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samedi 28 juin 2025

Les carnets de cuisine de Monet

J'ai voulu faire une digression à propos des Carnets de cuisine de Monet qui vienne en complément de la visite de Giverny (article détaillé ici).

Je sais bien, mais vous l'ignorez peut-être, combien le potager était essentiel pour cet homme amateur de bonne chair. Hélas les terrains ont été vendus et il n'en subsiste que le souvenir.

Vous me direz que les deux jardins, le Clos normand comme le Jardin d’eau, sont de toute beauté et méritent très largement le voyage. La maison aussi. Mais j’ai malgré tout souhaité faire un focus sur un aspect qui ne soit pas que décoratif en perçant les secrets gourmands de cette famille à partir du carnet de recettes de Claude Monet.

Sa maison était un endroit où il faisait bon vivre. Si le paysage a son importance pour charmer nos yeux, une basse-cour et un potager étaient d’autant plus essentiels à l’époque qu’on ne décrochait pas son téléphone pour se faire livrer.

Monet avait des préférences très affirmées. C’est pourquoi il accordait un grand soin au potager sur lequel régnait Florimond car il tenait à ce que sa cuisinière Marguerite aient toujours sous la main les fines herbes dont il usait abondamment. C’était lui qui choisissait les graines et les plants, les pots, les cloches à melon … tout le matériel.

Chaque année voyait pousser brocoli, estragon, plusieurs variétés de tomates de différentes couleurs, artichaut, aubergine, poivron et piment doux, fèves et févettes, crosnes, laitue blonde de Versailles, choux-fleur nains et le moindre légume devait toujours être cueilli au bon moment.

Le peintre ne mettait jamais les pieds dans sa cuisine qui était le domaine de Marguerite et n'a donné son nom à aucun plat mais il adorait manger et recevait fréquemment les membres de sa famille … tout comme Clemenceau, Renoir, Pissaro etc … Le dernier film de Martin Provost, Bonnard, Pierre et Marthe nous le montre bon vivant, capable d’acheminer par barque un repas complet.
Il est très probable qu’il accordait de l’importance à la présentation. En effet il avait discuté des teintes des peintures extérieures et intérieures avec le peintre en bâtiment du village. Il opta pour des volets verts néti sur des murs ocre rose, des couleurs claires à l’intérieur, sauf pour la salle à manger jaune de chrome, avec un décor de meubles peints du même jaune que les murs.
Monet se lève et se couche tôt pour profiter au mieux de la lumière du jour. Le déjeuner a lieu à 11 h 30 pétantes et c'est à ce repas là qu'il reçoit, jamais au dîner qui est servi à 19 heures. Une exception est consentie le jour de Noël où le déjeuner a lieu à midi. On y sert la rituelle glace à la banane, évidemment réalisée dans la sorbetière de la maison, où la glace est moulée en forme de pain de sucre.
Le dimanche on utilisait le service bleu de la manufacture de Creil à motifs japonais de cerisiers et éventails bleus foncé stylisé. Le service de porcelaine blanche à large marli jaune et filet bleu est réservé aux fêtes et invités de marque.
La cuisine est restée bleu cobalt avec un carrelage de Delft, une suspension en porcelaine blanche et la fenêtre est voilée de Vichy du même ton.
L’équipement n’est pas montré aux visiteurs, hormis une turbotière de cuivre en forme de losange que l’on devine posée sur la droite du meuble ci-dessous. Elle a dû beaucoup servir. Comme la véritable sorbetière et d'un moulin à noix de muscade.
Chaque jour Marguerite prépare une entrée chaude, un plat de viande ou de poisson, un légume, une salade et chaque jour un dessert différent, sans oublier les gâteaux pour le thé. Notez que le jardin est en contrebas de la maison et s'admire depuis la terrasse. Dès que la météo le rend possible le thé (de chez Kardomah, donc en provenance directe d'Angleterre) est servi au jardin avec des scones, madeleines et/ou génoise.
Le soir le potage est incontournable, un plat d'oeufs, un plat de résistance, une salade et fromage, parfois un dessert ou un fruit au sirop. Et tout cela toujours pour au moins 2 adultes et huit enfants !

Monet aime les asperges à peine cuites, découpe lui-même les viandes, raffole des champignons, use abondamment de poivre. Il a plusieurs manies comme la cuisson vapeur pour les endives, haricots verts et épinards. Il sert souvent un turbot à ses invités qui auront en dessert la surprise du fameux gâteau Vert-vert à la crème de pistache … et aux épinards.
Tout près, les basses-cours où on élève dindons, canards natais ou mandarins, trois ou quatre races de poules, des Houdan, des Gâtinaises blanches, des Bresse noires et des Cayennes. Il faut dire que la consommation d’œufs est colossale chez les Monet. On remarque d’ailleurs dans l’office des placards spécifiques pour y stocker plusieurs douzaines.
Il n’y a pas de clapiers, Monet ne mange que des garennes. Par contre moult arbres fruitiers parce qu’on en servait régulièrement. Les grappes de raisin sont accrochées à une corde tendue pour les conserver à la chaleur et à l'abri de l'humidité.
Les pêches Bourdaloue sont traditionnellement le dessert du dimanche en été (p. 160). Mais il y a aussi de très simples desserts comme les croutes aux pêches (p. 168) ou les oreillons cuits au four sur du pain rassis. Claude Monet a régulièrement peint des scènes de déjeuner et collectionnant des natures mortes montrant des fruits, comme cette Nature morte avec des poires de grenade de Paul Cézanne (1890)
Parmi les plats qui seront posés sur la table on trouvera la bouillabaisse de morue de Cézanne, la soupe à l'ail (et persil p. 113), le cassoulet de Lucien Guitry, la palette de porc Sacha Guitry et de très étonnants oeufs Orsini dont le jaune est cuit dans des nids formés dans la masse des blancs montés en meringue.
Si vous voulez vous mettre dans l’ambiance d’un repas comme Monet les aimait vous pouvez au printemps prochain faire un potage à la dauphine : 500 grammes de navets nouveaux grattés et lavés mis dans une grosse noix de beure à feu doux. On les passe à l'étamine quand ils s'écrasent sous le doigt. On remet au feu avec la même quantité de beurre ou deux tasses de crème. Bon appétit !
La maison et les jardins de Claude Monet – Giverny sont ouverts tous les jours :
Du 1er avril au 1er novembre 2025
De 9h30 à 18h, dernière admission à 17h30
Durée de visite recommandée : 1h30 à 2h (visite libre non guidée)
84 Rue Claude Monet, 27620 Giverny -  02 32 51 28 21

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