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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 30 juillet 2023

L’étrange musée Robert Tatin, près de Cossé-le-Vivien (Mayenne)

Le musée Robert-Tatin, situé à Cossé-le-Vivien, est un « environnement d'art » qui a été conçu en une vingtaine d’années par un artiste exceptionnel. L'ensemble est composée de diverses constructions et statues réalisées en ciment peint, montrant des influences variées. Le site comprend par ailleurs des salles d'exposition où sont accrochées des toiles de l'artiste.

C’est probablement le lieu qui m’aura le plus surprise au cours des quatre jours que j’ai passés en Mayenne. La profusion artistique ne peut pas laisser indifférent et l’endroit est de plus propice au calme et à la méditation.

On peut s’y rendre à vélo puisque le musée est situé sur le chemin de l’ancienne voie ferrée, aujourd’hui transformée en voie verte. Il est bien fléché depuis la D771 en venant en voiture de Craon par le sud. C’est moins commode à trouver en venant du nord après avoir traversé Cossé-le-Vivien.

Une fois stationné sur un immense parking on emprunte une allée bocagère, tout à fait typique de la région pour accéder à l’accueil après avoir été surpris, sur la droite, par l’étrange fontaine colorée que le soleil fait scintiller et qui évoque l’univers artistique de Niki de Saint-Phalle. On la doit à un artiste qui s'appelle Jean-Yves Lebreton alias Leb et qui l'a conçue comme un arbre abritant un bestiaire fantastique.

Il se trouve que j'ai déjà remarqué une des sculptures de cet artiste, la Cocoricow, une énorme vache qui lui fut commandée en 2008 pour le Carrefour interprofessionnel du Monde Agricole.

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Robert Tatin est né en 1902 à Laval, à 20 km d’ici. Quand il achète, avec son épouse Lise, une petite maison ancienne au lieu dit La Frénouse sur la commune de Cossé-le-Vivien en 1962 il a 60 ans et a déjà l’idée de faire de sa "Maison des Champs", une oeuvre monumentale ancrée dans la nature de sa terre natale.

Il est alors un artiste accompli, de renommée internationale, qui a beaucoup voyagé à Tunis et Carthage, New-York et Amsterdam, en Espagne, Italie, Suisse, Brésil, Argentine, Uruguay, s’installant un temps à Vence (Alpes-Maritimes), sans cesser de revenir dans sa Mayenne natale.

Il est architecte, peintre, céramiste après avoir été charpentier et avoir fréquenté les compagnons du devoir. Il a travaillé à la construction de Brasilia où il a appris de nombreuses techniques, notamment l'emploi d'un nouveau matériau : le béton armé, qui permet une plus grande liberté dans la forme, avec l'utilisation du voile de béton. Il a un goût affirmé pour le savoir-faire technique. Il se disait d’ailleurs « oeuvrier ».

Nous commençons naturellement la découverte de ce qui compose une archi-sculpture par l’allée des géants qui était un chemin communal de presque 100 mètres le long qui permettait d’accéder à la maison. Si j’écris « nous » c’est parce que j’ai eu la chance d’être accompagnée par Bruno Godivier qui est bien davantage que le directeur de cet endroit depuis 2004. Il en est aussi le gardien et a en charge la conservation en bon état de l'archi-sculpture dont Robert Tatin lui-même a mis au point les techniques de restauration. À sa mort en 1983, son épouse Lise a pris le relais avant de former Bruno Godivier, arrivé en 1997.

Tous les jours il plonge plus avant dans les archives et les documents concernant la vie de l'artiste, ses rencontres, ses voyages, ses expériences et il estime ne jamais épuiser ce terreau. Car cette archi-sculpture est la somme de toutes les expériences et de toutes les rencontres que Robert Tatin a faites en puisant dans l’histoire, les légendes, toutes les religions, la philosophie et les mythes pour la composer. Si l’une des grandes forces du lieu est son message universel, accessible à tous, je remercie néanmoins particulièrement Bruno Godivier de m'avoir donné les clés pour le comprendre. 
Certains parlent de statues, d’autres de totems ou de sculptures. Elles se font face en allant par paire, à une exception près, parce que la sculpture de La Fleur a été endommagée par la manœuvre d’un camion. L’artiste se résolut à la retirer complètement en 1978.

Il n’en reste donc que 19 aujourd’hui. Elles ponctuent sa formation intellectuelle et culturelle dans une première partie en représentant des grandes figures historiques ou des concepts abstraits. Elles rendent hommage aux artistes modernes et contemporains qu’il appréciait ainsi qu'à leur quête vers la perfection dans une seconde partie. Robert Tatin les a sculptées sur des buses de récolte d’eau, grillagées, puis recouvertes de ciment, parfois peint mais en utilisant peu de couleurs car il tenait à ce que les géants soient dans des tonalités les plus en accord possible avec la campagne environnante.

Si chacune est composée de nombreux éléments qu’il faut interpréter il n’y a en tout cas aucun doute à avoir sur leur nom puisque celui-ci figure au pied de chacune.
Il modela le ciment à la main, un peu comme on monterait un vase. Il faut dire qu’il était (aussi) céramiste. Un très bel exemple de ses talents est exposé dans un escalier menant à une des salles du musée. Ce «grand vase aux bateaux» a été réalisé à Buenos Aires en 1954.

La première statue est celle de Vercingétorix qui est placée en face de celle de Jeanne d’Arc (si on les cite dans l’ordre chronologique). Avec elles nous sommes comme un enfant qui découvre deux héros de l’histoire de France, fondateurs de l’identité nationale. Ils se sont tous les deux engagés pour les idéaux d’indépendance et de liberté au péril de leur vie.
Vercingétorix né en 82 avant J.C et mort en 46 avant J.C, a pris la tête de la résistance à Jules César lors de la conquête de la Gaule. On peut considérer que pour la première fois les peuples divisés vont être réunis. On le voit en pleine gloire, étranglant la Louve Romaine. Jeanne d’Arc est née en Lorraine en 1412 et a été brûlée vive à Rouen en 1431 à l’âge de 19 ans. Elle a commandé les armées du roi de France et permis à Charles VII de devenir roi à son tour. C’est une grande figure emblématique de l’histoire de France. On la voit avec l’épée et la fleur de lys qui sont des attributs royaux rappelant son lien à Charles VII.
Le deuxième couple à se faire face sont les verbes Être et Avoir et suggèrent les questionnements qui surviennent à la fin de l'enfance. On remarquera qu’Etre repose sur la tête, les mains écartées en signe d’ouverture sur le monde et la pensée. Il ne pourra rien thésauriser puisque ses poches ne conserveront rien. Yeux écarquillés, il est à l’affût de tout. Avoir est en quête d’équilibre au milieu un nid de serpents, allusion à Méduse.
Voici la Vierge de l'Épine, une petite commune à l'est de Laval qui est le quartier où Robert a grandi, et qui représente la mère universelle. Les deux cornes d’abondance nous rappellent la nature nourricière. La corne était censée appartenir à une chèvre magique qui nourrissait Zeus enfant. La joubarbe qui pousse dans la coupe symbolise la barbe de Jupiter. On en faisait pousser sur les toits en chaume en espérant ainsi protéger les maisons de la foudre.

Sainte Anne est la patronne de la Bretagne, et aussi la mère de la Vierge qu'elle tient dans ses bras alors qu'elle est elle-même enceinte du Christ, ce qui représente les différentes générations, grand-mère, mère et enfant à venir ainsi que le passé, le présent et le futur.
Le sculpteur rend aussi hommage aux Maîtres Compagnon qui tiennent une place si importante dans les métiers du bâtiment, même s’il n’a pas été compagnon du devoir. L’artisan tient une pierre cubique taillée à pointe, symbole de la perfection de soi, dans laquelle Robert Tatin fut en quête toute sa vie. Aucune ne lui fait face aujourd’hui puisque la sculpture endommagée n’a pas été remplacée.

On peut, à ce stade, s'arrêter un instant et observer la perspective vers l'est puis vers l'ouest. On remarquera que les sculptures semblent toutes être de la même hauteur alors que le chemin est en pente assez forte. Robert Tatin a adapté leur dimension pour créer l'illusion qu'elles sont de taille identique, donc de même valeur.
La deuxième partie de l'allée rassemble des artistes, des écrivains et une personnage imaginaire (Ubu roi).
Voici le lavallois Douanier Rousseau (auquel je consacrerai un billet spécial) semblant serrer près de lui son fidèle ami, Guillaume Apollinaire (qui composa son épitaphe, dont la première strophe a été gravée sur sa pierre tombale par Brancusi, dans le jardin de La Perrine à Laval) et sa muse, Marie Laurencin.

Face à lui le pape du surréalisme dont il fonda le mouvement dans les années 1920, André Breton, et qui aura beaucoup influencé Robert Tatin. L'objectif est d’abolir les règles et les barrières établies par les mœurs et par la conscience en reposant sur la perception des rêves, la libre-pensée, le désir, et l’inconscient. Le rêve est présent dans la partie supérieure. Un oiseau se pose sur la langue, symbole de légèreté … mais le personnage qui émerge du ventre a les pieds et poings liés, comme si rêve et réalité n'étaient pas compatibles avec la liberté.
Voici peut-être la sculpture la plus colorée de l'allée, Georges Seurat, père du pointillisme, mort si prématurément à 31 ans, est représenté comme le magicien des couleurs, évoquant l'amour du cirque et de la peinture qu'ils avaient en commun, Tatin et lui. La femme à l'ombrelle est le personnage central de son tableau "Un Dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte".

C'est Paul Gauguin qui lui fait face, portant bien entendu les sabots bretons, tenant par les pieds la muse qui l'a guidé au cours de ses nombreux voyages.
Léonor Fini ne pouvait pas ne pas être représentée autrement qu'avec un chat. Et on se demandera si la main d'Auguste Rodin a été sculptée par Camille Claudel qui est sans doute la femme qui en est la prisonnière.
Autre lavallois célèbre, Alfred Jarry qui, outre l'écriture avait pour passion la bicyclette, en face du héros de la pièce de théâtre créée en 1896, Ubu Roi, à l’origine une caricature de son professeur de physique Félix Hébert enseignant dans un lycée rennais, et qui représente tous les travers de l’être humain. Rien d'étonnant à ce qu'il semble ne rien vouloir entendre et que ses yeux soient levés vers le ciel. Il est assis sur un dé truqué puisque le chiffre cinq est lisible sur deux faces.
Suzanne Valadon, immense, serre Utrillo grimpé sur le Sacré-Choeur tandis que La Goulue apparait dans la fenêtre de Toulouse-Lautrec, dont on voit bien qu'il était très petit. Les danseuses du Moulin rouge lèvent la jambe sur le socle. On remarquera aussi une symétrie entre les deux sculptures avec l'emploi du même noeud.
Pour Tatin, l’art ne peut pas exister sans la science et réciproquement. On le voit avec Jules Verne qui comme lui entretenait une grande passion pour l’astronomie et les voyages.

Nous finissons avec Picasso, génial peintre et sculpteur et dessinateur dont le visage rayonne comme un soleil. La colombe de la paix unit l'homme et la femme dont les visages ne font qu'un au centre.

Au terme de l’allée nous arrivons naturellement à la Porte des Géants qui se trouve sur un mur d’enceinte, C’est un haut-relief sur lesquels sont représentés les cinq plus grands peintres selon Robert Tatin : Rembrandt, Van Gogh, Léonard de Vinci, Goya et Delacroix.
Si nous faisons demi-tour en revenant en direction de la maison nous serons étonnés par l’immensité de ce dragon asiatique, donc sans connotation démoniaque, qui marque une entrée symbolique, à l'instar d'une sentinelle, c’est le gardien de la connaissance. Sa patte droite tient un dé.
Il supporte une famille symbolisant l’humanité qu’il protège. Au centre de sa bouche, posée sur sa langue, on devine la statue de la vierge Marie, que Robert Tatin a lui-même déposée.

samedi 29 juillet 2023

Paroles superbes de OPJ Cyganek et Julie Poulain à Sainte-Suzanne pour les Nuits de la Mayenne

Du 17 juillet au 11 août vous pouvez visiter, en accès libre, l’exposition Paroles superbes au premier étage de la Bergerie du château de Sainte-Suzanne, charmante ville (par décision royale) qui donne envie de la sillonner en long, en large, et en travers tant chaque détour vaut la peine.

Quand je dis peine, c’est qu’il y a des monts et des vaux à parcourir, surtout si on veut descendre jusqu’au chemin des moulins.

Que d’eau, de verdure, des paysages à couper le souffle sur le Mont des Avaloirs, qu’on devine au lointain.

Des chevaux dans les prés, rappelant que l’emblème du département est Pégase, et qu’on y élève les meilleurs trotteurs.

Je consacrerai une publication spéciale à cette bourgade et ses environs.
Aujourd’hui je voudrais me concentrer sur le travail de OPJ Cyganek et Julie Poulain qui ont exploré les archives des Nuits de la Mayenne de concert pendant plusieurs mois afin de créer des oeuvres qui soient porteuses d’un récit en lien avec l’histoire de ce festival qui fête ses 50 ans cette année.
Les deux artistes ont imaginé cette Table de banquet, portant des faïences émaillées où les mots ont remplacé les aliments et les boissons. Les céramiques sont ornées de citations que le public fidèle du festival a pu entendre au cours des éditions passées. Il y a du Shakespeare, du Molière, du Musset aussi. Les phrases sont reprises en rouge sur la nappe rose.
On peut lire sur un plat à anses : Dieu vous bénisse et vous fasse le nez comme j’ai la cuisse, extrait de Beaumarchais dans le Barbier de Séville (1775)Et sur une sorte de papillon (à l’envers ci-dessous) : ça fait mal de rêver toujours, extrait de Littoral de Wadji Mouawad (1999) la citation complète étant : Ça fait un peu mal de rêver toujours, ça rend fou, mais ce qu’il y a de plus douloureux dans le rêve, c’est qu’il n’existe pas.
Cette œuvre est un hommage évident à l’esprit de partage qui anime le festival, incarné par les banquets et buffets qui autrefois étaient organisés avant chaque spectacle.

Aujourd’hui, seuls les artistes dînent avec l’équipe technique (pendant que, parfois, les hôtes des lieux festoient avec leurs amis et connaissances sous une tente annexe). La tradition du « catering » est maintenue et j’y consacrerai un article en particulier.

Le duo d’artistes a également imaginé un dispositif itinérant qui accompagne chaque spectacle. Intitulé Ramène ta fraise, il est dans l’exposition de la Bergerie, symbolisé par quelques photographies prises lors de la première activation de la pièce éponyme qui suit le festival cet été.
Comme on le voit sur ces clichés, elle consiste en une sculpture constituée de deux pièces de bois, symbolisant le seuil qu’on franchit lorsqu’on entre dans un théâtre. Les éléments supérieurs de chaque totem se détachent pour venir orner le cou du spectateur, comme autrefois les collerettes des nobles. Elles sont surtout aussi un clin d’œil à Jean Guichard, qui fonda le festival en 1973, portant une fraise dans L’avare de Molière. On se trouvera étrange, décalé mais on sera en condition pour accueillir l’altérité.
Le duo OPJ Cyganek et Julie Poulain a voulu questionner les conventions sociales par le biais d’œuvres in-situ qui vont solliciter le « spectateur » qui sera acteur d’une relation aux autres enrichie. Il est très intéressant de les écouter expliquer leur démarche artistique :
Pourrait-on parier que cette expérience plastique, symbolique et poétique deviendra un nouveau rituel du festival ? Je me suis volontiers prêtée à l’exercice en constatant l’engouement du public pour cette expérience.

Je rappelle que Les Nuits est une aventure artistique et humaine portée par l’association Mayenne Culture qui fédère pour chaque spectacle les collectivités locales, entreprises, associations, habitants. J’ai assisté à deux spectacles, La chair de l’objet et Maya, une voix qui m’ont tous les deux convaincue de la haute qualité de ce festival qui se déroule dans une ambiance chaleureuse.
Il est encore temps d’assister aux dernières représentations. Le programme est ici.
Profitez de l’été aussi pour voir cette exposition et vous promener dans Sainte-Suzanne.
Paroles Superbes, 1er étage de la Bergerie du Château à Sainte-Suzanne (53)
Jusqu’au 11 août 2023 - Tous les jours de 10 h à 19 h - Accès gratuit

vendredi 28 juillet 2023

Mes sœurs, n’aimez pas les marins de Grégory Nicolas

Que vous préfériez la mer ou la montagne, vous serez comme moi submergés par Mes soeurs n’aimez pas les marins. Je m’en doutais  car je connais l'écriture de Grégory Nicolas mais franchement il m'a encore cueillie. C'est à coup sûr un grand auteur !

C’est "le" livre de l’été par excellence, et plus encore. Voilà un grand roman d’amour et d’aventure. Mes sœurs, n’aimez pas les marins rend un hommage bouleversant à ces femmes à qui la mer prend tous leurs hommes et qui ne renoncent jamais.

Ce qui est très réussi c'est d'avoir construit le livre autour de quatre personnages principaux, deux femmes et deux hommes pour raconter les évènements de leur point de vue sans tomber dans le travers du journal intime.

C'est toute une lignée familiale qui est brossée. d'abord avec Perrine à partir de 1920. Suivront en 1942  les lettres de son fils Jean. Paulette prendra la parole (à partir de la page 159) et c'est je crois le personnage que je préfère, pour sa liberté de ton et son tempérament. Quel caractère ! Bonne ne s’écrit pas avec un C proclame-t-elle comme une menace (p. 236). Enfin Paulette et Perrine, deux femmes devenues soeurs par l'amour dissemblable mais commun qu'elles portaient à un petit marin perdu puis à un autre (p. 313).

Les changements de focale autorisent l'emploi d'un autre lexique, l'usage d'un style différent, le recours à l’humour parfois décalé, ce qui anime la lecture sans la dévoyer parce que les autres personnages continuent de s'exprimer, mais différemment, par exemple à travers des courriers. Parce que les marins, et c'est un parallèle qu'on peut établir avec les militaires, écrivent beaucoup. Jean écrit à sa mère comme à une marraine de guerre (p. 61).

On ne perd jamais de vue l’ensemble de la famille et même si les points de vue s’expriment différemment ils ne s’opposent pas. Cela permet de mieux comprendre l’état d’esprit breton et le comportement de Perrine qui ne pleure pas parce que ça ne se fait pas même si on en a besoin (p. 146).

Nous allons suivre leur vie tout au long du XX° siècle, en Bretagne, mais en voyageant aussi avec eux sur les mers ou en France puisque Paulette quittera l’océan pour les montagnes du Jura. Nous traverserons les tempêtes météorologiques et politiques, notamment la Seconde Guerre mondiale et les barricades de Mai 68. On était relativement épargné en Bretagne car les marins étaient dispensés du STO. Ils ne partaient pas en Allemagne et elle ne connut pas la pluie des bombes. Mais ce n’était pas pour autant un eldorado, d'abord à cause du chômage à la sardinerie : on n’a plus de tôle pour faire les boites. on n’a plus d’huile non plus et de toute façon le poisson est rare. Du coup on fait le goémon (p 149). Ensuite en laissant des mines dans l'eau qui pourront éclater à tout moment sous un bateau pendant des années.

Faut pas aimer les marins avait dit la grande sœur à Perrine. Mais il était trop tard (p. 30).

Nous palpiterons à entendre leurs sentiments familiaux, maternels, amoureux. Les personnages "secondaires" sont eux aussi très attachants. La mère de Paulette a toujours une formule pour qualifier le moment. Le père est d’une générosité sans bornes. La bonne, les copains d'école, le patron marin-pêcheur, tous nous sont vite familiers. 

Ce livre est un hymne à la vie malgré les deuils car la mer, on le sait pourtant bien, est une dévoreuse d'hommes. Elle agit comme un aimant. C’est une ogresse à mille bras a toujours un truc pour fasciner les hommes qui font des promesses que tout le monde sait qu'ils ne tiendront pas. Rien n'endigue l'attirance qu'elle exerce sur eux. Même Jean qui pourtant a le mal de mer. Ce sera comme une addiction. Comment les terriens pourraient-ils comprendre pourquoi les marins retournent en mer alors qu’ils ont eu tant de tracas, affronté tant de danger ? (p. 36).

Les mères sont impuissantes à retenir leurs fils. On est marin de père en fils, comme on est sardinière de mère en fille. Mais un jour une jeune femme décidera de contrer le destin. Elle fera ce qui est en son possible pour le dissuader son fils, le petit-fils de Perrine, de reprendre la me. Il faudra lire cette histoire, inspirée de faits réels que l'auteur nous confie dans les remerciements pour savoir si le stratagème aura réussi.

Le roman est composé à l'instar d'une chanson avec quelques répétitions qui sonnent musicalement en dégageant une douceur infinie, un peu comme dans certains contes de randonnée. Pour désigner un noyer l'auteur a toujours recours à la périphrase le grand arbre dont on n’a pas le droit de dire le nom. Quand il nous parle des talents de conteuse de la mère de Perrine il souligne que ses récits étaient fabuleux, sauf les naufrages qui étaient censurés p. 49). Et lorsque Jean dort à l’extérieur il cabane. La connivence est instaurée entre Grégory Nicolas, ses personnages et le lecteur, ce qui atténue la dureté du sujet.

On retiendra tout de même la mise en garde : femme de marin, femme de chagrin. Et le conseil de serrer un petit caillou dans sa poche pour lutter contre le mal de mer, qui doit aussi fonctionner pour le mal dDes transports en voiture.

Grégory Nicolas est notamment l’auteur de Des histoires pour cent ans (Pocket – Les Révélations- 2020), des Fils du pêcheur (Les Escales 2021, Pocket – Grand prix des lecteurs – 2022) et de la série Papi est un super menteur (PKJ). Il a également écrit Équipiers (Hugo Sport 2019) qui a reçu le prix Antoine-Blondin.

Mes sœurs, n’aimez pas les marins de Grégory Nicolas, Les escales, en librairie depuis le 16 mars 2023

jeudi 27 juillet 2023

La pisciculture de Jean-Claude & Aurélie Gandon au Moulin du Château (53320 Montjean)

L'eau est un élément majeur de la nature mayennaise, non seulement parce que la rivière traverse le département du nord au sud (et j'en reparlerai puisque j'ai effectué une navigation sur ce cours d'eau) mais aussi par le nombre d'étangs de pêche et de sites d'élevage. Qui plus est toutes les rivières y sont de première catégorie.

J'avais entendu parler de l’élevage de la truite de Parné-sur-Roc et j'étais intéressée de le visiter. J’ai visité de tels élevages notamment en Franche-Comté et sur l'île de la Réunion, et même d'esturgeons en Aquitaine où l'on produit un caviar IGP mais il s'agissait toujours d'élevage intensif.

J'ai eu la chance d'être conseillée par Mayenne Tourisme qui m'orienta sur la commune de Montjean où Jean-Claude et Aurélie Gandon exploitent non seulement un établissement piscicole mais aussi un lieu de séjour depuis que deux gites y ont été ouverts. La seconde particularité est que l'élevage y est extensif.

Quand dans les piscines on produit 100 kilos de poisson par mètre carré, ici en extensif, on obtient peu de poissons sur beaucoup d’eau, 200 kilos par hectare.

Breton, originaire d’Ile-et-Vilaine, Jean-Claude a fait ses études à Guérande. Il a d'abord été autocariste dans toute l’Europe avant d’arriver là, avec sa femme, il y a 25 ans, attirés par la combinaison du caractère historique, avec un château au bord d’un étang panoramique sur la digue, avec un bassin versant de 19 km² principalement composé de prairies et de cultures de céréales, et l'opportunité de pratiquer une production piscicole avec un réservoir de 25 hectares. Après avoir vécu sa passion pour les voyages il allait en assouvir une autre pour les poissons.
Jean-Claude m'a fait faire le tour de l'étang dont la profondeur maximale est de 3 mètres avec une moyenne de 1.8 mètres. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui faire la réflexion que chacun fait en découvrant son domaine : On s’attend pas à ça quand on arrive ici.

L'accès est d'ailleurs indiqué pour les gites, un petit chemin sur la gauche en venant du Nord par la Route de la Maison Neuve (la D 124) reliant Loiron à Cossé-le-Vivien, mais il est peu repérable si on vient du Sud. 

Il n'y avait alors qu'un ancien moulin avec certes 500 m² de dépendance mais sans eau courante ni électricité. D'autres auraient été découragés mais ils ont accepté de vivre trois ans dans un mobilhome, le temps de débroussailler puis de couvrir les bâtiments que traversaient les pluies. Après avoir garanti une habitation digne de ce nom ils ont créé deux gîtes de pêche.

L'étendue d'eau est splendide, au pied d'un château construit à l’époque de Charlemagne (qu'il ne faut pas photographier parce qu’il est totalement privé) dont l'histoire est détaillée sur le site du Moulin. On peut y lire que c'était un "moult beau lieu" qui a vu le passage du roi Louis XI en 1472.

Il est propice au repos et à la flânerie il ne l'est pas à la baignade qui est formellement interdite. Voilà pourquoi une piscine a été creusée pour permettre aux membres des familles qui ne pêchent pas de profiter des vacances.

mercredi 26 juillet 2023

Maya, une voix, par Les Passionnés du rêve aux Nuits de la Mayenne

Si lundi il a fallu renoncer au plein air et voir La chair de l'objet en intérieur, ce soir la météo est clémente. Maya, une voix , un spectacle qui a réjoui le public du festival d'Avignon trois années consécutives. Il pourra être interprété en plein air, dans l'esprit voulu par Les Nuits de la Mayenne dont un des fondamentaux est de présenter des spectacles en extérieur.

C'est aujourd'hui au Domaine de la Cour situé à Vautorte. Demain, jeudi 27 juillet ce sera au Jardin de la Mairie à La Bazouge-des-Alleux.

Ce seront deux soirées spéciales dans une année spéciale, comme le souligne Coralie Cavan, directrice artistique du festival, marquant la volonté de proposer une culture de proximité, reliée au patrimoine, qu’il soit architectural, naturel ou urbain. Avec aussi cette année les arts plastiques.

Dans les deux cas la représentation sera précédée d'une visite commentée, incluse dans le prix du billet. Je ne vais pas alourdir cet article en reprenant ici l'essentiel de ce que nous a dit Michel du Fou propriétaire des lieux (ci-dessous à droite).

Il faut signaler à ceux qui craindraient de traverser la forêt giboyeuse de Mayenne de nuit après le spectacle (nous entendrons un cerf bramer pendant la soirée) qu'il existe un sytème de navette aller-retour au départ de Laval (à 5 minutes à pieds de la gare) afin de faciliter la venue sur chaque spectacle du festival, bien entendu sur réservation. Voir conditions sur le site où vous disposerez aussi de tout le programme.

Je reprendrai cette visite commentée dans une publication spécifique de manière à ce que ceux qui voudraient y résider (puisque le domaine abrite deux immenses gites) pourront connaitre l'histoire du lieu. Les plus impatients pourront dès à présent consulter le site en suivant ce lien.

Je dirai seulement que pour les artistes, être accueilli dans un lieu habité est toujours une situation propice aux rencontres, et inductrice d'motions particulières.


La remarque vaut aussi pour les propriétaires. Jacquemine du Fou a volontiers ouvert la salle à manger aux comédiennes en guise de loges. Elles traversent silencieusement le hall alors que l'une d'elles fait ses vocalises, en l'occurrence Ursuline Kairson.
Les élus ont bien raison de souligner, Gilles Ligot, maire de Vautorte comme Benoit Lion, président de Mayenne Culture qu'un festival comme Les Nuits exerce une attractivité démontrant qu'il se passe des choses formidables dans ce département, en mettant aussi l'accent sur des lieux propices au tourisme vert.

Il était nécessaire de rappeler que Maya une voix, programmé en 2022, n'avait pas pu se jouer à Vimartin-sur-Orthe et à Saint-Aubin-Fosse-Louvain suite à un malheureux accident. Deux artistes de la compagnie avaient interprété en remplacement "Mayenne Route 66". Les voici de retour au complet avec leurs camarades. Le public des Nuits est sans doute d'autant plus venu en confiance qu’il doit se souvenir qu’une autre mise en scène d’Eric Bouvron (et d’Anne Bourgeois) a déjà été accueillie. C’était le 21 juillet 2016, au château de la Roche à Ahuillé avec Les Cavaliers, libre adaptation du roman de Joseph Kessel, Molière du théâtre privé.

Pour ma part j'étais particulièrement heureuse de découvrir ce travail d'Eric Bouvron si peu de temps après avoir apprécié Braconniers le mois dernier, également en extérieur, au mois Molière de Versailles.

La nuit n’est pas complètement tombée. Il fait doux. Le public s’est installé. Il ne reste guère que deux ou trois chaises vides. Les artistes peuvent monter sur scène.

mardi 25 juillet 2023

La chair de l’objet, chorégraphie de David Drouard pour DADR Cie

Comme je l'écrivais hier, La chair de l'objet était programmée dans le cadre des Nuits de la Mayenne au musée Robert Tatin, car ce lieu est particulièrement propice à recevoir un spectacle de danse.

La météo s'annonçant mauvaise il a été décidé de se replier à quelques kilomètres, dans la salle du FCC à Cossé-le-Vivien. Sage décision car des trombes d'eau se sont abattues sur la région en fin d'après-midi.

Il ne faut pas croire que les artistes en ont éprouvé du soulagement parce qu'ils étaient tous très curieux de "voir" comment le spectacle se déploierait en extérieur.  Leur déception de ne pas jouer en plein air était nette car ils s’y préparaient depuis leur accueil en résidence au musée et se réjouissaient de cette occasion unique.

Une journée de travail sur place, l’an dernier, leur avait permis de pratiquer des sols différents, de découvrir la verdure tout autour, la lumière naturelle de fin de soirée. Ils étaient curieux de danser sur un plateau en résonance avec le musée mais en même temps pas trop proche, sur le côté, au niveau du petit jardin. Ils ont en effet une certaine expérience des salles non conventionnelles et La chair de l'objet a été conçue pour être interprétée en collège ou en lycée.

Je préfère assister à un spectacle sans avoir lu le dossier de presse auparavant et du coup j'ai été surprise du nombre de danseurs. Pour moi les deux parties n'étaient pas distinctes mais se déroulaient dans une continuité, comme si le couple de la première partie s'était libéré de sa carapace noire, abandonnée au soleil levant, pour se glisser dans une autre, à l'instar d'une nouvelle chrysalide, cette fois d'une blancheur immaculée. Mon erreur est attribuable au thème de l'identité si bien exploitée par le spectacle et prouve que le pari de David Drouard est largement gagné.

Pourtant le dossier explique que La chair de l’objet est une vision chorégraphique en deux dimensions : un duo et un trio. Conçue à la suite du premier confinement, cette création donne à voir deux formes distinctes d’interprétation et tire sa particularité de son processus de création.

La première, portée par un duo composé de Evguenia Chetchelkova et David Drouard, questionne le corps masqué en mettant en mouvement deux individus vêtus d’un “zentaï”, combinaison dissimulant l’intégralité du corps. Les séquences sont magnifiques comme en témoigne la première photo. Le public est sollicité pour répondre à la question de la subsistance  d'une singularité à ces deux silhouettes dépourvues de visage. L'humain continue-t-il de vibrer si on ne voit pas/plus la couleur de peau ni les expressions ? La réponse est positive, parce que le talent des danseurs est tel que leurs corps restituent la moindre de leurs émotions.

La seconde partie met en scène un trio de danseurs (Maëlle Omnès, David Walther et Germain Zambiissus des cultures urbaines, portant une combinaisons d’astronaute et évoluant franchement dans un univers de science-fiction. 

Ce trio doit être compris comme trois facettes d'une seule et même personne. Il montre un individu à trois « têtes », en trois dimensions, racontant une quête ou une expérience. Le récit est en mouvement, conçu comme une exploration d’un futur qui peut être celui de l’esprit comme celui du paysage, ou de l’espace, rythmé par trois personnalités à la fois fusionnelles et distinctes. La notion d’avatar, de jeu de rôles, sert de catalyseur idéal capable de susciter l’envie d’une invention personnelle à être qui l’on veut, à partir de soi.

Les cinq danseurs maitrisent leur art à la perfection. Les jeux d'ombres et de lumières de Jéronimo Roe sont splendides. La musique, créée par Arnaud Toulon enveloppe admirablement les artistes. Elle intègre deux morceaux comme s'ils avaient été composés pour le spectacle.

D’abord Les mains libres de Yuzmv (prononcer Yusma), un rappeur perpignanais, chanteur et danseur (il a  commencé à l’âge de 9 ans) qui se produit le visage bandé  … encore un point commun avec les costumes choisis par Cédric Tirado.
Le second morceau chanté en live est un classique électro vieux de plus de dix ans, toujours puissant, Dance Yrself Clean de LCD Soundsystem. Là encore il s’accorde avec le thème.

David Drouard chorégraphe de la Compagnie DADRest né en Mayenne. Il danse depuis l’âge de 15 ans. Son parcours est classique et contemporain. Il a travaillé avec Odile Duboc puis Jiri Kylian au Nederlands Tans Theater, Aurélie Dupont et Manuel Legris mais aussi Marie-Agnès Gillot. Il a reçu le premier prix de la Fondation Noureev au Concours International de danse de Paris, puis Fractal, aussi récompensé. Il remporta de nombreux prix qui l’amenèrent à se confronter à différentes collaborations dans le théâtre, le cinéma, la télévision … Toujours interprète et chorégraphe il allie à la perfection la danse classique et la danse contemporaine, y compris dans ses tendances les plus actuelles comme le krump.

Implantée à Laval depuis 2004, la compagnie a l'habitude de confronter, à travers ses créations, l’art chorégraphique à l’actualité et s’est particulièrement intéressé à la question de l’identité en rencontrant des élèves de collège et lycée autour de cet aspect. On peut être d’accord avec lui : peu importe au final si le corps est recouvert, casqué ou voilé, il continuera de vibrer ! 

La chair de l'objet a été créé le 9 février dernier à Laval. Le public, essentiellement adulte ce lundi 24 juillet, a été très ému et a longuement salué la performance, tant sur le plan de la forme que sur le fond. S’il vous faut un extrait pour être convaincu, vous pouvez visionner ceci.
La chair de l’objet, chorégraphie de David Drouard pour DADR Cie
Interprètes : Evguenia Chetchelkova, David Drouard, Maëlle Omnès, David Walther et Germain Zambi
Assistante : Sara Tan
Compositeur : Arnaud Toulon
Lumières : Jéronimo Roe
Conception scénographie : Cédric Joannet
Costumes : Cédric Tirado
Vu le lundi 24 juillet 2021 à 21 h 30 à Cossé-le-Vivien
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de François Stemmer.

lundi 24 juillet 2023

La Mayenne, un territoire de festivals où le bénévolat est une pratique naturelle

La Mayenne est une terre de festivals. Il en existe une soixantaine, et le plus connu, Les 3 éléphants, est devenu un rendez-vous incontournable à Laval. Il est en quelque sorte le premier évènement musical du territoire. Reconnu pour la qualité et l’éclectisme de sa programmation, il accueille chaque année plus de 30 000 festivaliers. Tous les ans, plus de 80 propositions artistiques investissent une vingtaine de lieux différents du centre-ville avec des propositions artistiques qui sont gratuites pour plus de la moitié d’entre elles.

J’ai remarqué une des sculptures faites dans ce cadre en mai dernier, et qui reste sur la place, à l'angle de la rue du Pin Doré et de la rue Charles Landelle. Intitulée  "Au chaud pour l'été" elle a été réalisée en laine par les usagers de l'Espace de Découvertes et d'initiatives A la Croisée de Laval avec les généreux dons d'Emmaüs Villiers-Charlemagne et des Lavallois-es (ci-dessous à droite) Il y a d’ailleurs toujours beaucoup de sculptures un peu partout en Mayenne, cela saute aux yeux.

D’autres festivals musicaux comme  Un singe en été, du 23 au 25 juin 2023, ou Aux foins de la rue, qui eut lieu les 07 et 08 juillet 2023 à Saint-Denis-de-Gastines, mettent tous deux en valeur les musiques actuelles. Un autre est consacré au jazz. 

Plus original, Le Chainon Manquant, aura lieu à Laval du 12 au 17 septembre 2023. Le réseau s’est forgé sur 2 principes: le repérage artistique et le développement économique d’un circuit culturel équitable et solidaire.

Plus au Nord, Les Entrelacés ont investi Lassay-les-Châteaux les 13 et 14 juillet en proposant de flâner dans les rues, la roseraie ou les cours cachées à la découverte de spectacles, pour profiter d’une trentaine de rendez-vous proposés par une quinzaine de compagnies : entresort, cirque, déambulation, musique, théâtre, danse, gourmandises salées ou sucrées.

Les Nuits de la Mayenne ont une place particulière puisque le festival fête cette année son cinquantième anniversaire. J’étais très enthousiaste à l’idée de découvrir un spectacle programmé en extérieur dans le cadre de l’étrange musée Robert Tatin de Cossé-le-Vivien. Les trombes d'eau qui se sont abattues sur la région en fin d'après-midi ne permettront pas qu’il ait lieu en plein air et le repli s’organisera dès le début de la journée dans la salle du FFC, de manière à laisser le temps de prévenir tous les spectateurs.

Je vous parlerai de cet environnement d’art fabuleux imaginé de 1962 à 1983 par Robert Tatin et dans lequel travailla sa dernière épouse, Liseron, très bientôt. J’ai eu la chance de le visiter, en compagnie de son directeur dans le courant de l’après-midi et sans recevoir à ce moment là une goutte de pluie.
L’an dernier ce fut la Compagnie La Parenthèse qui joua La promesse (des nuits d’été) le lundi 18 juillet devant le dragon. Cette année c’est un spectacle de danse qui y avait été programmé par Coralie Cavan, la directrice artistique des Nuits.

Il me semble que les mayennais sont ultra dynamiques en matière de bénévolat. Les projets associatifs sont proportionnellement plus nombreux dans le sport, le social (Croix-Rouge, Banque Alimentaire, ...), l’éducation, et la culture (Poc Pok, Atmosphère 53, ...) et répondent à de fortes attentes des habitants dans une volonté d’engagement de territoire.

Le département dénombre près de 7 000 associations pour environ 60 000 bénévoles, et aussi des salariés pour environ 12% d’entre, ce qui représente plus de 8 000 personnes. A titre d'exemple L'Epicerie de Fontaine-Daniel à laquelle je consacrerai un article spécifique.
Constituée en SCIC depuis mai 2015, elle emploie aujourd’hui 3 salariés et 1 alternante en étant dirigée par 2 co-gérants élus pour 3 ans. Elle fonctionne grâce à l'énergie de 81 coopérants et d'une quinzaine de bénévoles actifs, et de nombreux sympathisants comme toutes ces personnes qui viennent y déposer les livres qu'ils ne veulent plus lire et qui sont revendus à un tout petit prix.
La ville de Mayenne expose depuis le mois d'avril sur les rives de la rivière "Etre bénévole, visages de la citoyenneté" pour rendre hommage, à travers des portraits, à celles et ceux sans qui les clubs sportifs, les activités sociales et culturelles seraient bien en peine de fonctionner. 
Ils sont pourtant le plus souvent humbles et discrets. Leur dévouement est essentiel pour accueillir, encadrer, accompagner, donner, transmettre, informer … Puisse leur témoignage susciter des envies auprès de leurs concitoyens !

Tous les trois ans, depuis 2010, l’enquête IFOP – France Bénévolat – R&S mesure le. phénomène. La dernière, réalisée en janvier 2022, reste marquée par les mesures sanitaires qui ont contraint de nombreux bénévoles à suspendre leur activité. La situation a évolué depuis et l’estimation doit être prudente. On peut estimer le nombre de bénévoles entre 56 000 et 63 000 pour le département. La Mayenne serait le département où ils seraient les plus nombreux par rapport au nombre total d'habitants.

Les motivations les plus souvent citées sont avant tout altruistes :
- être utile et agir pour les autres (86 %) ;
- soutenir la cause défendue (47 %) ;
- appartenir à une équipe (32 %)

Viennent ensuite des motivations personnelles :
- l’épanouissement personnel (47 %) ;
- l’acquisition de compétences (23 %) ;
- la reconnaissance sociale (18 %).

Je les ai perçues parmi les bénévoles que Les Nuits de la Mayenne rassemblent. Depuis toujours les scènes et gradins sont montés par les bénévoles des communes, une vingtaine à chaque date, ce qui représente plus de 200 par édition.

Depuis 2 ans un appel à bénévoles a été lancé sur l’ensemble de l’organisation du festival sur des tâches nouvelles comme les navettes par exemple. S'ils furent une vingtaine à être retenus l'an dernier, leur nombre a doublé pour cette édition, et ce n'est pas trop puisque chaque soirée en mobilise dix. Les missions portent aussi à la fois sur l’accueil du public, le contrôle d’accès, l’aide au montage (habilleurs et habilleuses). Un bénévole a "rempilé" comme il dit pour le plaisir de connaître l’envers du décor. Pour une autre c’est l’occasion de découvrir des lieux inconnus. Pour une autre, qui l’an dernier était affectée au repassage des costumes, celle de faire connaissance avec des artistes, notamment plasticiens cette année.

Il n'est pas indispensable d'être féru de spectacle. L'un d'entre eux m'a confié qu'il n'avait jamais assisté à une pièce de théâtre auparavant. Mes échanges avec eux ont été brefs, car croyez-moi ils sont très investis, notamment dans la médiation culturelle des apparitions poétiques conçues par le duo d'artistes OPJ Cyganek et Julie Poulain (dont bien entendu je relaterai le travail, dans un article sur l'exposition Paroles superbes, actuellement présentée à la Bergerie du château de Sainte Suzanne).

Pour Thalie, il s'agit de sa première fois. Elle a été entrainée dans l'aventure par une connaissance qui a participé aux Nuits sur le Cyrano programmé le 26 juillet 2022 au Collège Alain Gerbault de Laval. Etant comédienne dans une troupe de théâtre amateur on pourrait croire que la relation au public lui est facile. Pourtant elle a expérimenté qu'il n'est pas très facile de se lancer et elle a apprécié cet exercice consistant à la faire sortir de sa zone de confort par rapport aux répétitions qui lui sont habituelles.
Lorsque vient son tour de proposer aux spectateurs de porter une des deux fraises, elle le fait avec douceur et persuasion. Il suffit qu'elle décide une personne pour que leurs proches s'y mettent. Et si nécessaire elle montre volontiers l'exemple.

Un autre soir, car l'action des bénévoles n'est pas répétitive, elle se munit de plusieurs stylos pour encourager le public à écrire une pensée, une parole, une citation, un poème  ou même quelques mots sur une feuille qui sera glissée dans Le souffleur et qui, plus tard sera criée, chuchotée, chantée ou proclamée.

L'esprit poétique ne manque pas aux Mayennais comme en témoigne l'inscription que j'ai surprise sur une ardoise anonyme sur le muret d'une maison dans la ville de Mayenne qui, bien sûr est la dixième strophe de Liberté de Paul Eluard (1942) et que j'ai retenue pour illustrer cet article. 

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