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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 31 décembre 2015

Qu'est-ce que je vous souhaite ?

Voici arrivé le dernier jour de l’année.

Beaucoup vont faire la fête et prendre demain des résolutions qui ne seront pas tenues très longtemps.

La nuit du 31 décembre au 1er janvier n’est pas magique comme une comédie shakespearienne. La vie est un manège qui ne tourne pas toujours très rond. C’est l’affaire de chacun de l’enrichir. 

Et surtout d’apprécier le beau et le bon lorsqu’il se présente.

mercredi 30 décembre 2015

Guacamole mexicain

Vous l'avez peut-être aperçu sur la table à coté de ces croissants dont je donnais la recette avant-hier, un Guacamole que ma fille avait préparé comme on le fait au Mexique.

Le mot signifie purée d'avocats puisque en espagnol avocat se dit aguacate. Tout est dit, ou presque.

Il ne faut pas grand chose pour le réussir. Les avocats (mais ils doivent être murs) seront écrasés à la fourchette, puis mélangés à raison d'une demi tomate coupée en dés pour 3 fruits, et un demi-oignon tranché très fin.

On ajoute un filet de jus de citron vert et le tour est joué.

On pourra incorporer de la coriandre hachée si on aime, un peu de sel, du poivre, et du piment si on l'apprécie. Les mexicains utilisent énormément cette herbe aromatique.

Je l'aime tartiné sur du pain croustillant plutôt qu'avec des tortillas sèches et trop salées à mon goût. Une baguette aux graines et au curcuma fut parfaite.

mardi 29 décembre 2015

Encore de Hakan Günday chez Galaade

J'ai commencé le livre avec appréhension. J'en connaissais le sujet. La citation a calmé ma peur. L'auteur cite souvent Rimbaud, et celle-ci est claire quand on referme le livre : La seule chose insupportable, c'est que rien ne soit insupportable.

J'ai eu tout de suite le sentiment de lire un conte. Cela me donnait envie de connaitre la suite. Je la pressentais terrible mais ce n'était qu'un livre après tout, et c'est ce qui rend l'ouvrage "supportable". Lire cette histoire ne ferait pas de moi une criminelle. Il ne faudrait tout de même pas renverser les rôles. J'ai plongé dans ces feuilles comme on peut glisser entre les vagues.

Le fait que ce soit une histoire inventée permet la distance sans nuire à la réflexion. Et si Hakan Günday a écrit une oeuvre incontestablement romanesque, bien qu'inspirée de certains faits réels, il est comme le versant masculin d'Un amour impossible de Christine Angot qui, lui aussi figure dans la sélection du Prix des lecteurs d'Antony, mais en catégorie romans français. La figure paternelle est perverse dans les deux romans, promettant une chose tout en empêchant qu'elle se produise. Sans parler du viol présent également dans les deux.

On pourra aussi songer au film le Temps des gitans, avec les scènes de rêve évoquant la mère.

Outre la couleur de la couverture, j'ai noté aussi des points communs avec Après le silence de Didier Castino. Là aussi c'est un adulte qui revient sur son enfance, en abordant une relation d'emprise ou de dépendance, dans le cercle infernal d'une condition humaine en lien avec l'esclavage, et la mort qui rode.
En résumé, Gazâ vit sur les bords de la mer Egée. Il a 9 ans quand il doit quitter l'école pour aider son père Ahad, passeur de clandestins. Il travaille aussi avec les frères Harmin et Dordor, commandants des bateaux qui emmènent les migrants en Grèce. Pendant des années, Gazâ et Ahad entreposent dans un dépôt cette "marchandise humaine". Jusqu'au jour où Gazâ cause la mort d'un jeune Afghan du nom de Cuma, le seul qui ait fait preuve d'un peu d'humanité envers lui. Dès lors, dans ce monde violent et désabusé, Gâza ne cesse de penser à Cuma et conserve précieusement la grenouille en papier qu'il lui avait donnée - ce qui n'empêche pas le garçon de transformer le dépôt en terrain d'observation des dynamiques de domination et surtout de devenir le tortionnaire des clandestins qui ont le malheur de tomber entre ses mains. Cependant, un soir, tout bascule et c'est désormais à lui de trouver comment survivre...
Né à Rhodes en 1976, Hakan Günday est vite devenu l'enfant terrible de la nouvelle génération des écrivains turcs. Il est l’auteur de huit romans. Son livre Kinyas et Kayra, publié en 2000, est considéré comme le premier roman underground en Turquie. Son premier livre traduit en français, D’un extrême l’autre (Galaade, 2013) a reçu le prix du meilleur roman de l’année 2011 en Turquie. Finaliste du Prix Lorientales 2015, Ziyan (Galaade, 2014) a reçu le Prix France-Turquie 2014.

Francophone pour avoir suivi son père diplomate à Bruxelles et y avoir fait ses études, il s’est passionné pour Voyage au bout de la nuit de Céline, qui a beaucoup influencé son écriture et son regard sur le monde. Robinson Crusoé également. Il vit désormais à Istanbul.

Encore est construit en quatre tableaux, chacun portant le nom d'une technique picturale de la Renaissance : sfumato, cangiante, chiaroscuro et unione. De fait l'écriture oscille sans cesse entre l'ombre et la lumière pour nous offrir des fresques d'une portée quasi mythologique.

Le lecteur est abasourdi par la violence qui est mise en scène. On voudrait crier Assez alors qu'on entend Encore qui est le mot clé de la narration. En turc il se dit Daha, et c'est le souvent le seul mot de turc que connaissent les migrants épuisés pour réclamer aux passeurs encore un peu d’eau ou de nourriture. Encore, c’est évidemment aussi l’avidité insatiable des trafiquants pour gagner toujours plus d’argent. C'est aussi l'exacte inversion de Ahad, qui est le nom du père. De fait l'histoire s'inverse au début de la deuxième partie (p. 169) quand l'adolescent est enterré vivant.

Cet accident sera la cause d'une anxiété sociale post traumatique, à peine adoucie par l'addiction au sulfate de morphine qui est le sujet de la troisième partie mais dont on comprend bien avant le rôle déterminant. La dernière, très courte, s'achève sur une fin étonnante qui en quelque sorte, boucle la boucle.

Entre temps un étrange rêve de clé se glissera au fil des pages, laissant espérer une forme de rédemption avec l'entrée au lycée d'Istambul.

La plume d'Hakan Günday est foisonnante. Il dissèque les sentiments avec la froideur d'un médecin légiste, ce qui n'exclue pas certaines touches d'humour. Etre amoureux, c'est dresser des plans comme pour un hold-up (...) le premier fabricant de vêtements pour femmes imprimés léopard devait être dans le même état d'esprit. L'amour s'apparente à la chasse. (p. 53)

Humour encore quand il écrit que les deux choses les plus laides du monde, voter pour soi même et un Indien en train de jouer au cricket. (p.127 )

Il nous brosse des scènes d'une laideur bien plus extrême avec le transport des clandestins et le trafic d'esclaves. Ce que le jeune garçon fait subir est horrible. Peut-on lui trouver des excuses au motif qu'il a vécu auparavant des choses terribles qui lui ont fait perdre son humanité et passer de victime à tortionnaire ? Ce que je vivais me semblait irréel. (p. 64) Je hais l'espoir, cette calamité qui fait rêver les enfants les plus désemparés.

Le premier responsable est ce père qu'il déteste au plus haut point et dont il a pourtant envie de gagner l'estime. (p. 82) L'auteur fouille la question de la dépendance affective et du manque d'amour. Les relations humaines peuvent-elles se résumer à une question binaire, résumée derrière l'expression c'est lui ou moi, qui justifie au début du roman que l'enfant doive la vie à la mort d'un autre ... de plusieurs en fait puisque sa mère meurt à sa naissance.

Les leçons que la vie lui enseigne sont très noires. Sauve ta vie mais ne raconte à personne comment tu as fait (p. 13) La vie est comparable à un commerce qui serait régi par les même règles, comme celle du marchandage. (p. 101)

Si le roman s'appuie sur des faits malheureusement plausibles, ce n'est pas un roman social dénonçant les réseaux de trafic de clandestins avec la bénédiction des autorités, complices elles aussi. Encore est surtout une étude quasi anthropologique sur l'âme humaine, et une analyse sociologique très fine sur le besoin de dominer, l'exercice du pouvoir (avec un texte annoté à la main, comme un insert p. 151), et sur la politique qui apparaît en désaccord avec la nature humaine. Quant à la peur de mourir elle serait la cause de tous les maux.

C'est un coup de poing à l'écriture puissante et insolente, portant un regard sans concession sur le monde contemporain dès les premières pages (p. 18) : la différence entre l'Orient et l'Occident, c'est la Turquie. Un vieux pont entre l'Orient aux pieds nus et l'Occident bien chaussé, sur lequel passe tout ce qui est illégal. En particulier ces gens qu'on appelle les clandestins (...) que nous menions de l'enfer au paradis. Mais je ne crois ni à l'un ni à l'autre. Le fait qu'il y ait un enfer ne prouve nullement qu'il y ait un paradis.

Encore de Hakan Günday, traduit par Jean Descat, chez Galaade, août 2015
A obtenu le Prix Médicis étranger 2015
Livre chroniqué dans le cadre du Prix 2016 des lecteurs d'Antony
En compétition dans la catégorie Romans étrangers avec Amelia de Kimberly McCreight, Miniaturiste de Jessie Burton, Daroussia la douce de Maria Matios et Intérieur nuit de Marisha Pessl.

lundi 28 décembre 2015

Des petits croissants pour l'apéritif

Vous pourrez dire avec fierté c'est moi qui les ai faits. Peu de travail pour beaucoup d'effet. Qui dit mieux ?

La méthode est simplissime mais il fallait y penser. Je n'ai pas eu l'idée toute seule, mais je la partage volontiers.

Il vous faudra une pâte feuilletée ronde que vous tartinerez avec le mélange de votre choix (ici une compotée de tomates au basilic) en veillant à ne pas trop charger la pâte. On pourrait ajouter de l'emmental râpé mais ce n'est pas absolument nécessaire.

Vous découperez ensuite en quatre, puis de nouveau en quatre pour obtenir seize parts égales. Attention : prenez un couteau en silicone pour ne pas déchirer le papier sulfurisé qui sera bien utile à la cuisson.

Rouler chaque part en croissant est une partie de plaisir. La seule difficulté est de rouler dans le "bon" sens mais vous vous en rendrez compte très vite par vous-même. Et surtout pas trop serré d'une part pour que la crème ne s'échappe pas à la cuisson et d'autre part pour que la pâte puisse gonfler.
Ne dorez pas au jaune d'oeuf. Cela collerait l'ensemble et le résultat ne serait pas à la hauteur.
Remettez au frais le temps que le four préchauffe, cela provoquera un choc thermique salutaire. On cuira une douzaine de minutes à 220°.
L'important est de déguster tiède bien sûr.

dimanche 27 décembre 2015

Salé sucré de Ang Lee, à découvrir en blue-ray

Puisque les festivités de fin d'année sont progressivement annulées par "sécurité" vous allez peut-être opter pour une soirée à la maison ... et si ce n'est pas le cas le 31 décembre, il y aura bien de toutes façons un jour où vous aurez envie de vous faire une toile sans sortir. C'est à cela que servent les bons DVD, même si le film que je vous propose est ressorti le 16 décembre au cinéma en version restaurée inédite.

Avec Salé sucré de Ang Lee, préparez vous à deux heures de gourmandise et d'exotisme. La cuisine, si importante dans sa filmographie, représente l'union, le bonheur, le plaisir. 
M. Chu est le plus grand chef cuisinier de Taipei. Veuf depuis seize ans, il élève seul ses trois filles : Jen, professeur de chimie à la religiosité exacerbée, Kien, séduisante businesswoman qui rêve de prendre son indépendance, et Ning, jeune étudiante qui travaille dans un fast-food. La vie de la famille Chu est réglée par ces rituels immuables que sont les repas, préparés avec une minutie extrême par le père. Renfermé et peu loquace, la cuisine est pour lui la seule façon de communiquer…
Ce film est le dernier volet de la trilogie baptisée "Father knows best" que Ang Lee a commencé sur la famille en 1992 avec Tui shou, présenté au Festival du Film de Berlin. Le réalisateur excelle dans l'art du portrait. Il a tourné celui-ci pour la première fois à Taiwan qui se trouve être l'endroit où il est né. Sa caméra observe avec tendresse des personnages en mal d’affection dont le rapport à l’autre s’effectue à travers la nourriture.

C'est une ode à l’art culinaire taïwanais, plutôt méconnu, et dont les scènes de préparation de repas, incroyables de maîtrise, ont fasciné m'a-t-on dit les plus grands cuisiniers du monde.

De plus il est présenté pour la première fois dans sa version restaurée en Haute Définition. Et l'avantage du DVD sera quadruple avec le film et trois bonus "L'essence de la vie" où Ang Lee évoque la culture traditionnelle chinoise et l'évolution de la famille au sein d'une société en pleine mutation, une analyse de James Schamus qui revient sur les différences culturelles existant sur un tournage américain et taïwanais en comparant ses expériences sur la trilogie "Father Knows Best" et bien entendu une vingtaine de minutes consacrées à un making-of.

Vous pourrez en profiter pour revoir Garçon d'honneur qui, juste avant Sucré salé, annonçait déjà le futur succès d'Ang Lee. C'est ce film qui permit au cinéaste d'accéder à la reconnaissance internationale avec un Ours d'Or à Berlin et une nomination à l'Oscar du Meilleur film étranger.

Entre choc des cultures et des générations, cette comédie de mœurs narre le mariage blanc organisé par un jeune gay pour satisfaire ses parents. C'est un film réjouissant qui aborde avec délicatesse, intelligence et humour les thèmes forts de l’homosexualité, les conflits entre générations et le choc des cultures.
Taïwanais naturalisé américain, Wei-Tong habite à New York avec son compagnon Simon. Ses parents, restés en Asie, ignorent son homosexualité et font tout pour lui trouver une femme. Simon a alors une idée : que Wei-Tong épouse Wei-Wei, sa locataire chinoise en quête d’une carte verte. C’est alors que les parents de Wei-Tong débarquent à New York pour le mariage…
Comme Salé sucré, ce film existe pour la première fois dans sa version restaurée en Haute Définition.

Salé sucré de Ang Lee
Comédie dramatique | Taïwan/États-Unis | 1994
Scénario : Wang Hui-Ling, Ang Lee et James Schamus
Avec : Lung Sihung, Yang Kuei-Mei, Wu Chien-Lien, Wang Yu-Men et Winston Chao.

Garçon d'honneur de Ang Lee
Comédie dramatique | Taïwan/États-Unis | 1993
Scénario : Neil Peng, Ang Lee et James Schamus
Avec : Gua Ah-Leh, Lung Sihung, May Chin, Winston Chao et Mitchell Lichtenstein

La musique a été composée par Mader pour l'un et l'autre et tous les deux sont sortis en Blu-ray, DVD et coffret DVD le 25 novembre 2015. Ce sont des productions Carlotta Films

On pourra enfin chercher à revoir aussi Le Secret de Brokeback Mountain que ce même réalisateur réalisa en Amérique du Nord en 2005. 

samedi 26 décembre 2015

La soupe détox lendemain de fêtes

Vous la préparerez en bonne conscience parce que vous pensez devoir faire régime. Mais vous vous régalerez. Il y a peu de plats meilleurs que la vraie soupe de légumes maison. Son secret ? Assez facile à mettre en oeuvre pourvu qu'on ait un peu d'organisation et de prévoyance.

Règle numéro 1, avoir toujours (au congélateur, c'est impérissable) du céleri branche et des gousses d'ail, et ses étagères des feuilles de laurier et du thym, parmi ses épices des clous de girofle.

Règle numéro 2, acheter des poireaux, beaucoup de poireaux, parce que c'est ce qui donne son goût à l'eau. Comme j'aime ce légume en entrée je le coupe en trois et je pose les "blancs" dans un panier vapeur au-dessus de la soupe, le vert sera dans le potage. Je fais d'une pierre deux coups.

La recette en elle-même comporte des invariants : poireaux, je l'ai déjà dit, un oignon piqué d'un clou de girofle, une gousse d'ail, une feuille de laurier, un morceau de céleri branche, du gros sel de mer, une ou deux pommes de terre (à purée ou frite, on évite la variété à rissoler).

On peut ajouter ce qu'on a sous la main, quelques carottes, une poignée d'épinards, un reste de potiron, un navet ou un panais. C'est selon. Il faut penser à verser beaucoup d'eau (et je la préfère filtrée). Quant au poivre je préfère que chacun donne un tour de moulin sur son bol et assaisonne à sa convenance.

Plutôt que le classique persil plat je choisis le persil dit chinois, dit encore coriandre dont je trouve le parfum plus délicat.

La cocotte minute est une alliée précieuse. Je consomme une partie en bouillon, le reste est mixé au blender, pour varier les plaisirs.
Et pour faire (encore) fête, je sers avec une quenelle ou une tartine de mousse aux cèpes, trouvée chez Lidl qui regorge en ce moment de produits très gourmands et peu onéreux, ce qui prouve qu'on n'est pas obligé d'aller dans le quartier de la Madeleine pour débusquer l'excellence. J'avais déjà eu l'occasion de l'apprendre l'an dernier au Salon du blog culinaire où la marque était présente.

vendredi 25 décembre 2015

De Meudon à Istanbul, l'épopée de l'Orient-Express

Si vous avez manqué l'exposition qui a été présentée il y a quelques mois devant l'Institut du Monde Arabe voilà une occasion de voir quelques pièces d'exception et, qui plus est, sans faire la queue ni bourse délier puisque le Centre d'art et de Culture de Meudon est gratuit.

C'est une occasion à saisir, encore plus forte que les réductions des agences de voyage pour aller, certes en imagination, jusqu'à Istanbul, et revivre un peu l'épopée de l'Orient-Express.

Ces trains légendaires n'ont rien perdu de leur capacité à faire rêver.

Tout a commencé avec la création en 1876 d'une compagnie ferroviaire de luxe : la Compagnie internationale des wagons-lits par un homme d'affaires belge. A force de ténacité, Georges Nagelmakers concrétise son projet de train transeuropéen, et lance l'Orient-Express  le 4 octobre 1883. L'année suivante sa compagnie prend le nom de Compagnie des Wagons-Lits et des Grands Express Européens. Elle ouvrira dix ans plus tard plusieurs hôtels de luxe pour ses passagers.

L'Orient-Express sera le premier moyen de transport à abolir les frontières du vieux continent. Il parcourt une distance de 3186 km et traversera 7 pays (France, Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Turquie) en 81 heures et 30 minutes, ce qui représente tout de même 30 heures de moins qu'un train ordinaire.

L'Orient-Express sillonne l'Europe Centrale et les Balkans en passant par Munich, Vienne, Budapest et Bucarest afin de rejoindre les portes de l'Orient à Istanbul, à une époque où les frontières ne sont pas ouvertes comme aujourd'hui. Cela relève presque de l'épopée.
La construction du tunnel du Simplon permettra la création d'un itinéraire sud par Venise, Belgrade et Sofia. Et de nombreux trains de prestige vont désormais partir depuis la Côte d'Azur, comme en témoignent ces affiches. Celle de gauche a été réalisée en 1926 par Emile André Schefer.

jeudi 24 décembre 2015

La Nouvelle Seine embarque petits et grands pour deux spectacles aromatiques

La Nouvelle Seine est une péniche amarrée quai de Montebello. On peut y déjeuner en jouissant d'une vue imprenable sur Notre-Dame.

On peut aussi descendre en soute pour assister à un spectacle. La programmation est sans reproche, avec des découvertes intéressantes, comme Marine Baousson que j'avais applaudie à la Comédie des Trois Bornes et qui fait le show ici tous les mardis soirs à 21 h 30.

Les enfants ne sont pas en reste. Ils ont le choix en ce moment avec deux comédies écrites par le même auteur pour les 3-11 ans.
J'ai eu la surprise de découvrir une vraie salle, même si elle tangue un petit peu (au passage des bateaux-mouches ou des péniches en activité). Un parfum d'épices embaumait. On se serait cru sous un de ces sapins du marché de Noël du square voisin.
La décoration signé par Gil Levasseur, évoque l'univers de Cocteau et convient autant à un public d'enfants qu'aux adultes. Il a été aidé par une certaine Caroline qui mérite les félicitations.

A ce que j'ai vu cette après-midi là, les parents n'ont pas boudé leur plaisir. Les comédiens m'ont dit avoir ressenti une forte écoute, avec une belle participation de parents conquis.

Il leur faut tout de même beaucoup d'énergie parce que la marmaille n'a pas ses mots dans ses poches. J'ai entendu fuser des "maitresses en maillot de bains" et des menaces, du style "j'espère que c'est intéressant", témoignant d'une exigence extrême pour des spectateurs aussi jeunes qui un peu plus tard avoueront : "c'est la première fois que je vois un spectacle comme çà". Faut du caractère pour les mener à la baguette ces petits, et le comédien n'en manque pas.

Je connaissais en gros l'histoire d'Augustin Pirate des Indes, ayant découvert le livre de Marc Wolters (illustré par Pierre Jeanneau, au Buveur d'encre, 2015) au Salon du livre pour la jeunesse de Montreuil il y a quelques jours.
C'est lui qui a écrit le spectacle à partir de la même trame mais le résultat n'a rien à voir. C'est encore lui qui a conçu La Grande Cuisine du Petit Léon, un spectacle plus musical et différemment participatif.
Les deux ont en commun de faire découvrir épices et herbes aromatiques au moyen de drapeau embaumant les huiles essentielles agités au-dessus des spectateurs.

mercredi 23 décembre 2015

J'ai testé Les Petites Casseroles

À l’approche des fêtes de fin d’année, Les Petites Casseroles ont pensé à tous les franciliens débordés, en panne d’inspiration, ou tout simplement gourmands en concoctant un Menu des Étoiles, inspiré -en partie- de recettes de grands chefs revisitées.

Il faut compter environ 35 euros par personne, prix tout à fait indicatif selon les plats choisis (dont je donne quelques exemples en fin de billet). Mais il faut savoir qu'à ce tarif là, qui est sans commune mesure avec le coût d'un restaurant, on aura exclusivement du fait maison, avec des produits frais et de saison. Cuisinés uniquement sur commande. Et on tiendra compte de vos contre-indications alimentaires si vous en avez.

Justement, il n'y a qu’à passer commande et à se régaler ! Comme celles-ci ont lieu les mardis et vendredis et que l'on peut commander jusqu’à J-2, ce sera parfait pour le 31 décembre puisque le délai coule jusqu'au 29 décembre pour la livraison du 31. Mais ce sera aussi bien pour un surlendemain de fête quand on n'a plus du tout envie de se mettre devant les fourneaux.

mardi 22 décembre 2015

La fille de son père au Théâtre de l'Archipel

Avec la Fille de son père qui se joue au Théâtre de l'Archipel, tous les ingrédients sont réunis pour passer une bonne soirée.

Laure Lepelley a conçu un décor inspiré d'un appartement haussmanien qui fonctionne bien (même si on attendrait quelques changements, mais on n'est pas dans une production d'Au théâtre ce soir, la salle rouge de l'Archipel est nettement plus modeste, plus intime aussi, et ce n'est pas pour nous déplaire.

On y est à proximité des comédiens et cela participe à la bonne humeur qui se dégage de cette pièce, écrite par Bruno Chapelle et Camille Saferis. Ils n'ont pas eu à chercher très loin leur inspiration. Tout le monde rêve de devenir célèbre et de "faire de la télé".

Bruno Chapelle (chemise bleue) cumule les talents. Il est auteur, mais aussi comédien, metteur en scène (et co-directeur du théâtre de l’Archipel depuis cinq ans). Son jeu fait penser à Bourvil pour sa capacité à passer du comique au sérieux.

Il a démarré, comme beaucoup de ses compatriotes (et notamment Chevallier et Laspalès qui sont ses amis) dans la célèbre émission des années 80 "Le Petit Théâtre de Bouvard". On l'a vu au cinéma dans dans Les rois mages, La grande peinture, Les trois frères le retour et de nombreuses séries télévisées. Il est scénariste de Joséphine ange gardien.

Il est le personnage central de la Fille de son père dont on a le sentiment qu'il active les ficelles.
Jennifer rêve de faire de la télé. Mais lorsque l'on n'est la fille de personne (de connu), ce n'est pas gagné ! Heureusement, le hasard lui permettra d'exaucer son voeu au travers de la fille d’un certain "Personne" qui vaudra à Jennifer de devenir quelqu'un. Parce que c'est bien connu, chacun veut sa chance.
Les quiproquos rythment ce vaudeville trépidant sur l'ascenseur social, dans lequel les portes claquent au rythme des mensonges de chacun et de répliques bien senties, parfois inspirées par les discours des "grands" de ce monde : moi président ...

Camille Saféris (cravate rouge) donne la réplique, un art qu'il maitrise puisqu'il s’y est entrainé à la télévision avec Christine Bravo et Michel Drucker. Il fut le déconneur cathodique de Nulle Part Ailleurs sur Canal + où sa chronique des Première fois était d'une fine drôlerie. C'est lui aussi un artiste accompli, billettiste, réalisateur, auteur de chansons, de scénarios et de livres.

Formée à l’Ecole Florent et aux Enfants Terribles, la brune Marie-Aline Thomassin a joué entre autres aux côtés de Francis Perrin, Agnès Soral, Chevallier et Laspalès (encore eux)... Elle touche également au one-woman show, puis écrit avec Bruno Chapelle la pièce J’adore l’amour, j’aimerais bien le refaire un jour ! On l’a vue au cinéma dans Violette de Martin Provost, dans plusieurs courts-métrages primés en festivals, à la télévision dans des séries ou des publicités, et sur la toile où elle incarne notamment l’héroïne d’une web-série à succès.

Après une formation classique aux Conservatoires de Toulouse et de Paris, la blonde Pascale Michaud est rapidement engagée par des metteurs en scène tels que Gilles Gleizes, Jean- Philippe Azema, Thierry Atlan ou Jean-Christophe Barc... Passant aisément du registre dramatique à la comédie, c’est dans ce domaine qu’elle se fait remarquer. Entre autres par TF1, qui l’engage en 2009 pour incarner l'héroïne de la série quotidienne Seconde Chance, nommée aux International Emmy Awards. Au cinéma, Claude Chabrol lui donne un petit rôle dans L’ivresse du pouvoir. Elle apparaît également dans de nombreux téléfilms, séries TV et publicités. C’est en 2006 qu’elle rencontre Bruno Chapelle et Camille Saféris, nouveaux complices avec qui elle travaillera à de nombreuses reprises.

Olivier Yéni cumule lui aussi les casquettes : en tant qu’auteur, producteur ou comédien. Il dirige également Acte Sept, une agence conseil en communication parlée qu’il a fondée il y a treize ans. Manager conseil et amoureux de la langue, il accompagne les entreprises dans leurs conventions, séminaires, plénières ou tables rondes, autour de leurs enjeux de prise de parole. Rien d'étonnant à ce qu'il ait été choisi pour interpréter ici le rôle d'un PDG reconverti dans la télévision.
Tous s'accordent à merveille et, au risque de me répéter, la soirée démarre fort bien en leur compagnie. Le quintette a de belles perspectives.

La fille de son père
de Bruno Chapelle et Camille Saferis
Mise en scène : Bruno Chapelle
Avec Bruno Chapelle, Pascale Michaud, Camille Saferis, Marie- Aline Thomassin et Olivier Yeni
Du mardi au jeudi à 19H30
Jusqu'au 7 janvier 2016 , représentation supplémentaire le 31 décembre à 21 h 15

Photos Xavier Lahache

lundi 21 décembre 2015

Un cocktail avec le calvados Père Malgoire et ses amuse-bouches

Comme je l'écrivais le 22 novembre dernier, le Salon du blog culinaire a été l'occasion de relever un défi autour des produits Père Magloire pour imaginer un cocktail et ses amuse-bouches.

C'est une maison que je connais assez bien puisque j'en avais visité les chais à Pont l'Evêque. Je ne me souviens plus comment cela s'est fait. Toujours est-il que je me suis retrouvée à faire équipe avec Romain alors que les duos de bloggeurs se constituaient comme Jacqueline (Les recettes de Jacre) et Anaïs (Anaïs cuisine), ou Christian (Ambiances Culinaires) et Lucie (Saladetkoi) qui gagneront la battle.

Nous avions à disposition plusieurs produits. Et nous avions eu l'occasion de faire quelques dégustations sur le stand Père Magloire.

Romain prétendait ne pas avoir d'inspiration pour les amuse-bouches. Par contre il avait envie de faire des mélanges qu'il me soumettait dès qu'il en était satisfait. Voilà comment nous nous sommes réparti les tâches.

Nous avons retenu le Calvados V.S.O.P. et le Pommeau que nous avons choisi d'associer à une crème de pêche et à de la limonade, dans l'esprit de proposer plutôt un long drink ... dans un joli verre conçu à cet effet et aux couleurs de la marque. Rappelez-vous malgré tout combien l'abus d'alcool est dangereux pour la santé et qu'il convient de consommer avec modération. Comme agitateur je lui ai suggéré une branche de romarin, en accord avec le coté estival du parasol gravé sur le verre, et si nous avons ajouté une tranche de citron vert c'est pour apporter davantage de fraicheur.

Un trait de crème de pêche suffit. Attention de ne pas avoir la main lourde. Ensuite on verse 2 cl de Calvados pour le double de Pommeau. On complète avec la limonade. Dans l'idéal, pour ne pas noyer le cocktail mais néanmoins le rafraichir on le prépare avec des glaçons et on filtre avant de servir. Je n'ai pas eu le réflexe d'utiliser la passoire spéciale du shaker que je venais d'obtenir après être passée par la salle de troc (heureuse initiative).

Nous voulions le servir "straight up", autrement dit sans glaçon. Mais nous avons eu un petit souci de timing. Il n'est pas possible au jury de déguster toutes les préparations à la bonne température. La boisson n'était plus assez fraiche. Par contre les amuse-bouches avaient refroidi. Ce sont des éléments à intégrer si vous voulez les servir à vos invités.

Des amuse-bouches ultra normands :
Outre des feuilles de brick, nous pouvions utiliser des produits dont la création a été pensée en association avec les Calvados Père Magloire, comme la Moutarde de Normandie au Calvados de la maison Toustain-Barville, une Confiture pommes, caramel au beurre salé et Calvados Père Magloire élaborée par la Cour d'Orgères, comme encore, venant du même confiturier, un chutney d'oignons jaunes, de pommes, de cranberries, de vinaigre de cidre et d'une pointe de Calvados Père Magloire, et un Foie Gras Entier de Canard au Calvados Père Magloire, de la Maison Sudreau qui a été récompensé par de nombreuses médailles au Concours Général Agricole de Paris. Les fromages normands comme le Livarot, le Pont l'Evêque de la fromagerie Graindorgeque je connais également, étaient bien entendu présents eux aussi.
Nous avons préparé des cigares au Pont l'Evêque et à la confiture, ainsi que des bonbons de foie gras au chutney, en ayant la main légère parce que ce ne sont pas des "entrées".
Nous nous sommes amusés à faire ces associations qui, au final, étaient très gourmandes, ce qui prouve qu'oser peut être payant. On nous a dit en "off" que ce plateau aurait pu gagner si nous avions eu la main plus légère avec la pêche.
L'association Pont l'Evêque et Calvados est inhabituelle mais très réussie et il est probable que je la proposerai dans le cadre du Cheese Day qui aura lieu Lundi 25 janvier 2016 au Pavillon Ledoyen à Paris. La manifestation sera ouverte aux professionnels comme au grand public.
Nous avons passé un bon moment avec l'équipe de Père Magloire et avec le Chef Jérôme Tassin que l'on ne remerciera jamais assez de  sa patience et de ses conseils.
Quelques informations complémentaires :
Le V.S.O.P. se démarque de la gamme par une sélection de cidres de pommes exclusivement récoltées dans le Pays d’Auge, terroir délimité couvrant à peine 6% de la Normandie. L’assemblage du V.S.O.P. est constitué de Calvados dont le plus jeune a vieillit au moins 4 ans en fûts de chêne. La typicité du sol apporte à la pomme, allié à une double distillation en alambics de cuivre à repasse, confère au V.S.O.P. richesse et longueur en bouche. 

Le Pommeau Père Magloire est le résultat d’un judicieux mariage de moût de pommes à cidres (plutôt des variétés de pommes riches en polyphénols) et de Calvados sélectionnés et vieillis en fûts de chêne. Le vieillissement optimal est de 3 ans en fûts de chêne (minimum 14 mois selon la Loi) pour apporter au Pommeau sa structure, sa longueur en bouche, sa richesse aromatique, son fondu, son équilibre des saveurs et sa couleur soutenue.

Sa couleur est ambre rouge tuilée. Au nez on sent un parfum de pommes cuites et très vite la présence de Calvados. A palais se dégage des arômes de Sucre d’orge avec des accents de fruits mûrs et de pruneaux presque confits.

Enfin la Fine V.S. Père Magloire a été spécialement relookée pour les fêtes de fin d'année en édition limitée.

Je précise enfin que les photos logotypées 750g sont de Sylvain Bertrand et je remercie Hélène pour les siennes.

dimanche 20 décembre 2015

Amelia de Kimberly Mc Creight au Cherche Midi

J'ai tout de suite trouvé un air de famille entre la couverture d'Amelia et l'affiche de Despues de Lucia. Ce film que j'avais découvert dans le cadre du festival Paysages de cinéastes il y a quelques années avait été un vrai choc. Il abordait le harcèlement scolaire de manière remarquable et avait suscité le débat.

Il y a une logique : Amelia traite du même sujet. Et je me souviens aussi d'un livre que je n'avais pas pu oublier depuis huit ans tant il était lui aussi impressionnant,  Je suis morte et je n'ai rien appris de Solenn Colleter chez Albin Michel.

A la différence des deux premiers qui concernent des lycéennes, ce dernier avait pour cadre l'université, les grandes écoles, et les pratiques de bizutage, un univers que je ne souhaitais alors pas du tout pour ma fille.
À New York, Kate élève seule sa fille de 15 ans, Amelia. En dépit d'un rythme professionnel soutenu, elle parvient à être à l'écoute de cette adolescente intelligente et responsable, ouverte et bien dans sa peau. Très proches, elles n'ont pas de secrets l'une pour l'autre. C'est en tout cas ce que croit Kate, jusqu'à ce matin d'octobre où l'école lui demande de venir de toute urgence. Lorsqu'elle arrive, Kate se retrouve face à une cohorte d'ambulances et de voitures de police. On lui annonce qu'Amelia a sauté du toit de l'établissement. Kate ne reverra plus jamais sa fille vivante. 
Pourquoi une jeune fille en apparence si épanouie aurait-elle décidé de mettre fin à ses jours ? Rongée par le chagrin et la culpabilité, le désespoir et l'incompréhension, Kate tente d'accepter l'inacceptable... jusqu'à un SMS anonyme qui remet tout en question : "Amelia n'a pas sauté." 
Obsédée par cette révélation, Kate va scruter les SMS, les mails d'Amelia, ce qui a été publié sur les réseaux sociaux. Elle va tenter de reconstruire la vie de sa fille afin de comprendre qui elle était vraiment et ce qui l'a poussée à monter sur le toit ce jour-là.  Elle va aussi revenir sur son propre passé, comme si l'un pouvait expliquer l'autre.
La réalité qui l'attend constituera un second choc et le lecteur se trouve vite partagé entre la mère et la fille. Kimberly McCreight a en effet adopté un canevas qui donne les points de vue de tous les protagonistes. Nous menons donc nous aussi l'enquête, mais avec des éléments supplémentaires puisque nous avons accès au journal intime d'Amelia que la mère ne peut pas lire. Egalement avec le journal intime de la mère qui remonte des années en arrière.

Bien entendu, en parfaite maitresse du jeu, l'auteure brouille les pistes et nous égare dans un compte à rebours d'une tragédie dont on connait très vite l'issue. Il apparait vite que la culpabilité ressentie par Kate n'est pas si justifiée qu'on a pu le croire. Ce qui importe c'est comment une chose aussi horrible que la mort d'une adolescente peut arriver sans qu'on ne remarque les signaux de détresse.

Faut-il se résigner en admettant qu'Amelia était si parfaitement têtue ?

Faut-il accepter que rien n'aurait pu éviter le drame ? Même pas le médecin de l'établissement, le docteur Lipton qui sait tout et tente d'encourager Amelia à cracher le morceau. Le harcèlement est interdit et est puni d'exclusion. Il suffirait de dire oui. Mais Amelia se dit forte. Elle assure (p. 393) ne pas se sentir acculée au suicide, non pas elle. On lui conseille malgré tout de se confier au moins à sa mère, mais elle craind de l'embrouiller, comme elle le dit elle-même.

Le lexique de Kimberly McCreight est évidemment riche d'expressions favorites employées par les jeunes. On ne comprend pas les échanges de SMS à la première lecture. Il faut souvent les lire à haute voix pour en saisir le sens. A ce propos il ne faudrait pas en conclure qu'on a perdu en qualité syntaxique. La communication redevient "normale" après 22 ans ... beaucoup d'études le prouvent.

Je me suis demandé si les patronymes étaient le fruit d'un hasard. J'ai trouvé qu'il y avait un certain humour à donner au proviseur celui de Woodhouse, à nommer Sylvia, Golde, qui colle tout à fait à la superficialité de son image. Les fringues étaient pour Sylvia ce que les bouquins étaient pour moi : la seule chose qui compte vraiment. (p. 40 ) Et Zadie Goodwin semble marquée par la chance.

Ce livre interroge sur l'amitié et sur la jalousie quand elle est poussée à son paroxysme. Amelia sportive vierge intello, a-t-elle eu raison de faire confiance  à Sylvia pute fashion victim ? Est-il raisonnable de se croire amies pour la vie depuis l'âge de cinq ans ? Y a-t-il des rencontres à ne pas faire ? Comme celle entre Amelia et Dylan même si la jeune fille pense à propos d'elle : Tu étais la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Tu le seras toujours.

Ce livre fouille la question de la vérité. Faut-il tout dire ? Existe-t-il, comme l'écrit l'auteure des secrets plus vilains que d'autres ? S'agissant de Kate ce serait de n'avoir pas couché avec la bonne personne. On pourrait faire la même remarque à propos d'Amelia. Connait-on vraiment nos enfants ? Une interrogation qui peut être élargie à tous ceux qu'on aime et dont on se croit proche.

Le lecteur échafaude des hypothèses. La fin sera surprenante, et c'est une des forces du roman d'entretenir le suspense. Le livre ouvre dans les toutes dernières pages sur une forme de résilience, respectant ainsi le voeu d'Amelia que sa mère soit heureuse ...

Enfin le roman aborde un sujet tabou, celui du harcèlement, sur lequel on commence à lever le voile dans les établissements scolaires français. J'ignore ce qu'il en est exactement aux USA. Dans le roman on peut lire que les clubs étaient une idée stupide, avec tous leurs secrets débiles et leur bizutage à la con, et qu'il ont été interdits en 1980 après la mort brutale d'un jeune dans le lycée, mais réintroduits il y a deux ans, et conservés pour des raisons obscures.

J'ai appris un terme que je ne connaissais pas, celui de sororité pour désigner ces clubs, soit disant fraternels, qui composent des réseaux diaboliques. En France, en tout cas, s'ils se livrent à des opérations de bizutage ils feront l'objet de sanctions disciplinaires. De tels faits sont interdits et punis par la loi depuis 1998. Il est même obligatoire d'inscrire clairement dans le règlement intérieur d'une (grande) école qu'ils sont passibles de "six mois d’emprisonnement, 7 500 euros d’amende, une inscription au casier judiciaire et un renvoi de l’établissement". On peut espérer que ce soit dissuasif.

Car, et le livre en fait la parfaite démonstration, ce sont tout de même les adultes les premiers coupables, soit par aveuglement, soit par complaisance, lâcheté, voire sadisme. Il s'agit de bien autre chose que d'un malaise consécutif à l'adolescence. On se surprend souvent à s'indigner sur le laxisme des parents, surtout de ceux de ces Magpies livrées à elles-mêmes et dont les tenues vestimentaires devraient alerter.

Kimberly McCreight vit à Brooklyn avec son mari et ses deux enfants.Amelia est son premier roman traduit en France. On peut croire qu'une adaptation cinématographique sera bientôt engagée puisque Nicole Kidman vient d'en acquérir les droits.

Il y aura sans doute un travail à accomplir pour rendre l'ouvrage "cinématographique". J'espère à cette occasion que des personnages secondaires (mais dont le rôle est essentiel) seront davantage aboutis que dans le roman. Comme les motivations du mystérieux rédacteur du blog gRaCeFULLY à propos duquel l'auteur nous laisse sur notre faim puisqu'il (ou elle) n'est pas sanctionné (e).

Et sans doute de donner un éclairage plus évident sur l'identité de la personne qui a écrit pardon sur le mur du toit.

Amelia de Kimberly McCreight, traduit par Élodie Leplat, Le Cherche Midi, en librairie depuis le 27 août 2015
Livre chroniqué dans le cadre du Prix 2016 des lecteurs d'Antony
En compétition dans la catégorie Romans étrangers avec Miniaturiste de Jessie Burton, Daroussia la douce de Maria Matios, Intérieur nuit de Marisha Pessl, et Encore de Hakan Günday.

samedi 19 décembre 2015

Caprice des Dieux fêtera bientôt ses soixante ans

Revendiquer être un amour de fromage amène forcément une marque à adopter une communication qui soit cohérente. Caprice des Dieux assume parfaitement ce positionnement en réalisant concrètement les souhaits de ses fans à l'occasion de jeux-concours qui animent sa page facebook.

Elle s'adresse régulièrement à un institut de sondage pour interroger les français en matière de sentiments. Ce fut le cas pour la fête des mères. En décembre elle a fait le point dans le domaine des relations amoureuses avec Ipsos.

Quand ils sont amoureux, ce n'est pas l'amour fou mais ils se disent plutôt satisfaits à plus de 70%. On peut toujours s'interroger sur la sincérité des réponses. C'est un grand débat. Est-ce que, même inconsciemment, on n'aurait pas tendance à gonfler un peu les plumes ?

J'ai été surprise qu'un tiers des personnes interrogées déclarent n'avoir jamais connu de coup de foudre. Deux personnes sur trois seraient incapables de tout quitter par amour. Serions-nous devenus rationnels ?

Vous en jugerez à travers les résultats que je détaille dans les lignes qui suivent, avant de revenir sur la success story sans faille de la marque. Avec en bonus le film-culte du téléphérique, toujours amusant même trente ans plus tard.

L'amour fou est-il une vue de l'esprit ?
On en doute quand on sait que les rêves se cristallisent sur des figures légendaires comme Alain Delon et Romy Schneider, suivis de près par le couple monégasque Grace Kelly et Rainier III puis par Marylin Monroe et le président Kennedy. Que des couples qui se sont déchirés !

On sera soulagé d'apprendre malgré tout que les modèles à suivre seraient plutôt Michelle et Barack Obama ou Céline Dion et René Angelil. C'est une des limites d'une telle étude puisqu'on ne peut pas répondre à un sondage en citant ses voisins de palier. Il faut rentrer dans les cases proposées.

Les Français privilégient la qualité à la quantité : en moyenne, ils ont connu moins de deux grandes histoires d’amour, et ce chiffre évolue peu au fil de la vie, de 1,3 avant 25 ans à 2,1 après 70 ans. Si les histoires s’enchainent et connaissent des hauts et des bas, au final, celles qui restent en mémoire sont plutôt rares. Ceux qui vivent seuls semblent s'accommoder de leur situation, même s'ils ne l'ont pas choisie ... peut-être parce qu'ils ne la vivent pas comme un état définitif.

Le sentiment amoureux va et vient au fil des années : passé 70 ans, 38% déclarent ne pas être amoureux. Et contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, ce chiffre atteint 35% chez les moins de 25 ans. Les plus jeunes ne sont donc pas si enviables, à moins que cela ne signifie combien vivre un sentiment partagé n'est pas si facile.

Le pic de l'état amoureux culmine pour la tranche des 25-34 ans. C'est peu pour toute une vie. La passion n'est l’apanage d’une poignée de chanceux...  ou de très malheureux.

Les Français admettent pouvoir faire des rencontres plus facilement (68%) qu’à l’époque de leurs parents. En revanche, pour la grande majorité, il semble plus difficile d’avoir des relations amoureuses durables (69%). Par ordre décroissant de probabilité estimée par les personnes interrogées on va rencontrer son âme soeur par des amis, sur les bancs de la fac, en soirée festive / boîte de nuit puis dans le cadre du travail. Les loisirs ne comptent que pour 20%, le hasard 15% et contrairement à ce que l'on supposerait ils ne seraient que 13% à avoir employé avec succès un site de rencontre. La proportion double cependant si on se focalise les 25-34 ans, ce qui traduit tout de même un net changement de comportement.

Si rester proche de ses amis semble donc être la meilleure tactique il ne faudrait pas négliger les opportunités d'un speed dating. On ne reparle après les fêtes de fin d'années !

Pour ce qui est du premier pas, on reste classique en laissant l'initiative aux hommes dans 68% des histoires. Que ce soit en engageant la conversation à l’improviste ou boire un verre. Les moins de 35 ans emploient des méthodes plus modernes : près d’un tiers d’entre eux avouent se protéger derrière leur écran d’ordinateur ou leur téléphone pour draguer par SMS ou par emails.

On oublie vite d'entretenir la relation. La moitié des personnes interrogées a omis d’envoyer un SMS tendre à son/sa chéri(e) au cours de la dernière semaine. Disons que c'est un peu tout ou rien. Et les femmes surtout regrettent une absence de romantisme chez leurs partenaires qu'elles jugent insuffisamment proactifs et trop égoïstes, alors que les hommes ne font pas ce type de reproches aux femmes. A bon entendeur ... car tous saluent la capacité de l'autre à créer la surprise.
Réussir sa vie de couple passe très largement par la confiance, la complicité et la fidélité. La passion ne compte que pour 5% et la disponibilité ne semble pas être un facteur déterminant. L’argent ne serait pas source de conflit au sein d’un couple. 72% des femmes affirment que leur conjoint gagne plus qu’elle : un peu plus pour 39% et même beaucoup plus pour 33%. L’inverse est moins fréquent, mais ce décalage de revenus est toujours vécu de manière positive, que ce soit par les hommes comme par les femmes.

En couple les Français aiment faire l'amour (logique) autant que voyager. Si partager un bon dîner demeure fondamental pour 45% ils ne sont que 7% à aimer cuisiner ensemble. Il y a encore une marge de progression très sensible.

L'immense majorité estime qu'il faut savoir réserver du temps pour soi, ce qui tord le cou à l'image du couple fusionnel. On croit à l'amitié entre hommes et femmes mais plus de la moitié des Français (57%) se reconnaissent jaloux et avouent des comportements peu louables : 31% lisent au moins de temps en temps les SMS de leur conjoint, 27% lisent régulièrement ses emails, 21% vérifient ses allées et venues et 18% vont même jusqu’à fouiller ses poches ou son sac.

Vous remarquerez que nous en sommes pas à un paradoxe près. On fait confiance mais ... espionner le portable de son conjoint est une activité pratiquée par 59% des 25-34 ans. L'étude ne dit rien sur les conséquences. Est-ce que cette manie est rassurante ou entretient-elle le soupçon ?

Il semblerait que la vie à deux soit sensiblement plus agréable que la solitude. Le slogan de la marque fromagère a encore du potentiel. Petit ou grand le Caprice reste béni des dieux !
Une success story sans faille
Tout a commencé le 21 juin 1956 dans une laiterie familiale d'un village de Haute-Marne dirigée par Jean-Noël Bongrain. Depuis plusieurs années il rêve d’apporter quelque chose de réellement neuf dans le paysage fromager français pourtant riche.

C'est le cas visuellement avec une forme oblongue évoquant un calisson et qui tranche dans un univers globalement géométrisé par les fromages carrés, ronds ou rectangulaires. De même avec la couleur de la boîte d’un bleu vif inédit, synonyme de fraîcheur.

Fabriquée simplement avec du lait, de la crème fraîche, une pincée de sel, et quelques ferments lactiques sa création s’inspire d’une recette monastique traditionnelle (d’où son nom…). Elle se distingue à la dégustation par sa peau fine, blanche et satinée, sa pâte onctueuse et crémeuse à souhait, son coeur pur, fondant et 100% gourmand. La recette restera unique.

En parfait communicateur il lance sur les routes de France une flotte de camions de livraison aux couleurs de Caprice des Dieux dès 1959. Sa première campagne publicitaire délivrera à la radio le message jamais démenti d'Un amour de fromage.

Il fera une entrée remarquée en 1963 au rayon Fromages du premier hypermarché ouvert en France, à Sainte-Geneviève des Bois, sous l’enseigne Carrefour.

L'année suivante les deux anges apparaissent sur la boîte, en remplacement des dieux mythologiques Zeus et Poséïdon qui illustraient l’emballage originel.

C'est encore la première marque à inscrire au dos de ses boîtes une date limite d'utilisation optimale (DLUO), l'année 1971.

Les plus grands réalisateurs rivalisent sur les chaines hertziennes au cours des années 80. Certains sports sont devenus culte, en particulier pour des chaussures, des collants et des voitures. Patrice Leconte en tournera plusieurs pour Caprice des Dieux. Le téléphérique de Chamrousse servit de décor naturel à l'un d'entre eux, assez mythique. Vous souvenez-vous ? Je l'ai retrouvé pour vous l'offrir un peu plus bas.
Les innovations suivirent : Mini-Caprice en 1988, Caprice des Anges en 2001, En Cas de Caprice en 2009, et on nous en promet de nouvelles pour janvier 2016.

Le caprice dure ... depuis 60 ans. 15 000 tonnes ont été dégustées en 2015 aux 4 coins du monde dans plus de 150 pays. Et la saga n'a donc pas fini de nous étonner.

Sans prétendre être dans le secret des dieux je sais qu'une initiative originale réaffirmera les engagements de la marque côté développement durable. Elle sera dévoilée le 23 janvier prochain. D’entrée de jeu le ton sera donné sur un mode événementiel avec ce jour-là, la rediffusion sur TF1 de 2 films cultes de la saga publicitaire, indissociables de l’image de la marque :
- "Le Téléphérique", réalisé en 1986 par Patrice Leconte
- "Le Grand Concours d’Autruches", sorti en 1988 avec Gérard Jugnot derrière la caméra, avec la même musique que le précédent.


Pub Caprice des Dieux 1987 par odilederey

En cohérence avec l'étude menée par Ipsos le concept "À deux, c’est mieux !" sera décliné tout au long de l'année à partir de la Saint-valentin.

Une affirmation d'éco-responsabilité
La marque l'est par nature en appliquant depuis 1956 les règles de ce que l’on nomme aujourd’hui "développement durable", un sujet qui est au coeur des préoccupations actuelles de nos concitoyens.
1. Le lait frais est collecté à moins de 70 km du site de production, exclusivement au sein du bassin  laitier de Haute-Marne. Les 2/3 de la collecte se font même désormais dans un rayon de 50 km, réduisant plus encore l’empreinte carbone.
2. La fabrication est 100% française.
3. La recette ne comprend que des ingrédients simples et naturels : lait, crème fraîche, sel, ferments lactiques naturels.
4. Ce sont des produits nutritionnellement sains et équilibrés, qui sont sources de calcium, de vitamines, de minéraux.
5. Les 3 fromageries (Illoud en Haute-Marne, Grièges dans l'Ain, Cornillé-les-Caves en Maine-et-Loire) qui fabriquent les produits de la gamme bénéficient des certifications internationales Iso 22000 (relative à la sécurité des denrées alimentaires) et Iso 9001 (relative à la qualité du processus de fabrication).
6. Près de 1000 analyses et contrôles sont effectués chaque jour, depuis la collecte du lait jusqu’à l’expédition des fromages en passant par toutes les étapes de la fabrication (moulage, égouttage, salage, affinage).
7. Tous les emballages de la gamme sont 100% recyclables, qu’il s’agisse de la boîte ou de la fine feuille de protection entourant chaque fromage.
8. En 2011, l’engagement de Caprice des Dieux a pris une dimension supplémentaire avec la mise en place d’une Charte des Bonnes Pratiques d'Elevage, suivi d’un programme "Approvisionnements laitiers responsables" au côté de fermes partenaires. L’objectif est double: protéger mieux encore les sols et la biodiversité ; limiter plus encore l'empreinte carbone des exploitations en favorisant la production in situ de l’alimentation des vaches.

Parallèlement, l’outil industriel a suivi le même mouvement. En 2012, la fromagerie d’Illoud a ainsi initié des modes de production qui vont clairement dans le sens d’un plus grand respect de l’environnement, en privilégiant notamment les énergies propres avec le retour à la vapeur avec la mise en route d’une chaudière à bois, et l'installation de compteurs électriques pour mieux gérer la production d’eau glacée. D'autres actions technologiques complètent le dispositif.
Je précise que cet article n'est pas sponsorisé.

vendredi 18 décembre 2015

L'enfer de Church Street de Jake Hinkson, chez Gallmeister

Le polar n'est pas ma tasse de thé. Mais je n'ai pas perdu une goutte de celui là. Noir de chez noir. Tout y est sombre. Il n'y a pas une touche de couleur. Même le sang jaillit à flots ébène. Et pourtant ce livre est un bijou d'humour ... noir évidemment. Mais tellement brillant.

Jake Hinkson nous entraine sur un territoire qu'il connait très bien pour y avoir grandi, l’Arkansas. Né en 1975, il a écrit lui-même ses éléments biographiques en prenant du recul sur son éducation stricte et religieuse :
Mon père était charpentier et diacre dans une église évangélique, ma mère secrétaire dans une église. J’ai deux frères. Le grand est devenu pasteur. Le petit enseigne l’histoire. Nous avons grandi dans une famille stricte, baptiste, du Sud des États-Unis. À l’époque, je ne considérais ni ma famille ni moi-même comme des gens religieux. C’était simplement la vie telle que je la connaissais. Nous allions à l’Église trois fois par semaine.


L’été de mes quatorze ans, nous sommes partis dans les monts Ozark nous installer dans un camp religieux géré par mon oncle et ma tante, des missionnaires. Ma famille s’est entassée dans un petit chalet et j’ai passé l’année de ma seconde à dormir sur le canapé. Le camp organisait des réunions pour le renouveau de la foi et d’autres ateliers pour les jeunes. J’ai participé à un camp de travail pour les garçons, ce qui était aussi amusant que ça en a l’air. On y alterne travail en extérieur (défrichage, cimentage) et étude intensive de la Bible.


À cette époque,  j’ai commencé à lire des romans policiers que je sélectionnais à la bibliothèque. Mickey Spillane ... Hammett et Chandler ... Jim Thompson par son film loué en secret La Mort sera si douce, en pensant qu’il s’agissait là d’un porno soft.


À l’université, j’ai découvert O’Connor et Faulkner, Dickinson et Baldwin, mais toutes ces œuvres ramenaient aux notions de péché et de rédemption, de transgression et de ruine, qui ont constitué mon enfance. Durant ma première année de fac, j’ai traversé une crise religieuse. Malheureux au sein de l’Église baptiste du Sud, conservatrice, mais réticent à l’idée d’assumer mon scepticisme, je me suis enfoncé plus encore dans la croyance et ai rejoint l’Église pentecôtiste ultra orthodoxe. J’ai alors épousé la fille d’un pasteur pentecôtiste. Quatre ans plus tard, lessivé par les services charismatiques j’ai abandonné complètement l’Église.
Jake Hinkson a repris ses études, trouvé un petit boulot dans une vieille librairie de Little Rock, puis intégré un master de création littéraire et a découvert ... l’alcool. Il est devenu enseignant et habite désormais à Chicago avec sa femme Heather Brown, et leur chat Little Edie Beale qui, parait-il le regarde écrire. Bien entendu il reste obsédé par la religion et le crime.

L’Enfer de Church Street est un hommage non déguisé à Jim Thompson dont il partage la vision du monde et l’humour noir. Le livre est sorti il y a trois ans aux Etats-Unis mais c'est son premier roman traduit en France, en 2015. Il figure dans la collection Néo noir qui comprend six titres dont les frontières sont assez floues entre le bien et le mal.

Il démarre comme un roman policier classique, par un braquage sur un parking. La première partie se limite à un seul chapitre. C'est vite lu mais le lecteur est déjà ferré. La tournure devient vite psychologique, et on se retrouve pris à l'hameçon comme l'église évangéliste excellait à le faire avec ses ouailles.

Geoffrey Webb propose de transformer une agression qui tourne mal en un deal gagnant-gagnant. (p. 18). J'ai été surprise par la citation de Paul Valéry en exergue, parce que c'est un auteur français, un peu moins de découvrir sa reprise de la parole de Shakespeare je suis une ombre en marche. Tolstoï surgit plus loin en toute logique. (p. 152)

De fait Hamlet serait un enfant de choeur comparativement à son "héros". Et on comprend vite son besoin de confession contre trois mille dollars. Il a commis tant de crimes que les cinq heures de voiture jusqu’à Little Rock, en Arkansas ne seront pas de trop. Cela fait des années que Geoffrey n'a pas eu une vraie conversation. Il aimerait bien expulser, vomir l´histoire de sa vie avant de mourir et d'aller probablement en enfer.

La providence, appelons le hasard ainsi place un truand sur son chemin. Voilà le mécréant kidnappé, et nous avec, parce que on ne va pas refermer le livre avant d'avoir entendu sa version des faits.

Il démontre que la religion est une escroquerie (p. 28) qui se base sur un principe fondamental. La plupart des gens veulent seulement que vous leur disiez ce qu'ils ont envie d'entendre.

On pourrait étendre cette vérité à la politique et c'est en cela que ce roman peut faire froid dans le dos, quand on le lit au troisième degré.

Toute ma vie a été une longue série de mensonges embrouillés pour me faire paraitre meilleur que ce que je suis. (...) La distinction entre vérité et mensonge a disparu depuis longtemps. (p. 44) Curieusement un tel aveu incline le lecteur à une sorte de compassion. De la même façon que la succession de marchés qu'on lui met entre les mains semble accabler davantage son entourage que lui-même. On finira par le voir comme une victime.

Le narrateur est un filou qui excelle en rhétorique à coups de "peut-être". S'il y a un dieu, je suppose que ce genre de choses doit faire partie de sa nature et de son grand dessein. S'il n'y a pas de dieu, alors ce genre de méchanceté est simplement une facette de la psyché humaine. (p. 92) Commode de se libérer ainsi de la culpabilité ! Au pire (ou au mieux, tout dépend du point de vue où on se place) notre filou se sentait "mal". (p. 108)

A la conclusion tous coupable assénée par Bourvil à la fin du Cercle rouge, de Jean-Pierre Melville (1970) Jake Hinkson oppose un autre corollaire : tout le monde aime quelqu'un. (p. 167)

Le débat mériterait d'être lancé sur la différence de conception entre un lecteur anglo-saxon maitrisant les codes évangélistes d'une société où il ne faisait pas bon être catholique et un lecteur européen ayant baigné dans une éducation judéo-chrétienne comme on désigne notre société (encore qu'on puisse s'interroger sur ce qui subsiste de ces repères depuis que la laïcité est brandie à tort et à travers comme un bouclier pour gommer toute référence y compris les plus basiquement culturelles comme la célébration de Noël).

On peut lire ce roman comme un "simple" polar. Son architecture fort bien échafaudée m'a fait penser à l'atmosphère si particulière des Ozarks que j'avais découverte dans Un hiver de glace. On peut aussi avoir envie d'aller plus loin sur l'étude du fait religieux en terme de conditionnement par rapport aux rêves de normalité et de vertu qui ont tant marqué l'Amérique.

L'enfer de Church Street de Jake Hinkson, traduit de l’américain par Sophie Aslanides, chez Gallmeister, en librairie depuis mars 2015
Livre chroniqué dans le cadre du Prix 2016 des lecteurs d'Antony
En compétition dans la catégorie Polars avec Prendre Lily de Marie Neuser, Les enfants de l'eau noire de Joe R. Lansdale, Obia de Colin Niel, L'enfer de Church Street de Jake Hinkson, et Les brillants de Marcus Sakey.

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