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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 25 décembre 2021

Noël au Mexique et réflexions sur la bienveillance légendaire de ses habitants

Se rendre au Mexique est un dépaysement en soi. Y aller en période de Noël encore davantage. Tout surprend. D'abord parce que c'est le pays de la démesure, avec des paysages grandioses, mais aussi d'immenses zones urbanisées … et souvent de manière un peu anarchique car il n'y a pas la moindre contrainte urbanistique ou architecturale autre que celle de construire désormais des immeubles susceptibles d'être résistants aux tremblements de terre.

J'ai eu l'occasion de dire que ce qui frappe en premier ce sont les couleurs et Noël ne s'y fait pas discrète même si la municipalité de Mexico n'a pas investi grand chose dans les illuminations. Cette guirlande de Feliz Navidad (qui se trouve malgré tout dans l'hyper centre sur une artère de près de 15 km, l'Avenida Paseo de la Reforma ("Promenade de la Réforme") qu'on appelle simplement Reforma) est bien pauvre au regard de ce que montrait par exemple une "petite" ville comme Chatenay-Malabry (92), preuve à l'appui ci-dessous :
Ce sont en général les particuliers, les commerçants et les hôtels qui assument d'installer des décorations. Avec la prédominance partout de la Noche Buena, que nous appelons Poinsettia chez nous, et qui signifie aussi au Mexique "messe de minuit du réveillon".
On remarque malgré tout des sapins gigantesques, qui ne sont jamais des épicéas, … évidemment et qui ont pour dénominateur commun d'être en matière synthétique.

lundi 20 décembre 2021

Drôle de voyage dans un pays qui n'existe pas de Karin Tourmente-Leroux

Bien avant de rencontrer Karin Tourmente-Leroux j’ai eu quelques contacts téléphoniques avec elle et j’ai d’emblée été frappée par sa spontanéité et je dirai sa « fureur de vivre » toute contagieuse.

Cette impression s’est confirmée lorsque je l’ai découverte en chair et en os, dans le joli cadre du château de Cheverny dont elle est l’attachée de presse. Je savais qu’elle était atteinte d’une maladie un peu spéciale, l’obligeant à subir une chimiothérapie pas réjouissante du tout. J’ai été d’autant plus étonnée de la voir si souriante, autant à l’écoute de chacun et menant le groupe tambour battant quasi en pôle position.

J’avais malgré tout été un peu surprise qu‘elle nous abandonne un moment l’après-midi, mais nous étions entre de bonnes mains. Je sais aujourd’hui pourquoi. Elle était contrainte de se reposer un minimum pour pouvoir terminer la journée sans trop de aïe et de ouille

C’est ainsi qu’elle désigne les douleurs que sa maladie lui fait subir, surtout quand elle sollicite un peu trop la machine. J’ai appris ce jour-là qu’il s’agissait de thrombocytémie essentielle, une vraie plaie, méconnue car rare, et Karin ne m’en voudra pas d’ajouter « heureusement ».

Un peu pour supporter et beaucoup pour partager, cette battante a décidé de raconter, avec l’humour et l’énergie qui la caractérisent, ce qu’elle appelle son Drôle de voyage dans un pays qui n'existe pas.

Le parcours de la combattante a commencé officiellement le vendredi 27 septembre 2019, quand le nom de cette maladie a été posé sur ses symptômes. Elle a compris qu’une fois encore elle allait changer de vie…

Commence alors ce voyage que Karin Tourmente-Leroux va d’abord partager sur la toile en tenant un carnet sur une maladie du sang qui ne touche qu'une personne sur 100 000, avec en bagage un optimisme sans faille pour narrer sa nouvelle vie, au rythme des plaquettes. Elle estime indispensable de raconter ce que vivent au quotidien des milliers de personnes car bien que « rare » cette affection touche beaucoup de personnes qui doivent chacune se sentir seule au monde.

Ayant été journaliste la jeune femme trouve les mots pour transmettre son expérience en ne se privant surtout pas de faire un pied de nez à la thrombocytémie essentielle en couchant sur le papier un quotidien réinventé, comme un témoignage vivant et délirant pour prendre de la distance. 

Le style est vif et brut, à l’image de son auteure. Cette histoire est aujourd’hui un livre, pour rappeler l’essentiel : vivre. Il est actuellement disponible chez Librinova, en suivant ce lien. Mais je ne serais pas surprise de le retrouver chez un autre éditeur. J’espère qu’il conservera la couverture si poétique réalisée par Anaïs Dufils, une jeune illustratrice pleine de talents et de promesses.

J’ai appris l’essentiel sur cette maladie que je ne connaissais évidemment pas. Sans prétendre être donneuse de leçons, Karin nous transmet avec simplicité son appétence pour toutes sortes de choses et je vous assure que loin d’être plombante cette lecture peut être qualifiée de réjouisssante car elle sait mettre du baume au coeur de tout un chacun. Bravo !

J’ajoute qu’après avoir été journaliste puis responsable de la communication d’un homme politique et d’un parti politique, Karin Tourmente-Leroux a fondé en 2016 son agence de communication qu’elle n’a jamais cessé de continue de diriger avec passion.

Drôle de voyage dans un pays qui n'existe pas de Karin Tourmente-Leroux, chez Librinova depuis le 15 septembre 2021

mardi 7 décembre 2021

Trois jours de Denis Brillet

En février, il peut geler à pierre fendre comme le dit la sagesse populaire. Surtout dans le centre de la France. Alors la présence d’un jeune homme sous une tente fragile sur l’herbe verte du camping municipal n’est pas naturelle et intrigue.

Il débarque dont ne sait où et pour trois jours seulement, d’où le titre du roman. Personne n’a la moindre idée de ce qu’il vient faire là. Pourtant, si le garçon ne semble pas bien méchant, il affiche une détermination de fer et avance sans jamais reculer sous "des paires d’yeux au diapason de la méfiance" (p.231) alors qu'à son arrivée il nous disait "être à cent lieux d'imaginer à quoi il allait occuper ses journées" (p.14).

Trois jours raconte la collusion entre le destin de ce jeune homme et celui des habitants de ce village agonisant qui se dépeuple : le maire, un garde-champêtre, une épicière, un garçon de café, un tétraplégique, un enfant singulier, une bibliothécaire …

Le destin est à l’oeuvre au fil du croisement de leurs routes. Le jeune ne nous fera pas croire qu’il ne subsistera de son passage qu’une trace éphémère laissée par sa tente sur l’herbe du camping.

Il suffit parfois de peu de choses pour détourner une trajectoire. On a tous une propension à rester dans notre « zone de confort » même si celle-ci est une prison dès lors que, comme l’analyse l’auteur (p. 217) "l’illusion du bonheur est préférable au bonheur lui-même".

Denis Brillet traite de manière inédite le thème de l’altérité dans une nature hostile à laquelle il donne un statut de personnage. Il aborde par petites touches des sujets de société universels comme la solitude, la peur du changement, la pensée magique et d’autres très actuels, comme la précarité. C’est sans surprise qu’on voit se profiler une manifestation des gilets jaunes à la fin.

Je suis sans doute sous l’influence de ce que je vois au cinéma ou au théâtre mais il ne fait pas de doute pour moi que ce garçon est le strict contrepied de Tartuffe, mais je ne peux argumenter mon point de vue sans trop révéler comment les choses vont tourner.

C’est le dixième ouvrage de cet auteur qui vit en Normandie, au coeur du Pays d’Auge. Après des études d’histoire menées en parallèle à sa profession d’enseignant, il s’est remis à l’écriture qu’il avait laissée de côté par manque de temps. Son recueil Lignes de vies a reçu le Prix Gustave Flaubert et son roman Mille raisons d’aimer Lilo le Prix des Bibliothécaires de Douvres-la-Délivrande et le Prix du Lion’s Club de Normandie.

J’ai découvert ce livre, paru il y a un an, par la dernière sélection 2021 Hors Concours où l’extrait qui y figurait m’a donné envie de le lire en entier, quand bien même mon avis n’était pas celui de la majorité du jury professionnel auquel j’appartiens.

En relisant les notes que j'avais prises après avoir lu l'extrait publié dans la sélection (est qui était le début du roman) je les trouve après coup très justes : formulations inédites, humour léger mais présent, lexique très soutenu, intrigant. Le roman a pleinement tenu ses promesses.

Trois jours de Denis Brillet, Rémanence, 8 septembre 2020

dimanche 5 décembre 2021

5 Saisons chez vous de Franck Giovannini

Voilà un livre de recettes qui n'est pas banal, ni dans son format, hors normes, de 30 sur 30 cm, ni dans sa conception. 5 saisons chez vous est une surprise est de taille.

Je ne connaissais pas l'auteur Franck Giovannini, qui est pourtant à la tête d'un d’un des meilleurs restaurants du monde, l'Hôtel de Ville de Crissier, lequel possède une renommée internationale. Il est installé en Suisse, près de Lausanne, et la probabilité d'y déjeuner est donc faible pour nous parisiens, sans compter bien sûr la dépense que représente un repas (compter 390 francs suisses par convive, un peu moins en euros).

Trop souvent les ouvrages des grands chefs sont à leur gloire et les recettes impossibles à reproduire chez soi. Franck Giovannini a eu la brillante idée de ne rien sacrifier à l'excellence en montrant comment il servirait le plat dans son établissement (photo de gauche, en pleine page) mais il a eu la délicatesse de revoir chacun en considérant que nous lecteurs, nous n'aurions ni le coup de main, ni le matériel, ni certains ingrédients, ni le savoir-faire pour les reproduire à l'identique.

Il les a donc simplifiés et il a prévu un dressage (photo de la moitié inférieure de la page de droite), certes élégant, mais abordable.

Il a choisi les plus grandes réussites des cinq dernières années, depuis son arrivée à la tête du restaurant. La date de chacune figure en grisé sous la photo. Elles sont classées par saison, au nombre de cinq car il estime que l'estivale se glisse entre le printemps et l'été. Et il n'a pas pu se retenir d'ajouter quelques coups de coeur et bien entendu les recettes de base. Il fait aussi la part belle à son équipe, à ses producteurs et le livre commence par rappeler l'histoire des lieux en rendant hommage à  Fredy Girardet, Philippe Rochat et Benoît Violier qui l'ont précédé dans ce cadre exceptionnel.

Certes, on remarquera qu'il utilise des produits d'exception et donc onéreux comme du chevreuil, du perdreau, du foie gras, du homard, des truffes ou du caviar. Personne se cuisine chez soi des grenouilles et du lagopède … mais il y a des recettes beaucoup plus simples et néanmoins sophistiquées comme La nage de coques et couteaux des estrans charentais chamarrés aux premiers légumes verts cuits-crus (p. 53), Les bouchées de moules de la Côte des légendes parfumées au basilic, pesto gourmand et éclats de courgettes (p. 127) ou même un plat végétarien à base de choux (p. 135). Tout cela est simple, peu couteux mais d'une élégance folle.

Coté desserts, la soupe de fraises au citron vert et éclats de meringue (p. 73) ou de coupe chocolatée au café glacé aux noisettes (p. 115) sont tout à fait réalistes. On pourra aussi s'inspirer des photos pour imaginer ses propres présentations, en reprenant par exemple l'idée de placer des cônes de jambon sec.

De quoi faire briller les étoiles à la maison. En ayant à l'esprit la parole de ce chef qui, tout en assurant la production d'un millier d'assiettes dans la journée, a bien raison d'affirmer qu'un plat doit être bon avant d’être beau. Car jamais le visuel ne doit prendre le pas sur l’aromatique. Ce qui ne nous empêchera pas de saliver et de rêver en feuilletant les 276 pages de ce livre.

5 Saisons chez vous Franck Giovannini, Editions Favre, en librairie depuis le 8 novembre 2021

mercredi 1 décembre 2021

Tartuffe Théorème dans la mise en scène de Macha Makeïeff

Encore Tartuffe j’en conviens, mais différent de ceux que j’ai déjà vus.

Celui-ci s’inscrit dans l’univers coloré qu’affectionne Macha Makeïeff dont on connait l’inclinaison pour les années 50-60 et c'est donc sans grande surprise qu'on remarque des objets typiques comme le téléphone de bakélite, le cendrier, le tourne-disques, le polaroid, un tapis Lurçat (signe de la richesse des propriétaires) ou un service à thé doré.

Ce parti-pris est loin d’être anecdotique car il met en garde le public en lui signifiant que ce type d’individu n’existe pas qu’au siècle où Molière l’écrivit. Elle semble nous prévenir qu’il convient de rester sur ses gardes.

Pourtant, en le situant dans ces années-là, elle n’en fait pas tout à fait un personnage contemporain même si les femmes y ont une posture qui s’inscrit dans le mouvement actuel de revendication (légitime) du consentement préalable et de la fronde contre toute tentative de harcèlement. 

Les hommes jeunes ont toujours le club de golf à la main pour affirmer leur position et donner l’illusion d’entretenir une menace. Les femmes, elles, usent de paroles et d'astuces, comme la jeune Mariane qui a recours à la photographie pour dénoncer le prédateur ou l'expérimentée Elmire qui prend le séducteur à son propre piège.

Molière a toujours fait s’affronter le monde des bourgeois et celui des domestiques. Ici, la metteuse en scène braque le projecteur sur une autre opposition, celle du monde masculin composé de prédateurs ou de soumis, avec celui des femmes qui sont en fait les personnes fortes. De plus elle donne le beau rôle aux domestiques qui sont loin de subir les désirs de leurs maîtres et maîtresses. Un vrai vent de liberté souffle dans ce loft. Il entrera en turbulence avec l’orage que déclenchent Tartuffe et ses doubles.

Car, bien qu’elle ajoute le mot Théorème à "son" Tartuffe, parce que les deux mots commencent par la même initiale ou se situent à la même époque … la référence à Pasolini n’est pas évidente. Car si l’inconnu qui s’introduit dans la maison des bourgeois milanais séduit tout le monde, d’une part il a un air angélique, vêtu de blanc, et surtout il laisse tout le monde désemparé par son départ.

Dans la pièce que j’ai vue aux Bouffes du Nord Tartuffe a les traits d’un démon, habillé d'une sorte de soutane noire et on respire lorsqu’on sait qu’il est mis hors d’état de nuire une nouvelle fois.

Le noir et le blanc des rapaces (Tartuffe, ses trois acolytes et les corneilles empaillées) tranche avec les couleurs vives de l'insouciante famille bourgeoise qui se livre à toutes sortes de plaisirs derrière un voile, au grand dam de Mme Pernelle (Jeanne-Marie Lévy), dont la voix monte dans les aigus avec une hystérie réjouissante. Il faut dire qu'elle est une remarquable chanteuse lyrique.

D'autres comédiens tirent particulièrement leur épingle du jeu : Xavier Gallais (Tartuffe) évidemment, qui parvient à renouveler le personnage face à Orgon (remarquable Vincent Winterhalter le soir de ma venue) et à la finaude Elmire (Hélène Bressiant) et Irina Solano (Dorine) une fois qu'on a compris qu'elle avait pris du galon en étant devenue une amie de la famille, abandonnant à Flipote (Pascal Ternissien) toute la charge de la servitude.
Damis (Loïc Morbihan), Valère (Jean-Baptiste Le Vaillant) et Marianne (Nacima Bekhtaoui) assument leur rôle tandis que Cléante (Jin Xuan Mao) dénote du groupe par sa fantaisie et surtout par une diction qui est trop souvent incompréhensible.

Auteure, metteuse en scène, plasticienne, Macha Makeïeff dirige La Criée, Théâtre National de Marseille depuis dix ans. Elle a pour habitude de s'entourer de collaborateurs qui la suivent d'une création à une autre, ce qui assure une forte cohérence. Nièce, par alliance de son illustre oncle Jacques Tati, elle en assume l’héritage puisqu’elle est légataire de son oeuvre. On sentait la parenté ce soir dans cette version savoureuse d'un grand classique finalement toujours revisitable.
Tartuffe de Molière
Mise en scène, décor, costumes de Macha Makeïeff
Avec Xavier Gallais, Arthur Igual en alternance avec Vincent Winterhalter, Jeanne-Marie Lévy, Hélène Bressiant, Jin Xuan Mao, Loïc Mobihan, Nacima Bekhtaoui, Jean-Baptiste Le Vaillant, Irina Solano, Luis Fernando Pérez en alternance avec Rubén Yessayan, Pascal Ternisien et la voix de Pascal Rénéric
Lumières de Jean Bellorini
Son de Sébastien Trouvé 
Musique de Luis Fernando Pérez 
Danses de Guillaume Siard 
Coiffures et maquillages de Cécile Kretschmar  
Du 1er au 19 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle - 75010 Paris
Puis en tournée
du 12 au 15 janvier au Théâtre national de Nice
du 22 au 26 février au Quai, CDN d’Angers
du 3 au 19 mars au TNP, Villeurbanne
du 24 au 26 mars au Théâtre Liberté, Liberté-Châteauvallon, Scène nationale de Toulon
du 30 mars au 8 avril au Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 13 au 15 avril à la Scène nationale de Bayonne
les 20 et 21 avril à la MAC, Créteil
les 27 et 28 avril à MC Amiens
du 11 au 13 mai à la Comédie de Caen

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