’à puiser sur Internet, ce qui les rend encore plus crédibles à l’écran, et pour cause. Encore plus violentes aussi car on a compris que ce "n’est pas du cinéma".

Faire ressentir l’horreur totalitaire à travers une prise de conscience intrafamiliale permet d’en mesurer toutes les conséquences. Au début du film, les protagonistes ne souffrent pas particulièrement de la situation politique. On pourrait même penser le contraire puisque Iman (Missagh Zareh) vient d’avoir une promotion au sein du tribunal révolutionnaire où d’enquêteur il sera juge. Sa femme Najmeh (Soheila Golestani), lui exprime sa fierté. Elle est si heureuse de voir leurs conditions de vie s’améliorer avec la perspective d’un plus grand logement pour que leurs filles aient chacune sa chambre et l’achat désormais envisageable d’un lave-vaisselle.

Le père est le premier à se rendre compte que le système est pourri. Il ne veut pas condamner à mort quelqu’un dont on ne lui laisse pas le temps de lire le dossier d’accusation. Et s’il continue, c’est sous la pression et l’encouragement de son collègue et de sa femme. Il estime sans doute parvenir à réguler la situation. Jusqu’à ce que le nombre des arrestations passe à 300 par jour.

Nous sommes dans la moyenne bourgeoisie. De nombreuses scènes de préparation de repas et de partage de nourriture nous éclairent sur le mode de vie de cette classe sociale plutôt aisée. Les deux filles, Rezvan (Mahsa Rostami) dont c’est le premier rôle au cinéma, et Sana (Setareh Maleki), étudiantes, sont ouvertes sur le monde grâce à leurs portables (on notera le rôle joué par les téléphones) et aux réseaux sociaux. Ce ne sont pas des rebelles (pas encore) mais elles ont soif de liberté, surtout la cadette dont la meilleure amie a des volontés encore plus affirmées.

Elles portent un voile en extérieur mais ça ne suffira pas pour les protéger. On voit la mère le réajuster régulièrement, dans une sorte de trouble obsessionnel compulsif, alors qu’on jurerait qu’il est "correctement " posé. Ce n’est pas une armure. Pas plus que le masque anti-Covid ne permettra plus tard au père de rester anonyme.

La conscience de la mère bascule quand elle accepte de recueillir et soigner (en cachette de son mari) l’amie de sa fille aînée, Sadaf (Niousha Akhshigrièvement blessée. Elle n’ira pas jusqu’à l’héberger la nuit suivante mais le rapport de forces au sein du foyer a évolué.

Le réalisateur nous épargne les grands débats et les disputes familiales (réduites au strict nécessaire) préférant de longues scènes montrant la femme perdue dans ses pensées, l’homme, qui n'est pas particulièrement sévère et qu’on ne pourrait pas qualifier d’intégriste, fourbu à son retour du travail, les filles cherchant à protéger leur amie.

vendredi 27 septembre 2024

L’inconnue du portrait de Camille de Peretti

C’est une interview filmée de Camille de Peretti qui m’a donné envie de lire L’inconnue du portrait. Son sourire et le sujet m’ont interpelée.

La manière dont l’auteure présentait son livre était fascinante. Elle faisait preuve d’une imagination à la fois débordante et rigoureuse. J’avais le sentiment d’entendre un épisode écrit par Maurice Leblanc tant il y avait quelque chose de « lupinesque » dans la fiction qu’elle avait montée de toutes pièces pour résoudre un mystère lié à une oeuvre de Gustav Klimt.

Ce que l’on sait du tableau que le peintre intitula Portrait d’une dame tient en quelques lignes. Il a été peint à Vienne en 1910, acheté par un collectionneur anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019 dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie où il est aujourd’hui exposé.

Personne n’a réussi à élucider qui est la jeune femme représentée, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait. C’est d’autant plus troublant que cette oeuvre est la seule que Klimt ait jamais reprise car il était connu pour ne jamais effectué de repeint.

Camille de Peretti ne disposait de rien d’autre pour construire une fiction historique dont les bases sont rigoureusement exactes mais sur lesquelles elle a monté des murs qui ne sont que pure invention. Entreprendre la lecture en le sachant pimente l’affaire car on s’interroge sur la solidité de l’entreprise.

Non seulement tout se tient solidement malgré des rebondissements tout à fait extraordinaires mais nous sommes happés par le destin de ces personnages hors du commun et leur traversée du XX° siècle. Il y a là matière à un long-métrage qui serait à coup sûr lui aussi promis au succès.

L’auteure a choisi d’installer d’abord les personnages. On se prend immédiatement d’affection pour cette plumassière et d’intérêt pour le jeune cireur de chaussures. Le tableau n’apparaîtra que plus tard dans la narration. Nous n’éprouverons pas le trouble physique et psychologique que cette oeuvre d’art pourrait provoquer, appelé syndrome de Stendhal (p. 247) mais nous comprendrons qu’elle ait pu provoquer de terribles actions.

Ancienne analyste financière, passionnée de peinture et de littérature, Camille de Peretti a déjà publié huit romans dont la plupart ont été distingués par des prix. Son premier roman Thornytorinx (Belfond, 2005, récompensé par le prix du Premier roman de Chambéry) traitait de l’anorexie et de la boulimie. Elle réussit avec ce neuvième à nous distraire tout en nous rappelant combien la condition humaine était difficile pour tous ceux qui naissaient dans des conditions précaires et illégitimes … du point de vue de la société bourgeoise. Car cette auteure est avant tout une humaniste convaincue, et convaincante.

L’inconnue du portrait de Camille de Peretti, Calmann Lévy, en librairie depuis le 3 janvier 2024
Prix des romancières 2024, du Prix du roman Marie Claire 2024 et du Prix Maison de la Presse 2024.
Lu en format numérique de 268 pages (350 pages version brochée)

mercredi 25 septembre 2024

L’avare de Molière vu par Clément Poirée

Aller voir L’avare de Molière … ce n’est guère original … sauf si, comme celle de Clément Poirée, la proposition artistique sort des chemins  classiques. Et la sienne m’enthousiasmait.

Je m’étais préparée à la représentation. J’avais joué le jeu. Depuis plusieurs jours j’écumais les placards à la recherche de l’objet (inscrit sur la wishlist reçue par mail). Le jour J j’avais amené deux grands sacs de vaisselle, de livres à la couverture chatoyante, de CD dont la musique me semblait avoir une certaine pertinence avec le sujet et de vêtements qui pouvaient -de mon point de vue- servir de costumes. Ce n’était que des choses auxquelles "je tenais" mais dont j’étais prête à me séparer pour la bonne cause.

En fait, je n’avais pas bien compris le concept, croyant à une production "zéro achat" réalisée à partir de recyclage. En réalité, l’équipe n’emploie pas exclusivement (comme c’est pourtant annoncé) ce qui est apporté par les spectateurs. Elle dispose aussi de réserves et de matériaux indispensables pour certaines scènes, comme les immenses sacs plastiques noirs qui feront un rideau de scène. Et je ne pense pas que les perruques soient créées spécialement chaque soir, modifiées peut-être …

Les concepteurs, présents sur scène, (on les appelle "les tabliers" en raison de leur uniforme gris foncé) trient la récolte en fonction d’objectifs qu’ils ont déjà en tête, cherchant le motif, la matière, la couleur dont ils ont besoin. Ils utiliseront les vêtements, non pas tels que ni légèrement transformés, mais comme matériau de base. Ne vous étonnez donc pas de constater que votre charmant blouson en jean délavé a perdu ses manches et est bombé de peinture argentée. Ne vous désolez pas que ce pantalon que vous adoriez et qui est encore tout à fait portable en l’état soit lacéré en longs rubans. Tout est devenu comme de la glaise et sera modelé, ou éventuellement accroché sur un portant comme pièce de garde-robe. Alors, et uniquement dans ce cas, il aura effectivement une troisième vie dans la ressourcerie dans laquelle il atterrira le lendemain, en l’occurrence La Petite Rockette, 125 rue du Chemin Vert -75011 Paris que, d’ailleurs je connais très bien et apprécie beaucoup. Sinon … poubelle et je parie que c’est un volume impressionnant qui est jeté quotidiennement. Tous vos dons ne seront pas redistribués pour le réemploi solidaire. Il vous faudra l’admettre.
Il est tout à fait logique que Hanna Sjödin (assistée de Camille Lamy et de Malaury Flamand) ait dessiné les costumes dans leurs grandes lignes au préalable et s’y tienne. Maitre Jacques (Laurent Ménoretportera chaque soir un tablier bricolé avec un tissu adéquat mais vivement coloré. Frosine sera toujours en veste d’homme et cravate autour du cou pendant les trois quarts du spectacle qui lui confèreront les attributs du pouvoir. Il suffit de regarder les photos du spectacle sur le site de La Tempête (ou celles des spectateurs prises aux saluts) pour avoir une idée de ce qui est nécessaire pour composer les costumes du jour. À l’exception de celui d’Harpagon qui a un régime de faveur et n’est pas soumis aux restrictions. Il a le sien, qu’il gardera (par avarice ?) et qui sera juste agrémenté d’un chapeau différent chaque soir.

Evidemment, la promesse de partir de zéro à chaque représentation était un objectif inatteignable. On ne peut rien reprocher, d’autant que le résultat est visuellement fort réussi, mais on aurait pu, par exemple, viser davantage le développement durable en faisant vivre les costumes jusqu’à l’usure, au détriment certes du geste créatif. Mais comme cela aurait été intéressant ! 

lundi 23 septembre 2024

Aïe de Attica Guedj

Le rideau de scène du théâtre représente la façade de l’immeuble où vivent Simon d’une part et sa grand-mère d’autre part. Ils sont géographiquement très proches et se voient quotidiennement.

Côté jardin, c’est jaune, et c’est chez Simon et Clara. Nous sommes au coeur d’une famille aimante malgré les disputes. Ils ont deux enfants et s’attristent de la situation. Clara (Katia Miran) a une vie professionnelle stressante qui la contraint à faire de multiples déplacements. Ajoutez une pointe de jalousie de la part de Simon (Antoine De Foucaultqui travaille à domicile comme écrivain public à embellir de minables vies (c’est lui qui le dit) et vous comprendrez que les occasions ne manquent pas pour faire bruler le torchon. Alors ce couple dont les sentiments sont restés intact a mis au point une astuce pour réduire leurs accès de colère. Ils ont convenu d’un nom de code pour faire barrage à la violence. En criant  « aïe » on envoie à l’autre le signal d’arrêter de faire du mal. Et ça marche si bien que l’histoire pourrait s’arrêter là.
Ce serait occulter le côté cour, où tout est bleu, chez cette grand-mère (Isabelle De Bottonqui passe le plus clair de son temps entre ses parties de Scrabble et sa cuisine où elle mitonne les plats traditionnels de sa jeunesse à Constantine, et dont se régale son petit-fils qui lui rend régulièrement visite.

La vieille dame est pleine de fantaisie, danse sur la musique des Beach Boys (Wouldn’t be nice) mais il semblerait qu’elle déraille gentiment. Il lui est difficile de mémoriser le prénom de Clara qu’elle appelle Carla. le torchon brule pour de vrai quand sa distraction signale l’installation d’une maladie dont le nom n’est pas dit mais que chacun aura reconnue.

Le train-train quotidien se poursuit aussi bien que possible avec son lot de méprises et ses petits secrets, un jour miel, un jour oignon, comme le disait Isabelle dans la très douce évocation de sa propre enfance à Alexandrie, dont elle avait fait un spectacle il y a quelques années et dont plusieurs spectateurs se souvenaient parfaitement.

Attica Guedj a réussi à instiller beaucoup de fantaisie en multipliant les rôles secondaires, tous tenus par Gilles Dyrek, véritable couteau suisse théâtral, capable de tout jouer en changeant de personnage d’un instant à l’autre comme il l’avait déjà démontré au cours du festival d’Avignon quand il fallut remplacer au pied levé Etienne Launay dans Je m’appelle Georges, pièce qu’il avait d’ailleurs écrite lui-même.

On avait vu avec plaisir cet auteur-comédien dans Le retour de Richard 3, où il partageait déjà la scène avec Isabelle de Botton. ici il est tout autant crédible en gardien d’immeuble qu’en témoin de Jehovah ou coursier ou encore baby-sitter … sans parler d’autres fonctions surprenantes.

On pense que tout ça ne pourra que mal se terminer quand la machine se sera emballée pour de bon. On reprend espoir en imaginant que l’amour triomphera de tous les aléas. Tout n’est pas dit afin de maintenir le suspens sur une fin qu’on a malgré tout partiellement devinée.
Les comédiens seront longuement applaudis. C’est que la tendresse est rarement aussi bien traitée au théâtre.

Aïe de Attica Guedj 
Aquarelles : Anne-Isabelle Sigros
Distribution : Isabelle De Botton, Antoine De Foucault, Katia Miran, Gilles Dyrek
Mise en scène : Attica Guedj
Décor : Catherine Bluwal
Assistante à la mise en scène : Camille Delpech
Costumes : Aurélie Thomas
Lumières : Olivier Oudiou
Son : Hervé Haine
Au Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté - 75014 Paris - 01 43 22 77 74
Du 04 septembre 2024 au 29 décembre 2024

dimanche 22 septembre 2024

Lettres d’excuses de et avec Patrick Chesnais

Les personnalités sont nombreuses à publier une sorte d’autobiographie, plus ou moins réussie, ayant surtout la qualité, ou le défaut, d’être au fond indiscrète. Je n’aurais donc pas été attirée en librairie par un livre intitulé Lettres d’excuses, écrit par Patrick Chesnais. Par contre, un seul-en-scène de Patrick Chesnais m'intéressait.

Que le texte soit de lui, pourquoi pas, mais ce n’était pas un critère de choix. En entrant dans la salle du Lucernaire, j’avais encore en mémoire, l’excellence spectacle dans lequel il avait joué, avec Emilie Chesnais, en septembre 2018, Tu te souviendras de moi.

Ça va ? Face au silence de la salle, le comédien bougonne : Je vais faire avec. On va y aller. Première lettre à Ferdinand.

Le pupitre avec le texte ne me gêne pas du tout mais le micro oui. Quel dommage de l’entendre avec un timbre soutenu par un artifice qui lui donne une voix radiophonique. Apparait fugitivement une photo qui pourrait être celle de ce fils adoré (on comprendra plus tard en la revoyant -cette fois au bon endroit- qu'il s'agit de lui, jeune). Les mots sont pourtant puissants : Je m’excuse de n’avoir pas su te protéger. Il n'y a rien d'autre à dire.

Bien sûr, il faut savoir que Ferdinand est décédé à 20 ans. L'homme qui a provoqué sa mort était alcoolisé, roulait trop vite sur une bretelle de sortie du périphérique, prise à contresens en pensant qu'il s'agissait de la voie d'entrée. Le choc frontal avec une autre voiture est fatal pour Ferdinand, assis à ses côtés. Ce que le comédien ne dit pas c'est qu'il a commencé à écrire après ce drame et fondé une association pour lutter contre la consommation d'alcool au volant chez les jeunes.

Ça démarre très fort. Il se dirige vers la table. Deuxième lettre à sa jeunesse, avouant n'avoir aucune excuse à sa condition de buveur–cueilleur.
Well, show me the way / To the next whisky bar 
Oh, don't ask why

Patrick esquisse quelques pas de danse et mime une guitare qu'on gratte. On reconnait la superbe chanson Alabama Song que l'on croit avoir créée par Jim Morrison et les Doors. Elle a été en réalité écrite au départ (en anglais) par Elisabeth Hauptmann en collaboration avec Bertholt Brecht, et fut mise en musique par Kurt Weill pour le jeu musical de l'opéra "Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny".

Troisième lettre d’excuse, à sa vieillesse. Je voudrais de mourir de vieillesse toujours jeune. Je peux y arriver. Je vise l'exploit de Kirk Douglas, 103 ans.

samedi 21 septembre 2024

Les liaisons dangereuses, adaptées et mises en scène par Arnaud Denis

La pièce a été créée l'an dernier à Lyon au Théâtre de la Tête d'or mais le public parisien l'a découverte enfin hier soir.
On connait l’histoire mais résumons par sécurité : La Marquise de Merteuil sollicite son ancien amant, le Vicomte de Valmont, pour lui proposer un défi immoral : elle souhaite se venger d’une ancienne infidélité en corrompant la jeune Cécile de Volanges, tout juste sortie du couvent, en lui faisant perdre sa virginité avant son prochain mariage. Valmont, quant à lui, s’est mis en tête de séduire Madame de Tourvel, une jeune femme mariée et pieuse.
On ne badine pas avec l’amour, et certaines liaisons, dangereuses, peuvent s’avérer fatales …

Regardez bien cette affiche. Il manque des protagonistes mais elle évoque un jeu de mikado. Il suffirait que tombe l’un d’entre eux pour que l’édifice s’écroule. Jusqu’où Merteuil réussira-t-elle à demeurer reine dans l’art de la manipulation ? Sans doute aurait-elle pu sortir gagnante si elle n’était animée que par la perversité. Sa motivation principale nous est clairement rappelée. C’est la vengeance et elle n’aura pas de limite, quitte à se perdre elle-même.

Si Arnaud Denis a respecté l'esprit des quelque 175 lettres que comporte le plus long roman épistolaire de tous les temps, composé par Choderlos de Laclos, il a aussi puisé dans La philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade et il a écrit quelques scènes afin de rendre les joutes oratoires plus fluides. Et surtout, il a considérablement élagué (en ne conservant que les personnages essentiels) de manière à donner davantage de cohérence à l'ensemble. Voilà pourquoi tout s'enchaine si bien et qu'on a le sentiment d'une grande modernité malgré de grandioses décors (néanmoins simples de Jean-Michel Adam) s'inscrivant dans l'époque, éclairés de main de maître par Denis Koransky. Et les costumes élégants de David Belugou.

Arnaud Denis a  bien choisi la musique. On ne pouvait pas trouver mieux que la symphonie N°7 de Beethoven pour accompagner les premières minutes. Il a su doser dans les dialogues la perversité comme la candeur en y glissant un humour qui n’est jamais malsain, et parfois terriblement savoureux comme ce : Va je ne te hais point que nous savons tous avoir été emprunté à Corneille. Il dirige ses comédiens comme un chef d’orchestre. Le résultat est magnifique et ils ont raison de savourer leur bonheur comme on le voit sur cette photo où ils sourient en cherchant leur metteur en scène dans la salle sous nos regards complices et heureux.
Il y a eu tellement d’adaptations (d'ailleurs sublimes) aussi bien au théâtre que sur les écrans qu'on se croyait blasé et connaître le sujet par cœur et voilà qu'on entend le texte comme jamais. On remarque que Valmont attend le consentement de Cécile pour passer à l'acte. On comprend que Merteuil qui se juge née pour venger mon sexene s'est pas remise de blessures narcissiques qui nourrissent une soif de vengeance acharnée, sans limite, l’amenant à aimer si fort et désaimer si vite.

Laclos se doutait-il que deux cent ans plus tard le duo infernal (Merteuil-Valmont) ferait toujours des victimes (Cécile-Tourvelle) avant de sombrer lui aussi et que leur histoire -interprétée dans de splendides costumes et coiffures- pourrait encore subjuguer une assemblée qui ne vit plus pareillement ?

Aurait-il pu imaginer que son oeuvre dégagerait quelque chose d’universel ? Car, à y regarder de près, c’est une affaire d’emprise, et il conviendrait de mettre le terme au pluriel. Assez comparable à toutes celles que dénoncent de plus en plus ouvertement les victimes. À certains égards le propos de Laclos alimente la cause féministe.
Aurait-il cru aussi que son oeuvre puisse faire rire ? J’aime la médisance quand elle dit vrai, répond Merteuil avec mauvaise foi … ou franchise et provoque l’amusement dans la salle. Arnaud Denis (tenant la main ci-dessus à Valmont) a gommé l’ironie qui n’apportait, en fait, rien au propos (même si cela permettait à des comédiens comme John Malkovitch ou Glenn Close de briller) pour lui préférer le poids des mots. Je n’en donnerai qu’un exemple : la manière qu'à Valmont de miauler pour assurer la marquise de son allégeance. Et comme celle-ci est "précieuse" quand elle prononce des termes tels que "débraillée", " petit godelureau" ou qu'elle le qualifie de "sot en trois lettres" (au cas où il n’aurait pas compris).

Ah qu’il est dangereux d’entreprendre des liaisons ! Mais comme il est fabuleux de reprendre cette pièce quand on a du talent ! Danceny a bien raison de nous le rappeler : Sans l’imagination, nous sommes tous des infirmes. La barre est décidément placée très haut en cette rentrée théâtrale. Voici encore un spectacle qui surprendra et éblouira le spectateur.

Evidemment le spectacle doit beaucoup au talent (et le mot est faible) de la distribution. Delphine Depardieu évoque et éclipse quelques minutes plus tard la superbe Glenn Close. C’est une excellente comédienne que j’avais vue il y a très longtemps au Musée des armées dans Le désir attrapé par la queue et que j’avais applaudie plus récemment, en 2021 dans La mégère apprivoisée montée par Frédérique Lazarini, et la même année dans Badine, mise en scène par Salomé Villiers qui, ce soir, est sa partenaire dans la robe de Madame de Tourvel (après avoir triomphé dans celle de l’épouse de Montespan lui valant un Molière de la révélation féminine).

Valentin de Carbonnières confirme le sien … de Molière de la révélation masculine pour son rôle dans Sept morts sur ordonnance au Théâtre Hébertot après avoir été remarqué dans Le portrait de Dorian Gray mis en scène par Thomas Le Douarec, et plusieurs autres pièces auparavant comme Kamikazes ou Hétéro en 2014. 

La plupart se connaissent bien, et depuis longtemps, ce qui doit faciliter le travail. On est heureux aussi de revoir sur une scène Michèle André dont on a beaucoup entendu la voix. Elle doubla notamment Shirley MacLaine, Anjelica Huston et Géraldine Chaplin dans Le docteur Jivago. Cela faisait quelque temps qu’elle avait déserté la scène, depuis je crois 2006 quand elle jouait dans Les Revenants d'Henrik Ibsen, mis en scène par … un certain Arnaud Denis. Elle campe ici la charmante et attentionnée tante de Valmont, Madame de Rosemonde, faisant partager deux passions à la mode, celle du chocolat chaud (la tablette n’avait pas encore été inventée) et celle des dindons dont elle loue la beauté et l’intelligence (comme le faisait Louis XIV à Versailles).

Marjorie Dubus (Cécile Volanges) est une fraîche demoiselle qui n’est pas si naïve qu’elle n’en a l’air et qui ne se plaint guère de goûter aux plaisirs dès lors qu’elle découvre qu’on peut être agréablement émoustillée. Et Pierre Devaux (Danceny) comme Guillaume de Saint Sernin (le valet) ne déméritent pas.

Ceux qui aimeraient connaître la suite du grand théâtre des liaisons n’auront qu’à prier pour que Merteuil soit prochainement repris. La pièce, écrite par Marjorie Frantz, mise en scène l’an dernier par Salomé Villiers (avec Arnaud Denis en voix off) imagine les retrouvailles entre Cécile Volanges et Merteuil bien des années après le drame. On y comprend comment l’amour ne mène pas au bonheur, pour personne.
Les liaisons dangereuses, d'après Choderlos de Laclos
Adaptation et Mise en scène d’Arnaud Denis
Décors Jean-Michel Adam
Costumes David Belugou
Lumières Denis Koransky
Avec Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers, Michèle Andre, Pierre Devaux, Marjorie Dubus et Guillaume de Saint Sernin
A partir du 20 septembre 2024, du mercredi au samedi 21h, dimanche à 16h
A la Comédie & Studio des Champs-Elysées - 15, avenue Montaigne - 75008 Paris
Tél : 01 53 23 99 19

vendredi 20 septembre 2024

Dors ton sommeil de brute de Carole Martinez

Pour résumer en peu de mots le point de départ de Dors ton sommeil de brute on peut dire qu'Eva a fui son mari et s’est coupée du monde. Dans l’espace sauvage où elle s’est réfugiée avec sa fille Lucie, elle est déterminée à se battre contre ce qui menace son enfant durant son sommeil sur une Terre qui semble basculer.

Carole Martinez a emprunté le titre à Baudelaire : Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. Ce choix est cohérent puisqu’il sera question de rêves qui peupleront les nuits, et de cauchemars qui inquièteront les journées. L’ambiguïté du terme "brute" oscillera entre la violence du mari quitté par Eva et la force de Serge, le colosse qui habite dans les marais avec sa radio pour petite compagne où elle a cru pouvoir protéger sa fille, loin du père agresseur.

Nous ne sommes plus au siècle du Domaine des murmures (Prix Goncourt des Lycéens en 2011), mais c’est encore une histoire d'emprise et de violence conjugale qui aurait pu suffire à construire un roman. Carole Martinez la densifie en la reliant aux menaces de fin du monde consécutives au réchauffement climatique et aux dérèglements écologiques.

Le récit se tisse entre réalité, rêve et fiction, ce qui se traduit très habilement d'un paragraphe à un autre en multipliant les voix et les points de vue, jouant avec les pronoms. La narration a recours au "je" et au "tu" contraignant le lecteur a faire un effort pour diriger son regard dans la bonne direction, en le plaçant dans la tête d’Eva, celle de Serge, ou encore de son mari Pierre. J'ai souvent eu l'impression que l’auteure rembobinait pour reprendre l’histoire sous une autre focale tout en réutilisant les mêmes mots. Comme si au-dessus des autres une voix commentait, expliquait, sermonnait et composait un conte philosophique. 

On suit la course contre la montre de la mère pour sauver sa fille dans ce roman aussi étonnant que magistral, ponctué de moments magnifiques dont la scène introductive de l'accouchement est un bon exemple. Il réjouira ceux qui aiment les histoires complexes.

Les indices sont semés à la volée, une oie, un joueur de flûte, une grenouille (p. 100), des bottes de sept lieux, une boule à neige, des reproductions de tableaux … qui finiront par faire sens, apportant de la logique dans une histoire qui semblait surréaliste. Quand je découvre la mention d'un attrape-rêves (p. 218) je m'étonne de ne pas y avoir pensé moi-même alors que j'en possède une collection constituée au fil de mes séjours au Mexique.

J'ai compris comment tout allait finir une bonne centaine de pages avant la fin mais sans que ma lecture ne s'émousse. Je voulais savoir quel fil ou quelle plume allait tirer Carole Martinez pour la rendre crédible.

La construction de Dors ton sommeil de brute est éblouissante et il est frustrant de s'interdire d'en révéler trop, parce que ce serait priver le lecteur du plaisir de faire ce voyage en toute innocence.

Le style est onirique, évidemment, puisque les rêves (annonciateurs de cauchemars à venir) y tiennent une place centrale. L'auteure a aussi l'art de la métaphore en peu de mots. Par exemple plier le réel dans tous les sens (p. 105) pour exprimer combien Eva s'évertue à comprendre.

Elle glisse des phrases qui semblent anodines mais qui, comme les allusions au domaine des contes, justifieront la suite des événements. Si on pouvait détricoter sa vie en tirant doucement sur le fil comme un pull (…) si on savait comment se défaire de nos tourments, s’il suffisait de tirer sur un fil et de tout rembobiner pour remettre le ciel en pelote (p 292) justifie que plus loin elle réinvente la légende du fil d’Ariane 

La nature fait l'objet de très belles descriptions. La Camargue est rarement montrée sous cet angle. Les marais y sont à la fois refuge et zone de risques mortels.

Enfin elle sait à la perfection mettre en scène des personnages très différents qui vont s'accorder. Leurs personnalités, leurs métiers et leurs dons ne sont pas banals mais là encore rien ne sera le fruit du hasard. Eva est spécialiste du sommeil. Le prénom de Lucie signifie étymologiquement lumière. Pierre n'est pas qu'un être violent, il a une intelligence hors normes, justifiant qu'on l'appelle à l'aide pour démêler ces drôles de rêves si anxiogènes, annonciateurs de catastrophes bien réelles le lendemain  (p. 215).

Carole Martinez a bien raison d'écrire que les gens se bricolent souvent des histoires pour rendre leur vie et le monde cohérent (p. 302). Sauront-ils décrypter la mise en garde. Ne sera-t-il pas trop tard un jour prochain de dire à la jeunesse que nous sommes désolés si la fin du monde est pour demain ?

Dors ton sommeil de brute de Carole Martinez, Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 15 août 2024
Nominé pour le Prix du Roman Fnac 2024 (mais non parmi les 4 finalistes)
Inscrit dans la première sélection des 16 romans concourant cette année à la 122e édition du prix Goncourt.

jeudi 19 septembre 2024

La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

C’était un peu un pari fou de proposer la version théâtrale de la pièce de Michel Marc Bouchard si peu de temps après l’adaptation télévisée réalisée par Xavier Dolan diffusée notamment sur Canal  + l’année dernière. A moins de travailler à la rendre unique.

Le challenge est brillamment remporté par le metteur en scène Didier Brengarth et ses comédiens, faisant de La nuit où Laurier Gaudreault un spectacle qu’on suit avec grand plaisir alors qu’on ne peut pas dire que le contexte soit réjouissant.

Bien sûr, il y a d’abord la formidable écriture de Michel Marc Bouchard (Tom à la ferme, Les Muses orphelines) dont la musicalité fait progresser le récit par petites touches, amenant magistralement les retournements de situation.

Il y a aussi la magie d’une forme de première fois puisque la pièce n’a jamais été jouée sur une scène parisienne.

On nous a annoncé La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé comme un huis-clos glacial, un psychodrame de l’intime, à la fois drôle et cruel, dans lequel une famille, rongée par le silence, allait devoir faire face à l’inavouable. Je voudrais dire que malgré l’affiche, malgré ce pitch, et malgré le décor (une salle de morgue) on vit tant d’émotions, y compris joyeuses, que je n’ai pas ressenti une atmosphère insupportable.

Quelques mots d’abord sur l’affiche. Elle montre un visage éclairé en lumière rouge, la couleur du drame par excellence, partagé en deux par des mains qui cherchent à voiler les yeux mais qui laissent passer la lumière, celle de la vérité qui finira par éclater. Ce geste de se masquer le regard sera repris dans la dernière partie de la pièce.

Mais au tout début Mireille Larouche (Gaëlle Billaut-Danno) raconte son enfance devant le rideau de scène. Insomniaque, elle s’infiltrait dans les maisons voisines dont elle adorait observer les habitants dans leur sommeil. À mesure que tombe la neige on jurerait qu’elle s’élève dans le ciel mais ce n’est qu’une illusion d’optique. L’énonciation s’arrête avec le souvenir de Laurier. Le spectateur n’en saura pas davantage pour le moment … sans se douter combien l’instant est crucial.

La suite nous ramène dans une réalité morbide. Une thanatopractice (Margaux Van Den Plas) s’affaire autour d’un cadavre. Surgit Mireille avec tout un attirail qui, après avoir (difficilement) sympathisé avec cette collègue qui la menaçait de porter plainte pour « outrage à dépouille » va entreprendre d’embaumer sa mère décédée. C’est son métier et elle est fort expérimentée. Pas nous qui découvrons avec horreur les traitements infligés aux défunts.

Nous pourrions nous croire dans un spectacle d’horreur mais le comique de situation s’invite entre les tuyaux, les flacons et le sang. C’est d’abord le plus jeune frère, Eliott (Julien Personnaz) qui met de l’ambiance avec son franc-parler. On veut bien croire qu’il est peut-être un « foutu tas de problèmes » mais il s’y entend pour détendre l’atmosphère.

Ce seront ensuite les deux autres frères. L’aîné, alcoolique repenti, au caractère tranché (David Macquart) et sa femme gaffeuse à souhait (Marie Montoya) et puis l’autre frère (Benjamin Penamaria) qui voudrait arrondir les angles. Peut-être parce qu’il sait déjà la teneur de la révélation qui va exploser.

Et puis il y a la mère, certes décédée, mais dont les dernières volontés allumeront la mèche de la discorde.

La langue de Michel Marc Bouchard est savoureuse. Il a accepté de franciser quelque peu ses dialogues pour éviter le surtitrage si fréquent parce que nous autres, français, ne pigeons pas toutes les subtilités et les richesses métaphoriques du québécois. Demeure son style et sa manière toute personnelle de jouer des répétitions.

Il a recours à toutes les formes d’humour possible, du plus noir au plus rose. Les comédiens sont des instruments remarquables et le public se laisse porter. C’est grinçant, drôle, délirant, féroce, haletant, mais c’est aussi émouvant quand Mireille parvient à persuader ses frères de participer à l’embaumement, comme on le fait dans certaines tribus pour libérer les âmes.

Mireille sait parfaitement où conduire la fratrie. Elle n’est pas seulement ici pour rendre à sa mère les derniers hommages. Elle est revenue aussi pour dire ce qui s’est passé, trente ans plus tôt, la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, ce qui s’est réellement passé, et le dénouement est à la hauteur de ce qui a précédé … une vraie claque.

Il faut saluer l’audace du scénographe (Olivier Prost) de n’avoir pas reculé à nous faire entrer dans la chambre mortuaire. Et l’interprétation sans faille de chacun des comédiens, à commencer par Gaëlle Billaut-Danno qu’on retrouve aussi magistrale que lorsqu’elle répétait Les lois de la gravité (pièce devenue Coupables au festival d’Avignon 2021). Décidément les affaires de justice lui vont à ravir.
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé
De Michel Marc Bouchard
Mise en scène : Didier Brengarth
Assistante mise en scène : Stéphanie Froeliger
Avec Gaëlle Billaut-Danno, David Macquart, Marie Montoya, Benjamin Penamaria, Julien Personnaz, Margaux Van Den Plas
Scénographie : Olivier Prost
Création lumières : Mathieu Courtaillie
Costumes : Mathieu Crescence
Création visuelle : Mathieu Courtaillier et Didier Brengarth
Conception sonore : Antoine Daviaud
Du mardi au vendredi à 21h  et samedi à 16h et 21h
Au Théâtre Tristan Bernard - 64 rue du Rocher - 75008 Paris
Texte publié aux éditions Théâtrales

mercredi 18 septembre 2024

Malwida, mis en scène par François Michonneau

Qui a enregistré que Romain Rolland (1866-1944) a reçu le prix Nobel de littérature ? Son nom est pour moi tellement associé à un théâtre que je le croyais auteur de pièces et que je n'ai jamais vérifié qu'il était (aussi) musicien.

Qui a entendu le nom de Malwida von Meyzenbug (1816-1903) dont j’apprends qu’elle fut une des femmes les plus influentes de son époque ? Cette féministe et intellectuelle est l'autrice des Mémoires d'une idéaliste.

Leur rencontre à l'été 1889 va changer le cours de la vie du jeune homme qui reconnaîtra plus tard avoir été "créé" par cette femme avec qui il a échangé une correspondance voisine de 1500 lettres. C’est ce processus que nous sommes invités à voir se cristalliser sous nos yeux sur la scène du Studio Hébertot. 

La pièce vient d’être écrite par Michel Mollard. Le texte de la pièce est édité aux Éditions Le Condottiere  et il ne sera pas inutile de le lire pour mémoriser le parcours extraordinaire des protagonistes. Je pense que l’auteur avait en tête la silhouette de Bérengère Dautun pour donner corps à cette femme exceptionnelle qui a réellement existé. La comédienne s’est vu offrir peut-être son plus beau rôle. Elle l’interprète avec finesse, se glissant dans la robe de la baronne autant que dans son esprit sans jamais avoir la tentation d’accentuer même légèrement sur le tempo de sa partition. 

Le résultat est admirable. On oublie la scène. On oublie les années. On oublie que nous sommes à l’été 1889. Peu nous importe que le décor soit réduit à quelques panneaux réversibles. Ils évoquent suffisamment la bibliothèque de l’historien Gabriel Monod (Benoît Dugas) qui les présenta l’un à l’autre et celle de Romain Rolland (Ilyès Bouyenzar), ou l’atmosphère raffinée quoique simple de l’appartement de Malwida, dans un quartier minable de la capitale italienne mais duquel on peut apercevoir le Colisée.

Nos oreilles se réjouissent de la présence d’un piano. La musique est jouée en direct par le comédien et il est bien agréable qu’on nous prévienne au fil des dialogues que nous allons entendre une Cantate de Bach ou le Grand Adagio de Beethoven. C'est la chaude voix de Jean-Claude Drouot qui interprète Romain Rolland au soir de sa vie et c'est toujours un grand plaisir de l'entendre.

Malwida a participé aux révolutions de 1848, était apôtre du droit des femmes, a failli épouser Wagner, fut l’égérie de Nietzsche, la confidente de Litz qui venait chez elle avec une bouteille de cognac. Il était bien temps de raconter combien elle fut vénérée et de nous faire revivre sa rencontre inouïe avec Romain Rolland, de cinquante ans son cadet. On nous promet un moment de grâce inoubliable et c'est tout à fait cela.

Leur relation ne laisse place à aucune ambiguïté. Je vous ouvre seulement les bras. Voici un coeur, reposez-vous sur lui. L'harmonie et l'unité de pensée entre ces deux êtres sera sans faille.

Sentant sa fin proche, Malwida repense aux lettres que nous entendons en voix off et le spectateur devine bientôt qu'elle les connait par coeur tant ses lettres murmurent les mêmes mots, à l'instar d'une véritable conversation. L'émotion est contenue mais palpable. C'est cela le miracle du théâtre quand il joue vrai.
Malwida de Michel Mollard
Mis en scène par François Michonneau
Avec Bérengère Dautun, Benoît Dugas et Ilyès Bouyenzar
Avec la voix de Jean-Claude Drouot
Costumes : Frédéric Morel
Jusqu'au 27 octobre 2025 
Jeudi, vendredi et samedi à 19 heures
Dimanche à 17 heures
Au Studiot Hébertot - 78 bis boulevard des Batignolles - 75017 Paris

mardi 17 septembre 2024

Visite du Musée vivant du fromage

Me voilà dans l’ancienne île aux vaches, lieu de pâturage jusqu’au XVII siècle, rebaptisée île Saint Louis, endroit idéal pour y installer le Musée vivant du fromage.

Je ne sais pas si j’aurais employé le mot musée qui a une connotation un peu poussiéreuse alors que l’endroit est très dynamique. D’ailleurs il mérite totalement le qualificatif de "vivant". 

Si le fromage est au centre de l’expérience conçue par Pierre Brisson, d’autres aspects sont mis en avant comme le beurre, les animaux, les paysages et les hommes. 

Après l'espace boutique (et fromagerie) un couloir rend hommage à trois grands défenseurs de l’univers des fromages. De Gaulle et Churchill d’une part, Brillat Savarin d’autre part. 

On attend l’ouverture de l’espace muséal en s’instruisant. On pourra repérer les principales spécialités des régions françaises qui figurent sur une carte faisant penser aux premier plans lumineux du métro parisien. La plus grosse région productrice est la Bretagne et les industries fromagères s’y sont installées massivement. Mais les élevages ne trouvant pas de repreneurs les troupeaux sont en croissance continue. Avec sa diversité de climats sur une superficie somme toute réduite, la France bénéficie d'un contexte exceptionnel. Cette carte est si intéressante qu'on regrettera qu’il n’y ait pas (pas encore) un volet international.
J’appuie sur le bouton à côté du nom Bethmale et je vois qu’il s’agit d’un fromage pyrénéen (il faudra que je le goûte au prochain salon des fromages). Les 365 (et plus) fromages français n’y sont pas tous. Presque un sixième de la variété et c’est suffisant pour garantir la lisibilité et témoigner de la diversité. On y trouve l’essentiel des AOP.
On peut jouer pour déterminer quel fromage correspond à son tempérament. Je ne sais pas quels traits de caractère ont abouti à la conclusion que j’étais un Sainte-Maure-de-Touraine mais il est vrai que je l’apprécie beaucoup.

Un montage vidéo met à l'honneur d'anciens films documentaires et je regarde avec plaisir les images en noir et blanc tournées à Entrammes (Mayenne) rappelant la fabrication historiquement réalisée par des moines cisterciens, à l'époque surtout du Port-Salut. L'intonation de la voix off est caractéristique des années 50 et il faut se souvenir de l’importance des monastères où les moines appliquèrent la règle de Saint Benoît.

Un autre pupitre permet d'accéder à tous les lieux de production. 3400 producteurs de lait cru y sont recensés. On pourra remplir un carnet (qu’on recevra par mail) et qui sera bien utile à l'occasion de prochains séjours en région.

Un second volet concerne la formation car on notera au fil de la visite combien le savoir-faire est essentiel. Bien entendu il peut s’acquérir et Pierre Brisson a l'ambition de susciter des vocations en provoquant l’intérêt pour la formation. Lui-même a suivi la sienne à l'ENIL d'Aurillac. Depuis janvier 2000, les Écoles Nationales d’Industries Laitères ont constitué un réseau afin de promouvoir les métiers de la transformation laitière ainsi que la filière dans son ensemble et toutes les coordonnées ont été entrées dans la base de données du pupitre qui sans aucun doute sera décliné prochainement en application (et donc consultable partout).

Lorsque la visite se poursuit, dans la grande salle, nous apprécions encore davantage l'installation du musée dans un bâtiment datant de 1639, abritant autrefois le célèbre restaurant Nos ancêtres les gaulois qui lui-même avait investi une ancienne forge. La température est fraiche mais pas glaciale. Les bactéries. ne pourraient pas s'y développer.

C'est une chance d'effectuer la visite avec un fromager car son discours est ponctué d'anecdotes et utiles à connaitre. par exemple que si la vache digère la carotène ce n'est pas le cas de la chèvre ni de la brebis. Voilà pourquoi les fromages faits avec du lait de vache sont plus ou moins jaunes alors que les fromages de chèvre et de brebis sont si blancs.

Il nous explique aussi que les fromages d’automne sont les meilleurs. Parce que l’humidité revient dans les pâtures, que les températures sont moins fortes et que les animaux sont plus à l’aise.

Il existe en France un vrai savoir-faire en pâte molle grâce au climat tempéré. C’est plus difficile d’en fabriquer plus au sud, a fortiori sous les tropiques. Il pointe la quantité d'eau contenue dans le fromage (le lait est à 90% composé d'eau) avec pour conséquence qu'il est plus rentable de fabriquer des fromages frais (le Boursin n'est même plus égoutté aujourd'hui) qu'un formage exigeant, comme le comté, un affinage de 4 à 6 mois minimum. il est évident d'en déduire la dureté de la vie quand on doit attendre si longtemps pour toucher l'argent correspondant du fruit de son travail.

lundi 16 septembre 2024

Les Gémeaux parisiens

J'ai découvert cet après-midi le Théâtre des Gémeaux Parisiens dans le cadre de son inauguration, après deux ans de travaux, et sa présentation de rentrée par ses directeurs : Serge Paumier et Nathalie Lucas.

Ça sent le frais, C’est clair et fonctionnel. La programmation est ambitieuse mais abordable. La salle sera ouverte 7 jours sur 7 et on peut espérer que le public viendra avec le même naturel qu’il s’installe à la brasserie du coin. La promesse sera tenue de laisser toujours la porte ouverte du 15 rue du Retrait, où l’on pourra choisir entre quatre spectacles le samedi et le dimanche.

Les deux directeurs assument d’ouvrir la scène de l’Est la plus à l’OuestQuand on aime le théâtre … tout est possible.
Si vous empruntez la rue dans le sens ouest-est vous constaterez la richesse des fresques murales qui font référence au passé du quartier sur lequel je reviendrai en fin d’article. L’endroit est riche d’histoire. Il fut autrefois le Théâtre de Ménilmontant où se produisirent des grands noms comme Mouloudji, Philippe Noiret, Laurent Terzierff Jean Teulé, Geneviève Casile, Claude Pieplu, Annie Girardot, Bernadette Lafont, Michael Lonsdale, Michel Galabru … mais aussi Daniel Mesguich qui aura grand plaisir à y revenir avec son fils.

C’est un enfant de Ménilmontant, Guy Rétoré, qui installera sa compagnie théâtrale amateure dans la salle de spectacles du patronage Saint-Pierre à laquelle il donnera le nom de Thâtre de Ménilmontant en 1958. Il y restera trois ans avant de déménager dans un vieux cinéma, comme nous le rappela Serge Paumier, à six minutes à pieds de là, pour y fonder le TEP, Théâtre de l’Est Parisien, qui sera reconstruit en 1983, à l’initiative de Jack Lang pour devenir le Théâtre de la Colline dirigé par Wajdi Mouawad depuis 2016 .
Les sourires illuminaient les visages de chacun, y compris celui d’Eric Pliez, maire du XX° arrondissement, ravi de couper le ruban rouge devant la porte de la salle, agrandie grâce aux travaux. Il sera possible d’accueillir des décors conséquents sur le plateau aux dimensions relativement impressionnantes (11 mètres sur 11) s’agissant d’une salle de 300 places. J’ai eu un petit doute la découvrant toute en longueur mais j’en ai testé l’acoustique en suivant le spectacle Belles de scène assise à l’avant-dernier rang et je peux affirmer qu’on entend parfaitement.

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