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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 26 décembre 2020

Orléans de Yann Moix

Orléans a fait polémique. On ne s'en étonnera pas. Tout ce que publie ou dit Yann Moix est provocation.

J'avais beaucoup aimé, mais c'était il y a bien longtemps, en 2002, la biographie qu'il avait faite de Claude François. Il me semble que c'est la raison qui me pousse régulièrement à tenter de lire un autre de ses ouvrages.

Connaissant bien cette ville, où j'ai moi-même passé une partie de mon adolescence et mes premières années de jeune adulte, j'ai eu envie de me faire ma propre opinion. J'espérais probablement aussi retrouver quels souvenirs à la faveur de la description d'un quartier.

Sur ce point, j'aurais mieux fait de re-visionner le film d'Anne Le Ny, On a failli être amies, qu'elle a tourné dans la ville johannique.

Pour tout dire je ne courais pas un grand risque puisque je m'apprêtais à l'emprunter en bibliothèque. J'ai malgré tout par acquis de conscience lu un paragraphe au hasard, puis un autre ailleurs, et encore un troisième quelques pages plus loin. Ce livre m'est, comme on dit, tombé des mains.

Le style est tellement travaillé qu'il ne laisse aucune place à l'émotion alors que c'est sans nul doute ce que l'auteur a cherché à diffuser, et qui pour moi est rédhibitoire à susciter la moindre empathie. Je vous donne un exemple : La gifle, comme son avatar lexical, était maritime et aérienne ; il y entrait un je en sais quoi de voltige salée.
L'éditeur, quant à lui, ne minore pas la louange, et c'est son rôle : Qui a lu l’œuvre publiée de Yann Moix sait déjà qu’il est prisonnier d’un passé qu’il vénère alors qu’il y fut lacéré, humilité, fracassé. Mais ce cauchemar intime de l’enfance ne faisait l’objet que d’allusions fugaces ou était traité sur un mode burlesque alors qu’il constitue ici le cœur du roman et qu’il est restitué dans toute sa nudité.
Pour la première fois, l’auteur raconte l’obscurité ininterrompue de l’enfance,  en deux grandes parties (dedans/dehors) où les mêmes années sont revisitées en autant de brefs chapitres (scandés par les changements de classe, de la maternelle à la classe de mathématiques spéciales).
Dedans  : entre les murs de la maison familiale.
Dehors  : l’école, les amis, les amours.
Roman de l’enfance qui raconte le cosmos inhabitable où l’auteur a habité, où il habite encore, et qui l’habitera jusqu’à sa mort, car d’Orléans, capitale de ses plaies, il ne pourra jamais s’échapper.
Un texte habité, d’une poésie et d’une beauté rares, où chaque paysage, chaque odeur, chaque mot,   semble avoir été fixé par des capteurs de sensibilité saturés de malheur, dans ce présentéisme des enfants martyrs. Aucun pathos ici, aucune plainte, mais une profonde et puissante mélancolie qui est le chant des grands traumatisés.
Je suis repartie avec un autre témoignage, celui que Vanessa Springora nous offre dans Le consentement. Je vous dirai bientôt mon ressenti mais il sera sans nul doute bien plus positif. Son écriture est juste magnifique de pureté. Je sais déjà que je vais énormément l'apprécier.

Orléans de Yann Moix, Grasset, en librairie depuis le 21 août 2019

mercredi 25 novembre 2020

Les fantômes d'Issa de Estelle-Sarah Bulle

 

J’avais emmené Les fantômes d'Issa dans ma valise. Pour ne pas me trouver en panne de lecture si le confinement se prolongeait. J’ignorais alors la puissance du mouvement de "click and collect" auquel cependant je n’ai pas accès parce que le plus proche libraire qui le pratique est tout de même situé à plus d’une demi-heure de là où je suis en ce moment et que donc je n’ai pas le temps de faire l’aller-retour. Mais vous, peut-être …

J'ai bien failli refermer le roman après quelques pages. Je trouvais l’intrigue peu plausible. Pour tout dire, ça commençait mal, j’étais m'agacée. Mais j'avais tant aimé le premier roman de Estelle-Sarah Bulle en littérature adulte, que je me suis forcée.

Et puis je me souvenais de ses paroles au cours d'une soirée de présentation organisée par l'Ecole des loisirs, le 9 mars 2020, une date en quelque sorte surréaliste aujourd'hui : C’est l’histoire d’une adolescente hantée depuis quatre ans par une culpabilité féroce et on s'interrogera longtemps avant de savoir si elle a commis un crime. Je suis touchée par l’injustice donc je suis féministe de fait, avait-elle ajoutée.

Je rassure les curieux : ce roman n’est pas du tout autobiographique. C'est tout juste si l'auteure a glissé des allusions à ses racines antillaises. Elles sont bien plus nourries dans Là où les chiens aboient par la queue.

Estelle Sarah Bulle appartient à la même famille littéraire qu'Eric Pessan. Issa est proche de Lalie,  l'héroïne de son dernier roman, Tenir debout dans la nuit. Voilà des auteurs qui se saisissent des problématiques auxquelles nos jeunes sont confrontés, en particulier le harcèlement qui fut si longtemps tabou.

L'originalité d'Estelle est de l'inscrire en parallèle d'une culpabilité consécutive à une mauvaise action (un sujet qu'Eric Pessan a traité de diverses manières), notamment dans Plus haut que les oiseaux.

Quand la honte contraint au secret que de souffrance on endure, quel que soit l'âge qu'on a. Voilà donc pourquoi ce livre a une valeur universelle. Issa, 12 ans, a beau tenter depuis déjà 4 ans, de refouler son secret au plus profond de sa mémoire, il ressort la nuit, s'habillant de cauchemars qui la réveillent en sursaut malgré la petite lampe allumée près du lit. J'ai fini par éprouver beaucoup d'empathie pour cette adolescente passionnée de mangas.

Evidemment si la jeune fille s'était confiée à un adulte elle aurait peut-être apaisé sa conscience (mais nous n'aurions pas eu d'histoire). L'écriture sera salvatrice, d'une manière originale dont je ne vous dis rien.

Au final j'ai adoré cette histoire dont je me suis rendue compte qu'il appartenait à la sélection Jeunesse des 68 premières fois. Je recommande cette première publication jeunesse, en espérant que d'autres suivront. 

Les fantômes d'Issa, de Estelle-Sarah Bulle, illustration de couverture par Siegfried de Turckheim, collection Médium,  à partir de 11-13 ans, paru pour la première fois le 22 janvier 2020

lundi 23 novembre 2020

La Salorge du port des Salines d'Oléron

Les promenades sont toujours limitées à un rayon de 1 kilomètre mais cela ne saurait durer. Bientôt vous pourrez de nouveau explorer le patrimoine oléronnais. Pour le moment, de toute façon, il n'y a rien à voir de palpitant à la Salorge, située dans le port des Salines de Petit Village, sur l'ile d'Oléron puisque nous sommes en hiver. Les marais sont inondés pour protéger les diguettes du gel et de la pluie.

Mais le printemps reviendra. On videra les marais en mars et on les assèchera. Espérons qu'alors la crise sanitaire sera derrière nous. Et n'oublions pas que le sel est un puissant désinfectant, qui entre notamment dans la formule de l'eau de Javel.

L'histoire du sel remonte loin. Les soldats romains été remerciés  de leur travail par une plaque de sel qu’on appelait le salarium. La création de la gabelle, un impôt sur le sel, remonte à 1340 et elle fut appliquée jusqu’en 1946. Les marais salants de Saintonge ont existé dès le Moyen Âge. Pourtant l'activité oléronnaise est moins connue. Il n'y a plus que 10 marais en exploitation contre 300 à Guérande.

Si au XVIIe siècle un quart de l'île était exploité, surtout dans le nord, il y eut des vicissitudes historiques. Notamment après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 qui a provoqué le départ des protestants pour la Hollande. Plus tard le chemin de fer a infligé un gros coup dur parce que le sel méditerranéen était moins cher. La production française baissa énormément au profit de l'augmentation des sels portugais et espagnols. La morue a sauvé (momentanément) le sel d’Oléron.

L'activité disparut quasi totalement alors qu’elle était auparavant l’activité principale. Les marais ont majoritairement été transformés en claires. Les habitants, sauniers l’été, ostréiculteurs l’hiver ont fini par muter et se consacrer uniquement à l'élevage des huitres. Ils ont mis au point une technique d’affinage unique au monde qui permet d’obtenir un mollusque plus charnu, dont la couleur verte est obtenue par la présence d’une algue bleue.
Si on pouvait s'élever dans les airs en avion on remarquerait cependant qu'un quart de la superficie de l'île est occupée par des marais salants, ou du moins par des espaces qui en ont tout l'air. En effet, la dernière saunaison a eu lieu à la Chevalerie en 1985. Et c'est en 1992 qu'a été initiée la réimplantation d’une saline sur le territoire de Grand Village. 9 autres ont suivi à Chauzelles, au Château … et on espère qu’une vingtaine de sauniers seront installés à Oléron d’ici quelques années.

Ces marais constituent toujours une première barrière en cas de submersion pour protéger l'habitat. Ici les terres appartiennent au département et plusieurs entités publiques et privées le font vivre.

Je vais rendre compte de la dernière visite guidée qui a été programmée, en septembre, à l'occasion des Journées du Patrimoine, en combinant avec la découverte de l’Ecomusée où 45 minutes durant, on se laisse guider entre les quatre anciennes cabanes ostréicoles, devenues salles d’exposition. Nous étions une cinquantaine de personnes, masquées comme il se doit. Une horde de cygnes survolait bruyamment la zone. A une autre période on aurait pu apercevoir des aigrettes garzettes, des buzards des roseaux, des échasses blanches (au long bec pointu), des gorges-bleues à miroir, des hérons cendrés, ou encore des tadornes de Belon.

dimanche 22 novembre 2020

Liv Maria de Julia Kerninon, chez l'Iconoclaste

La présentation de l'éditeur était attirante Liv Maria Christensen est une enfant solitaire née sur une île bretonne, entre une mère tenancière de café et un père marin norvégien. Envoyée subitement à Berlin à l’âge de 17 ans, elle tombe amoureuse de son professeur d’anglais. Le temps d’un été, elle apprend tout. Le plaisir des corps, l’intensité des échanges. Mais, à peine sortie de l’adolescence, elle a déjà perdu tous ses repères. Ses parents décèdent dans un accident, la voilà orpheline. Et le professeur d’été n’était peut-être qu’un mirage.

Alors, Liv Maria s’invente pendant des années une existence libre en Amérique latine. Puis, par la grâce d’un nouvel amour, elle s’ancre dans une histoire de famille paisible, en Irlande. Deux fils viennent au monde. Mais Liv Maria reste une femme insaisissable, même pour ses proches. Comment se tenir là, dans cette vie, avec le souvenir de toutes celles d’avant ?

Julia Kerninon brosse le portrait d’une femme marquée à vif par un secret longtemps inavouable. Elle explore avec une grande justesse les détours de l’intime, les jeux de l’apparence et de la vérité. Et pourtant je n'ai pas été totalement convaincue. Peut-être m'avait-on tellement vanté la qualité de ce roman que j'attendais un éblouissement. 

Julia Kerninon est née en 1987 à Nantes, où elle vit. Elle est docteure en lettres, spécialiste de littérature américaine. Elle s’est fait remarquer dès son premier roman, Buvard (2014), qui a reçu notamment le prix Françoise-Sagan. Trois livres vont suivre aux Éditions du Rouergue, dans lesquels elle affirme son talent et déroule son principal thème de prédilection, la complexité du sentiment amoureux.

Liv Maria de Julia Kerninon, chez l'Iconoclaste, en librairie depuis le 19 août 2020

vendredi 20 novembre 2020

Le Poirier oléronais

Il existe la tarte Bourdaloue, fameuse dans la pâtisserie de la rue éponyme qui se faufile derrière Notre Dame de Lorette. Et il y a celle-ci ... sur pâte feuilletée, avec des noisettes concassées à la place de l’amande. Sans rhum mais elle sera inoubliable. Je la publie ici pour qu'elle demeure facilement accessible après l'avoir postée sur la page Facebook de A bride abattue.

Je rappellerai pour commencer le contexte de la situation avec un confinement qui ne me motive pas beaucoup à mettre à jour le blog. A quoi bon parler de spectacles qui sont inaccessibles en ce moment ?

Par contre vous donner mes meilleures recettes… oui. Il y aura bientôt ma manière de cuisiner les seiches (quel régal !) mais avant, et ici même voici la tarte Poirier (en attendant un meilleur nom). C'est un peu long mais vous allez en connaître toute l’histoire.

Il y a l’amandine, je veux parler de la tarte amandine, qui est au centre d’une célèbre scène de Cyrano de Bergerac. Il y a évidemment la Bourdaloue, du nom de la rue où pâtissait un homme qui immortalisa la fameuse recette. Il y a la version de Mercotte … et puis il y a le principe de réalité qui, en plein second confinement et malgré l’autorisation d’aller faire ses courses n’importe où, limite tout de même les approvisionnements.

Je n’étais pas chez moi (ceux qui me suivent sur les réseaux savent que je me trouve à Oléron) et n’avais pas à disposition les ingrédients soit-disant fondamentaux pour réaliser une tarte aux poires digne d'être présentée au jury du Meilleur Pâtissier. Je n’en avais d’ailleurs pas la moindre envie. Juste celle de faire un bon dessert.

Aucun des codes ne fut respecté. Une pâte feuilletée remplaça la traditionnelle pâte sablée. J’ajoutai de la crème fraîche à la préparation. J’eus un mal fou à obtenir un beurre pommade (car la température de la maison, voisine de 16 degrés ne s’y prêtait absolument pas, et je ne pouvais pas décemment utiliser le micro-ondes car il aurait fondu complètement la matière grasse). Je dus ruser en l’écrasant dans un petit bol au-dessus d’une casserole d’eau bouillante. Je n’avais pas la moindre goutte de rhum, ni aucun autre alcool.

J’avais acheté des poires "en solde" dans l’unique boutique du village et il n’y en avait pas deux de la même variété mais elles étaient toutes mûres à point, me permettant d’espérer pouvoir zapper l’étape d’un pochage préalable dans un sirop vanillé pendant 45 minutes. Car quand on est confiné en bord de mer on a d’autres centres d’intérêt que d’être bloquée en cuisine pendant des heures. Les photos qui ponctuent certains paragraphes parlent d'elles-mêmes.

Il est essentiel de maintenir sa forme et de faire quotidiennement les 10 000 pas recommandés par les médecins. Difficile de résister au spectacle d’un coucher de soleil couleur corail au-dessus de la pinède, ou doré au-dessus des vagues, aux envols de bécasses depuis les marais, à la recherche de coulemelles dans les sous-bois.

Sans parler du ramassage des pommes de pin pour démarrer le feu dans la cheminée. Bref, dans un tel contexte on essaie de faire une cuisine simple, sans sacrifier le goût tant qu’à faire.

Je n’avais pas davantage de sucre glace (dont j’évite d’ailleurs l’usage car, à poids égal, sa teneur en sucre est phénoménale). Et surtout je n’avais pas sous la main de poudre d’amande, et au final pas vraiment l’intention d’en chercher parce que je ne voulais pas d’un résultat proche d’une frangipane de type galette des rois, qui serait fade sans rhum, et pâteuse sous des fruits susceptibles de rendre de l’eau à la cuisson.

Par contre j’avais trouvé quelques jours plus tôt un sachet de 200 grammes de noisettes hachées et grillées (chez Lidl pour ne pas le nommer) et il y avait dans le placard, non pas de la fécule de pomme de terre mais de la maïzena.

Tout ceci étant dit, voilà comment j’ai procédé pour un résultat qui fut, je peux le clamer, exceptionnel. A tel point qu’il a fallu donner un nom à cette création qui mérite d’être rééditée.

Pour 6 à 8 personnes (mais on a failli la manger toute entière à deux)

Une pâte feuilletée
4 poires très mûres

Pour la crème : 150 grammes de sucre en poudre, 3 œufs entiers, 100 grammes de beurre pommade, 2 grosses cuillerées à soupe de maïzena, 100 grammes de noisettes hachées et grillées (un demi-sachet de 200 grammes) et une grosse cuillerée à soupe de crème fraîche.

J’ai mélangé les ingrédients de la crème dans l’ordre ci-dessus en battant à la fourchette et ai versé sur la pâte préalablement piquée à la fourchette.

J’ai disposé les demi-poires épluchées sur la préparation sans trop les enfoncer puis les ai tranchées dans le sens de la largeur avec la pointe d’un couteau.

J’ai enfourné à 200° pour 25 minutes.

Nous avons dégusté à la sortie du four. La sensation de fondant des fruits et de croquant des noisettes est absolument fabuleuse. Difficile de résister à se resservir.
Pour les puristes et passionnés de pâtisserie j'ajouterai que ce nom "Bourdaloue" semble d'abord avoir désigné un entremets aux amandes. Ce serait un pâtissier du nom de Nicolas Bourgoine qui aurait inventé le premier un gâteau à base d'amandes pilées, de sucre, d'œufs, de fécule, cuit puis glacé au kirsch. Il fut appelé le Bourdaloue car la pâtisserie où il oeuvrait, et qui s'appelait Lesserteur, était installée au début des années 1850 au 7 de la rue Bourdaloue, dans le 9e arrondissement de Paris.

Dix ans plus tard, le pâtissier Fasquelle déménage du 75 rue du Four-Saint-Germain pour succéder à Lesserteur rue Bourdaloue. C'est à lui que certaines sources attribuent la création d'un entremets Bourdaloue. Mais les recettes sont très variables. Selon les uns il s'agirait d'un gâteau aux amandes fourré de frangipane au kirsch et glacé avec une glace au chocolat ; pour d'autres d'un dessert aux fruits, tantôt des poires, tantôt des pommes ou encore des abricot. Le seul point commun est l'utilisation d'un appareil à base d'amandes hachées. Le Larousse gastronomique le décrit quant à lui comme "composé de demi-poires Williams pochées, noyées dans une crème frangipane vanillée, recouvertes de macarons écrasés, et glacées au four". Sa déclinaison sous forme de tarte serait plus tardive.

mardi 17 novembre 2020

L'ami de Sigri Nunez

Avais-je été trop enthousiaste à l’idée de découvrir ce roman dont l’originalité m’avait a priori séduite ?

Recevoir en héritage un chien dépressif après le suicide de son meilleur ami n’est pas banal, surtout quand il s’agit d’un animal de très grande corpulence qu’il va être quasi impossible de faire vivre dans un logement minuscule où de plus ls chiens sont interdits.

La narratrice est alors confrontée à de multiples soucis qui ne vont pas tout à fait la distraire du propre travail de deuil qu’elle doit entreprendre. D’une mélancolie extrême, ce récit offre une réflexion introspective sur l’amitié et la fidélité.

Sigri Nunez est écrivaine et professeure de littérature dans une fac new-yorkaise. Son mentor et ami de toujours vient de mourir inopinément, et d'une façon peu banale puisqu'il s'agit d'un suicide. Il lui lègue Apollon, un immense dogue allemand de la taille d'un poney. Au choc du décès s'ajoute le devoir de s'occuper désormais de ce chien énorme, dans un appartement minuscule où, en principe, les animaux ne sont pas autorisés. En plus de son propre chagrin, la narratrice doit donc faire face aux menaces d'expulsion de son propriétaire, et à la souffrance d'Apollon, déboussolé par la disparition soudaine de son maître, qu'il ne comprend pas. Pendant que ses amis s'inquiètent de son obsession pour son nouveau compagnon, la narratrice parvient à établir avec l'animal un contact, une connivence, et à le sortir de son abattement.

Ecrit à la deuxième personne, cette élégie pour un ami décédé explore les thèmes du deuil et de son dépassement, du suicide et des raisons qui y poussent, tout en offrant une réflexion sur la littérature et le métier d'écrivain. Elle a raison de le souligner, une bonne phrase commence par une pulsation (p. 6).

En tant que lectrice je ne voyais pas le milieu littéraire comme un canot de sauvetage encombré de trop de passagers (p. 10). Et pourtant je pourrais utiliser la même métaphore à propos des compagnies espérant obtenir la gloire au festival d'Avignon …

Mais le sujet principal de ce roman reste évidemment l'amitié, celle qui existe entre les humains, et celle qui peut se développer entre les humains et leurs animaux domestiques. Au point qu'au final, on se demande qui est, en réalité, "l'ami" du titre...

Il est bon de nous rappeler que Beckett oscillait entre humour et désespoir (p. 9) et j'ai apprécié d'apprendre que Simenon comparait l’écriture à une vocation au malheur. Interrogé sur sa motivation profonde à exercer ce métier il répondait que c’était sa haine pour sa mère qui avait fait de lui un romancier, et ajoutait tous mes livres me sont venus en marchant.

Une recette plus facile à suivre que secret de la réussite de Flaubert vivre en bourgeois, penser en demi-dieu (p. 14).

On découvre plein de choses dont certaines ne sont pas étonnantes et pourtant inconnues jusque là. On se demande comment de telles idées viennent à l’auteure. Il y a un mix subtil entre anecdotes triviales (par exemple les surgissement de pub sur son ordinateur), citations littéraires et considérations philosophiques. Avec une manière bien à elle (à moins que ce ne soit l'idée du traducteur) de parler d'engin électronique pour faire allusion au téléphone portable. J'ai à plusieurs reprises noté une extrême pudeur dans le choix de ses termes sans pourtant user de dissimulation. Ainsi le chien arrive comme inopinément page 22 et repart aussi vite.

L'humour peut s'appliquer à son propre domaine. Ainsi elle fait état d'une blague qui circulerait à l'université (p. 115) et que si j'osais je transposerais dans les blogosphère :
Professeur A : Est-ce que vous avez lu ce livre ?
Professeur B : Lu ? je n’ai même pas encore fait mon cours dessus.

Terriblement mélancolique, parfois obscur, déroutant sous sa forme de monologue, ce texte est écrit avec élégance, et la richesse des références littéraires contrebalance un peu le souvenir d'une lecture déprimante.

Née en 1951 à New York, Sigrid Nunez est l’auteure de sept romans et d’une biographie, Sempre Susan : Souvenirs sur Sontag (13e note éditions, 2012).

L'ami de Sigri Nunez, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Mathilde Bach, Stock, lauréat du National Book Award en 2018, en librairie en France depuis le 21 août 2019

mercredi 11 novembre 2020

La chapelle Saint Joseph de Grand Village (Oléron)

Située dans la partie ancienne de Grand-Village-Plage cette chapelle Saint Joseph a été sauvée de la ruine grâce à la ténacité de ses curés et de plusieurs générations de Grands-Villageois qui l'ont restaurée à plusieurs reprises.

Aujourd'hui on remarque combien son style néo-gothique est mis en valeur avec ses voûtes d'ogives, ses chapiteaux et une flèche polygonale enserrant un clocheton carré laissant apparaitre ses cloches comme il est d'usage pour un campanile.

Il faut régulièrement, refaire les sols, remettre les murs en état, sans oublier la toiture. Les travaux les plus essentiels furent achevés à la fin du XIX° siècle mais on peut imaginer que l'intérieur était d'une sobriété rigoureuse.

Est-ce la raison pour laquelle un enfant du pays, artiste peintre, ancien élève des Beaux-Arts, a proposé à la commune de décorer l’intérieur de fresques ?

Il s'appelait Elie Marie Joseph Murat (1914-1999) mais on disait Elie Murat, ou plus affectueusement Lilou. L'homme était peintre, et poète. Il a fait un magnifique cadeau à sa commune quelques années avant sa mort, venant chaque jour en voisin poursuivre l'embellissement des murs.

Il s'est attelé au travail au printemps 1990, avec passion et  pendant plusieurs mois car bien que la chapelle soit petite il a tenu à utiliser le moindre morceau de mur, ayant à coeur de célébrer la nature environnante, la vie quotidienne oléronaise et de représenter les différents points de vue de la région. Car Grand Village est en fait un rassemblement de plusieurs hameaux ou villages au caractère distinct. Outre le Grand-Village, on trouve le Petit-Village, la Giraudière, les Allassins, les Vallées, Trillou, le Jard, le Maine et le Chaudron.

Cette oeuvre considérable a fait, depuis, l'objet de restauration. Je vous invite à la découvrir en empruntant le porche arrondi. C’est authentique et charmant. En face de vous, une vaste peinture du Christ entouré d'anges porte l'inscription "Le Christ est ressuscité, tous soyez ses témoins" sur un fond bleu, couleur de ciel.

Celui qui a orné le mur de sa propriété d'une mosaïque de coquillages et de pierres évoquant un dragon cracheur de feu, (toujours visible pour qui se promène nez en l'air dans les rues voisines de l'église) a donné la place la plus importance aux oiseaux.

Ce sont d'abord les oies qu'il a placées sur les voûtes, comme si elles traversaient le ciel de leur vol migratoire sans avoir l'intention de se poser. On reconnait les bernaches cravants à leur joyeux vol désordonné, refusant de se déplacer en chevrons ou en ligne.

On remarquera les nocturnes comme une chouette hulotte, une chouette effraie et un hibou moyen-duc reconnaissable à ses aigrettes dressées de chaque côté de sa tête et puis aussi des chauve-souris.

Les mouettes et les goélands traversent les murs latéraux secoués par une tempête comme on en voit de temps en temps en bordure de mer. Les hirondelles sont un peu plus urbaines.

Dans les paysages de marais progressent les aigrettes garzettes que tous les promeneurs connaissent bien et le héron pourpré. Un martin-pêcheur vient de se saisir d'un poisson bleu. D'autres volatiles sont plus faciles à repérer en balade comme le canard et ses canetons, et bien entendu les poules et leurs poussins dans les anciennes fermes.

Des animaux hélas prisés des chasseurs sont représentés comme les lapins, un renard, des chevreuils et bien entendu les sangliers qui retournent le sol des forêts où ils se goinfrent de glands. Le peintre n'aurait pas pu oublier l'âne, ce fidèle compagnon des aulnaies qui le protégeait des piqures de moustiques en l'habillant d'une toile rayée.
L'artiste a privilégié ici le réalisme et un certain naturalisme pour rendre hommage à la ruralité et aux paysages familiers de l'île. Il a représenté Grand Village et les hameaux proches : les Allassins, le Chaudron, le Maine, Trillou... sans oublier des monuments emblématiques comme le viaduc et le fort Boyard.

Le bâtiment est régulièrement ouvert, et est en accès libre, y compris pendant ce confinement. En cas de fermeture on peut solliciter l'office de tourisme. On peut donc s'y promener virtuellement en respectant la limite distancielle de 1 km. Et sans avoir le nez sur un écran.

Chapelle Saint Joseph
Rue du Petit Village
17370 Le Grand Village Plage

D'autres publications sont prévues  prochainement sur Oléron et ses alentours.

samedi 7 novembre 2020

Sauveur & Fils Saison 6 de Marie-Aude Murail

Nous voilà déjà rendus au tome 6 alors que la quatrième de couverture promet un septième opus. Comme le temps aura passé vite depuis cette fin de l'année 2016, quand les lecteurs de France Télévision ont décerné une pépite à Marie-Aude Murail au Salon de la Littérature Jeunesse de Montreuil. On peut dire qu’ils ont eu du nez.

Sauveur Saint-Yves est un colosse au prénom prédestiné pour lui donner envie de sauver, si ce n’est le monde entier, en tout cas les patients qui s’adressent à lui, et principalement des enfants qui sont presque tous en recherche d’identité et de modèle. Il est donc devenu psychologue clinicien par vocation et si l’auteure nous rappelle au fil des épisodes quelles sont les règles déontologiques de la profession on s’aperçoit que cet homme en enfreint plusieurs et qu’il a surtout beaucoup de mal à régler ses propres problèmes. Bref, il est humain et c’est (aussi) ce qui nous le rend si sympathique.

Il y a toujours un hamster en couverture, dans une posture positive. Si cette fois celui-ci navigue sur un bateau de papier le nom de Redoutable est de bonne augure. C’était a priori un étrange choix que de donner un tel animal comme compagnon pour les enfants qui vivent au 12 rue des Murlins. Sa durée de vie excédant rarement deux ans, il s’avère judicieux car il offre la possibilité d’évoquer régulièrement l’indispensable travail de deuil que nous devons tous faire à propos de personnes disparues ou de projets échoués. Marie-Aude aurait cependant pu retenir le chat car on s’aperçoit dans cette saison 6 qu’elle en connaît un rayon sur le sujet (page 235).

On apprend toujours beaucoup de choses en lisant chaque épisode, la plupart du temps complété en fin d’ouvrage par plusieurs pages de précisons sur le vocabulaire employé. Avec celui-ci j’en sais plus sur la PNL (p. 39, la folie et le déni (p. 284) et surtout sur la caractérologie (p. 74). J’ai d’ailleurs interrompu ma lecture pour faire moi-même le test du MBTI, et bien m’en a pris. Je me connais mieux, ce qui me fait désormais apprécier l’injonction de Socrate, Connais-toi toi-même.

Ce livre est conçu pour se lire indépendamment des précédents mais il me semble que le lecteur en tirera un bénéfice moins important. On s’attache aux personnages et on est pressé de connaître leur évolution, d’autant que leurs soucis sont très caractéristiques de ceux qui animent les adolescents et dont jusqu’à présent on parlait peu comme l’homosexualité ou la transition de genre, deux sujets qui tiennent particulièrement à coeur à l’auteure qui est tout autant soucieuse de laisser la réalité sociale pénétrer ses ouvrages. Ainsi les Gilets jaunes ne sont pas absents de ce numéro.

Elle a depuis toujours une capacité d’écoute et de recyclage hors du commun des confidences qu’elle glane lors de ses rencontres avec des jeunes. On peut la suivre lorsqu’elle donne des conseils pour lutter contre la dépression engendrée par notre époque (p. 256). Et quand je lis son effarement à propos de l'addiction des enfants aux réseaux sociaux je crois l’entendre s’exprimer à haute voix. La série n’est pas née seulement de son imagination mais surtout du recueil de témoignages.

Je suis bien curieuse de savoir comment les Saint-Yves vont traverser l’année suivante. Quel sera le sexe de l’enfant dont Louise accouchera ? Comment sera le bébé de Frédérique ? Qu’adviendra-t-il de la romance entre Gabin et Alice ? Comment évoluera la santé de la grand-mère de Grégoire et celle de Koslo  ? La saga a beau naviguer entre la pure fiction et le vraisemblable on se surprend à y croire et à se sentir un peu de la famille, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année puisque le roman se termine à cette période, ... en 2018 tout de même.

Je suis aussi très impatiente de savoir si Jovo sera épargné par le virus. Et si la crise sanitaire affectera le travail du praticien au point de l’amener à exercer en téléconsultation ? J’ai peur qu’il nous faille patienter jusqu’à la saison 8 pour apprendre en quoi la Covid aura bouleversé leur vie.
Sauveur & Fils de Marie-Aude Murail à l'Ecole des loisirs, à partir de 13 ans
Saison 1 parue en avril 2016
Saison 2 parue en novembre 2016
Saison 3 parue en mars 2017
Saison 4, parue en  janvier 2018
Saison 5, parue en septembre 2019
Saison 6, en librairie depuis le 19 août 2020

La photo de Marie-Aude Murail a été prise en avril 2016 à l'occasion de la publication du premier tome.

jeudi 5 novembre 2020

En vol ... premier album de Julia Paris

On l’attendait depuis la fin de l’été. Son premier album a commencé à circuler depuis presque un mois.

Julia Paris est une jeune auteure/compositeur, également interprète, dont j'ai fait connaisssance en juin dernier et à qui j'ai alors consacré un portrait.

Cette jeune femme volontaire poursuit son objectif de faire rêver et voyager son public, mais elle le fait en toute sécurité car en cette période de crise sanitaire on ne saurait circuler autrement qu’en imagination.

Elle est Safety Pilot depuis qu’elle a 18 ans. C'est donc sans grande surprise que j'ai découvert le titre qu'elle a choisi en toute légitimité pour son album, En Vol.

Pas davantage de constater qu'elle avait tourné le clip du premier morceau Il suffisait de rien dans un hangar de l’aérodrome de Reims en évoluant devant un avion d’entraînement militaire L-39 Albatros (même si c'est sur des jets Citation II SP et des King Air 200 qu'elle compte plus de 500 heures de vol).

On la voit évoluer en compagnie de la danseuse Alice Valentin-Kermorvantportant avec distinction un tailleur pantalon noir, furieusement classe et moderne d'Admise Paris.

L'album, qui se compose de cinq nouveaux titres, inclut également, en versions française et italienne, Fugue en Italie que nous avions découvert cet été.

Julia est une femme fidèle. Elle célèbre avec force ses Amis (piste 2). Naturellement, elle a travaillé avec la même équipe, notamment le compositeur Yacine Azeggagh dont les arrangements sont toujours aussi élégants pour exprimer un univers musical qui correspond à la jeunesse de son tempérament empreint de mélancolie.

On pourrait voir une rupture avec l'identité visuelle épurée créée par le photographe Emanuele Scorcelletti pour illustrer le clip, tourné en noir et blanc (un choix dont l’artiste italien a fait sa spécialité et qu'il privilégie ici aussi en passant de l'image à la vidéo) tant il contraste avec les couleurs de Fugue en Italie. Il faut toutefois noter que si Fugue était une chanson estivale, En Vol arrive à la fin de l'automne et méritait totalement une atmosphère dégageant plus de mystère et de pureté.
Julia démontre qu’on peut être jeune et ne pas manquer de souvenirs. Ni de constance puisqu’on retrouve son amour pour les paysages du sud, en particulier de la Provence. Et puis, c'est sans doute un détail, mais elle a conservé le chapeau qui lui va si bien et qui pourrait devenir légendaire.

Elle nous enchante avec son brin de voix léger mais il suffit d'écouter avec attention les paroles pour comprendre qu'elle nous offre une ode à la liberté, et pas uniquement dans Permis d'aimer (piste 5). En toute logique pour la créatrice du label Productions Liberté.

En Vol, interprétation et paroles Julia Paris
Composition et arrangements Yacine Azeggagh
Disponible sur toutes les plateformes de streaming depuis le 9 octobre
Plus d'informations sur le site de l'artiste

Les photos des pochettes sont de Emanuele Scorcelletti et de Caroline Moreau

mardi 3 novembre 2020

Le livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher

C'est un des livres que je ne voulais pas lire, pour des raisons ultra-personnelles qui n'ont rien à voir avec l'auteur. J'avais fait la connaissance d'Erwan Lahrer et j'avais éprouvé d'emblée à son égard une sympathie qui relevait de l'évidence.

Cette soirée de l'attentat du Bataclan avait failli me coûter la vie et il est probable que je me suis sentie bêtement coupable d'avoir eu le bon pressentiment, de ne pas aller dans ce quartier ce soir-là, et d'être toujours en vie. Réaction stupide, mais humaine.

Il s'est trouvée, trois ans après sa sortie, une main amie pour glisser ce livre dans la mienne, de main. J'ai encore résisté quelques semaines. Et puis, alors que la France était englué dans le confinement (depuis le 28 octobre 2020) je ne pouvais plus décemment m'y soustraire.

Dès le début, je fus surprise par la façon dont me "parlent" les références musicales. Le Köln concert me renvoie dans un autre temps, au milieu d'autres souvenirs, mais en tout cas cela instaure une proximité avec l'auteur, ce que, précisément je devais redouter.

Erwan Lahrer passe du "il" au "je" puis au "tu". S'il se met ainsi à toutes les places c'est peut-être qu'il s'interroge sur sa place, en toute logique puisqu'il ne voulait pas écrire ce texte. C'est aussi que soudain il n'existe plus que par un fil. Le "je" est dissous. Il l'écrit clairement (p. 66). Il donne aussi la parole -dans une sorte d'hommage pluriel- à tous les protagonistes possible, jusqu'à la quasi photographie des messages publiés sur son fil Facebook (p. 71) et même jusqu'au dernières lignes qui sont offertes comme une dernière confidence.

Il a l'humour chevillé au corps. Qu'il exerce de diverses manières. Dès la couverture où l'on peut voir un objet étonnant et néanmoins légitime. Il y a des choses auxquelles on tient, nous adultes, et qui remplissent une fonction proche de celle du doudou pour un enfant. Lui, c'était cette paire de santiags qu'il ne va pas accepter avoir perdues (ou pire qu'on la lui ai volée) cette nuit là.

Le texte qui figure sur la quatrième de couverture témoigne de son art de la dérision :
Je suis romancier. J’invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, j’espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l’humain.
Il m’est arrivé une mésaventure, devenue une tuile pour le romancier qui partage ma vie : je me suis trouvé un soir parisien de novembre au mauvais endroit au mauvais moment ; donc lui aussi.

Quand on est extraverti comme je suppose qu'il l'est, ce doit être très difficile de résister à l’appel de la page blanche, je ne dirais pas du clavier puisqu’il est de notoriété publique qu’il écrit à la main, d’une écriture pointue et nerveuse, ponctuée de multiples !  .... dont le livre, une fois édité, est plutôt parfaitement nettoyé.

J'ai été surprise de ne pas lire de lien de cause à effet entre ce qu'il désigne sous le mot de "mésaventure" et le titre du roman qu'il venait de publier, Marguerite n'aime pas ses fesses. C'est en effet dans le postérieur que la balle est venue se loger.

La langue dans laquelle il s'exprime est particulière. Et c'est ce qui fait qu'il est un auteur qui compte. Il n'a pas de tabous pour exprimer ses angoisses, surtout celle de ne plus re-bander. Il ne cache pas sa crainte des effets secondaires des médicaments (p. 196). Il n'hésite pas à rouvrir le dossier entre Voltaire et Rousseau et à reprendre les arguments en faveur de chacune de leurs théories et analyse la situation politique et le contexte des attentats d'une manière qui donne à réfléchir (p. 226).

Il réfute la position du survivant et de la culpabilité qui pourrait y être associée (p. 232).

La littérature n'arrête pas les balles. Il le démontre, preuves à l'appui (p. 237). Il n'empêche. Le livre que je ne voulais pas écrire est essentiel. Il est à lire ... et les autres aussi.

Erwan Larher est né à Clermont-Ferrand – hasard d’une affectation militaire paternelle. Un jour, suite à ce qui pourrait ressembler à une crise de la trentaine, il quitte l’industrie musicale dans laquelle il travaille pour se consacrer à l’écriture. Mais continue à écouter du rock avec plein de guitare dedans, écrire des paroles de chansons, des séries TV et jouer au squash. Récemment, il s’est aussi lancé dans la déraisonnable aventure de réhabiliter un ancien logis poitevin du XV° siècle pour en faire une résidence d’écriture.

Après Qu’avez-vous fait de moi ? et Autogénèse (Michalon, 2011, 2012), il a publié L’Abandon du mâle en milieu hostile et Entre toutes les femmes (Plon, 2013 et 2015), puis Marguerite n'aime pas ses fesses (Quidam Editeur, 2016). 

Le livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher, Quidam éditeur, août 2017
Prix Millepages 2017

mercredi 21 octobre 2020

Drunk de Thomas Vinterberg

Je crois qu’il ne faut pas trop en dire, choisir un axe et s'y cantonner en tournant autour sans chercher à intellectualiser le propos.

Si en danois le titre original est Druk (sans "n"), ce qui signifie "beuveries" le distributeur a choisi pour la France un terme qui ne laisse pas supposer une erreur orthographique. On connait tous la signification du mot Drunk qui veut dire ivre.

Drunk raconte une histoire d'amitié entre Martin, Tommy, Peter et Rektor, qui vont malheureusement être aveuglés par la confiance qu'ils ont les uns envers les autres, jusqu'à la folie. La bande des quatre décide de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une (soit-disant) rigueur scientifique, chacun relève le défi et tous espèrent que leur vie n’en sera que meilleure. Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.

Thomas Vinterberg a déclaré que "les scènes se déroulent, la caméra observe, mais ne dicte pas l’action". Le réalisateur danois insiste sur le fait que son film serait censé être le plus proche possible d'une réalité crue et sans artifices comme il l'avait déjà filmée dans Festen, son deuxième long métrage qui lui valut la reconnaissance de la profession.

Catalogué drame dans certains programmes, étiqueté comédie dans d'autres, ce long métrage navigue effectivement entre les deux extrêmes. Il est parfois d'une drôlerie absolue comme il peut virer au cauchemar le plan suivant. Parmi les moments amusants il y a la soirée d’anniversaire eau versus champagne 2013, une des premières scènes du film.

Mais ensuite le dérapage est poignant. Comment résister à l'argumentation bien connue, est-il raisonnable d’être sage ? Tu manques de confiance ... Et surtout à l'envie de goûter, juste un peu. Les gros plans sur le visage sont bouleversants, les mises au point annoncent l'imminence d'un basculement. Soudain il boit vite… et il passe au Bourgogne 2011 qu’il avale presque goulument.

Certaines scènes m'ont davantage choquée que d'autres. A commencer par la première montrant des jeunes étudiants devant faire le tour d'un lac en trimbalant des caisses de bouteilles de bière... qu'ils devront bien entendu ingurgiter. Je n'y ai pas vu le plaisir de s'amuser. Et apparemment quelques adultes de la communauté éducative partagent mon point de vue puisque la proviseure promet en matière d'alcool une tolérance zéro au prochain semestre.

C'est sans compter la théorie que les enseignants veulent expérimenter, d'abord sur eux, puis, occasionnant des dégâts collatéraux sur un élève à qui l'un d'eux suggère de boire avant ses examens oraux. La théorie en question a bel et bien été formulée le psychologue norvégien Finn Skårderud. On connait la vertu -si je puis dire- de l'alcool de calmer certaines angoisses mais on sait tout autant combien ses effets peuvent être catastrophiques et destructeurs.

Le réalisateur invoque le comportement de personnages célèbres, bien connus pour leur consommation abusive d'alcool comme Churchill ou Hemingway. On remarque que personne ne résiste mieux, qu'on soit prof de psychologie, de sport ou de chant.

Le réalisateur use avec intelligence des images floues et des ralentis en coupant le son pour symboliser la perte de conscience provoquée par l'ivresse puis par le coma éthylique. L'alcool est indéniablement un faux ami. Alors ne suivons pas leur exemple en cherchant à battre le record de Sazerac dont je vous dirai juste qu'il n'est évidemment pas le plus vieux cocktail au monde. 

J'ai voulu voir la toute fin comme étant positive (un baptême, une renaissance...), qui nous est offerte dans un élan de spontanéité. J’imagine qu’on peut l’interpréter de façon plus noire, mais je n’en ai pas envie. L'actualité est suffisamment sombre pour éviter d'en rajouter.
L'interprétation de Mads Mikkelsen dans le rôle de Martin est sans surprise, époustouflante. Mais ses partenaires lui donnent la réplique avec brio.

Au-delà de l'alcoolisme le film nous alerte sur le phénomène addictif. Dans son ensemble, le monde scientifique le considère comme une combinaison biopsychosociale, traduisant la rencontre entre un produit plus ou moins nocif, un individu plus ou moins vulnérable et un environnement plus ou moins incitateur.

Il a fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020. Thomas Vinterberg est un grand habitué du festival depuis qu'il a gagné le Prix du Jury pour Festen en 1998. En 2012, il a remporté le Prix du Jury œcuménique pour La Chasse. Il avait en 2013, assumé la fonction de président du jury de la sélection Un certain regard.

Drunk de Thomas Vinterberg
Avec Mads Mikkelsen (Martin), Thomas Bo Larsen (Tommy), Lars Ranthe (Peter), Susse Wold (Rektor)

vendredi 16 octobre 2020

Crise de nerfs, 3 farces de Tchekhov, mise en scène de Peter Stein

(mise à jour le 10 décembre 2020)
S'il y a bien des personnes qui peuvent légitimement faire une crise de nerfs ce sont les artistes et tous ceux qui sont touchés par le couvre-feu annoncé il y a 48 heures. 

Pourtant ils les ont solides, les nerfs, et Jacques Weber en a fait la démonstration en estimant à la fin de la représentation de mercredi que la situation n'était pas si catastrophique que cela. Le théâtre a résisté à tout et est resté vivant, alors s'il y a d'autres horaires ... (long silence, soupir) démerdez-vous !

Nous nous quittions rassurés, prêts à venir les applaudir en plein après-midi ou même le matin, pourquoi pas. Ce que les salles de cinéma d'avant-garde avaient réussi à faire n'était pas inaccessible aux salles de spectacle. On allait s'adapter de part et d'autre du "quatrième mur".

C'était sans compter l'aggravation de la situation qui allait contraindre les lieux culturels à fermer et à repousser sans cesse leur réouverture comme cela se murmurait déjà dans les cercles du pouvoir.

J'espère que vous pourrez bientôt aller savourer, le terme n'est pas trop fort, ces trois farces de Tchekhov qui constituent un ensemble très cohérent dans lequel Jacques Weber tient le premier rôle, je devrais écrire "les premiers rôles". Il n'est pas tout seul puisque Loïc Mobihan lui donne la réplique dans Le chant du cygne et dans Une demande en mariage. Et Manon Combes les rejoint dans cette dernière pièce.

Il n'empêche qu'il nous offre depuis le 22 septembre trois superbes numéros d'acteur, dans des registres très différents. Heureux sont ceux qui comme moi ont pu assister à une représentation. C'est du grand théâtre.
C’est assez étonnant d’avoir choisi Le chant du cygne pour commencer. Quoique à la réflexion il est plutôt astucieux d’y aller decrescendo en terme de pessimisme. Cela permet de finir la soirée dans les rires.

On comprend vite que l’on est censé être dans un théâtre vidé de ses spectateurs (ce qui hélas est prémonitoire, mais on l’ignore à cette heure). Le comédien se dit tranquille comme Baptiste, mais il crâne un peu. Je pique un roupillon, les spectateurs sont partis depuis longtemps.

On se rend compte qu’il est ivre. Sa voix résonne. On pourrait diminuer l’effet de réverbération. Jacques Weber n’a guère besoin de cet artifice pour faire passer l’émotion. Celle que suscite le désarroi d’un homme se retournant in extremis sur son passé. C'est noir et froid comme dans une cave, une fosse noire sans fin comme une tombe. La vie, elle a passé, juste un peu, 55 ans que je me voue à la scène et je la vois de nuit pour la première fois.
En compagnie de son souffleur qui n’a pas d’autre endroit où passer la nuit, celui qui a été autrefois tant encensé mesure la dégringolade que représente la vieillesse. La prise de conscience est terrible. Elle pourrait s’appliquer à toute personne ayant vécu dans les honneurs et le comédien nous la fait toucher d’un simple mouvement de la main.

Tour à tour envahi par le rôle du Roi Lear, d’Hamlet ou d’Othello, il se consume sous la musique d’un film de Chaplin. Avec un talent immense.
Le voilà qui revient, presque méconnaissable, en vieux prof conférencier qui cherche à nous faire croire qu’il médite et même parfois qu’il se risque à écrire des articles "quasiment" scientifiques sur Les méfaits du tabac dont il nous livre un extrait d’une voix quasi emphysémateuse. Il est au bord de s’effondrer et nous sommes ravis de son jeu d’acteur car on sait bien que c’est pour de faux, comme disent les enfants.

Je ne me souviens pas avoir vu Jacques Weber dans un rôle aussi allumé, à la fois follement pathétique et diablement drôle.

A l’instar de la farce précédente on est face à un homme malheureux et meurtri mais c’est une autre facette de la déchéance qui nous est donnée à voir. Le problème est devenue chronique et on ne peut qu’approuver le personnage d’espérer qu'on se sauve de cette vie à deux sous
La dernière est la plus joyeuse. Je la connaissais pour l’avoir vue, curieux hasard, interprétée par Emeline Bayart, laquelle joue et met en scène en ce moment dans ce même théâtre On purge bébé 🎶 
Je voulais m’interdire toue comparaison mais le texte est si bien ficelé que c’est un bonheur de le réentendre. Le jeu des comédiens est très physique, se répondant en miroir. On ne peut qu’adorer ce moment. On finit par ne plus avoir envie de compatir pour cet homme qui nous dit pourtant être le plus malheureux du monde. Car ce malheur là, ce soir, a fait notre bonheur.
Crises de nerfs3 farces d'Anton P. Tchekhov, mise en scène de Peter Stein
Avec Jacques Weber, Manon Combes et Loïc Mobihan
Scénographie Ferdinand Woegerbauer
Assistante à la mise en scène Nikolitsa Angelakopoulou
Costumes Anna-Maria Heinreich
Graphiste Cyrille Julien
Au Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin - 75018 Paris - 01 46 06 49 24
Se renseigner sur les nouveaux horaires tenant compte du confinement et du couvre-feu

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Maria-Letizia Piantoni

jeudi 15 octobre 2020

On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau, mis en scène par Emeline Bayart

Quelle atmosphère hier soir devant le Théâtre de l'Atelier où chaque spectateur a conscience que c'est peut-être une des dernières fois avant longtemps qu'il se rend au théâtre à un horaire "classique".

C'est en effet ce soir là que le gouvernement va annoncer de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du Covid.

Mais avant cela, place à la comédie avec On purge bébé 🎶 dont la présentation vient d’avoir lieu devant le public parisien, après une création au théâtre Montansier de Versailles. J’ajoute qu’une longue tournée est d’ores et déjà prévue, avec notamment pour étape le Théâtre Firmin Gémier La Piscine de Chatenay-Malabry (92) qui est un des co-producteurs.

L’ouvreuse n’insiste plus longuement sur les interdictions d’usage du téléphone portable. Ce sont les restrictions sanitaires qui priment, la dernière étant la recommandation de sortir, à la fin du spectacle, comme les avions, par l’arrière, en commençant par le dernier rang et de nous répartir ensuite rapidement sur l’ensemble de la place Charles Dullin en évitant les attroupements. Une atmosphère de clandestinité s’installe subrepticement. On se croirait dans une scène du film Le Dernier Métro.

Encore heureux d’assister à une comédie. Cela va nous détendre.

Le décor n’est pas engageant à première vue. Un voile en masque l’essentiel derrière une chaise de velours bleu, abandonnée de travers au bord de la scène. Je remarque à Cour, sur un piano droit (qui sera un des éléments essentiels du spectacle), une Tour Eiffel qui me parait incongrue mais dont la présence va se justifier dans quelques instants.

Emeline Bayart n’est pas aussi célèbre que ce monument mais je pense pouvoir dire qu’elle sera bientôt reconnue comme une grande actrice comique. Il est tentant, en l’écoutant chanter, simplement vêtue d’un déshabillé peu flatteur alors qu’elle est ce qu’on appelle "une belle femme", d’y voir une sorte d’acte de bravoure. Elle sait tout faire. Jouer bien sûr, chanter évidemment, et aussi mettre en scène, comme elle le démontre avec cette pièce de Georges Feydeau, appartenant au répertoire du vaudeville.

Elle m’avait épatée il y a deux ans, au cinéma, dans le rôle-titre du film de Bruno Podalydès, Bécassine. Je l’avais déjà fort appréciée l’année suivante au Poche Montparnasse où elle jouait Tchekhov à la Folie dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît (une des farces sera d’ailleurs interprétée plus tard sur cette même scène par Jacques Weber dans la soirée au cours du spectacle Crise de nerfs). Je devais ensuite l’entendre chanter mais la crise a tout bouleversé.

Dans On purge bébé 🎶 elle interprète les chansons en direct et sa voix a une belle amplitude. La première célèbre la Tour Eiffel, d’où la présence de la statuette, que son personnage juge magique. La comédienne déclenche des cascades de rires quand le monument est qualifié d’obélisque à l’instar de la colonne de la Place Vendôme. Rien ne lui "arrive à la cheville" fait-elle remarquer à son époux Daniel, en sous-entendant des allusions coquines à sa virilité.

Les dialogues aussi nourrissent les rires. Par exemple à propos de la définition suivante : De la terre entourée d’eau, c’est de la boue ou une île ? On ne trouve rien dans ce dictionnaire se plaindra le mari qui estime que n’y figure que ce dont on n’a pas besoin. J’ai essayé de m’en tirer par la tangente, avouera-t-il.

Madame Follavoine n’est pas moins caricaturale, elle qui justifie d’avoir une bonne au fait que tant qu’elle la regarde elle lui sert (sous-entendu à quelque chose). Elle revendique être "femme d’intérieur, bonne ménagère, ... parce qu’on ne sait jamais dans la vie si on aura toujours des gens pour nous servir".

Au-delà de ses jugements à l’emporte-pièce, c’est surtout son caractère hystérique qui la caractérise et son amour démesuré pour son fils sans doute trop chéri, qu’elle appelle toujours Bébé (Valentine Alaqui, qui est aussi la bonne) et qui a tout de même sept ans. L’enfant est, on l’aura deviné, parfaitement caractériel. L’enfant chéri serait atteint de constipation, une situation avec laquelle il ne faut jamais plaisanter, insiste la mère, en appuyant lourdement sur le "a" du mot constipation. Et comme elle est tordante quand elle mime d’avaler de l’huile de ricin !

Le mari (Éric Prat) est pressé de conclure avec monsieur Chouilloux (Manuel Le Lièvre) un marché portant sur la vente de pots de chambre pour tous les soldats de l’Armée française, auxquels le gouvernement a promis un vase de nuit personnel gravé à son matricule, dans l’objectif d’améliorer leur sort. Le temps passe et sa femme déambule toujours en nuisette, pas gênée pour un sou alors que la perspective d’être étiquetée comme femme du marchand de pots de chambre ne lui convient pas du tout.

Les rebondissements s’enchaînent en multipliant les paradoxes. Jusqu’à l’invitation du client avec sa femme, et l’amant de celle-ci, comme si l’adultère "au grand complet" appartenait aux convenances.

Le jeu des comédiens est efficace, avec concours de grimaces, d’accents et de mimes. On chante, on se contorsionne et on s‘encouicouine. L’un mime parfaitement la colique et l’autre le désespoir.

On pense à une autre pièce de Feydeau, Mais ne te promène donc pas toute nue, qu’interpréta Arletty. On songe aussi à Jacqueline Maillan. Bref, on passe un bon début de soirée. Et on en a bien besoin.

On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau
Mise en scène d'Emeline Bayart
Avec Éric Prat, Émeline Bayart, Manuel Le Lièvre, Valentine Alaqui, Thomas Ribière, Delphine Lacheteau et Manuel Peskine (piano et arrangements musicaux)
Scénographie et costumes de Charlotte Villermet et Lumières de Joël Fabing
À partir du 13 Octobre au Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin - 75018 Paris - 01 46 06 49 24
Se renseigner sur les nouveaux horaires tenant compte du confinement et du couvre-feu
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Caroline Moreau

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