Après
La chambre des merveilles, un bijou magistralement interprété et ovationné par un public heureux d’avoir assisté à l’éclosion d’un succès de plus, en route pour la Cour d’honneur où se manifestera
Le moine noir à 22 heures.
La conférence de presse d’Olivier Py au Cloître Saint-Louis avait eu lieu la veille. Il y présentait sa Jeunesse exaltée, 10 heures de théâtre au Gymnase Aubanel … pour achever son mandat en laissant son testament artistique, avant de laisser la parole à Kirill Serebrennikov, le metteur en scène du Moine noir, devant se jouer dans la Cour d’honneur, laquelle cour semble prédestinée désormais à accueillir Tchekhov.
Coupant court aux critiques, et au légitime malaise que l’on peut ressentir à propos de la Russie, Olivier a simplement dit que lorsqu’il a abordé Kirill il y a deux ans "il n’était pas russe, il était Kirill", sous-entendu un artiste.
Celui-ci se souvient de sa première venue, il y a longtemps à Avignon, étudiant ne pouvant s’offrir que le off, n’ayant pas de piston pour le In (dit-il avec humour, et gravité).
A la question de sa présence cette année, il a répondu avec gravité qu'il avait pensé monter cette pièce bien avant le début de la guerre en Ukraine. Si elle résonne avec l’actualité, c’est parce que Tchekhov, comme tous les vrais artistes, pressentait le futur. Le metteur en scène a ajouté que selon lui la position de Poutine est très dangereuse et qu’il envisage de changer de métier mais que, malgré tout, il était fier d'être le premier metteur en scène russe à ouvrir le Festival d’Avignon au cœur du Palais des papes.
J’avais donc hâte de découvrir son travail même si mon coeur allait se déchirer en entendant le texte de l’auteur en allemand, en anglais et bien sûr en russe alors qu’on sait ce qui se passe en Ukraine …
Que peut le théâtre quand le monde est en guerre, en crise sanitaire et en crise économique ? Être un lieu qui s’adresse à chaque personne dans la salle et l’interroge en faisant réfléchir, répond Olivier Py.
Kirill Serebrennikov ne fut pas le premier à installer un décor de cabanes sur le plateau. Mais il est un des rares metteurs en scène à avoir compris qu’on n’impose pas une scénographie aux murs du Palais. Ses prédécesseurs ont tenté de faire plier les façades, lui les sublime et les accepte comme le miroir de ses rêves. C’est prodigieux de beauté. Il y fait fleurir des étoiles qui éclateront jusqu’au message final.
Disons simplement que Le Moine noir parle de la folie et soulève cette contradiction : Est-ce que souhaiter le bonheur d’autrui peut passer par le refus de sa différence ?
Nous entrons dans la nouvelle en suivant le protagoniste qu’est Kovrine. Il est surmené, le repos s’impose, il va à la campagne et cherche refuge auprès d’amis. En cela, il nous ressemble ou nous lui ressemblons. Il est lié à nous. Cette profonde tristesse, cette déroute, cette angoisse, nous la connaissons bien. Nous vivons en temps de guerre et les raisons d’espérer ne sont pas nombreuses. Nous sommes presque devant un "sans avenir". Nous nous voyons dans Kovrine, ses tourments sont nos tourments. À côté de ce personnage très réel, à notre image, il y ces immenses formes rondes dans le ciel. S’agit-il de lunes ou de planètes? Ou sont-elles des hallucinations de Kovrine?
Je n’ai pas le temps ni la place de raconter la légende de ce moine. Il faut la vivre, la ressentir, se laisser porter par la musique de la langue allemande (mais les dialogues sont surtitrés en français et en anglais), par son rythme qui s’incruste dans les chorégraphies qui, peu à peu, évoluent en s’orientalisant au fil de la nuit.
Les comédiens, qui sont aussi danseurs, chanteurs et parfois musiciens incarneront, dans le tableau final, des derviches tourneurs qui nous guideront sur le chemin de la méditation.
Ce spectacle nous interroge "évidemment" sur la question de la folie et de la liberté. On peut être russe et être un génie, animé du meilleur de la sensibilité et de la force de l’âme slave. Kirill est un génie et sachez que à un génie tout est permis.
Puisse être entendu son ordre affiché sur les pierres du Palais !
Le moine noir de et mis en mise en scène par Kirill Serebrennikov d’après Anton Tchekhov
Mise en scène, scénographie Kirill Serebrennikov
Avec Filipp Avdeev, Bernd Grawert, Mirco Kreibich, Viktoria Miroschnichenko, Gabriela Maria Schmeide, Gurgen Tsaturyan, et les chanteurs Genadijus Bergorulko, Pavel Gogadze, Friedo Henken, Sergey Pisarev, Azamat Tsaliti, Alexander Tremmel, Vitalijs Stankevics, et les danseurs Tillmann Becker, Arseniy Gordeev, Andrey Ostapenko, Aleksei Sidelnikov, Ilia Manylov, Andreï Petrushenkov, Ivan Sachkov, Daniel Vliek
Collaboration à la mise en scène et chorégraphie Ivan Estegneev, Evgeny Kulagin
Musique Jēkabs Nīmanis
Direction musicale Uschi Krosch - Arrangements musicaux Andrei Poliakov
Dramaturgie Joachim Lux
Lumière Sergey Kucher - Vidéo Alan Mandelshtamm
Costumes Tatiana Dolmatowskaïa
Production Thalia Theater (Hambourg) - Coproduction Festival d’Avignon avec le soutien du ministère de la Culture avec le soutien du Gogol Center (Moscou), de l’Onda Office national de diffusion artistique
Spectacle vu le Vendredi 8 juillet 2022 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Article rédigé après mon retour, à partir de mes notes et des publications faites chaque jour sur la page Facebook À bride abattue, rendant compte des spectacles vus la veille, aussi bien dans le In, que le Off ou le If. Les meilleures photos de la journée étaient publiées sur mon compte Facebook Marie-Claire Poirier peu après dans la matinée.
Les photos qui ne sont pas logotypées
A bride abattue sont de Christophe Raynaud de Lage
Reprise au
Théâtre de la ville du 16 au 19 mars 2023
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