
Mon père, publié en 2019, présentait un père venu demander des comptes à un prêtre coupable d’abus envers son jeune fils. Catalyseur d’émotions enfouies, le livre allait faire ressurgir des souffrances muettes et conduire son auteur à une enquête introspective profonde. Remontant enfin à la source de son enfance saccagée, Grégoire Delacourt la fait revivre dans L'enfant réparé, poignant récit autobiographique où il se livre complètement pour la première fois.
Il considère que le peu de photos qui ont été prises dans son enfance est un indice du dysfonctionnement familial. Je ne crois pas non plus en avoir plus d’une dizaine (que je considère d’ailleurs ratées). C’était une époque où il fallait une occasion particulière pour faire des clichés. Rien à voir avec le comportement familier aujourd’hui et qui est sans doute un autre excès.
Son père n’y est pas déjà le corbeau, mais un diable (p.73) qui portait encore beau. L’enfant devenu adulte interroge un corps abîmé et les livres qui ont pansé celui qui très jeune a subi l’étourdissement dans le Valium, d’autres médicaments et substances et qui se perçoit alors comme un déchet. Et qui plus tard vivra l’ivresse comme son ogresse magnifique (p. 114)
L’écriture lui permet d’abord de subsister, de fuir sa famille et ses souvenirs, avant de devenir une démarche créatrice jalonnée des traces cachées de ses douleurs enfantines … et d’adulte, qu’il désigne avec pudeur, qualifiant par exemple son mariage de ratage magnifique (p. 78).
Pourquoi le petit garçon qu’il était rêvait-il au soulagement de sauter par la fenêtre ? Qui était ce père, absent et bourreau ? Cette mère adorée fuyait-elle son propre enfant, ou bien faisait-elle tout pour le protéger ?
C’est l’histoire d’une enfance abusée, d’une famille où l’on porte le déni comme une armure, et un éclairage unique sur le parcours d’un écrivain pour qui la reconnaissance de sa position de victime a été essentielle : Le jour où j’ai appris que j’étais une victime, je me suis senti vivant. Et pourtant nommer (ce dont on souffre) ne guérit pas. Nommer permet juste de s’identifier (p. 101).
Comme le chemin fut long et les embûches innombrables !
Deux remèdes auront été salvateurs, l’écriture comme mentionné plus haut, sans pour autant avoir un effet rapide puisqu’il n’écrira plus pendant les dix ans qui suivirent l’échec de son long-métrage, et puis aussi la psychanalyse. S’il formule beaucoup de belles choses, d’une grande sensibilité sur l’acte d’écrire ce n’est pas pour autant la voie royale. En effet la rédaction de celui qui précéda, Mon père, l’avait laissé en vrac (p. 55).
L’amour des mots et l’emploi de fétiches (un peu à l’instar d’Amélie Nothomb avec son pneu à ceci près que c’est intentionnel chez elle) autorise le surgissement de paréidolie (p. 55), un terme que tout bon lecteur de Delacourt devrait utiliser comme mot de ralliement.
Dira-t-on jamais suffisamment la vertu apaisante de certaines musiques ? Cette fois Le petit garçon de Reggiani (1967) supplante Fernando d’Abba (1976) qu’il écoutera en boucle avec son frère comme il nous l’a confié dans Polaroïds du frère que j’ai lu il y a quelques jours.
Si ce livre là est focalisé sur son frère il n’empêche que L’enfant réparé évoque par petites touches et avec des mots terribles l’homme de porcelaine que l’Algérie avait fêlé (p. 81) : je l’ai effacé comme on gomme d’un livre un mot de trop (p. 80). Quatre ans plus tard il sera le sujet central d’un roman.
L’enfant réparé de Grégoire Delacourt, Grasset, en librairie depuis le 29 septembre 2021
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