Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 28 février 2023

Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard

Le pays des phrases courtes n’est pas un roman à proprement parler. Il s’apparente plutôt à une sorte de journal, mais qui ne serait pas daté.

C’est aussi le titre donné à une des parties (à partir de la page 198). Enfin c’est encore la référence à un Hymne qui clôture l’ouvrage. 

Sa couverture est typique de la maison d’édition, évoquant les ronds dans l’eau, des ondes provoquées par un texte qui résonnerait comme une vois ou, pourquoi pas, l’ouverture de guillemets. L’illustration laisse deviner une femme (la narratrice) assise avec sa monitrice sur le capot de la voiture.

C’est que les leçons de conduite occupent une place considérable dans son récit, à la fois en pages et en symbolique puisqu'elles stigmatisent son incapacité à faire ce qu’on attend d’elle. Depuis que j’ai passé mon code, je passe de moniteur en moniteur dans une course de relai désespéré. (…) je les détruis psychologiquement (p. 83). 

La pauvre nous confie avoir le mal des transports y compris quand elle est elle-même au volant.

S'acharner à passer le permis de conduire n'est pas son seul souci. Ils s'épuisent, elle et son chéri (comme elle dit) par les nuits d’insomnie à tenter d’endormir leur fils. Enfin elle est également préoccupée par son intégration dans une région qui, certes, semble particulière : Se sentir invisible ou rejetée ? Quel est le pire ?

Paradoxalement, ils ressentent une sensation récurrente d’étouffement alors qu'ils sont au grand air, dans une communauté sensible à l’écologie, au paysage marqué par des dunes et des éoliennes, la petite ville de Velling située dans le Jutland, à l’ouest du Danemark, où la narratrice a dû suivre son compagnon, enseignant dans une école alternative.

L'auteure parodie les classiques de la chanson danoise tout en offrant à son héroïne la rubrique du courrier des lecteurs dans le journal local. Ses conseils sont supposés résoudre quelques situations délicates : un couple aimant mais aussi dysfonctionnel que les autres, un désir troublant et polymorphe, des amis traversés par les paradoxes et autant de pensées inavouables qu’elle décortique avec malice.

Les oiseaux migrateurs survolent le pays des phrases courtes (p. 163). C'est elle-même qui surnomme ainsi la région. Si les chapitres sont brefs, les siennes (de phrase) en tout cas ne le sont pas et certaines tournures sont inhabituelles : Quand je parle avec les gens, je ressemble à quelqu’un qui part au front. Je suis trop excitée, seule dans ma soupe de bruits, me présentant à eux comme un rôti de porc en tranches sur un plat, comme une glace fondue piquée d’ombrelles ridicules (p. 26).

Les mots ayant une importance capitale ce livre combine à la fois une réflexion sur le processus d'écriture et sur les relations humaines : Tu souffres d’associations flottantes (… et) tu répètes tes erreurs avec une persévérance presque admirable. Compte jusqu’à dix avant de parler, des phrases courtes et moins d’images. Pour finir par dire: tant qu’il y a des mots, il y a de l’espoir (p. 208). 

Elle parvient parfois à formuler de justes remarques en mettant de côté (ou en s’appuyant sur) ses crises existentielles. Bien sûr il faut y voir beaucoup de second degré mais l’auteur nous accroche du bien qu’on croit que la narratrice est une vraie personne et pas un personnage de fiction. 

Parmi les conseils qu’elle  reçoit de son mari :
Personne ne se soucie de savoir comment tu vas. Souviens-toi de çà (p. 28).

Parmi les conseils qu’elle donne aux correspondants de la Boîte aux lettres :
Fais preuve d’indulgence. L’harmonie n’est pas l’apanage de tout le monde (p. 31).

Je travaille quotidiennement à mon arrogance qui, je l’admets moi-même ne profite pas non plus à ma personnalité. Je prends note de ton opinion, mais je n’aime pas le ton de ta lettre (p. 133).

La colère masque souvent d’autres sentiments et en général il s’agit de faim, de tristesse ou d’anxiété (p. 234).

Ce livre dépaysant est aussi un manifeste écologique comme en témoigne la diatribe contre les lingettes (p. 247). J'attends néanmoins le second roman pour finaliser mon regard sur cette jeune actrice, à l'avenir très probablement prometteur.

Née en 1984 à Aarhus, dans le Jutland, Stine Pilgaard est une autrice maintes fois primée au Danemark. Son premier roman, Min mor siger (« Ma mère dit », 2012) a été récompensé par le prix Bodil and Jørgen Munch-Christensen tandis que Lejlighedssange (« Chansons de circonstance », 2015) a eu un grand succès en librairie. Couronné par la critique, Le pays des phrases courtes, ce premier roman traduit en français, a reçu le Prix des Libraires danois en 2020.

Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard, traduit du danois par Catherine Renaud, Le Bruit du monde, en librairie depuis le 5 mai 2022

mercredi 22 février 2023

La cure de Cécile David-Weill

Nous n'avons jamais été autant stressés alors qu'on vit une époque d'injonction à la méditation. 

Cécile David-Weill est une romancière française vivant à New-York. Elle aborde dans La cure plusieurs types de relations d'emprise, et de harcèlement, sans oublier les diktats sociétaux. Elle met à jour des secrets, dévoile la vérité cachée derrière ce qui est montré en façade.

Chacun dans ce roman joue un rôle, porte un masque, dont il va falloir se débarrasser, autant que des kilos superflus …ou pas.

Si le ton n'était pas malgré tout léger, avec un côté boulevard, ce roman serait vite déprimant. Mais au final voilà, sous le vernis d’une comédie sociale légère, un roman inspirant, qui présente un regard de femme sur les femmes, sur l’amitié féminine, leur rapport au poids, au couple, à l’ambition professionnelle, au célibat, à la sexualité, et au formatage social.

Le livre commence avec Christine, chroniqueuse gastronomique à la télévision, qui décide d’aller perdre du poids dans une clinique au sud de l’Espagne. Son parcours sur place se télescope avec celui de trois femmes et un homme, qui ont chacun leur histoire. Les événements vont s’enchaîner, et leurs destins s’entrelacer, entraînant ainsi le lecteur au cœur du centre de remise en forme pour y découvrir, dans les moindres détails, souvent hilarants, le déroulement d’une cure. Tout y passe, l’organisation de la clinique avec les pesées du matin, les cours de méditation, les lavements artisanaux, les massages ayurvédiques, les séances d’acupuncture et les menus diététiques, ainsi que les jus, les bouillons et les tisanes. Mais ce huis clos met aussi en scène le théâtre de la vie, avec les secrets, les rêves, les complexes et les tourments des protagonistes, décrits, loin de tout conformisme, avec autant de sensibilité que d’acuité psychologique.

La galerie de portraits se compose de personnages hauts en couleur. J'ai beaucoup apprécié la liste permettant de s'y retrouver en installant une atmosphère de pièce de théâtre.

On rencontre une bourgeoise névrosée incapable de se déplacer sans Popcorn, un adorable petit chien. La veuve d’un célèbre restaurateur aux allures de prêtresse qui est médium. Une vieille dame au passé sulfureux. Et un bel homme d’une soixantaine d’années affable et inquiétant dont on comprend vite qu'il est un imposteur. Tous plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord, et qui se retrouvent chacun transformés à des degrés divers par cette cure, donnant lieu à suspens et rebondissements. 

J'ai envie de reprendre à mon compte la morale du savoureux conte zen qui nous est raconté (p. 163) : Comment dire si c'est bien ou mal ?

Autre question intéressante (p. 198) : Doit-on intervenir quand on est au courant d'une mauvaise action qui se trame ?

Pour ma part j'ai été très tentée par une séance d'acupuncture comme celle qui est décrite (p. 219) alors que j'ai été effrayée par les "joies" de la purge (p. 92). Cécile David-Weill pourrait me convaincre de me mettre au thé à l'hibiscus ou à la citronnelle.

Mais que le lecteur ne s'y trompe pas; Ce livre est un roman et pas un livre de conseils même si celui qui est prodigué p. 296 est d'une grande sagesse : Vous avez juste à vous occuper de vous en faisant en sorte de pratiquer le meilleur de vous-même quelles que soient les circonstances.

La cure de Cécile David-Weill, Editions Odile Jacob, en librairie le 8 mars 2023
Article illustré avec un savon des Filles de Marjane (dont j'ai parlé dans cette publication il y a quelques jours)

lundi 20 février 2023

Mourir avant que d'apparaître de Rémi David

Rémi David prévient tout de suite que Mourir avant que d’apparaître est une œuvre de fiction, en aucun cas une biographie de Jean Genet.

Néanmoins il concède que son roman s’appuie sur des personnages ayant réellement existé et sur des témoignages. On peut se mettre d’accord sur le fait qu’il s’agit d’une interprétation vraisemblable de la réalité.
On lit sur la quatrième de couverture : Lorsque Jean Genet rencontre Abdallah, qui sera un jour la figure centrale de son magnifique texte Le Funambule, le jeune homme a dix-huit ans à peine et vit à Paris. Genet, à quarante-quatre ans, est déjà un écrivain consacré. Il est aussitôt ébloui par le charme de cet acrobate, qui a travaillé plusieurs années au cirque Pinder. Il entreprend le projet fou de le hisser jusqu’à la gloire : son agilité, son expérience du cirque devraient lui permettre de devenir un artiste hors pair. Mais comment, après la chute, demeurer le funambule qui danse dans la lumière, le prodige que le poète a forgé de ses mains ?
Rémi David laisse au lecteur la liberté de forger son avis à propos de cette histoire d’amour et de fascination réciproque à laquelle on assiste comme on le ferait d'un spectacle.

Il traite la notion d'oeuvre, laquelle ne semble pas pouvoir advenir sans courir (ou avoir couru) de risque. Il fait l'hypothèse que si Giacomettti n'avait pas été heurté par une voiture (il se déplaçait avec une canne) il n'aurait sans doute pas créé la série de Lhomme qui marche dont le secret était, Jean Genet l’avait compris, qu’il boitait. Il avait su trouver dans sa faiblesse un élan pour créer.

S’agissant d’Abdallah, on apprend que Jean Genet considérait son parcours artistique comme un chef d’œuvre que, lui, l’écrivain, aurait réussi à créer. Il avait d’ailleurs tout pensé de la scénographie, maquillage, costume et musique. Il apparaît qu’il a modelé le funambule à l’instar du sculpteur ayant modelé ses personnages masculins. A tel point que le cadavre d’Abdallah évoquera pour Genet une sculpture de Giacometti (p. 146).

Le roman de Rémi David nous permet de mieux comprendre la manière dont Genet a conçu son oeuvre. Il donne comme exemple de son style : Lorsque la pluie tombait, Genet pouvait vous la faire voir comme jamais vous ne l’aviez regardée : elle devenait fascinante dans sa façon de tomber, irrégulière au-delà de l’apparente homogénéité qui n’était que son manteau. Elle pouvait se transformer en gouttelettes de peinture venues pour transformer la toile qu’était le sol, posée horizontale, venues y dessiner une œuvre éphémère (p. 74). Mais tout en louant son génie l’auteur ne cache pas qu'en éternel insatisfait l’écrivain recommençait sans cesse, pour sans doute « rater mieux », selon l’expression de Beckett.

Bien qu'il s'agisse d'une histoire d'emprise, tous les personnages suscitent une immense empathie, qu'il s'agisse de Monique, la secrétaire qui tapait les manuscrits chez Gallimard, des célébrités et bien sûr d’Abdallah Bentaga dont l'auteur apprit l'existence alors qu'il travaillait comme dramaturge auprès d’une circassienne. Il a été bouleversé par l'histoire cachée derrière Le Funambule, ce tout petit texte qui est à la fois une lettre d’amour et une réflexion sur l’art.

dimanche 19 février 2023

Le réchauffement climatique favorise des vignobles de Pinot noir

J’ai relaté il y a quelques jours ma visite à Vinexpo.

J’ai mentionné avoir eu l’opportunité d’assister lundi 13 mars à une master-class d’une heure sur un sujet d’actualité, le réchauffement climatique et une de ses conséquences en matière de maturité pour le Pinot noir.

C’est un cépage que j’affectionne. J’ai appris récemment qu’il avait de plus en plus la cote en Alsace où il fut longtemps déprécié alors que les terroirs alsaciens peuvent en produire de sublimes … surtout depuis qu’il fait un peu plus chaud certaines années dans cette région.

Les temps ont changé, et ce qui peut être une catastrophe peut aussi avoir des conséquences heureuses. Voilà d’ailleurs pourquoi le Pinot noir est à l’honneur dans l’édition 2023 de Millésimes Digitasting dont je vous rendrai compte bientôt.

La master-class dont il est question ici était organisée à l’initiative de La Revue du Vin de France qui a invité Laurent Delaunay,

Pour le présenter brièvement (ce qui est complexe tant son parcours professionnel est riche de rebondissements) il est le descendant de cinq générations de producteurs et négociants bourguignons. Il a fait des études d'oenologie à Dijon où il rencontra Catherine, elle aussi oenologue, originaire d'une famille de viticulteurs beaujolais, qui deviendra sa femme et qui travaillera avec lui.

Il a complété sa formation aux États-Unis en travaillant dans la Napa Valley (Californie) pendant un an. Ensuite il intégra une grande école de commerce au retour de son service militaire avant de rejoindre son père pour faire fructifier le domaine familial Edouard Delaunay, fondée par ses arrières grands parents.

Des revers de situation l'ont contraint à vendre la maison bourguignonne pour redémarrer avec son épouse, dans le Languedoc au début des années 90. Et puis les hasards des rencontres lui ont permis en 2003 de racheter l'ancien domaine familial et de le développer tout en conservant le Domaine de la Métairie d'Alon. Si bien qu'il a aujourd’hui -comme il le dit lui-même- un pied à Limoux, un autre en Bourgogne, où il est (aussi) président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne.

Cette double expérience, de vignes situées au sud et à 500 km plus au nord est précieuse pour traiter le thème de la master-class même si les terroirs se ressemblent. Mais il convient de souligner que les problèmes (peut-être pas climatiques, mais météorologiques) ne datent pas d'hier. Ainsi par exemple il y eut en 1977 du grésil qui tomba le 10 octobre, avant la période des vendanges.

Le réchauffement inquiète et préoccupe tout le monde. Sera-t-on capable de continuer à produire Chardonnay et Pinot noir en Bourgogne ? Passer au Syrah et au Viognier ? Faudra-t-il autoriser l'irrigation ? La Californie est en quelque sorte un poste d'observation pour le futur.

Mais le réchauffement climatique n'est pas que négatif. On vient de vivre la plus belle décennie des vins de Bourgogne. Le Mercurey, jusqu'ici rustique, n'a jamais eu autant de gourmandise. Il y a moins de maladie, moins de pression sanitaire. Mais si on enregistre 3 degrés supplémentaires en 2050 la situation sera peut-être différente.

La première des conditions est que la vigne puisse aller chercher l'humidité en profondeur. D'où l'importance du matériel végétal et du porte-greffe. Il faut sélectionner des porte-greffes qui favoriseront les racines plongeantes et travailler le sol pour encourager les racines à y descendre.

On peut contrer la brillance des sols blancs (où la réverbération entraine des grillures) en y amenant des composts foncés. Il ne faut pas que la couche superficielle atteigne les 50 degrés car à cette température les microorganismes sont détruits. En laissant la matière organique on redescend à une température correcte de 30 degrés.

Autrefois on cherchait à concentrer les arômes sur le Pinot noir alors qu'aujourd'hui on rencontre un risque de surmaturité et on doit avancer les vendanges de 15 jours. La date des vendanges demeure un élément clé à deux jours près.

De la fin des années 80 aux années 2000 on cherchait à obtenir des vins charpentés, de couleur soutenue, ayant de la puissance; Maintenant on recherche plus de finesse, du parfum, de la saveur, de la fraicheur.

Néanmoins on observe que depuis 2003 la vigne fait preuve de résilience en Bourgogne. S'il fait trop chaud le raisin arrête de respirer (or c'est la respiration qui dégrade l'acidité). C'est un stress mais aussi une  adaptation même si le débat est lancé de savoir si la vigne s'adapte ou si elle développe un réflexe de survie.

Une (autre) conséquence positive sera peut-être de présenter dans 50 ans un dossier de classement Premiers Crus en Hautes-Cotes de Nuits …
La dégustation proprement dite :
(N'ayant dégusté que des 100% Pinot noir je ne mentionnerai pas le cépage à chaque fois.)
1 - Deux vins du Domaine de la Métairie d'Alon

Si Catherine et Laurent Delaunay produisent dans le sud de la France du Chardonnay et du Pinot noir, les deux cépages emblématiques de la Bourgogne, ce sont uniquement deux Pinot qui ont été retenus pour cette dégustation comparative entre Limoux et Bourgogne.

Situé dans une magnifique zone de montagnes au cœur de la Haute Vallée de l’Aude, le domaine de la Métairie d’Alon se compose de 25 ha de vignes répartis en 25 parcelles situées dans 11 lieux-dits autour du village de Magrie. Il est mené en culture biologique, dans le plus grand respect de la nature.

Les sols argilo-calcaires, associés au climat frais du haut Languedoc, permettent de produire de très grands vins.

Domaine de la Métairie d'Alon cuvée le village 2019 : (premier verre)
Une partie des raisins provient de parcelles de vignes de 12 ans exposées au nord dans une cuvette chaude, permettant une maturation lente et un très bon équilibre entre sucre et acidité. Nous sommes à 400 m d'altitude, et les raisins profitent de températures fraîches la nuit et du soleil en journée. 

samedi 18 février 2023

Space age : quand la conquête spatiale inspire le design

Space age : quand la conquête spatiale inspire le design, tel est le thème d'une exposition proposée par le MumEd qui est le Musée de la ville de SQY qui se trouve à Montigny-le-Bretonneux.

La conquête spatiale a été l'une des grandes aventures du XXème siècle. Elle a marqué les cœurs et les esprits, au point d'inspirer l'esthétique et l'imaginaire de toute une époque.

D’abord en terme d’avancée technologique. Ainsi, si le casque sans fil a été inventé c’était à l’origine pour que Neil Armstrong puisse clamer le 21 juillet 1969 qu’il avait fait un pas sur la lune sans être gêné par un câble d’alimentation électrique. Nous ne nous en rendions pas compte en regardant les images mais il aurait été impossible de le faire sans wifi.

Il a fallu aussi miniaturiser les batteries pour qu’elles n’encombrent pas les navettes spatiales.

En design, ce style est désigné d’un nom inventé au milieu des années 1990, donc après-coup. C’est le "space age",  qui traduit un mélange de fascination pour les sciences, d'utilisation des nouveaux matériaux disponibles et de formes rondes et organiques qui ont inondé nos intérieurs à partir des années 60.

Cette tendance était en action bien antérieurement, favorisée par les progrès scientifiques et technologiques issus de la Seconde Guerre mondiale. Source d’une immense fascination, d’autant plus forte qu’elle coïncide avec l’essor de la télévision et une diffusion planétaire, l’exploration spatiale a eu un impact considérable dans le domaine de la création. Comme tout mouvement artistique, le Space Age se définit par des caractéristiques multiples, qui puisent autant dans la réalité historique et scientifique de cette conquête que dans un imaginaire plus ou moins fantasmé. Cette exposition a notamment pour ambition de cerner ces spécificités : le goût pour la courbe, l’ovale, l’ellipse et la couleur blanche.

C’est parce que le Musée de la ville de SQY est riche d’une collection sur le design et les modes de vie, qu’il est légitime pour proposer cette exposition en collaboration avec de prestigieux prêteurs comme la galerie XXO de Romainville qui loue souvent des objets pour le cinéma. Certains objets ont disparu de nos intérieurs mais ce qui était confortable, solide et fonctionnel a traversé les années.

Au tout début de l'exposition (voir photo en tête de l'article) on rappelle -en toute logique- un instant de la conquête spatiale au visiteur avant qu'il ne parcourt les allées pour s'arrêter sur des objets qui furent quotidiens, certains étant même élevés au rang d'objets d'art.

Il faut savoir que l'homme a cherché très tôt à s'envoler et que les débuts ont eu lieu dans la région. Les frères Montgolfier ont fait leur première démonstration devant le roi à Versailles en 1783 avec un ballon qui était alors attaché au sol. Le second vol eut lieu à Clamart. Le troisième à Saint-Cyr-l'Ecole. Cette volonté de décoler a nourri l'imaginaire. Et c'est à Clément Ader que l'on doit l'invention du mot "avion".
Lampes Eclisse de Vico Magistretti, commercialisée par Artemide 1965-67 (Musée de la ville). Le nom de cette lampe de chevet signifie éclipse en italien en raison de la possibilité de faire pivoter la sphère interne à l’intérieur de l’hémisphère rouge pour modifier l’intensité lumineuse.
On remarque sur la gauche un fauteuil gonflable (mais solide grâce à sa structure compartimentée) que l’on verra dans des séries télévisées et au cinéma.
La chaise First est fondée sur un jeu de sphères et de disques évoquant planètes, satellites et atome. Fabriquée en acier et bois coloré, elle est représentative du mouvement italien Memphis, fondé en 1980 et auquel participe son créateur, Michele de Lucchi (prêt galerie XXO).

jeudi 16 février 2023

La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov

Je n’avais pas vu de film de Kirill Serebrennikov, mais par contre je le connaissais (un peu) pour l’avoir rencontré l’an dernier au festival d’Avignon où il mettait en scène Le moine noir dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Alors, forcément, je n’allais pas passer à côté de La femme de Tchaïkovski tout en ignorant les critiques et les polémiques qui avaient agité le Festival de Cannes où il a été présenté.

J’étais seulement prévenue de la durée de ce long métrage, presque deux heures trente, et je dois avouer avoir été inquiète dès les premières images tant l’angoisse diffuse était pesante (mais nécessaire).

L’action se déroule en Russie, au XIX siècle, où une jeune femme, aisée et apprentie pianiste, épouse un célébrassiez compositeur. Mais l’amour qu’elle lui porte n’est pas réciproque et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments elle acceptera de tout endurer pour rester le plus près possible de lui.

Il est difficile de s’identifier ou de se projeter dans cette femme qui se vend quasiment à un homme qui lui dit qu’elle lui fait peur.

Chacun se perd à vouloir être plus fort que les conventions ou que son destin. Ce qui est atroce c’est que ce n’est pas une œuvre de fiction. Antonina Milioukova a réellement existé (comme Camille Claudel à qui on pense souvent au cours de la projection mais au moins celle-ci aura pu créer une œuvre). On est effrayé d’apprendre qu’elle passera plusieurs décennies dans un asile où elle mourra.

En ne suivant pas l’ordre chronologique et en commençant par les funérailles de Piotr Tchaïkovski, le réalisateur installe le drame et prévient le spectateur qu’il ne doit pas fantasmer une fin heureuse ou le moindre compromis. La haine que provoque la jeune femme est sans appel.

Le cinéaste a une vision toute personnelle de la situation et c’est ce qui, au-delà de la vérité historique (quoique reconstituée en s’inspirant des mémoires d’Antonina pour écrire le scénario) m’a fortement intéressée puisque je voulais davantage approcher son univers baroque, tourmenté, palpitant et souvent hallucinant.

J’ai aimé le parti-pris consistant à très régulièrement « dominer la situation » en plaçant la caméra à l’horizontale bien au-dessus de la scène.

J’ai aussi trouvé astucieux l’emploi de la mouche qui volette de temps en temps, comme un avertissement du désastre qui va se produire d’autant qu’à la première apparition on croit qu’il s’agit d’une erreur.

A l’heure où on n’ose plus évoquer l’âme russe, j’ai apprécié de constater combien la langue française était parlé dans le milieu aristocratique. Les séances d’habillage sont intéressantes et nous apprennent beaucoup sur le mode de vie de cette époque.
Après, sur le plan humain, je ne cautionne pas le comportement de Tchaïkovski à l’égard d’une femme prête à tout pour lui. Il aurait pu convenir d’un accord avec elle, mais on ne refait pas l’histoire. Ce compositeur romantique a sans doute réussi à bouleverser les codes de la musique mais il ne s’est pas conduit avec élégance à l’égard de cette jeune pianiste. La mise en garde du prologue indiquant que la condition de la femme était assujettie à un régime patriarcal autoritaire et violent ne l’absout en rien et le film demeure d’une grande misogynie, malgré son titre.

On dirait un film historique mais c’est la vision personnelle de Kirill Serebrennikov qui nous est donnée et sur laquelle il aura travaillé pendant plus de dix ans. On s’attendrait à un biopic sur le compositeur russe même si le titre donne un indice, c’est de sa femme qu’il sera question (quoique …). Je lui concède le mérite d’avoir sorti Antonina Milioukova du crépuscule dans lequel elle s’est perdue.

J’ai découvert Alyona Mikhailova qui est une formidable actrice dont on entendra parler dans les prochaines années.

La femme de Tchaïkovski
Film russe réalisé par Kirill Serebrennikov
Avec Alyona Mikhailova, Odin Lund Biron, Filipp Avdeyev…
En salles depuis le 15 février 2023

mercredi 15 février 2023

Quinzième anniversaire A bride abattue !

Me voilà peu inspirée en ce jour de quinzième anniversaire du blog.

J'ai déjà dit beaucoup de mes motivations, de mes freins aussi à écrire, quasi sans relâche puisque le nombre de 4000 publications est largement dépassé.

Les curieux pourront lire les billets que j'ai écrits les années précédentes. Chacun reflète mon humeur du moment et a valeur de bilan.

Je constate, en comparant les statistiques, que je n'ai attribué que 16 coups de coeur en un an. Je n’abuse pas du label même si je reste prompte à m'enthousiasmer et que le rythme des chroniques de spectacle a repris après l'isolement imposé par la crise sanitaire du Covid avec environ une centaine de plus.

J'ai lu un nombre quasiment équivalent de livres, une autre centaine, dont un tiers de premiers romans, ce qui est un sujet de fierté car si l'on attend qu'ils soient célèbres pour en parler peu de jeunes auteurs auront la chance d'être repérés.

La permanence des articles (j'en ai souvent la preuve en voyant resurgir, parmi les dix articles les plus lus au cours des 7 derniers jours, des publications très anciennes et qu'on pourrait croire -à tort donc- disparues) est un énorme encouragement à poursuivre même si la morosité ambiante inciterait au découragement.

Le virtuel est le reflet fidèle d'une réalité bien certaine, comme l'est ce fauteuil d'artiste imaginé par le peintre, sculpteur et plasticien Daniel Buren pour la Scala où il est le dixième à être présent dans le hall. Ce dispositif spectaculaire et inédit est à découvrir jusqu’en mai dans ce théâtre, au 13 boulevard de Strasbourg.

Alors asseyez-vous confortablement devant votre écran et … prenez connaissance !

lundi 13 février 2023

Visite à Vinexpo

C’est un produit à consommer avec modération, on le sait. Mais si on reste raisonnable, rien n’interdit de savourer le patrimoine œnologique.

Je suis allée à Vinexpo en premier lieu pour revoir des vignerons que je connais déjà, dont j’ai visité les derniers temps es caves et les vignes, ou avec lesquels je m’étais entretenue en viso-conférence quand toute rencontre était prohibée.

Pouvoir de nouveau se saluer "pour de vrai", échanger et discuter, fut le premier motif de satisfaction. Bien sûr que l’opportunité de déguster était agréable mais, au risque de vous étonner, elle n’était pas essentielle. A tel point que je ne l’ai pas systématiquement fait, ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir des échanges intéressants avec des maisons que j’apprécie, et à propos desquelles j’ai déjà écrit. Comme par exemple Bestheim, qui présentait dans une de leurs étonnantes bouteilles bleues devenues caractéristiques de la marque un nouveau Crémant Coeur de lunePessac-Leognan ou Abecassis, dont je n’ai pas pris de nouvelles photos mais que je continue à vous recommander (en cliquant sur leur nom vous saurez tout le bien que je pense de chacun).

Si une telle manifestation conforte souvent ce qu’on sait déjà c’est aussi le lieu pour rendre possible des découvertes inattendues. Par exemple avec les vins de l’Etat de New-York dont j’ignorais qu’on y faisait pousser de la vigne, ou Torpez, la cave coopérative de Saint-Tropez, que depuis, j’ai très envie d’aller visiter. J’imagine que la probabilité de m’y rendre est plus forte que celle d’aller aux USA.

C’est aussi l’occasion d’investiguer à propos d’une région sur laquelle on veut en savoir plus, comme la Savoie dont je gardais un souvenir très vif d’un voyage de presse effectué il y a quelques années. J’ai eu quelque mérite car la signalétique du salon était assez confuse mais je suis heureuse d’avoir persévéré. La maison Jean Cavaillé valait qu’on fasse l’effort de la chercher.

Enfin ce fut l’opportunité d’assister à une master-class sur un sujet d’actualité, le réchauffement climatique et une de ses conséquences en matière de maturité pour le Pinot noir. Ce moment fera l’objet d’une publication particulière pour ne pas alourdir le présent article.

Si je devais caractériser en quelques mots l'impression qui se dégage à la fin de cette journée je dirais énergie, projets, modernité, patrimoine.

samedi 11 février 2023

Quelques nouveautés dans les arts de la table et l'électroménager

Chaque année en février, la marque KitchenAid lance une nouvelle couleur. Après Corail, Kyoto Glow, Honey et Betterave, voici Hibiscus, un fuchsia vif avec une pointe de magenta, à la finition mate, qui marquera l’année 2023 de son empreinte à la fois féminine, exotique et gourmande.

L’hibiscus, également appelé Rose de Chine, est connu depuis l’antiquité. Principalement cultivé en Egypte et en Asie du Sud-Est, il s’agit d’un arbuste tropical qui se caractérise par ses magnifiques fleurs de 2 à 6 cm de diamètre aux couleurs vives et décoratives, dans un spectre très large allant de nuances de roses aux rouges les plus éclatants. Appréciée pour son caractère ornemental et ses fruits comestibles, la fleur éclose attire le regard. Une aura, une énergie qui a su inspirer la marque au point d’en faire son coloris de l’année 2023.

Pour ceux qui sont passionnés comme moi de botanique, j'indique que parmi les 30 000 variétés d’hibiscus, c’est la fleur d’Hibiscus Sabdariffa qui est comestible.
Elle se consomme essentiellement infusée pour réaliser la fameuse boisson d’origine africaine, le bissap, mais c'est surtout au Mexique que je bois l'agua de Jamaica qui accompagne fréquemment la Comida corrida (déjeuner économique servi dans de nombreux petits restaurants de quartier) ou qu'on utilise pour colorer et parfumer les desserts gélifiés si populaires dans ce pays.

vendredi 10 février 2023

Karine Rougier expose au Drawing Lab

Si je n’ai pas donné à cet article le titre de l’exposition et si j’ai choisi une photo de Karine Rougier pour illustrer prioritairement la publication au lieu de celle de l’affiche c’est parce que, ayant rencontré l’artiste et appréciant sa démarche, j’ai voulu ne pas être éphémère.

Je pense que nous allons bientôt d'autres occasions d'entendre parler d'elle.

C'est à l'engagement de Christine Phal et Carine Tissot, un duo de choc, mère-fille, que l'on doit cette mise en avant du dessin contemporain. Elle ont créé la Drawing Society pour répondre à leur envie de fédérer autour d’elles une communauté d’amateurs d’art, de professionnels et de curieux désireux de soutenir la création contemporaine.

Une des pièces majeures est le Drawing Lab, un hôtel hybride puisqu'il est aussi un centre d’art privé dédié au dessin contemporain, ouvert tous les jours de 11 à 19 heures, et gratuit, proposant un accrochage différent deux à trois fois par an dans un bel espace situé au sous-sol. C'est ici que Karine Rougier expose en ce moment.

Elle a emprunté l'intitulé, Nous qui désirons sans fin, au livre de Raoul Vaneigheim, publié chez Gallimard en 1998. Il y fait la critique d'une société marchande en déclin minée par un capitalisme mondial devenu un système parasitaire déterminant l'existence d'une bureaucratie où le politique est aux ordres d'une pratique usuraire qui menace l'organisation sociale.

Se revendiquant comme l'enfant d'un monde dévasté, elle a imaginé l'exposition comme une promenade où nous pourrions véritablement "être ensemble". Un texte de son amie, Nina Leger, "Maintenant vivantes" confirme combien la démarche se veut positive. A cet égard je souligne combien j'avais apprécié le premier roman de cette actrice, Histoire naturelle il y a neuf ans.
 
Karine Rougier ne créé pas dans l'isolement. Elle a invité Stephen Ellcock à choisir des images pur entrer en dialogue avec ses dessins. Ils ont en commun la passion pour la cosmologie, les manuscrits enluminés, l’alchimie, les textes magiques et plus généralement tout ce qui a trait au mystérieux et à l’ésotérique, c’est donc tout naturellement que le dialogue naît entre eux, comme une danse cosmique.

On peut aussi regarder un diaporama de clichés réalisé par les étudiants des Beaux-arts de Marseille où elle est enseignante et dont j'ai retenu cette évocation du Verseau :
Distinguée par le Prix Drawing Now en 2022, l’artiste a  eu davantage encore envie de revenir au dessin alors qu'elle faisait beaucoup de peinture à l'huile sur bois (d'ailleurs elle en a placé deux).
Les nouveaux dessins réinventent une nature où les formes humaines se mêlent aux formes animales, où corps et puissances invisibles s’unissent en une même et envoûtante étreinte. Traversées d’un puissant élan vital, ses compositions sont le fruit d’un regard émancipé qui insuffle aux corps désir et puissance.

Née à Malte, elle a grandi en Cote d'Ivoire et reconnait avoir été imprégnée de pensée animiste. D’abord profondément inspirée par les enluminures du "Clavis Artis", un manuel d’alchimie de la fin du 17e ou début du 18e, ses miniatures entrent en résonance avec le monde d’aujourd’hui, abordant l’urgence climatique, la puissance de la nature et la relation des êtres vivants aux éléments symboliques. En les regardant attentivement on mesure l'influence des miniaturistes indiens avec lesquels elle a travaillé.
Notamment dans ce dessin sans titre de la série Maintenant vivantes (2022) rassemblant sept miniatures, réalisé avec des pigments et à l'aquarelle sur papier wasli, 32,5 x 21 cm, et qui a été retenu pour l'affiche de l'exposition, alors qu'on en retrouve le titre, Nous qui désirons sans fin, dans un autre dessin, accroché juste à coté :
La couleur orange se retrouve dans chacun de ses dessins. Elle adore cueillir des oursins en Méditerranée et se régale de leur corail. Des clémentines étaient disposées dans un bol rose alors qu'elle réfléchissait à la présentation de ses oeuvres. Voilà sans doute pourquoi elle a choisi d'appliquer une peinture orange sur deux murs adjacents de la galerie avec l'idée d'y faire entrer le soleil puisqu'aucune lumière naturelle ne la traverse.

jeudi 9 février 2023

Bérénice vue par Muriel Mayette-Holtz

Je suis venue voir Carole Bouquet et j’ai vu Carole Bouquet. En fait, pour être tout à fait honnête, c’était En attendant Godot que j’avais programmé pour la soirée et Bérénice jouant à 19 heures je m’étais décidée in extremis à faire d’une pierre deux coups.

Craignant d’être déçue par la mise en scène moderne de la pièce de Racine, j’avais préféré m’abstenir à sa création. Nous avons, ce soir, attendu Godot en vain, suite à des problèmes techniques bien fâcheux pour ce théâtre qui entreprend tant pour le théâtre.

Mais j’ai vu Carole Bouquet. Ça pourrait être le titre d’un spectacle. On peut rêver que quelqu’un s’attelle à l’écriture d’un texte sur ce thème, en comparant peut-être les trois versions dans lesquelles elle a interprété ce rôle si lourd.

Je m’égare ? Pas vraiment …

Je n’avais lu aucune critique, ne voulant pas être influencée. Mais je m’attendais à une soirée d’exception puisque c’est la seconde mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, dont on sait qu’elle est une grande spécialiste de Racine. A tel point qu’elle s’est autorisée à faire de grandes coupes dans le texte pour n’en garder que l’essentiel à ses yeux (et pourquoi pas d’ailleurs).

Carole Bouquet n’avait pas encore joué sous la direction de Muriel qui en 2011, lorsqu’elle était administrateur de la Comédie Française, avait confié le rôle à Martine Chevallier. Mais cette grande artiste connait bien Bérénice puisqu’elle reprend le rôle-titre pour la troisième fois, après l’avoir fait sous la direction de Lambert Wilson aux Bouffes du Nord en 2008 et Jean-Daniel Verhaeghe dans un téléfilm avec Gérard Depardieu diffusé en 2000.

Il était légitime que je m’apprête à avoir le souffle coupé. Peut-être en fait craignais-je d’être déçue et avais-je eu raison de ne pas me précipiter au théâtre.

Comme j’aimerais faire des compliments. A propos d’un décor minimaliste de chambre d’hôtel inspiré par Hopper. A propos d’une mise en scène dépouillée réduite à quelques indications de mises à genoux ou d’appui sur les murs. A propos d’une direction d’acteurs concentrée sur les trois personnages principaux, réduisant les rôles de Phenice et de Paulin à des silhouettes (le troisième confident, celui d’Antiochus ayant carrément été supprimé) À propos des éclairages qui projettent des ombres démesurées en laissant dans l’ombre reine, roi et amant. A propos d’une bande musicale qui ne s’entend qu’entre les scènes à moins de tendre l’oreille. A propos d’une diction qui bute (trop) souvent sur les mots et qui accentue les syllabes des alexandrins comme pour nous rappeler que, malgré la contemporanéité des décors et des costumes, nous sommes revenus au XVII° siècle. A propos de costumes dont personne ne voudrait se vêtir, hormis le si joli déshabillé de soie noire qui va à ravir à Carole.

Justement, heureusement, il y a Carole. Elle porte la pièce sur de fortes épaules qu’elle accepte de laisser fléchir tant les contraintes de son rang sont un handicap pour gagner le droit de vivre tout l’amour qu’elle mérite. Titus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à l’autel du pouvoir après avoir malgré tout « profité » d’elle une dernière nuit. Antiochus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à celui de la loyauté.

Combien faut-il de dignité pour décider de son destin en femme libre, sans se laisser dicter une conduite ? Il m’échappe qu’on puisse encore aujourd’hui monter de tels textes sans provoquer de révoltes féministes (je comprends encore moins que Madame Butterfly soit toujours au répertoire).

Je n’ai pas vu la version de 2011. Je crois qu’alors le texte était exhaustif. Être désormais directrice du Théâtre national de Nice autorise sans doute à davantage de liberté. Mais s’il est vrai que Muriel Mayette-Holtz a voulu témoigner de la violence de la domination masculine (ce qui n’est pas une révélation originale) et renverser les codes, pourquoi n’est-elle pas allée jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas avoir inversé les rôles ? Faire jouer Titus par une femme et Bérénice par un homme ?

L’histoire en tout cas vengea la reine. A peine Titus fut-il revenu à Rome qu'une mouche lui entra dans le nez, gagna le cerveau et s’en régala. Le triomphe de l’empereur fut de courte durée. C’est du moins cette morale que le Talmud raconte et c’est une petite consolation.

Bérénice de Jean Racine
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz
Avec Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt et Ève Pereur 
Décor et costumes : Rudy Sabounghi 
Musique originale : Cyril Giroux
Lumière : François Thouret
A la Scala 13 boulevard de Strasbourg 75010 Paris 01 40 03 44 30

mercredi 8 février 2023

Noyade de Céline Spierer

J’ai lu Noyade dans le cadre idyllique d’un grand hôtel mexicain, sur une des plus belles plages au monde, parmi un public essentiellement américain. Autant dire que j’ai eu le sentiment que les personnages de Céline Spierer s’étaient installés dans les chambres voisines de la mienne.

Cependant je n’en parle qu’aujourd’hui parce que je devais attendre la sortie en librairie.
Les enfants Haynes et leurs conjoints sont réunis autour d’Elizabeth, matriarche hiératique. En apparence, la dynastie incarne la parfaite success story américaine. Mais à vouloir se conformer à cette image de réussite, ils se sont enfermés dans des rôles de composition.
Combien de temps pourront-ils encore taire leurs mensonges et leurs trahisons sans en payer le prix ? Accepteront-ils de tomber les masques alors qu’une nouvelle tragédie les frappe ?
Fil tendu au-dessus du drame, Noyade est un habile jeu de construction qui nous mène de fausses pistes en douloureuses révélations. Derrière la respectabilité et la fortune, des vérités inavouables, réveillées par une onde de choc, émergent et bousculent un équilibre factice.
En poussant la porte des Haynes, on pénètre dans le coeur palpitant d’une famille au bord de l’implosion.
Ils ont tout pour être heureux. Ils sont blancs dans une Amérique qui croit encore à la suprématie de cette population. Ils sont riches et respectés. Ils ont, comme on dit « réussi ». Mais au prix de l’enfouissement de drames qui sont restés secrets. Jusqu’à présent.

Le terme de « secret » est d’ailleurs à mettre en parallèle avec le déni, la façade … que l’on affiche en société et sa description est fort pertinente (p. 159).

Toute décision comporte sa part de risque, et de perte (p. 201), ce qui explique que les langues ne se délieront que si on pense avoir plus à gagner qu’à perdre.

Aurait-on pu s’épargner le poids d’un fardeau qui n’était pas le sien (p. 211) ? Ce roman, qui donne la parole à chaque personnage, est parfaitement ficelé et le puzzle se reconstituera … lorsque tout aura éclaté. On est loin de l’Amérique de John Wood et de Jonathan Dee -que j’ai découvert par la suite- mais cette lecture qui démarre comme Un dimanche à la campagneest haletante comme une série que l’on pourrait voir sur Netflix.

Née à Genève, Céline Spierer a fait ses études de cinéma à NYU, où elle a obtenu un Bachelor en écriture scénaristique. Elle a ensuite travaillé comme consultante et assistante de production. Elle réside aujourd’hui à New York. Après le remarqué Fil rompu, Noyade est son deuxième roman.

Noyade de Céline Spierer, Editions Héloïse D'Ormesson, en librairie le 9 février 2023

mardi 7 février 2023

Sugar Street de Jonathan Dee

Je ne connaissais pas Jonathan Dee et, une chose est sûre, Sugar Street, qui est son dernier roman, par chance traduit en français et publié aux Escales, me donne envie d’en apprendre davantage sur cet écrivain et sur les motivations qui l’ont poussé à écrire ce roman assez dérangeant sur l’Amérique.

Il y raconte l’histoire d’un homme déterminé à changer de vie en fuyant son passé mais c’est en fait ce que son pays est devenu qui semble à l’origine de sa décision, laquelle ressemble à une tentative pour s’extraire d’une dépression qui aurait pu le mener à mettre fin à ses jours.

Au début du livre le suicide n’est « que » social. Le personnage principal a soigneusement orchestré son départ, même s’il ne semble pas très sûr de savoir où il va. Il s’est débarrassé de tout ce qui pouvait le localiser et évite d’apparaitre sur une caméra de surveillance. On ne peut pas me localiser. Je ne suis personne. Je m’appelle Tom Joan (allusion au héros des Raisins de la colère de Steinbeck p. 32). Il part avec 168 548 dollars, ce qui donne à l’auteur l’occasion de mener une réflexion sur le pouvoir (très limité) de l’argent. Il est certes facilitateur de transactions mais il attire aussi l’attention et la convoitise.

A l’instar de l’argent, dont la quantité sera épuisable, le temps est également compté pour cet homme dont on assiste à une sorte de déchéance. Il a manifestement quitté une vie facile et il se retrouve contraint à vivre dans des conditions de plus en plus précaires, dans un cadre qui n’a rien de doux, contrairement à ce qu’évoque le titre du roman. Pourra-t-il durablement demeurer discret et invisible ? On est tenté de faire le rapprochement entre son obsession de tuer le temps (à défaut de tuer qualqu’un) et les jours qui lui filent entre les doigts. Également avec le sucre qui se dissout dans l’eau.

En général, quand une personne disparaît, du moins dans la littérature ou au cinéma, c’est pour se reconstruire, refaire sa vie, comme on dit. Mais pas ici et le lecteur ne saura jamais véritablement pourquoi Jonathan Dee a décidé d’écrire l’histoire d’un homme qui choisit de disparaître, en présentant son acte comme une sorte de rébellion contre une Amérique raciste, toxique, atroce, destructrice, vile, infâme, brutale et corrosive (p. 66). C’est la première question que je lui poserai quand j’aurai la chance de le rencontrer (puisqu’il sera à Paris la semaine prochaine). Je lui demanderais aussi s’il était dans son intention de nous faire très vite comprendre que ça se terminera mal pour son personnage même si on s’interroge constamment sur ce qu’il a à gagner dans tout cela et ce qu’il cherche réellement.

Son personnage est énigmatique. Au début, il s’encourage à force de pensée magique, puis la paranoïa s’infiltre dans son cerveau. Mais il n’a pas tout à fait tort quand il se défend qu’aujourd’hui tout le monde pense que tout le monde est pédophile (p.121). Son comportement est éloigné de ce que nous avons l’habitude de connaître. Mais il attire une véritable empathie - surtout quand il exprime son obsession de réduire son empreinte (p. 141) et on aimerait que la fin ne soit pas tragique comme on suppose qu’elle ser à moins d’un rebondissement de dernière minute … une fois que l’on connaîtra trois explications à sa situation (p. 144).

Lui-même ne se fait pas d’illusion : Je ne crois pas que je retravaillerai un jour, faudrait que ce soit au black (…) toute cette culture de l’emploi sert la cause visant à maintenir le monde en l’état. Vous êtes une goutte de sang qui circule dans la façon dont vont les choses et, putain, la façon dont vont les choses est toxique, atroce, destructrice, vile, infâme, brutale et corrosive. En échange d’un peu d’argent ? Non, merci. Avec une conséquence, bien sûr : l’argent que je possède est une ressource limitée (p. 66).

Peut-être étais-je préparée à admettre cette réalité après avoir lu Lady Chevy, le premier roman de John Woods, qui lui aussi montre une Amérique à la dérive, entre haine interraciale, violence, corruption policière et administrative et dégradation écologique. Jonathan Dee nous décrit un pays aussi peu attirant, rongé par les conflits de classe, faisant la chasse aux migrants, où la police effraie plus qu’elle ne rassure. Le manque de respect du policier à son égard, d’abord verbalement, puis plus tard son passage à tabac (p. 156) font d’autant plus froid dans le dos que nous avons en mémoire des faits dont on a vu d’horribles images à la télévision. Cette envie d’en découdre propre à l’homme blanc (p. 144) n’est heureusement pas de mise en France. En ce sens c’est un portrait au vitriol de la police américaine qui nous est donné.

Je me suis demandé d’ailleurs si les deux écrivains se connaissaient. Probablement,puisque Jonathan Dee est professeur d’écriture créative à l'Université Columbia et collaborateur régulier du Harper's Magazine et du New York Times Magazine.

L’avenir nous dira s’il y a une tendance de pointer du doigt cette Amérique là, si éloignée du « rêve américain ». Et je suis bien curieuse de savoir comment le roman a été accueilli aux USA où il était, paraît-il « très attendu » de la part d’un écrivain perçu comme le plus fin décrypteur de son pays, ert particulièrement respecté depuis Les Privilèges, finaliste du Prix Pulitzer en 2011. 

Cette lecture, vous l’aurez deviné, suscite beaucoup d’interrogations. Je l’ai faite, entre un vernissage et une soirée au théâtre, dans le meilleur des lieux propices à la lecture quand on est hors de chez soi et qu’on ne veut pas être perturbé par le bruit, à savoir dans une médiathèque parisienne (que j’ai découverte pour l’occasion). J’ai souri en constatant que le personnage trouvait régulièrement refuge dans un tel endroit : Une bibliothèque c’est comme un musée en bord de route (p. 102). Voilà pourquoi les photos illustrant cet article ont été prises dans les rayons.

Sugar Street de Jonathan Dee, traduction de l’américain par Elisabeth Peellaert, Les Escales, en librairie le 9 février 2023

Œuvres traduites en français
Les Privilèges, [« The privileges »], trad. d’Élisabeth Peellaert, Paris, Éditions Plon, coll. « Feux croisés », 2011
La Fabrique des illusions, [« Palladio »], trad. d’Anouk Neuhoff, Paris, Éditions Plon, coll. « Feux croisés », 2012
Mille excuses, [« A Thousand Pardons »], trad. d'Élisabeth Peellaert, Paris, Éditions Plon, 2014, 
Ceux d'ici, [« The Locals »], trad. d'Élisabeth Peellaert, Paris, Éditions Plon, 2018

vendredi 3 février 2023

Lady Chevy de John Woods

Dès les premières pages de Lady Chevy les images du film Erin Brockovich (2001) me sont revenues. Celles de Dark waters également. Je me doutais que le drame était sous-jacent.

L’écriture de John Woods est puissante, avec des mots qui sautent au visage du lecteur qui malgré la noirceur de certains passages ne lâchera pas l'histoire. On suit les scènes comme si on était devant le grand écran.

Le livre est difficile à caractériser, tenant du thriller, du roman noir et du témoignage social. Il met en scène une Amérique marquée par la violence. Elle se constate dans les relations familiales, dans les écoles, dans les interactions sociales. Elle infuse partout, du fait de la reconversion d'anciens combattants en Irak ou Afghanistan devenus agents de sécurité ou policiers, se croyant investis de l'autorisation de faire justice eux-mêmes.

La population est un curieux brassage de hippies vegan anti-déforestation et de fermiers racistes pro-armes (p. 35). Ajoutez à cela la pauvreté et l'appât du gain en cédant l'exploitation de son terrain à l'industrie du gaz de schiste entrainant des conséquences écologiques gravissimes et vous avez un cadre prêt à exploser d'un instant à l'autre.

J'ignorais, mais je suis prête à croire l'auteur (qui lui-même est originaire de la petite ville de Barnesville où il situe l'action) que les sites de fracturation hydrauliques et les mines à ciel ouvert semblent avoir détruit l'Ohio (p. 49).

L'aventure nous est racontée sous deux points de vue, celui de H, un officier psychopathe dont l'auteur décrit les pensées, et celui d'Amy, une jeune adulte qui pourrait légitimement chanter  J'suis dans un état proche de l'Ohio / J'ai le moral à zérocomme le faisait Isabelle Adjani sur des paroles de Serge Gainsbourg en 1983.

Elle est convaincue que la pollution de l'eau est responsable des malformations de son petit frère. Ses grands-parents sont morts dans l'incendie de leur maison. Son père ferme les yeux sur la nymphomanie de sa mère. Son oncle l'entraine à tirer. D'ailleurs qui n'a pas une arme dans la ville ? Le père de son amoureux secret Paul, est en train de mourir d'une maladie professionnelle contractée dans les mines. Elle est affublée d'un surnom très méchant, Lady Chevy, en raison de son surpoids et de la dimension de son postérieur qui évoque l'arrière d'une Chevrolet. On s'autorise à se moquer d'elle parce qu'elle est pauvre.

Elle assume autant que possible la situation en ayant un seul objectif, obtenir une bourse pour faire à l'université des études de vétérinaire. Mais elle a beau être surdouée elle n'est pas du tout certaine de parvenir à réaliser son rêve. Surtout si Paul l'entraine à commettre avec lui un acte d'écoterrorisme …

Le roman a été publié aux USA en 2020. L'action se situe à une période où Barack Obama était encore président. L'espoir d'une Amérique blanche triomphante a fait long feu. La haine interraciale est très vive. On plonge dans un monde sans pitié où tout est rapport de force … mais où les élèves vont au lycée en voiture.

Amy va commettre un acte terrible et elle fera pire pour tenter de sauver sa peau. Sa détermination semble sans limite mais parviendra-t-elle à tromper tous ceux qui voudraient la coincer ? Dans cette région il est des tombes que nul ne trouvera jamais (p. 45) mais cela ne veut peut-être pas dire qu'il n'y a pas une morale à faire respecter dans ce chaos.

En tout cas cette anti-héroïne attire notre sympathie, ce qui témoigne de la finesse de John Woods dans la construction de ce premier roman, révélant l'étoffe d'un auteur très prometteur.

Lady Chevy de John Woods, traduit (de l'américain) par Diniz Galhos, publié chez Pegasus Book en 2020 pour l’édition originale, et chez Albin Michel le 1er février 2022 pour l’édition française 
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023

jeudi 2 février 2023

Smile de Nicolas Nebot à La Nouvelle Eve

Malgré une affiche en couleurs, Smile est annoncé comme une pièce de théâtre en noir et blanc, ce qui constitue, nous dit-on une première, du moins en France,

La promesse est tenue et le spectateur est réellement plongé dans l’atmosphère des premiers films en noir et blanc. Nous sommes en septembre 1910, dans un bar du Nord de Londres, le Mitz, qui n’est pas aussi prestigieux que le Ritz, où s’impatiente une jeune femme tandis que son amoureux est en retard. Le garçon sollicitera l’aide du barman pour la séduire mais les choses ne se dérouleront pas comme prévu.

Il convient de signaler que la configuration de la salle, en cabaret, est tout à fait adéquate. Nous sommes confortablement installés à une table. On peut commander une boisson avant ou après le spectacle (et les prix sont raisonnables).

Si bien que -nous aussi- nous attendons l’amoureux dans un cadre qui est presque le prolongement du décor qui se trouve sur la scène. La perspective d’un Molière de la création visuelle et sonore est tout à fait plausible.

Le spectacle commence avec quelques notes d’un air célèbre, celui de Smile, qui justifie pour partie le titre. Celui-ci est aussi une allusion au sourire qui séduit le coeur de Charlie Chaplin, qui n’était pas encore Charlot.

Le cinéma parlant n’est pas encore inventé et la mise en scène est un hommage à cet art dont elle reprend tous les fondamentaux : ralenti, accéléré, rembobinage, arrêt sur image, musique additionnelle au piano, mime, cartons figurant les dialogues … tout y est et toujours à bon escient, sans jamais verser dans la caricature.

Parce que Nicolas Nebot a su doser les effets sans en abuser et sans se laisser enfermer dans les codes du muet. Des paroles sont donc échangées, et la lumière arrive lorsqu’elle est nécessaire.

Il se dégage une belle aura tout au long de la représentation. L’équipe est manifestement soudée. Il le faut pour jouer dans un timing aussi parfait. Ils se sont connus sur la scène de Mamma Mia ! ou de La belle et la Bête, sur un plateau de tournage de Plus belle la vie ou dans les couloirs du Cours Florent.
La jeune femme (formidablement interprétée par la délicate Pauline Bression le soir de ma venue) reproche à son amoureux d’avoir 10 minutes de retard. Elle ne croit pas au hasard, lui préférant la notion de rendez-vous. Tout est question de point de vue et le spectateur partagera successivement le regard de chacun des trois personnages. Ça aurait pu être répétitif mais la subtilité des changements rend les choses savoureuses. Chaque scène ne se rejoue jamais à l’identique. Et c’est l’occasion pour Dan Menasche d’exprimer toutes les facettes de son rôle de barman qui devient véritablement intéressant au lieu de demeurer « secondaire ».

C’est à une belle leçon de vie (et d’amour) que nous assistons. Smile ressuscite toute l’émotion à laquelle Chaplin nous avait habitués dans ses films. Avec poésie et tendresse. Alexandre Faitrouni incarne le personnage avec naturel et justesse, faisant oublier que nous sommes au théâtre.
A quoi tient la réalisation d’un destin ? On retiendra que le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin. Quelle belle leçon de vie !

A propos de Smile il faut rappeler que c’est une chanson écrite à partir d'une musique de Charlie Chaplin, qui est le thème de la romance du film Les Temps modernes, sorti au cinéma en 1936. Dans la scène finale du film, Charlot et la gamine s’en vont sur la route vers une vie nouvelle. Lorsqu’ils se relèvent du talus pour partir, l’homme s’arrête, montre les commissures de ses lèvres pour indiquer à l’enfant qu’elle devrait sourire. La bande-son du film est alors simplement instrumentale.

L’air est donc à l'origine sans paroles, mais le jeu de Chaplin a inspiré les paroles que John Turner et Geoffrey Parsons ajoutèrent en 1954 avec ce titre de Smile (« Souris » en français). C’est Nat King Cole qui l’enregistra le premier. Elle fut reprise par de nombreux interprètes comme Judy Garland, Dalida (sous le titre Femme), Diana Ross, Barbra Streisand, Céline Dion, Stevie Wonder, Eric Clapton, Petula Clark, Chick Corea, Demis Roussos ... pour ne citer que les plus célèbres. Et même Michael Jackson … en 1995 pour son double album HIStory en mémoire de la Princesse Diana.

Smile though your heart is aching / Souris même si ton cœur souffre (…)
Hide every trace of sadness / Cache toute trace de tristesse
Although a tear may be ever so near / Bien qu'une larme puisse être si proche (…)
You'll find that life is still worthwhile / Tu trouveras que la vie vaut toujours la peine 
If you just smile / Si tu souris juste

Initialement programmé jusqu’au 23 décembre dernier, le spectacle est prolongé au moins jusqu’au 2 avril prochain. Il est éligible aux Molières 2023 dans 5 catégories : création visuelle et sonore, mise en scène dans un spectacle de théâtre privé, révélation masculine (Alexandre Faitrouni), meilleur comédien dans un second rôle (Dan Menasche) et meilleur spectacle du théâtre privé.
Smile, co-écrit par Nicolas Nebot et Dan Menasche
Mise en scène et Scénographie de Nicolas Nebot
Avec Dan Menasche, Alexandre Faitrouni (ou Grant Lawrens), Pauline Bression (ou Ophélie Lehmann)
Lumières de Laurent Beal
Costumes de Marie Credou et Maquillage de Zoé Cattela
Musique de Dominique Mattei
Au Théâtre La Nouvelle Eve - 25 rue Fontaine - 75009 Paris
Depuis le 15 septembre 2022 et au moins jusqu’au 2 avril 2023
Du jeudi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Nicolas Nebot.

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