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dimanche 20 décembre 2015

Amelia de Kimberly Mc Creight au Cherche Midi

J'ai tout de suite trouvé un air de famille entre la couverture d'Amelia et l'affiche de Despues de Lucia. Ce film que j'avais découvert dans le cadre du festival Paysages de cinéastes il y a quelques années avait été un vrai choc. Il abordait le harcèlement scolaire de manière remarquable et avait suscité le débat.

Il y a une logique : Amelia traite du même sujet. Et je me souviens aussi d'un livre que je n'avais pas pu oublier depuis huit ans tant il était lui aussi impressionnant,  Je suis morte et je n'ai rien appris de Solenn Colleter chez Albin Michel.

A la différence des deux premiers qui concernent des lycéennes, ce dernier avait pour cadre l'université, les grandes écoles, et les pratiques de bizutage, un univers que je ne souhaitais alors pas du tout pour ma fille.
À New York, Kate élève seule sa fille de 15 ans, Amelia. En dépit d'un rythme professionnel soutenu, elle parvient à être à l'écoute de cette adolescente intelligente et responsable, ouverte et bien dans sa peau. Très proches, elles n'ont pas de secrets l'une pour l'autre. C'est en tout cas ce que croit Kate, jusqu'à ce matin d'octobre où l'école lui demande de venir de toute urgence. Lorsqu'elle arrive, Kate se retrouve face à une cohorte d'ambulances et de voitures de police. On lui annonce qu'Amelia a sauté du toit de l'établissement. Kate ne reverra plus jamais sa fille vivante. 
Pourquoi une jeune fille en apparence si épanouie aurait-elle décidé de mettre fin à ses jours ? Rongée par le chagrin et la culpabilité, le désespoir et l'incompréhension, Kate tente d'accepter l'inacceptable... jusqu'à un SMS anonyme qui remet tout en question : "Amelia n'a pas sauté." 
Obsédée par cette révélation, Kate va scruter les SMS, les mails d'Amelia, ce qui a été publié sur les réseaux sociaux. Elle va tenter de reconstruire la vie de sa fille afin de comprendre qui elle était vraiment et ce qui l'a poussée à monter sur le toit ce jour-là.  Elle va aussi revenir sur son propre passé, comme si l'un pouvait expliquer l'autre.
La réalité qui l'attend constituera un second choc et le lecteur se trouve vite partagé entre la mère et la fille. Kimberly McCreight a en effet adopté un canevas qui donne les points de vue de tous les protagonistes. Nous menons donc nous aussi l'enquête, mais avec des éléments supplémentaires puisque nous avons accès au journal intime d'Amelia que la mère ne peut pas lire. Egalement avec le journal intime de la mère qui remonte des années en arrière.

Bien entendu, en parfaite maitresse du jeu, l'auteure brouille les pistes et nous égare dans un compte à rebours d'une tragédie dont on connait très vite l'issue. Il apparait vite que la culpabilité ressentie par Kate n'est pas si justifiée qu'on a pu le croire. Ce qui importe c'est comment une chose aussi horrible que la mort d'une adolescente peut arriver sans qu'on ne remarque les signaux de détresse.

Faut-il se résigner en admettant qu'Amelia était si parfaitement têtue ?

Faut-il accepter que rien n'aurait pu éviter le drame ? Même pas le médecin de l'établissement, le docteur Lipton qui sait tout et tente d'encourager Amelia à cracher le morceau. Le harcèlement est interdit et est puni d'exclusion. Il suffirait de dire oui. Mais Amelia se dit forte. Elle assure (p. 393) ne pas se sentir acculée au suicide, non pas elle. On lui conseille malgré tout de se confier au moins à sa mère, mais elle craind de l'embrouiller, comme elle le dit elle-même.

Le lexique de Kimberly McCreight est évidemment riche d'expressions favorites employées par les jeunes. On ne comprend pas les échanges de SMS à la première lecture. Il faut souvent les lire à haute voix pour en saisir le sens. A ce propos il ne faudrait pas en conclure qu'on a perdu en qualité syntaxique. La communication redevient "normale" après 22 ans ... beaucoup d'études le prouvent.

Je me suis demandé si les patronymes étaient le fruit d'un hasard. J'ai trouvé qu'il y avait un certain humour à donner au proviseur celui de Woodhouse, à nommer Sylvia, Golde, qui colle tout à fait à la superficialité de son image. Les fringues étaient pour Sylvia ce que les bouquins étaient pour moi : la seule chose qui compte vraiment. (p. 40 ) Et Zadie Goodwin semble marquée par la chance.

Ce livre interroge sur l'amitié et sur la jalousie quand elle est poussée à son paroxysme. Amelia sportive vierge intello, a-t-elle eu raison de faire confiance  à Sylvia pute fashion victim ? Est-il raisonnable de se croire amies pour la vie depuis l'âge de cinq ans ? Y a-t-il des rencontres à ne pas faire ? Comme celle entre Amelia et Dylan même si la jeune fille pense à propos d'elle : Tu étais la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Tu le seras toujours.

Ce livre fouille la question de la vérité. Faut-il tout dire ? Existe-t-il, comme l'écrit l'auteure des secrets plus vilains que d'autres ? S'agissant de Kate ce serait de n'avoir pas couché avec la bonne personne. On pourrait faire la même remarque à propos d'Amelia. Connait-on vraiment nos enfants ? Une interrogation qui peut être élargie à tous ceux qu'on aime et dont on se croit proche.

Le lecteur échafaude des hypothèses. La fin sera surprenante, et c'est une des forces du roman d'entretenir le suspense. Le livre ouvre dans les toutes dernières pages sur une forme de résilience, respectant ainsi le voeu d'Amelia que sa mère soit heureuse ...

Enfin le roman aborde un sujet tabou, celui du harcèlement, sur lequel on commence à lever le voile dans les établissements scolaires français. J'ignore ce qu'il en est exactement aux USA. Dans le roman on peut lire que les clubs étaient une idée stupide, avec tous leurs secrets débiles et leur bizutage à la con, et qu'il ont été interdits en 1980 après la mort brutale d'un jeune dans le lycée, mais réintroduits il y a deux ans, et conservés pour des raisons obscures.

J'ai appris un terme que je ne connaissais pas, celui de sororité pour désigner ces clubs, soit disant fraternels, qui composent des réseaux diaboliques. En France, en tout cas, s'ils se livrent à des opérations de bizutage ils feront l'objet de sanctions disciplinaires. De tels faits sont interdits et punis par la loi depuis 1998. Il est même obligatoire d'inscrire clairement dans le règlement intérieur d'une (grande) école qu'ils sont passibles de "six mois d’emprisonnement, 7 500 euros d’amende, une inscription au casier judiciaire et un renvoi de l’établissement". On peut espérer que ce soit dissuasif.

Car, et le livre en fait la parfaite démonstration, ce sont tout de même les adultes les premiers coupables, soit par aveuglement, soit par complaisance, lâcheté, voire sadisme. Il s'agit de bien autre chose que d'un malaise consécutif à l'adolescence. On se surprend souvent à s'indigner sur le laxisme des parents, surtout de ceux de ces Magpies livrées à elles-mêmes et dont les tenues vestimentaires devraient alerter.

Kimberly McCreight vit à Brooklyn avec son mari et ses deux enfants.Amelia est son premier roman traduit en France. On peut croire qu'une adaptation cinématographique sera bientôt engagée puisque Nicole Kidman vient d'en acquérir les droits.

Il y aura sans doute un travail à accomplir pour rendre l'ouvrage "cinématographique". J'espère à cette occasion que des personnages secondaires (mais dont le rôle est essentiel) seront davantage aboutis que dans le roman. Comme les motivations du mystérieux rédacteur du blog gRaCeFULLY à propos duquel l'auteur nous laisse sur notre faim puisqu'il (ou elle) n'est pas sanctionné (e).

Et sans doute de donner un éclairage plus évident sur l'identité de la personne qui a écrit pardon sur le mur du toit.

Amelia de Kimberly McCreight, traduit par Élodie Leplat, Le Cherche Midi, en librairie depuis le 27 août 2015
Livre chroniqué dans le cadre du Prix 2016 des lecteurs d'Antony
En compétition dans la catégorie Romans étrangers avec Miniaturiste de Jessie Burton, Daroussia la douce de Maria Matios, Intérieur nuit de Marisha Pessl, et Encore de Hakan Günday.

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