J'étais doublement motivée pour venir voir la dernière création d'Ahmed Madani. J'étais encore sous l'enthousiasme d'Incandescences que j'avais vu l'an dernier au Théâtre des Halles.
Et puis le thème de sa nouvelle proposition m'intéressait.
On m’avait critiquée, à la création du blog À bride abattue, pour son alternance entre le culturel et le culinaire. Pour moi il ne faisait aucun doute que la cuisine fait aussi partie du patrimoine, et je voulais par ce biais m’adresser prioritairement aux personnes qui n’étaient pas convaincues que le théâtre était aussi fait pour elles.
Le spectacle de Ahmed Madani, à 9 h 50 au 11 • Avignon prouve une nouvelle fois que j’avais raison. Le metteur en scène avait déjà dirigé Anissa, qui fut l’une des dix jeunes femmes participant au formidable Flamme(s), second volet d’une trilogie consacrée à la jeunesse des quartiers populaires.
Le décor de Au non du père (vous avez bien lu, oui, c’est un non !) me place dans l’univers familier des concours culinaires auxquels j’ai participé. Que de souvenirs ! Et c’est dans les règles de l’art qu’Anissa patissera sous nos yeux des fondants au chocolat et des pralines.
Anissa n'a pas connu son père, elle le recherche depuis son plus jeune âge. Un jour, elle retrouve sa trace d’une manière digne des téléfilms les plus mélodramatiques. Dix ans plus tard, Ahmed Madani, fasciné par son histoire, la pousse à partir à la recherche de cet homme pour en avoir le cœur net. Il propose à Anissa d’organiser son voyage et de l’accompagner. Ils débarquent tous les deux à New York le 22 mai 2019, puis prennent la route jusqu’à la frontière du Canada. Sur scène, pendant qu’Anissa prépare des pâtisseries qui seront partagées avec le public, ils racontent leurs péripéties. La pièce est une ode à l'espérance, à la résilience, au pardon et à la force de vie. Elle se déploie dans un suspense qui nous tient en haleine jusqu'à la résolution finale.
Si la jeune femme n’a pas connu son père, elle en a malgré tout une image, qui sera le point de départ d’une enquête quasi policière, qui va nous être restituée avec humour, dignité, un sens théâtral évident, presque comme Fabrice Drouelle dans Affaires sensibles (12 h 20 à La Scala Provence). L’histoire est plus proche de la fiction que d’une réalité classique.
Son lexique a grandi dans la modernité d’aujourd’hui. Ne soyez pas surpris d’entendre crevard, seum. Elle est cash et sans filtre mais pas sans valeurs. Pour elle, la compréhension prévaut sur la compassion et elle mènera l’investigation jusqu’à son terme alors que le parfum du sucre caramélisé se propagera dans les gradins.
Elle partagera deux choses : la recette des pralines (que je vous donnerai plus tard sur le blog) et la manière dont elle a modifié son destin.
Ses confidences sont aussi insolites que sa manière de faire. Elles s’amalgament avec l’histoire personnelle du metteur en scène, lequel, sur scène, à cour, derrière son ordinateur, ne perd pas une miette de nos échanges. Car Anissa a aussi le sens du dialogue et s’adresse personnellement aux spectateurs.
Nous serons invités à fermer les yeux et à repenser nous aussi à notre paternel. Et à réfléchir sur la complémentarité entre compréhension et compassion. Sur les motivations à refuser de suivre une injonction. Car désobéir, c'est choisir sa liberté, pour suivre sa route.
Anissa accepta le projet sous trois conditions : que la représentation se déroule plein feu, sans aucun jeu de lumières additionnelles et de manière à pouvoir regarder le public dans les yeux. Que ceux-ci ne soient pas trop nombreux. Et qu'Ahmed soit sur scène avec elle.
Il ne se prive pas d'intervenir pour donner des clés, ponctuer d'une anecdote. S'impliquer en relatant combien le destin de la jeune femme entre en collusion avec sa propre histoire. Il nous fait des confidences insolites : je m'empare de la vie des autres sans doute pour mieux raconter la mienne.
Je ne vous dirai pas si Anissa a retrouvé son père mais je vous dirai quand même que vous ne repartirez pas les mains vides … après un hommage à Jean-Claude Carrière dont Peter Brook, récemment disparu, avait monté la Conférence des oiseaux.
C'est un bonus mais c'est aussi la volonté de dire ce qu'elle fait autant que de faire ce qu'elle dit qui aura pour conséquence le partage des gourmandises cuisinées en direct avec tous les spectateurs, à la fin de la représentation. C'est un heureux moment de convivialité.
Au non du père est bien la preuve que la pâtisserie mène (aussi) au théâtre, même pour celle qui dit ne pas trop l'aimer et préfère s'ambiancer avec des amies le temps d'une soirée.
Au non du père de et mis en scène par Ahmed Madani
Avec Anissa et Ahmed
Création son : Christophe Séchet
Images vidéo : Bastien Choquet
Spectacle vu le Dimanche 17 juillet 2022 au 11 Avignon. Article rédigé après mon retour, à partir de mes notes et des publications faites chaque jour sur la page Facebook À bride abattue, rendant compte des spectacles vus la veille, aussi bien dans le In, que le Off ou le If. Les meilleures photos de la journée étaient publiées sur mon compte Facebook Marie-Claire Poirier peu après dans la matinée.
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