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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 25 juillet 2020

Une barque sur l'océan, un film de Arnold de Parscau

Je vous l’accorde. Ce n’est pas très drôle de prendre les transports en commun, de devoir porter un masque, de se badigeonner les mains de gel hydroalcoolique et de garder ses distances. En plus, je ne sais pas vous, mais moi j’ai une mauvaise mémoire des visages quand ils sont à demi cachés et je ne reconnais pas tout le monde, ce qui peut provoquer des quiproquos.

Néanmoins rien ne vaut la projection d’un film dans une salle. J’avais eu la chance de visionner confortablement depuis chez moi Une barque sur l’océan. Certains aspects du scénario m’avaient semblé un peu obscurs. Je l’ai vu ce soir dans une vraie salle de cinéma, avec un vrai public, et je dois dire que les réactions m’ont apporté énormément de plaisir. Entendre rire sur des moments où j’avais moi-même souri, mais toute seule, percevoir l’émotion à la fin du film alors que j’avais été bouleversée chez moi, mais toute seule, ça n’a pas de prix.

La soirée a eu lieu au cinéma Le Balzac, en présence du réalisateur Arnold de Parscau, de l'actrice Dorcas Coppin et de la productrice Marie-Reine Poyteau. Arnold de Parscau a insisté sur le petit nombre de l’équipe de tournage, sur la faiblesse des moyens financiers, sur tout un tas de choses qui pourraient laisser croire qu’Une barque sur l’océan a été conçu au rabais. Et pourtant, pas du tout. Ce serait une fausse impression. D’abord c’est un vrai film, ensuite c’est un grand film, enfin c’est un très beau film.

Le scénario parle de la vocation, exprime combien il est difficile de réussir pour un artiste quand, d’une part il est autodidacte, et que d’autre part il n’appartient pas un milieu propice. Eka a beau avoir une sœur extrêmement empathique, compréhensive, aidante, un beau-frère relativement positif et un neveu que manifestement il adore, toutes les conditions ne sont pas réunies pour qu’il puisse faire carrière dans la musique. Et pourtant il ne manque pas de courage. On le voit dès le début enchaîner avec détermination les petits boulots pour gagner le minimum nécessaire au paiement de son loyer et participer à son entretien. Il est pêcheur, taxi-moto, serveur, jardinier. On verra qu'il a du talent mais il lui manquera une chose, la reconnaissance de la femme dont il est tombé amoureux.

L’essentiel de l’histoire se déroule à Bali, dans des paysages naturellement magnifiques (il ne pourrait pas en être autrement). que le réalisateur connait bien depuis que ses parents y vivent. Surnommée l'ile des dieux, elle était le cadre idéal pour transposer le roman de Jack London (voir ci-après) et le film offre aussi l'intérêt d’explorer une culture peu montrée au cinéma. Le tournage a eu lieu sur une trentaine de jours en octobre, avant la mousson.

On parle différentes langues à Bali, français, anglais, indonésien, balinais que l'on entend toutes dans le film. Ce qui est très particulièrement intéressant c’est la juxtaposition de deux modes de pensée radicalement opposés (celui du jeune balinais et celui des français) et l’incompréhension qui s’ensuit. Le réalisateur n’occulte pas l’écart de mode de vie entre des Français dont on ne sait pas trop bien pourquoi ils sont installés là-bas, d'ailleurs dans des conditions d’opulence et de farniente qui semblent idylliques, et les balinais, toujours actifs, jamais dans la plainte. On comprend qu’en Indonésie il n’est pas habituel de montrer ses émotions. Tout est intériorisé, ou exprimé à travers une danse rituelle. De ce fait, pourtant, la musique pourrait être pour le jeune homme un moyen de partager ce qu’il ressent, à condition évidemment d’être compris.

La plupart des comédiens balinais ne sont pas des professionnels. Un casting fait via Instagram a permis de trouver Hari Santika qui n'avait jamais tourné (ni joué de piano) et pour qui Dorcas Coppin est devenue professeur d’anglais, de piano et d’acting. Son jeu, très naturel, évoque à la fois Isabelle Adjani et Jane Birkin.

L'ambassadeur d'Indonésie Arrmanatha Nasir avait fait l'honneur de sa présence pour rappeler que nous fêtons cette année le 70ème anniversaire de la diplomatie entre nos deux pays et nous avons eu la surprise d'assister à une danse traditionnelle avant le lancement de la projection. Les robes de soie rouge et or, la manipulation délicate et codifiée de l'éventail, la coiffe ornée de grelots et les pas rythmés par les percussions nous ont mis en condition puisque le film a essentiellement été tourné à Bali.
Eka est un jeune Balinais de 25 ans vivant dans un petit village perdu au nord de Bali. Par amour pour Margaux, belle étudiante en piano expatriée sur l’île avec sa famille française dans une luxueuse villa, Eka décide d’apprendre à composer de la musique. Le jeune homme va se laisser envouter par ce monde artistique qu’il cherche à conquérir, lui faisant espérer une nouvelle vie loin de la pauvreté et de la dureté de son milieu. Mais sa chute sera à la mesure de son ascension vers le succès : vertigineuse et tragique.
J'ai très envie de vous raconter ce film pour vous donner l'envie de le guetter à sa sortie car il est probable qu'il ne sera pas distribué dans toutes les salles. Je vous en préviens pour que vous puissiez arrêter ici votre lecture, quitte à la reprendre ultérieurement, après visionnage. L'analyse que je fais tiens compte des nombreuses ellipses et du caractère souvent surréaliste de certains plans, ce qui s'accorde avec les croyances indonésiennes puisque les esprits existent pour les habitants.

vendredi 24 juillet 2020

Et la vie reprit son cours de Catherine Bardon

Catherine Bardon a poursuivi la saga de la famille dominicaine en publiant le tome 3, intitulé Et la vie reprit son cours qui fait suite aux Déracinéssalué par de nombreux prix, et à L’Américaine tous trois aux éditions Les Escales.

La série est addictive parce que les personnages, bien qu'exceptionnels, sont profondément humains. A tel point que le dernier ouvrage nous abandonnant fin septembre 1979 nous attendons maintenant un quatrième.

Comme dans les précédents tomes, les chapitres sont toujours courts, et l'écriture rythmée, donnant le sentiment d'assister à un diaporama laissant notre esprit vagabonder un peu entre les chapitres. 

J'aime beaucoup la ponctuation du texte par des expressions locales, souvent non traduites, et à ce propos intraduisibles littéralement,  mais compréhensibles dans le contexte comme la parada, qui est un endroit où l'on peut s'arrêter pour se restaurer.

Je découvre des expressions savoureuses et méconnues. J'ignorais que ahoritica (p. 217) était une nuance supplémentaire à ahora (maintenant) et ahorita (dans un petit moment) que j'entends si souvent au Mexique.

Catherine Bardon connait parfaitement l'histoire de la fondation de la République dominicaine où elle se rend régulièrement et qu'elle a recueillie, il y a trente ans déjà, de la bouche même des derniers témoins. Avant de s'atteler à cette fresque historique elle avait écrit des guides de voyage et réalisé un livre de photographies. On en apprend de plus en plus sur ce pays dont l'histoire était jusque là méconnue et l'image très focalisée sur l'exploitation récente et touristique. Nous sommes "baladés" (dans le bon sens du terme) entre deux continents, quatre pays, cinq langues, trois générations. Et cela fait du bien, particulièrement en cette période oui les voyages nous sont interdits pour cause sanitaire.

C'est la chronique d'une grande et belle famille ressuscitée de son exil après le sacrifice de sa terre natale (p. 315). C'est l'histoire de Ruth, qui se déroule dans des chapitres écrits à la première personne mais c'est aussi -et alors l'auteure passe à la troisième personne- celle d'Almah. L'évolution des sentiments compte autant que les faits historiques. Catherine Bardon a beaucoup contribué à mettre à jour une mythologie restée longtemps confidentielle afin que ceux qui ont fait l'histoire de cette communauté ne soient pas que des noms oubliés au bas des pages jaunies d'un accord qui aura tout juste sa place dans un musée (p.137) comme elle le fait dire à un de ses personnages au moment de la dissolution de l'accord encadrant le projet de communauté agricole de Sosúa et qui avait été signé en janvier 1940.

Organisé en 3 parties, et 38 chapitres, ce tome III couvre la période 1967-1979. Je vous conseillerais de les découvrir dans l'ordre mais celui qui commencerait par ce livre là ne serait pas perdu puisque Catherine Bardon commence par rappeler qui sont les personnages principaux en résumant brièvement l'essentiel de ce qu'ils ont vécu jusque là. Un prologue, ensuite, remet le lecteur en condition pour accueillir la suite du feuilleton.

La deuxième partie, intitulée Et la vie prit ses racines est très proche du titre, lequel sera d'ailleurs la dernière phrase du roman. C'est Joseph Kessel (in La vallée des rubis) qui le lui a inspiré : Et la vie prit ses racines, son cours, sa routine parmi les décors et les personnages d'un songe.

Il m'est difficile de parler de cet opus parce que je ne voudrais pas spoiler les rebondissements qui vont se succéder, jusqu'à la fin. Je peux juste dire qu'on retrouve l'atmosphère que l'on appréciait déjà, et que le caractère des personnages est intact, quoique un peu assagi par les années, ce qui est tout à fait dans l'ordre des choses. 

mercredi 22 juillet 2020

Henri Landier expose Romaine

Je connais l'atelier d'Henri Landier, un peintre et graveur exposé dans le monde entier, où je suis déjà allée, dans des conditions un peu extrêmes, en fin de soirée, un jour de défilé (car il se passe beaucoup de choses dans cet endroit qui est un vrai lieu de vie).

Je n'avais pas pris de photo mais j'avais perçu le bouillonnement artistique qui avait animé les lieux. Cette exposition consacrée à Romaine (1943-2019) fut l'occasion de revenir avec la ferme intention cette fois d'en rendre compte.

Il faut d'abord dire qu'après avoir travaillé 24 ans de manière classique, Henri Landier a fait le choix de diffuser lui-même ses oeuvres, en dehors du circuit "classique" d'un galeriste et en toute indépendance. Non seulement par souci économique (les galeries prélèvent une commission de 50 à 80%, ce qui impose en quelque sorte de vendre plus cher qu'on ne le voudrait, et donc en privant une certaine clientèle de l'accès à ses oeuvres) mais aussi pour des raisons artistiques car on lui réclamait beaucoup de scènes provençales et on refusait les portraits qu'il aimait tant peindre. En effet les acheteurs ont du mal à se projeter dans une oeuvre représentant quelqu'un dont ils n'ont pas demandé la représentation.

Il s'est donc donné les moyens de sa liberté en acquérant à Montmartre, en 1974, au 1 rue Tourlaque une ancienne fumisterie de 600 mètres carrés surmontées d’une grande verrière, un lieu idéal quand on possède comme lui rien moins que 14 presses à gravures et que l'on cherche aussi un vaste espace d'accrochage.

Il deviendra l’Atelier d’Art Lepic où il travaille toujours, depuis 46 ans, et expose en moyenne deux fois par an, en automne-hiver, puis au printemps-été. Le dernier accrochage devait se terminer le 5 juillet, mais la période post-confinement étant compliquée il a été décidé de prolonger jusqu'au 30 juillet, malgré cependant le départ de quelques tableaux, dont les propriétaires ne voulaient pas plus longtemps rester séparés.

Il reste malgré sur les murs un grand nombre de la centaine des oeuvres représentant Romaine.

Si Henri Landier peint à Paris depuis 70 ans, il a aussi réalisé de nombreuses toiles dans un autre atelier qu'il possédait dans le sud de la France où ils devinrent, son épouse (bretonne) et lui de vrais provençaux d’adoption. Il produit énormément puisqu'on peut compter environ 2000 gravures et 5000 tableaux. Il n'est d'ailleurs pas près de cesser puisqu'on découvre de nouveaux tableaux régulièrement.

Hormis les aquarelles, choisies parmi les 86 la représentant, et qui ont été installées dans l'entrée, A Romaine a été conçue selon un ordre chronologique. La décision de choisir ce thème comme sujet d'exposition a été précipitée par son décès, en novembre dernier, mais il est probable qu'il se serait imposé un jour ou l'autre étant donné le nombre de tableaux où Henri a choisi Romaine comme modèle. Un modèle plus ou moins conscient de sa position car on remarquera que souvent elle ne semble pas poser.

Certains estimeront que cet hommage est une manière de lui dire au revoir. Pour ma part j'y vois au contraire le moyen de la conserver encore plus près de lui. J'en veux pour preuve les deux dernières toiles qu'il a faites pendant le confinement et où le visage de Romaine apparait parmi les carnavaliers de Maastricht. Quoiqu'il en soit le sujet méritait amplement d'être traité et il faut remercier l'artiste de partager avec le public les tableaux sans doute les plus personnels.

mardi 21 juillet 2020

Benni, le premier long métrage de Nora Fingscheidt

Après le théâtre je suis retournée au cinéma, juste avant que la salle ne ferme -pour vacances cette fois.

J'ai vu Benni, le film de Nora Fingscheidt qui raconte l'histoire d'une fillette de neuf ans, négligée par sa mère, enfermée depuis sa petite enfance dans une violence qu'elle n'arrive pas à contenir.

Ce premier long métrage est intéressant parce qu'il montre bien les failles du système social où les interlocuteurs changent régulièrement, avec les conséquences pour un enfant qui a un problème avec l'attachement.

Il montre aussi que la réponse la plus adaptée est surtout médicamenteuse alors que l'être humain a davantage besoin de sentiments que de chimie. Malheureusement quand la mère (mais on pourrait aussi le dire du père) n'est pas dans la capacité (et il n'y a pas de jugement dans mon propos) d'élever son enfant, ni même de lui consacrer un minimum de temps les dégâts sont probablement irréversibles.

La réalisatrice n'est pas moralisatrice. Elle révèle ce qu'elle a observé, car elle a bâti son scénario après quatre années d'écriture au cours desquelles elle a collecté des témoignages dans diverses institutions. Elle a rencontré des professionnels, éducateurs, assistantes sociales et médecins, dont elle loue la conscience dans ses interviews, et beaucoup de ces enfants en rupture pour lesquels on ne trouve pas d'endroit adéquat où vivre et se reconstruire après avoir été retirés de leur famille.

Ils sont envoyés dans un premier établissement d'où ils se font expulser au bout de quelques semaines, puis d'un second et dans certains cas ce sont des changements en cascade sans aucune solution pérenne, avec au final un internement définitif en hôpital psychiatrique. On désigne ces mômes en Allemagne sous le terme de Systemsprenger (System Crasher en anglais) littéralement "qui fait exploser le système", ce qui a donné le titre du film à l'international.

Il y a une façon de les désigner en France, on parle de "border lines", mais le distributeur a choisi pour le film le prénom de l'héroïne, Benni, ce qui est nettement plus humain.

lundi 20 juillet 2020

Moi, Malvolio au ParisOFFestival

Voici venu le dernier spectacle que je chroniquerai dans le cadre du ParisOFFestival. Je regrette qu'il n'ait duré que 5 jours mais je suis très heureuse qu'il ait pû exister, et attirer avec environ 5000 entrées plus de spectateurs que deux Cours d'honneur, ce qui donne une idée de son importance.

Le succès était difficilement prévisible en cette période si particulière au plan sanitaire. Quel courage et quelle détermination il a fallu aux équipes !

Je souhaite bien entendu aux compagnies qui ont "joué le jeu" d'en tirer tous les bénéfices qu'elles méritent mais je ne peux m'empêcher d'espérer une pérennité de la formule. Comme cet Avignon hors la Cité des papes fut essentiel en ce début d'été parisien. Il me semble aussi qu'en terme d'accessibilité et donc de visibilité les artistes ont tout intérêt à se produire dans des structures qui offrent de réelles conditions d'accueil.

Enfin, et ce n'est pas un des moindres bénéfices, la manifestation a drainé au théâtre des publics locaux jusque là éloignés des représentations tant ils étaient persuadés que ce n'était pas leur place.

Pour terminer voici donc Moi, Malvolio dont je parle en dernier, non pas parce qu'il serait mineur mais parce qu'il évoque La Nuit des Rois, cette pièce de Shakespeare maintes fois présentée au festival d'Avignon, notamment dans la traduction et la mise en scène d'Ariane Mnouchkine, le 10 juillet 1982 dans la Cour d'honneur du Palais des papes avec John Arnold dans le rôle de Malvolio.

Malvolio est le majordome d’Olivia. Il est surtout ce qu'on appelle un personnage secondaire. Il avait prévenu l'assemblée à la fin du spectacle avant de disparaître à jamais : Je me vengerai de vous et de toute votre meute !

Tim Crouch a eu l'idée de le faire revenir pour nous donner sa version des faits, celle du harcelé, la vision du looser, un homme outragé, blessé, prônant le retour à un ordre moral. Ceux que Malvolio déteste, ce sont les fêtards de La Nuit des rois, mais c'est surtout nous, public de théâtre. Pour que le combat de Malvolio contre le théâtre soit équitable, nous lui offrons le meilleur adversaire qui soit : le jeu. Le jeu avec le public et avec les codes du théâtre, le jeu avec la langue de Shakespeare et la langue actuelle.

Et le voilà, grotesque, caricatural, narcissique, dans les costumes créés par Coline Galeazzi. Il apostrophe le public qui n'a pas fini de choisir sa place dans le gymnase, fait le coq ... pardon la pintade, se prétendant "aussi sain que quiconque" et affirmant sa volonté de "ramener un peu de libéralisme culturel ici". Je vous aurai prévenus : il fait (tout) ce qu'il dit, follement !

Ça marche formidablement, y compris auprès des jeunes du quartier qui oseront courir sur scène vérifier qu'il y est encore (ou qu'il a déjà disparu comme il nous en a prévenu).

La compagnie était triste de faire le deuil de 18 représentations au Théâtre du Train Bleu mais nous nous sommes réjouis de la leçon de morale (joyeuse et burlesque) que François Herpeux a réussi à nous adresser en remettant en cause notre position de spectateur à la fin d'un confinement où les distractions se bornaient à des apérozoom qu'il nous rappelle en se moquant de nos pauvres rituels.
Moi, Malvolio, par la Compagnie les 7 sœurs
Texte : Tim Crouch  / Traduction : Catherine Hargreaves et Adèle Gascuelet
Mise en scène : Catherine Hargreaves, Avec : François Herpeux
Au Gymnase Mardi 14 juillet à 11h / Jeudi 16 à 11h / Samedi 18 à 11h

Le ParisOFFestival :
Du 13 au 18 juillet 2020
Au Théâtre 14 - 20, avenue Marc Sangnier - 75014 Paris - Renseignements au 01 45 45 49 77
Au Gymnase Auguste Renoir - 1 square Auguste Renoir - 75014 Paris
Avec les aides et partenariats de la Ville de Paris et la Mairie du XIV°, Un été particulier, l'Adami, la SACD, l'ONDA, le CentQuatre, la MAC de Créteil et Le Monfort.

dimanche 19 juillet 2020

Ronce-Rose et Sans Effort au ParisOFFestival

Les propositions du Théâtre 14 dans le cadre du ParisOFFestival sont singulières et Ronce-Rose n'est pas la moins particulière.

Celui-ci était initialement programmé cet été à Artéphile (comme Le cas Lucia J.). En portant à la scène le roman d’Eric Chevillard, écrit en 2017 sous la forme du carnet intime d’une petite fille, la Compagnie les Indiscrets offre une vision du monde régénérée par le regard de l’enfance.

Seul en scène, l’acteur de 55 ans Jean-Louis Baille, joue avec délicatesse cette petite fille qui part dans le monde, à la recherche de son gangster de père disparu depuis des jours, tout en tenant le journal de sa quête éperdue.

Si le romancier parvient, avec toute l’élégance de son style et de son humour, à faire exister Ronce-Rose, ce n’est pas en singeant une prétendue langue d’enfant. Non, ce qui la fait exister, c’est l’acharnement de l’auteur à nous offrir, avec la candeur et la cruauté du chasseur de trésors, le regard étonné qu’elle porte sur les mystères du monde et l’impertinence de son imaginaire à le réinventer. Et ce sont ces intentions que les Indiscrets sont parvenus à restituer sur scène tout en conservant intacte la beauté du texte.

Comme le dit avec beaucoup d'à propos le personnage, il faut goûter à tout avant de décréter qu'on n'aime rien, alors je vous engage à venir le voir, de préférence avec vos enfants (le spectacle leur est accessible à partir de 12 ans) car voilà une belle occasion de leur faire découvrir un théâtre.
Le monde de Ronce-Rose – piquant comme la ronce, beau comme la rose – est une sorte de royaume de tous les possibles parce que, vu à travers le regard de la petite fille, le spectateur a un travail de décodage à entreprendre.

Franck Roncière (qui signe lumières et décors) s'est sans nul doute laissé influencer par le début du roman avant d'arrêter son parti-pris scénographie, une "simple" chaise, mais démesurée, posée sur une sorte de pelouse épaisse : C’est beau, moi je trouve ça beau, les choses qu’on voit, ce qu’il y a partout, c’est beau. Certaines de ces choses font plutôt rire, ça ne les empêche pas d’être belles aussi. Leur forme surtout, j’aime surtout la forme des choses, vous avez remarqué les formes qu’elles prennent ! Je ne pense pas seulement aux nuages. Vous avez déjà regardé une chaise ?

Des coupes ont été faites dans le roman car il n'était pas possible d'en conserver le texte intégral ... que je vous conseille de savourer ensuite si vous ne le connaissez pas. Il est intensément poétique. Sa définition de l'écriture (le suicide par le poignet) est une image parfaite. L'auteur procède par métaphores délicates. Par exemple une larme tombe sur le mot Machefer qui fait comme une loupe.

samedi 18 juillet 2020

Ultra-Girl contre Schopenhauer et Le cas Lucia J. au ParisOFFestival

C'est un décor de bonbonnière dans des tons de bleu et de rose, ponctué de touches de couleur orange,  extrêmement réussi de Caroline Oriot, dans lequel évoluent les personnages de Ultra-Girl contre Schopenhauer.

Cédric Rouillat, qui est un photographe lyonnais (s'affirmant comme autodidacte), et qui  se destinait auparavant à la bande dessinée, signe ici sa première mise en scène et je salue son talent. C'est lui qui a conçu et écrit la pièce, qui a été créée en février 2017 au théâtre de l'Elysée.

En s'affranchissant des habituels codes de sérieux, le résultat est vif, joyeux, osé, à la lisière d'une folie qui pourrait le faire basculer, mais ... non. Il reste toujours dans le cadre du théâtre auquel il serait difficile de rendre un plus bel hommage.

Quand on entend ces paroles on se dit que c'aurait été une erreur de ne pas programmer la pièce dans le ParisOFFestival (elle aurait dû être jouée cet été au 11 Gilgamesh d'Avignon) : Je voudrais savoir qui a décidé que le théâtre n'existait que dans quelques vieilles bâtisses dispersées dans des grandes villes (...) Ecoutez et apprenez ! Le théâtre c'est le dompteur de puces, le grand opéra et les rodéos, le carnaval, les ballets, les danses rituelles indiennes, les marionnettes, tout ça c'est encore le théâtre, partout où il y a la magie, où on fait semblant devant un public, c'est le théâtre.

Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand (1788-1860) qui ne figure dans le titre que comme clin d'oeil en raison d'une citation de son nom dans une des chansons du spectacle. Le moins qu'on puisse dire c'est que cet homme n'était pas joyeux. Il pourrait représenter la conscience (ou les doutes) d'Edwige (Sahra Daugreilh, qui collabore régulièrement avec Cédric Roulliat), une jeune traductrice, rêvant aux destins extraordinaires des superhéroïnes de comics américains, travaillant dans les années 80 pour un éditeur de bandes dessinées, à l'adaptation en français des aventures de l’intrépide et sensuelle Ultra-Girl (Laure Giappiconi).

Cette figure super héroïque d'ultra-girl est, pour Edwige, un double idéalisé, sublimé, en même temps sa meilleure amie et en même temps toutes les héroïnes qu'elle a pu rencontrer dans les oeuvres de fiction, au cinéma, dans la littérature et le roman-photos comme dans les bandes dessinées. On remarque ainsi les évocations des héroïnes de bande dessinée et d'actrices comme Rita Hayworth ou Liz Hamilton. Le spectacle est si riche de références et d'hommages qu'on aimerait pouvoir mettre parfois sur pause et jouer le replay.
© photo : Julien Benhamou
Le personnage de fiction prend corps dans la réalité (et quel corps intrépide et sensuel en combinaison moulante cousue dans le drapeau américain et cuissardes rouges !) tandis que celui de la traductrice perd la notion du réel dans une sorte d'osmose interchangeable entre elles deux. Les mythes hollywoodiens surgissent dans des moments surréalistes de chants, danses, extraits de films qui sont interprétés en voix off par les comédiens qui, on ne pourrait faire mieux, incarnent leurs héros.

vendredi 17 juillet 2020

Une Goutte d'eau dans un nuage, par la Cie Microscopique

Une goutte d'eau dans un nuage avait été programmé au Théâtre Transversal l'été 2019 où je l'avais vu une première fois. Le spectacle avait été créé et représenté pour la première fois sous forme de maquette de 45 minutes au Liberté, scène nationale de Toulon en mars 2019.

Son titre est un emprunt à Robert Musil, dans L’Homme sans qualités. J'ai voulu revoir la pièce écrite par Eloïse Mercier parce que la comédienne m'a dit qu'elle en avait enrichi le texte. Il est probable d'ailleurs qu'il va encore évoluer.

C'est l'histoire vraie (en partie autobiographique, mais nourrie d'imaginaire) d'une jeune femme qui s'expatrie à Saïgon et l'histoire des imaginaires qui l’entourent. C'est une histoire de transformation. Arriver là-bas à l'heure de la mousson, se retrouver submergée, être débordée de l'intérieur et se répandre dans le décor. Raconter le tourbillon de la ville électrique et les bruits de la jungle à sa porte. Respirer la densité de l'air et se demander qui de nous ou du paysage change le plus.

Le dispositif scénique est relativement conséquent sur un plateau comme celui du Théâtre 14. Il m'a semblé cette fois-ci qu'il gagnerait à être organisé en déambulation afin de faire vivre au spectateur une expérience moins "radiophonique" et plus immersive (ce qu'Eloïse Mercier rêverait de pouvoir réaliser avec la diffusion d'odeurs). Il faudrait aussi pour cela troquer le micro sur pied pour un dispositif HF, ou alterner les deux, mais conserver bien entendu l'effleurement du murmure.

Le spectacle commence avec l'atterrissage à Ho Chi Minh City par 33°C et des pluies abondantes, ce qui nous parait ce soir là comme surréaliste puisqu'on sait que les avions sont cloués au sol par la Covid.  On perçoit pourtant quelque chose d'électrique dans un air que l'on imagine humide. La voix d'Eloïse nous pénètre. La lenteur de son débit a quelque chose d'hypnotique en se combinant au bruit de l'eau et à une bande-son illustrative.

Les chapitres se succèdent en évoquant plus ou moins directement la sensualité des paysages de Marguerite Duras, son érotisme et la violence ; celle de l'orage, celle des films populaires sur la Guerre du Vietnam et celle - toute autre - de la modernité, qui transforme à toute vitesse le pays et ses paysages.

Chaque objet a davantage qu'une fonction décorative, jusqu'à Bo Bun, le poisson rouge qui évolue dans son bocal.

Une goutte d'eau dans un nuage reste une proposition singulière à la frontière du seul en scène, avec une partition créée à partir d’enregistrements faits au Vietnam. Un petit voyage théâtral sonore et délicat qu'on peut refaire à travers une mousson d’été et qui se termine sur la chanson si belle d'India Song dont la musique langoureuse de Carlos d'Alessio accompagnait si bien le film en 1976. L'interprétation de Jeanne Moreau est toujours aussi bouleversante.

Une Goutte d'eau dans un nuage, par la Cie Microscopique en coproduction avec Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Mise en scène, texte et interprétation  : Eloïse Mercier
Conception sonore Vincent Bérenger et Eloïse Mercier
Arrangements et mixage Charlie Maurin
Voix vietnamienne Ha Nguyen T.H et Poésie vietnamienne : Phe X. Bach
Au Théâtre 14 Lundi 13 juillet – 19h / Mercredi 15 à 19h / Vendredi 17 à 19h
Tournée 2020-21 : 6 et 7 octobre 2020 : Châteauvallon, scène nationale, 3 et 4 décembre : Centre Culturel de Porrentruy, Suisse, le 20 avril 2021 : Théâtre du Rocher, La Garde
Autres dates en cours de définition

Le ParisOFFestival :
Du 13 au 18 juillet 2020
Au Théâtre 14 - 20, avenue Marc Sangnier - 75014 Paris - Renseignements au 01 45 45 49 77
Au Gymnase Auguste Renoir - 1 square Auguste Renoir - 75014 Paris
Avec les aides et partenariats de la Ville de Paris et la Mairie du XIV°, Un été particulier, l'Adami, la SACD, l'ONDA, le CentQuatre, la MAC de Créteil et Le Monfort.

jeudi 16 juillet 2020

Shifumi Plage au ParisOFFestival

Deux spectacles étaient programmés dans le cadre du ParisOFFestival à destination des enfants, Biftek (que je n'ai pas vu) et Shifumi Plage.

Pour ceux qui ne le sauraient pas la pièce porte le nom d'un jeu qui est d'abord apparu au Japon au cours du XVII° siècle avant d'arriver en Occident. Ce serait une déformation du japonais Hi-fu-mi signifiant 1-2-3, du fait que les japonais comptent jusqu'à trois avant de montrer leurs coups.

Connu également sous le nom de Pierre-feuille-ciseaux ou Roche-papier-ciseaux, Feuille-caillou-ciseaux, Marteau-ciseaux-papier ... il repose sur l'intuition de ce que l'adversaire va tenter. De façon générale, la pierre bat les ciseaux (en les émoussant), les ciseaux battent la feuille (en la coupant), la feuille bat la pierre (en l'enveloppant). Ainsi chaque coup bat un autre coup, fait match nul contre le deuxième (son homologue) et est battu par le troisième.

Ce jeu est très populaire puisqu'il ne nécessite aucun matériel. Il a inspiré un spectacle à Alexis Fichet et Bérengère Lebâcle qui l'interprètent (avec  Lucile Delzenne) le temps d'une récréation, au bord de la mer en remplaçant la pierre, la feuille et les ciseaux par leurs personnages préférés : par exemple Fumseck contre Flipper, ou bien Antoine Griezmann contre Le Petit Prince !

Ils interrogent le public sur l'existence possible d'un jeu sans gagnant. Les jeunes spectateurs (à partir de 7 ans) sont invités à voter et surtout à argumenter leur point de vue. Mais sans jamais rien concéder sur le jeu, cette fois théâtral, qui est la métaphore parfaite de ce que sont compréhension, dialogue, et partage de valeurs devenues communes.
Sur le plan de la forme, le trio combine très habilement l'interprétation sur le plateau, des pliages en papier, l'improvisation (avec le public) et des images projetées sur un écran pour représenter les personnages et stimuler le regard des spectateurs. Pour cela ils se sont rendus en Bretagne, sur la plage de Saint-Malo et expliquent volontiers le processus créatif après la représentation.

La compagnie Lumière d'août démontre avec Shifumi Plage qu'un jeu sans gagnant, ni donc perdant, ça existe vraiment. C'est l'occasion d'une réflexion sur le jeu ... théâtral aussi et de réussir la prouesse d'initier les enfants à la confrontation des idées et au vote !

J'ajouterai que le concept de jeu coopératif est né aux Etats-Unis dans la mouvance non-violente en réaction à la période de la guerre du Vietnam. Dédiés initialement aux enfants, selon l'alternative que tout le monde gagne ou perd, ils ont depuis quelques années envahit les gammes pour adultes et je vous invite à vous renseigner à leur sujet dans les ludothèques.

Ils sont idéaux pour développer chez les participants des facilités de communication, une aptitude à fraterniser, à faire confiance, à adopter des attitudes sociales positives en même temps qu'un sens de la critique constructive, une capacité d'empathie et bien évidemment un esprit de coopération.
Shifumi Plage, par la Compagnie Lumière d’août
Conception et écriture : Alexis Fichet et Bérengère Lebâcle
Avec Lucile Delzenne, Alexis Fichet et Bérengère Lebâcle
Au Théâtre 14 Mardi 14 juillet à 9h30 / Jeudi 16 à 9h30 / Samedi 18 à 9h30

Le ParisOFFestival :
Du 13 au 18 juillet 2020
Au Théâtre 14 - 20, avenue Marc Sangnier - 75014 Paris - Renseignements au 01 45 45 49 77
Au Gymnase Auguste Renoir - 1 square Auguste Renoir - 75014 Paris
Avec les aides et partenariats de la Ville de Paris et la Mairie du XIV°, Un été particulier, l'Adami, la SACD, l'ONDA, le CentQuatre, la MAC de Créteil et Le Monfort.

mercredi 15 juillet 2020

Etienne A. au ParisOFFestival et bientôt à La Scala

Encore une belle découverte dans le cadre du ParisOFFestival avec Etienne A., une pièce écrite et mise en scène par Florian Pâque, et interprétée avec beaucoup de justesse par Nicolas Schmitt qui assume tous les rôles.

Même cette prouesse de jeu est à mettre au crédit de la dramaturgie puisque le spectacle raconte la nuit de réveillon d'un homme dont le nom se restreint à une initiale, et qui va se résoudre à prendre une décision radicale pour sortir du cauchemar "ordre-ordonner-ranger-dépoussiérer-rendre évident et être rigoureux".

Il est désigné par son prénom, Etienne, suivi d'un A ... comme Amazon peut-être, la multinationale pour laquelle il travaille de nuit comme "piqueur" à l’entrepôt de Saran (Loiret). On a de cette firme une vision très noire dans le dernier film de Ken Loach, Sorry we missed you qui m'avait considérablement choquée.

La vie des employés français est différente, en raison de lois protectrices qui empêchent pour le moment leur ubérisation. Ils ne sont pas contraints à s'endetter pour avoir le "droit" de travailler. Il n'empêche que ce boulot qui s'organise sous le faisceau rouge de l'horloge numérique n'est pas très joyeux, c'est le moins qu'on puisse dire, surtout pour ce trentenaire, encore jeune, qui rentre chez lui au petit matin dans sa Citroën ZX Tonic et, qui, lorsqu'il s’endort, rêve de cartons à expédier.

Dans sa vie ordinaire, dont les journées sont des nuits rythmées par les pulsations des caristes dont le public perçoit le bruit mat de leurs engins, l'extra-ordinaire serait d'arriver à parler avec sa collègue Sandrine et de parvenir à ébaucher une déclaration. Difficile quand on est relégué depuis 5 ans en zone C, parmi les objets retournés non distribués commandés sur Amazon où, c'est bien connu on achète tout et n'importe quoi, sans même parfois réfléchir. Le nom de l'entreprise a été choisi pour être prononçable dans de nombreuses langues et suggérer le "tout est possible ... de A à Z", souligné d'un trait qui a l'allure d'un sourire afin d'inspirer la confiance.

mardi 14 juillet 2020

Specimens et Mon Premier c'est Désir au ParisOFFestival

Ma première journée au ParisOFFestival, hier, ne fut qu'heureuses surprises.

Commençons par Spécimens, texte et mise en scène de Nathalie Bensard, initialement programmé à La Factory, et que je recommande surtout aux parents accompagnés de leur teen-agers, qui démarre joyeusement sur la scène de répétition d'un club de théâtre.

L'espace du Gymnase Auguste Renoir correspond totalement au cadre de cette pièce, encore plus qu'un plateau de théâtre (et je remarquerai plus tard combien l'aménagement fait dans cet endroit est propice aux spectacles).

Les deux comédiens déboulent devant les spectateurs sous une lumière blafarde qui laisserait croire qu'on se trouve dans une piscine, transgressant un premier interdit puisque le club théâtre est censé être fermé. Tom Politano allume la servante, et entreprend d'entrainer sa partenaire (Louise Dupuis) dans une visite guidée. Ils font des essais de micro, fort cocasses et le public rit de bon coeur et en toute innocence de leurs blagues.

L'écriture de Nathalie Bensard creuse "les remous de l'adolescence, en l'explorant comme un territoire avec ses contrastes, ses contradictions, ses contradictions, ses tiraillements, en faisant parler des personnages en pleine métamorphose qui fouillent les stéréotypes, les préjugés, les empêchements, les appréhensions, les peurs, les envies, les élans, les sensations, les sentiments qui les traversent".

Pour réussir ce pari elle s'est appuyée sur Shakespeare, comme sur la mythologie amoureuse vue par Walt Disney, mais aussi sur les improvisations des deux comédiens et sur l'expérience d'ateliers entrepris avec des adolescents.

On pourrait aussi bien dire qu'il y a du Marivaux dans la ruse du garçon pour attirer la jeune fille en la suppliant de l'aider à répéter la scène de fin de Roméo et Juliette.

lundi 13 juillet 2020

Le ParisOffEstival

Le Festival d'Avignon n'aura pas lieu ... du moins pas dans sa configuration habituelle, qu'il s'agisse du "in" comme du "off" même si on verra ici et là surgir des annonces de spectacle dans certains théâtres qui fonctionnent à l'année et si des lectures auront lieu dans la Cour d'honneur du Palais des Papes, de façon plus ou moins formelle.

Conscients des conséquences de cette annulation pour de nombreuses compagnies, le Théâtre 14 a trouvé le moyen de "remettre de l'énergie dans le moteur du spectacle vivant à l'arrêt" comme le disent si justement Mathieu Touzé et Edouard Chapot.

Ils ont monté avec leur équipe et le soutien de multiples partenaires (dont il faut saluer la réactivité et que donc je nomme à la fin de l'article où vous trouverez aussi le lien pour réserver et en savoir plus sur la programmation).

Ce ne sont pas moins de 15 propositions artistiques comptant 42 levers de rideau avec 27 artistes et 15 compagnies qu'ils offrent au public dans 2 salles sur la semaine. Le verbe "offrir" me semble être juste parce que d'une part c'est une immense chance que d'avoir accès à ce festival, que d'autre part ils ont choisi d'appliquer une tarification libre et solidaire (dont bien des festivals pourraient s'inspirer) et qu'enfin il n'y a aucune concession à la qualité. J'ajoute que l'ancrage dans le quartier est intentionnel et réussi, prévoyant notamment de gagner des publics qui n'ont pas l'habitude d'oser venir au théâtre.

Et bien entendu dans le respect de toutes les mesures sanitaires, sans pour autant sacrifier à une convivialité "raisonnable et raisonnée" qui bientôt deviendra une mention obligatoire au même titre que la petite restriction "à consommer avec modération" dès que l'on parle d'alcool ou de vin. Quand on regarde un cliché comme celui ci-dessous, pris l'an dernier en Avignon, on comprend tout le sens des gestes barrières.
Une sorte de mini-village du festival, nommé à juste titre Le Paradol, car il occupe un bout de la rue Prévost-Paradol a été monté en lien avec un nouveau lieu de solidarité et de cohésion sociale portant le même nom.

Sur quelques mètres, c'est un petit air de paradis, où les festivaliers pourront se reposer en plein air entre deux spectacles, boire un rafraîchissement ou se restaurer, prendre leurs prochains billets, et discuter entre eux et avec les artistes dans une atmosphère de convivialité indissociable d'un festival.

Le programme a été conçu fort astucieusement de manière à ce que le public passionné puisse (presque) tout voir sur seulement deux jours. Ce festival n'est pas du tout à suivre avec parcimonie car il est d'un niveau de qualité qui n'a rien du tout à envier à la programmation avignonnaise. Et pour cause puisque plusieurs spectacles y ont déjà été joués comme :

dimanche 12 juillet 2020

Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques

Voilà une biographie à mettre entre les mains de toutes les jeunes filles à partir de 13 ans, et surtout pendant les vacances ... et j'espère que le livre que Sophie Dodeller consacre à Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques suscitera des vocations scientifiques.

Il avait attiré mon attention lors de la présentation de la rentrée littéraire, décalée plusieurs fois par son éditeur.

Elle a 13 ans le 13 juillet 1789, et elle cherche dans la bibliothèque bien garnie de son père un livre qui, surtout, ne soit pas "léger" mais "un ouvrage coriace qui lui donnerait du fil à retordre, un texte qui réclamerait toute son attention" (p. 8) et on devine que la jeune Sophie veut distraire son cerveau des horreurs qui se déroulent dans la rue.

Ce sera l'Histoire des mathématiques que Jean-Etienne Montucla a racontée en deux épais volumes de six cent pages chacun, attisant une curiosité sans limites pour ce champ scientifique qu'elle va creuser toute sa vie.

Mais pour le moment ses parents voient son engouement d'un très mauvais oeil. On considère alors que les femmes ont un esprit limité et elles n'ont le droit que d'apprendre à lire, écrire et compter. On peut lire (p. 65) pour justifier un projet d loi portant défense d'apprendre aux femmes de lire cet argument édifiant prônant que les cuisinières qui ne savent pas lire sont celles qui font la meilleure soupe.

Ils privent la jeune fille du moyen d'étudier le soir et surtout la nuit. Mais rien n'y fait, elle ne lâche pas ses calculs, qu'elle poursuit sans chauffage et sans vêtements chauds, au risque d'y perdre la santé. Alors sa mère compatissante va céder et son père l'accompagnera chez le libraire pour s'approvisionner en traités de mathématiques. Le soutien de ses parents lui est désormais acquis.

L'auteure fait de discrètes allusions aux conditions de vie pendant la période révolutionnaire, comme le port obligatoire de la cocarde que l'Ecole des loisirs a choisi de faire figurer en employant la couleur (p. 36-37). Le rasoir national (la guillotine) tombe régulièrement mais Sophie ne renoncera jamais à ses incursions dans sa librairie préférée du 21 Quai des Augustins.

Elle apprend le latin, rencontre en 1795 (elle a 19 ans) Antoine Augustin Le Blanc qui vient d'intégrer la toute nouvelle école Polytechnique qui lui est fermée puisqu'elle est une femme. Sylvie Dodelier s'amuse d'ailleurs à expliquer aux lecteurs qu'il fallut aux femmes attendre 1972 pour passer le concours d'entrée. Elle a retranscrit (p. 44) une incroyable interview entre Anne Chopinet et un journaliste étonné qu'une jeune femme puisse "accidentellement" dépasser les garçons puisque non seulement elle intègre Polytechnique mais en plus elle se classe major. Ce monument de misogynie méritait bien d'être pointé, tout comme les articles si scandaleux du Code civil de Napoléon publié en 1804 et qui fait perdre à la femme le peu de liberté que la révolution française lui avait octroyée (p. 117).

Sophie se lie d'amitié avec Antoine Augustin et le convainc de partager ses cours avec elle. Elle ruse en signe des billets en son nom pour dialoguer avec un des professeurs, Joseph Louis Lagrange, un des plus grands mathématiciens de l'époque qui, en la rencontrant découvre la supercherie mais admiratif du talent de Sophie, lui ouvrira d'autres portes. Elle utilisera malgré tout le nom d’emprunt de 1794 à 1807.

Une citation figure aussi en tête de chaque chapitre. On y découvre une phrase de Cédric Vilani, le plus célèbre de nos mathématiciens contemporains (qui fut candidat à la mairie de Paris) : Ne croyez pas que la vie d'un mathématicien soit accommodante. Elle est remplie de perplexité, de frustration, de combats désespérés vers la compréhension (p. 95). En le lisant on se dit que les temps n'ont guère changé.

La jeune femme est décrite comme fougueuse, et son intelligence est finalement reconnue, bien davantage que celle des "femmes savantes" pointées au siècle précédent par Molière, et qui sont davantage dans le paraître. Elle va s'atteler pendant des années sur les nombres premiers, finira par mettre au point un théorème qui portera son nom, entretiendra une correspondance avec le mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss et sera connue (un peu, ... hélas et uniquement des mathématiciens) pour ses travaux sur l’élasticité des corps. Elle deviendra en 1816 la première femme récompensée par l’Académie des sciences mais, écoeurée de n'avoir pas reçu l'invitation en avance elle ne se présentera pas à la remise de son grand Prix.

Son nom ne sera pas gravé sur la Tour Eiffel parmi les 72 savants les plus marquants depuis la Révolution Française, comme aucune autre femme d'ailleurs, pas même Marie Curie. On désigne cette amnésie dans l'importance de la contribution féminine au développement scientifique sous le terme d'effet Matilda (p. 133).

Il était donc temps de rendre hommage à la grande mathématicienne, physicienne et philosophe française Sophie Germain (1776-1831) surtout dans un livre qui se lit avec beaucoup de plaisir. Puisse ce brillant esprit, peu connu du grand public, devenir par sa force de caractère un modèle à suivre pour décider les jeunes filles à s'engager dans les filières scientifiques !

Allez avec vos enfants au Palais de la découverte. On y voit en ce moment l'exposition De l'amour ... et on peut y faire l'expérience de l'acousticien allemand Chladni, décrite p. 95 et qui est à l'origine des illustrations qui émaillent chaque nouveau chapitre du livre.

Sylvie Dodeller est elle aussi curieuse de choses nouvelles. Il parait qu'elle est une insatiable arpenteuse des rues du vieux Paris, dévoreuse de romans historiques et de biographies. Elle écrit dans un style accessible et précis, pour redonner vie au quotidien d'autrefois. Toujours à l'Ecole des loisirs elle a aussi publié :
  • La Fontaine, en vers et contre tout ! Médium 2017
  • Léonard de Vinci - Artiste ? Vous rigolez. Médium poche 2009
  • Molière - Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques de Sophie Dodeller, collection Médium, Ecole des loisirs, février 2020

samedi 11 juillet 2020

Dernier repas à Pompéi au Musée de l'Homme

En écho à  Je mange donc je suisà découvrir jusqu'au 31 août 2020, cette exposition permet de revivre un Dernier repas à Pompéi à travers la découverte de vestiges alimentaires provenant des cités antiques de Pompéi et Herculanum de la baie de Naples, dont la disparition eut lieu, faut-il le rappeler, dans la nuit du 24 octobre 79 sous les cendres du Vésuve.

On croit savoir et pourtant on ne sait pas grand chose ... et il est heureux que des collections exceptionnelles sortent pour la première fois d’Italie afin de nous faire revivre un dernier repas à Pompéi, en bénéficiant d'un prêt exceptionnel du Musée archéologique national de Naples.

Le visiteur est accueilli (ou mis en garde) par une reproduction de la célèbre mosaïque de chien qui se trouvait dans la ville romaine antique et qui fut enterrée par la cendre pendant l'éruption. La mise en garde, Cave Canen, "Attention au chien" se retrouvait fréquemment à l’entrée des habitations de Pompéi.
L'espace muséal consacré à l'exposition est plutôt réduit et les objets exposés sont restreints. C'est logique étant donné l'ampleur des destructions mais il est un peu décevant de remarquer des fruits et légumes en plastique disposés sur une étagère et des reproductions de fresque sur les murs, même si elles sont magnifiquement reconstituées, tout autant que la frise qui borde le parquet, en suivant un plan inspiré de la Villa des Mystères qui est une villa romaine antique située à 300 m de la porte d'Herculanum et du mur nord de la cité antique de Pompéi.
De caractère rustique-résidentiel, elle fut retrouvée en 1909. C'est une des villas les plus visitées du site de Pompéi. Elle est surtout connue pour la série de fresques du triclinium, figurant un culte à mystères.
Un demi-pain carbonisé, typique de la Naples du Ier siècle (que l'on suppose authentique puisqu'il est sous vitrine) pourrait susciter de l'émotion s'il n'était pas placé là un peu à l'instar de l'échantillon de roche lunaire ramené par les astronautes d'Apollo que je me souviens avoir vu au cours de ma visite du National Air and Space Museum de Washington.

vendredi 10 juillet 2020

Je mange donc je suis est prolongée au Musée de l'Homme jusqu'à fin août 2020

Ce n'est pas très drôle de visiter un musée avec la buée sur les verres de mes lunettes. Respirer une surconsommation d’oxyde de CO2. Avoir les yeux qui louchent au-dessus de mon carnet de notes. Entendre autour de moi des voix caverneuses, assourdies par les masques. Devoir réserver en ligne, sans plus pouvoir improviser ...

Mais néanmoins je n'ai aucun regret car Je mange donc je suis est une des expositions qu'il faut avoir vues et c'est une chance qu'elle soit prolongée tout l'été au Musée de l'Homme (où vient de s'ouvrir Dernier repas à Pompéi). Elle aborde les aspects biologiques, culturels et écologiques de notre alimentation.

Mes yeux portent sur cette mise en garde de Paul Rivet, écrite en 1948 : l'humanité est un tout indivisible, non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps. La bienvenue au musée nous est toujours souhaitée par des enseignes multicolores installées il y a cinq ans, depuis la réouverture
Je mange donc je suis explore d'abord en quoi l'acte de se nourrir, vital et quotidien, façonne en même temps nos identités à travers des pratiques cultuelles, des rituels et des interdits, et quel rôle a joué l'alimentation dans notre évolution.Manger est une expérience personnelle, un acte social mais aussi un enjeu économique.

Le parcours est conçu pour intéresser les publics néophytes comme avertis, et tous les âges. L'expérience est singulière, à la croisée entre passé, présent et avenir, nourriture, culture et nature, arts et sciences.

La première salle commence, en toute logique par la présentation d'outils : les dents, les hameçons, les harpons, bien utiles pour pêcher car on consomme du poisson depuis environ 200 000 ans avant notre ère. La viande est elle aussi une nourriture préhistorique. Les commissaires ont conçu un parcours sérieux mais ponctué de pointes d'humour. Ainsi il est amusant de voir le paquet de Frosties à proximité de galettes de blé fossilisés.

Je suis surprise aussi de voir dans une vitrine l'appareil ménager que ma mère utilisait au quotidien. Le Robot Charlotte 1960 est donc devenu une pièce de musée.
En face, la fabrique du goût, explique combien nous sommes conditionnées dès l'enfance par le plaisir éprouvé en découvrant les aliments. J'apprends que c'est de deux à six ans que les enfants sont les plus néophobes, ce qui démontre que l'éducation au goût est fondamentale. Le goût est multi-sensoriel et on nous le démontre. On entend le fameux texte écrit par Marcel Proust en 1913 à propos de la petite madeleine, dit en boucle par André Dussollier.

La volonté de théâtraliser la scénographie est manifeste, avec des filets rouges et une alternance de salles obscures. Plus loin, un diorama interactif à double écran combinant, à gauche le bon ou le connu et à droite le mal ou l’inconnu présente six sujets : la vache, le canard, le poisson, le porc, les légumes, et peut-être le sujet le plus original avec les insectes. Je reconnais le slogan : Croquer, craquer, criquet ... On entend de la musique ponctuée de cris d’oiseau. On reconnaît, à son chapeau, le chef Marc Veyrat qui veuille des herbes sauvages et fait déguster la benoîte.
L’image du porc tabou s’oppose au cochonou. J’apprends que c’est une des viandes les plus consommées au monde. Elle est associée à la prospérité (rappelez-vous le petit cochon en forme de tirelire) et c’est pourtant l’animal impur par excellence dans la religion juive comme pour les musulmans. La viande fait de plus en plus l'objet de débats passionnés.

mercredi 8 juillet 2020

Le bibimbap, spécialité du Pierre Sang Express rue Notre Dame des Champs

On ne s'attend pas à trouver un restaurant de Pierre Sang rue Notre Dame des Champs, trop éloigné de la rue Oberkampf. Alors j'ai mené l'enquête, et me suis régalée par la même occasion de ce plat quasi "national" de la cuisine coréenne.

Le chef a régulièrement exprimé son intention de proposer un plat qui puisse plaire à un maximum de personnes, qui soit simple et complet, qui soit le résultat d'une harmonie entre ses racines auvergnates et coréennes, et qui soit vendu à un prix raisonné.

Pour avoir déjà gouté sa cuisine, je sais qu'il est exigeant mais abordable et je n'avais aucun doute sur le résultat. Mieux valait tout de même tester le plat avant d'en parler ... et j'aime beaucoup !

Il s'agit du bibimbap, qui se décline en trois versions  : viande ou poisson ou végétarienne.

L'ingrédient fondamental est le riz, comme l'étymologie de son nom l'indique, pour peu qu'on parle coréen. Bibim signifie mélangé et bap désigne le riz. La version de Pierre sang s'architecture en superposition et son riz est préparé de façon très personnelle puisqu'il associe le riz blanc à du riz sauvage et au quinoa rouge, et surtout à des lentilles du Puy, un produit qu'il affectionne parce qu’il a grandi en Auvergne au milieu de champs de lentilles.

Si en Corée on sert ce plat traditionnel surmonté d'un oeuf sur le plat, Pierre préfère l'oeuf parfait,  dont la texture est plus agréable que celle d'un oeuf mollet si l'on sait en maitriser la cuisson très exactement à 64°.

Imaginez un contenant en carton qui s'ouvre comme une fleur de lotus et au fond duquel on met d'abord une belle quantité de sauce, maison évidemment, à base de pâte de piment fermenté, de pâte de soja et d'huile de sésame. Dessus ce mélange de riz qui ayant longuement cuit dans une cocotte spéciale sera parfois moelleux, parfois croquant, à la limite du croustillant comme l'aiment les asiatiques.

L'oeuf sera déposé délicatement dessus, avant d'être recouvert d'un mélange de salade et de six à huit légumes de saison finement tranchés puis sautés ou blanchis, et assaisonnés. L'apport en protéine est assuré par l'oeuf et par (selon le choix du client) une viande (en général du boeuf) ou un poisson (souvent du saumon) ou un légume dans la version végétarienne (en ce moment des champignons).

lundi 6 juillet 2020

Traces, le nouvel album de Mico Nissim

A l'inverse du poète qui dispose d'un vaste lexique pour exprimer ses émotions, le musicien pose peu de mots sur sa musique.

Le titre est un faible indice de son intention mais, à lui seul, il met malgré tout l'auditeur sur une piste, qu'il invite à suivre, ... comme il le ferait d'une trace.

Laisser une trace, c'est la question sur laquelle tout être humain s'interroge. Et Mico Nissim y apporte des réponses plurielles avec son nouvel album.

La pochette est déjà en elle-même signifiante. Elle a été réalisée par un artiste qui n'est pas spécialiste de cet exercice. Cette roulotte oubliée ou abandonnée dans le désert de Gobi a convenu à Mico Nissim.

C'est le plus vaste désert de toute l'Asie, et c'est aussi le plus froid au monde. Il attire les voyageurs épris de liberté et de grands espaces. Ses habitants, nomades, y pratiquent des rituels sacrés et c'est là que les paléontologues ont trouvé les plus grandes traces de dinosaure. On peut donc considérer que le cadre est particulièrement bien choisi.

La photo évoque presque un bord de mer, une fois que l'eau s'est retirée, laissant quelques empreintes sur le sable où l'on découvre le titre de l'album, en calligraphie manuscrite, sans majuscule, à l'instar de notes couchées sur un carnet.

Traces … Le titre parle de soi-même. C’est sans doute le type d'album qui témoigne d'une maturité. Quand on essaie de revenir sur tout ce qu’on a fait mais en créant… pour laisser ses propres traces sur d'autres, plus anciennes, qui peuvent, c'est selon, correspondre à des souvenirs ou à des cicatrices.

J'ai écouté les onze titres sans me laisser influencer par leurs intitulés, puis je suis revenue sur chacun à l'éclairage des quelques mots que j'ai considérés comme autant de pistes.

La tonalité et le détachement des notes d'Un soupcon d’innocence m'a renvoyée des années en arrière, quand j'avais découvert l'album publié en 1975 par Keith Jarrett. Je suis loin d'être une spécialiste de la musique de jazz mais les premières notes du Köln Concert sont gravées à jamais dans ma mémoire.

J'ai appris depuis que l'artiste était de fort mauvaise humeur le soir de l'enregistrement. De multiples choses le contrariaient, et notamment le piano qui n'était pas celui qu'il avait demandé. Est-ce la raison pour laquelle il commença son improvisation en reprenant le thème musical de la sonnerie de rappel de la salle de Cologne ? Par provocation ou par innocence ? L'enchainement de ces quatre premières notes est reconnaissable à jamais et cet album est réputé être un des plus importants de l'histoire du jazz.

Le jazz n’est qu’une suite de reprises des standards appartenant au répertoire des comédies musicales de 1920 à nos jours et à partir desquelles les musiciens ont créé eux-mêmes des thèmes originaux. Et si aujourd’hui le jazz se développe dans de multiples directions la citation est légitime, parfois drôle et quand elle arrive à propos, presque par effraction, elle est comparable à un petit sourire. Elle instaure, les soirs de concerts une connivence entre les musiciens ... et le public s’il est mélomane.

Nous verrons que cet album recèle de multiples citations, parfois légères, voire peu conscientes, et parfois manifestes. Dans un précédent album, enregistré avec Touré Kunda, Mico Nissim avait utilisé quelques notes des Danses polovtsiennes du deuxième acte de l’opéra le Prince Igor d’Alexandre Borodine, Le rappeur américain Warren G et la chanteuse Sissel Kyrkjebø en reprirent  le thème en 1997.

Malgré tout est conçu dans la continuité du précédent, en un peu moins sombre, glissant peut-être dans une forme de romantisme. On imagine une soirée avec des chandelles, quelques convives debout qui devisent en buvant un verre.

Blues for Arnold nous entraine dans un piano-bar où sonne une répétition de notes à la lisière de la discordance avec, à la fin, une suite presque humoristique. La référence à Arnold Schönberg est évidente, et sans doute encore davantage pour une oreille musicale qui dicernera une parenté avec sa manière de composer.

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