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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 29 juin 2021

Préparons Avignon 2021

J'avais en 2019 publié un article donnant mes choix pour les festivals d'Avignon, in comme off en indiquant quels spectacles je conseillais d'aller voir parmi ceux qui m'avaient déjà enthousiasmée et qui étaient programmés là-bas.

Cette année est spéciale, après une édition qui a été suspendue pour raison sanitaire, et les inquiétudes qu'on peut légitimement avoir face à l'arrivée d'un variant sur notre territoire. J'ai malgré tout prévu un planning très fourni. Comment faire autrement quand on remarque que le nombre de créations dans le off doit être voisin de 700 ? J'exclus de la liste des "Premières à Avignon" ceux qui se sont joués depuis un an en région parisienne, voire même qui ont été créé il y a trois ans, comme Toxique …

Voici les spectacles que j’ai déjà vus, pour la plupart à leur création, et que je recommande. Il va de soi qu’il est prudent de vérifier les dates et horaires qui sont susceptibles d’être modifiés pour cause sanitaire, sait-on jamais.

Ils sont rassemblé ici dans un ordre aléatoire et la liste n’est sans doute pas exhaustive. Je n’ai pas forcément tout repéré parmi le plus de millier de spectacles programmés au festival, et à l'heure où j'écris ce billet le programme papier n'est pas encore sorti.

Quand plusieurs se jouent dans le même lieu ils sont listés par horaire car à Avignon c’est un point crucial pour programmer un spectacle dans un planning serré. Vous pouvez suivre le lien hypertexte pour lire ce que j'écrivais à propos de chacun quand je les ai chroniqués sur le blog. Parfois ils l'ont été sur la page Facebook du blog pour des raisons d'efficacité et de rapidité, et alors plus brièvement. Je les ai tous appréciés, cela va de soi. Sinon, je ne vous les recommanderais pas.
S'agissant du in, je ne dis rien de définitif pour le moment car le bureau du festival ne répondra que le 1er juillet pour donner les possibilités. Mais j'espère voir La Cerisaie d'Anton Tchekov dans la mise en scène de Tiago Rodrigues, qui est d'ailleurs un des 4 derniers noms qui circulent pour prendre la suite d'Olivier Py. Je souhaiterais aussi pouvoir assister à Ceux-qui-vont-conre-le-vent de Nathalie Béasse, Mister Tambourine d'Eugène Dufis, mise en scène de Karelle Prugnaud, Le mur invisible de Marlen Haushofer, mise en scène Chloé Dabert, dans lequel joue Lola Lafon, Royan la professeure de français, de Marie NDiaye avec Nicole Garcia à Villeneuve les Avignon. Et puis l’exposition et le spectacle Outremonde de Théo Mercier, dont j’ai déjà apprécié le travail.

Je signale malgré tout les épisodes d'Hamlet à l'impératif, vu par Olivier Py et qui sont proposés gratuitement au public.

Quant au if, il n'aura tout simplement pas lieu cette année. Dommage mais dont acte.
Je ne donnerai pas dans ce billet la liste des spectacles que je vais voir dans le Off. Ce serait ridicule de publier une centaine de noms. Ce sera plus intéressant d'en dire quelques mots dès le lendemain. Mais on me verra à Théâtre actuel, au Chêne noir, aux Gémeaux, à La Luna, au Buffon, au Balcon, au 11, et aussi à Artéphile, aux Halles, au Transversal, au Roi René, aux Carmes, à la Condition des soies … entre autres. Et puis aussi un peu plus loin sur l'ile de la Barthelasse pour une journée entière avec Kabarouf parce que le cirque contemporain est essentiel lui aussi.

Voici donc les spectacles programmés dans le Off et que j’ai déjà vus, pour la plupart à leur création, et que je recommande. Il va de soi qu’il est prudent de vérifier les dates et horaires qui sont susceptibles d’être modifiés pour cause sanitaire, sait-on jamais.

Ils sont rassemblés ici dans un ordre aléatoire et la liste n’est sans doute pas exhaustive. Je n’ai pas forcément tout repéré parmi le plus de millier de spectacles programmés au festival. Pour un même théâtre ils sont classés par horaire car à Avignon c’est un point crucial pour programmer un spectacle dans un planning serré.

Attention certains sont annoncés comme des créations avec le label "Premières à Avignon" mais il induit en erreur. Beaucoup ont été joués pendant un an à Paris, voire même ont été créés il y a deux ou trois ans. Cette trentaine là sont des valeurs sûres. J'ai ajouté quelques avant-premières qui me semblent promettre de bonnes surprises, ou des confirmations de talent et que je viens d'apprécier. Ce sont de "vraies" créations.

👉Au Grand Pavois ⇒ Novecento : pianiste à 16 h 20

👉Au 11 • Avignon (en hors les murs au Lycée Mistral
⇒ Notre jeunesse, texte de Charles Péguy
Adaptation et interprétation de Jean-Baptiste Sastre

👉Au théâtre du Chêne noir  ⇒ La mégère apprivoisée de Shakespeare mais admirablement revu par Frédérique Lazarini à 12 heures

👉A l’Espace Roseau Teinturiers
⇒ St Clair Reine de Harlem à 17 h 45
⇒ La dame céleste et le diable délicat à 19 h 40 (avec Stéphane Cottin qui reprend le rôle masculin)

👉Au théâtre du Roi René
⇒ Adieu Monsieur Haffmann à 10 heures 
⇒ Pour le meilleur et pour le dire à 19 h 55, qui est une excellente comédie

👉Au théâtre Episcène 
⇒ Nos années parallèles à 15 h 30
⇒ Opérapiécé à 17 h 30 un spectacle musical qui dope le moral

👉A Artéphile
⇒  Désir à 15 heures, un de mes coups de coeur du FestivalOffestival parisien de juillet 2020

👉Au Théâtre des 3 Soleils
⇒ Gardiennes de et avec Fanny Cabon pour la troisième année à 13h25
⇒ L’histoire d’une femme de Pierre Notte à 15 h 25

👉Aux Corps Saints ⇒ Le Secret de Sherlock Holmes à 14 h 05

👉Aux Gémeaux
⇒ Des plans sur la comète de Tristan Petitgirard  à 12 h 20
⇒ Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson à 17 h 30

👉A La luna
⇒ Un coeur simple de Flaubert à 11 h 35
⇒ Une histoire vraie à 11 h 55 (spectacle annulé)
⇒ Cabaret Louise à 20 h 45

👉Au théâtre de l’Adresse ⇒ Un contrat de Tonino Benaquista à 19 h 15

👉Au Petit Chien ⇒ Sois un homme mon fils à 20 h 30

👉Au Théâtre des Lila’s ⇒ Toxique de Françoise Sagan à 12 h 30

👉Au Verbe fou  ⇒ la Petite valse viennoise à 18 h

👉A Théâtre actuel  ⇒ Le petit coiffeur de Jean-Philippe Daguerre 18 h 55 ou 21 H 15 selon les jours

👉Au Cabestan ⇒ Dieu est mort à 15 h 10

👉A la Petite Caserne
⇒ Tous mes rêves partent de la gare d'Austerlitz de Mohamed Kacimi à 19 h 30 

👉Au coin de la lune 
⇒ Françoise par Sagan à 11 h 35 avec la toujours formidable Caroline Loeb
⇒ Le petit Prince, le grand classique de Saint-Exupéry

👉A la Reine Blanche ⇒ L’ordre du jour d’Eric Vuillard, (Prix Goncourt 2017) avec Dominique Frot à 20 h 50

👉Au Théâtre Barretta 
⇒ Un cadeau particulier à 16 h 15

👉Aux Béliers ⇒ Venise n’est pas en Italie à 11 heures

👉Au Buffon ⇒ Augustin pirate des Indes à 10 h 05 conçu pour les enfants

👉Au Transversal ⇒ Une goutte d’eau dans un nuage à 19 h 15

Plusieurs des spectacles ci-dessus sont interprétés ou mis en scène par William Mesguich. Je vous invite à l'entendre dans un entretien que j'avais fait en plein confinement l'an dernier sur Needradio.

Je signale que j'ai été invitée à participer aux enregistrements D’Esprits Critiques, à la radio L’écho des planches/100.1- FM – Avignon (radio officielle du Festival, le samedi entre 13h00 et 14h30 au Musée Angladon d’Avignon… puis multi-diffusée sur la FM dès le dimanche suivant… (émissions prévues donc le 10, 17 et 23 juillet 2021)
Je chroniquerai le In et le off en revenant chaque jour sur les spectacles et évènements que j'aurai suivis. Chacun fera l'objet d'un billet spécifique. Plusieurs s'afficheront donc à la même date.

Je vous invite donc sur le blog, sur les ondes FM, et aussi chaque jour sur la page Facebook A bride abattue  que vous pouvez suivre après avoir cliqué sur "j'aime".

Bons festivals et bon été !

lundi 28 juin 2021

Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson

C'est le film Antoinette dans les Cévennes qui m'a appris que Robert Louis Stevenson avait traversé lz région avec un âne. J'ai compris que la performance était connue de ceux qui pratiquent l'éco-tourisme et j'ai eu envie de lire son retour d'expérience, intitulé Voyage avec un âne dans les Cévennes.

Ce livre n'est pas nouveau, évidemment, mais il aura été en quelque sorte remis sur le haut de la pile avec ce film et il fait l'objet d'une réédition par les éditons De Borée en mai 2021. 

Publié pour la première fois en 1879, ce récit retrace les péripéties d'un voyage de treize jours en septembre-octobre que Stevenson, alors jeune homme de 28 ans et hippie avant l'heure, fit dans les Cévennes l'année précédente. 

Ce n'était d'ailleurs pas un âne mais une ânesse, "pas beaucoup plus grosse qu'un chien," écrira-t-il (p. 14). Elle s'appelait Modestineet ne fut pas commode à faire avancer. L'ouvrage avait été abondamment commenté, mais jamais illustré de documents d’époque, et cela faisait vraiment défaut à cette aventure.

Nous avons la chance d'avoir entre les mains le texte original  illustré par plus de 200 documents d’époque et des photos intemporelles d’artiste qui sont chacune longuement légendées. Pertinent et réaliste, le choix qui a été opéré offre une lecture visuelle de ce chemin.

Une carte, à la fin du livre, permet de situer chaque étape de ce chemin de randonnée célèbre et très fréquenté, parcouru par des marcheurs parfois accompagnés d’un âne de bât, comme le fit StevensonEn parcourant ce chemin, on se replonge dans l’ambiance des lieux que le romancier a pu découvrir et où il ne remit jamais les pieds.

Il raconte ses pérégrinations avec force de détails. Le séjour ne fut pas de tout repos. Il connut les grandes chaleurs et des froids importants. J'encourage quiconque souhaite marcher dans ses pas de lire attentivement son récit. Bien entendu, on ne fera pas les mêmes rencontres. Il n'y a plus de dentelières dans le Velay et je ne pense pas qu'on continue à pratiquer la sériciculture (p. 160). Mais  les monuments eux, sont restés. Et il est intéressant de les connaitre même si, comme Stevenson vous ne voyagerez que pour le plaisir de voyager (p. 65).

Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson, éditions CF - De Borée, Avril 2021

dimanche 27 juin 2021

Élémentaire de et par Sébastien Bravard

Suite aux diverses programmations puis suspensions, je n'avais pas vu Elémentaire, qui était pourtant un spectacle qui avait retenu mon attention. Je suis heureuse d'avoir pu obtenir une place puis un siège (la gestion des places est très compliquée quand il faut laisser un siège libre entre les spectateurs solo ou en groupe).

On va commencer par un peu d’origami, annonce Sébastien Bravard alors que la salle est encore entièrement éclairée, si bien qu'on ne sait pas si le spectacle est commencé ou s'il nous impose un exercice préliminaire.

Tout le monde sait faire ajoute-t-il d'un ton rassurant. Le voilà qui se lance dans un pliage complexe. A la fin ça donnait quelque chose de joli, un marque-place avec son prénom écrit dessus. C'est ainsi qu'il avait démarré sa première journée d'enseignement avec 27 élèves de CM1.

Sébastien est comédien, depuis longtemps. Mais un jour, après la vague d'attentats qui avait secoué notre pays, il s'est senti comme appelé par le désir presque puéril de vouloir être utile, de donner le goût de la curiosité, d’ouvrir des possibles. Ce fut le point de départ de sa seconde vocation, celle d'enseignant, qu'il partage avec le public au travers de ce spectacle qui est une sorte de "retour d'expérience".

Je le comprends. J'ai moi aussi cru qu'après avoir exercé plusieurs métiers, j'aurais la capacité d'allumer quelques étincelles là où ceux qui étaient passés de l'école (en tant qu'élèves) à l'école (en tant que profs) ne parvenaient plus à décoincer l'ascenseur social. Je supposais qu'avoir subi la réalité m'avait rendue meilleure. Aucune expérience n'est semblable à une autre et je ne vais pas comparer la mienne à la sienne.

Il a choisi de vivre au grand jour ses deux métiers en les faisant cohabiter. J'avais préféré étanchéiser ma double vie. Enseignante le jour, j'étais une autre le soir. Un mur me permettait de faire l'un et l'autre du mieux que je pouvais, en ne souffrant pas. Parce que l'Education nationale, au lieu d'être l'espace d'épanouissement où je pensais que je ferais les miracles pour lesquels on m'avait engagée, s'était vite révélée un carcan de maltraitance institutionnelle d'une violence qui s'exerçait envers tout le monde et sans logique. Je me suis interdit de traiter des questions ayant un lien avec mon métier sur le blog et je m'y suis tenue. J'ai quitté ce ministère et ma liberté de parole est entière. Je ne sais pas si je manque à l'Education nationale, mais l'Education nationale ne me manque pas. Pourtant, je suis toujours autant passionnée par la transmission et la pédagogie, mais rassurez-vous je ne vais pas vous poser ma question fétiche : savez-vous quelle est la différence entre chiffre et nombre ? Je vous perdrais …

J'ai beaucoup aimé Elémentaire parce que Sébastien Bravard y parle de théâtre. Certes, il n'occulte pas les soucis, les dilemmes et les aberrations du système, mais il revient sans cesse à ce qui est essentiel pour l'artiste qu'il demeure, et c'est ce qui est formidable. Il ne cherche pas à être critique. Il ne revendique rien de particulier. Il s'étonne.Il interroge.Il partage. Il comprend, dans le sens premier du verbe, à savoir "prendre avec".

samedi 26 juin 2021

Les deux Alfred de Bruno Podalydès

Je n'avais pas prévu de voir ce film-là. Et très franchement ce n'est pas le ridicule de l'affiche qui m'aurait décidée. Je me suis simplement trompée d'horaire, et de salle. Après quelques secondes de doute, croyant avoir affaire à une bande annonce (puisque je venais voir un film américain en VO) j'ai failli partir mais le comique de situation et l'intelligence de l'interprétation m'ont poussée à rester.

Bien m'en a pris puisque j'ai passé un moment formidable. J'ai beaucoup ri et … je vous encourage à faire de même.

Des deux frères Podalydès c'est Bruno le réalisateur, Denis le comédien. Mais pour Les deux Alfred ils sont tous les deux comédiens.
En résumé, Alexandre (Denis P.), chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème: The Box, la start-up très friendly qui veut l'embaucher à l'essai a pour dogme : "Pas d'enfant!", et Séverine (Sandrine Kimberlain), sa future supérieure, est une "tueuse" au caractère éruptif. Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... La rencontre avec Arcimboldo (Bruno P.), "entrepreneur de lui-même" et roi des petits boulots sur applis, aidera-t-elle cet homme vaillant et déboussolé à surmonter tous ces défis ?
On se souvient de Gérard Jugnot dans Une époque formidable (1991), du bouleversant Moi, Daniel Blake de Ken Loach (2016), de La loi du marché de Stéphane Brizé (2015) … et tant d'autres y compris le récent Effacer l'historique dans lequel jouait déjà Denis. Chacun était poignant à sa façon. Les 2 Alfred dénonce lui aussi l'humanité mais il le fait avec tendresse et humour si bien qu'on en ressort en se disant que tout n'est peut-être pas perdu.

Je voulais placer la bande-annonce mais, sans être mauvaise ou infidèle au film elle n'en a pas la saveur. Tout est dans le rythme, et dans le dosage du surréalisme. On se demande en permanence quand les choses vont vraiment dérailler, et surtout si on est dans une pure fiction ou déjà dans le cauchemar que deviendra la réalité … demain. C'est que, comme le dit le réalisateur : J'aimais bien l'idée qu'on faisait un film d'anticipation de 5 ans et finalement ça a été un film d'anticipation de 15 minutes.

Les 2 Alfred sont 2 petits singes mais un seul et même doudou. Quelle heureuse surprise ! Les 2 Alfred est un bijou de cinéma. On devrait dire les 2 Podalydès et Cie car il s'agit, je crois, de leur 8ème ou 9ème collaboration. Un humour puissant sur la conciliation nécessaire entre la vie de famille et le monde du travail dans un monde moderne et ultraconnecté où la solidarité finit par triompher. Yann Frisch campe un patron 2.0 détonant. Certaines scènes sont puissamment cinglantes comme l'arrivée d'un coursier au bord de la crise cardiaque (et on pense à Ken Loach avec Sorry we missed you). La prouesse est que c'est toujours drôle et pas donneur de leçon même si'l nous interroge sans cesse sur nos dérives lexicales, managériales et sociétales. Oxygène garanti. Je n'avais pas autant ri depuis longtemps.

Les deux Alfred de Bruno Podalydès
Avec Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain, Bruno Podalydès, Yann Frisch, et la participation de Vanessa Paradis.
Les Deux Alfred fait partie des dix films ayant obtenu le label "Cannes 2020" à être présentés au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020.
Sur les écrans depuis le 16 juin 2021

vendredi 25 juin 2021

Mieux voir pour mieux vivre de Anne Lugon-Moulin

J'ai eu l'occasion de découvrir un livre absolument passionnant, de par son thème et sa manière de le traiter, Mieux voir pour mieux vivre qui a été publié aux éditions Favre.

Anne Lugon-Moulin s'est étonnée que l'ophtalmologiste prescrive systématiquement des lunettes aux verres correcteurs toujours plus forts parce que notre acuité visuelle a baissé. J'ai moi-même subi semblable souci car "trop ça peut être trop" et il est même arrivé que l'opticien soit contraint de revoir la correction à la baisse parce que mon cerveau ne suivait pas. Je signale d'ailleurs qu'un opticien (celui qui vend verres et lunettes) a toute latitude pour le faire.

Elle a aussi 
remarqué que plus on passe de temps devant des écrans, surtout quand ils sont très petits comme ceux des smartphones (alors que celui d'une salle de cinéma ne pose aucun souci) on voit flou lorsqu'on laisse nos yeux regarder au loin. Elle s'est aussi intéressée aux plus de 45 ans qui découvrent la presbytie.
A force de recherches et d'expériences basées sur les travaux du Dr Bates et d’autres praticiens, Anne Lugon-Moulin a élaboré une méthode d’amélioration naturelle de la vue. Ce livre en présente une sorte de synthèse, à laquelle s’ajoutent les observations et techniques développées par l’auteure elle-même. Elle sait l'ampleur du scepticisme d'une partie du corps médical à l'égard du Dr Bates (p. 30) et ne le nie pas.

Elle est prudente à ne pas affirmer que la voie qu'elle a choisie est unique. Néanmoins sa métaphore comparant l'oeil à un organe "corseté" par les lunettes est très intéressant, surtout s'agissant de verres progressifs qui n'offrent pas une très grande largeur de champ.

Les exercices s'inscrivent dans le bon sens. Ils sont réalisables sans grande organisation. Elle décrit comment les faire avec des mots simples. Parfois des codes QR permettent d’accéder à de brèves vidéo tournées sans fioriture et qui permettent de bien comprendre ce qu'il faut faire. Tout est très facile à comprendre, argumenté et je vais appliquer ses conseils … et en rendre compte ici ultérieurement avec honnêteté.

Anne Lugon-Moulin, myope, presbyte et astigmate (trois points communs avec moi), a vu son acuité visuelle se détériorer pour atteindre environ 3/100 à l’âge de 47 ans. Aujourd’hui, après avoir appliqué la méthode à elle-même son acuité visuelle est remontée à 50/100, tandis que sa presbytie et sa sécheresse oculaire ont totalement disparu.

Elle va presque jusqu'à promettre au lecteur de parvenir à se passer de lunettes. Mais elle est réaliste sur l'intérêt de cet objet qui protège de la pollution et d'incidents multiples, en particulier pour ceux qui ont une cornée sensible aux kératites (et c'est encore mon cas). Mais rien n'empêche de porter quand c'est nécessaire des lunettes avec des verres qui ne sont pas correcteurs. Et surtout elle souligne combien on ne prend pas le volant en laissant ses lunettes de vue à la maison.

Ce qu'elle dit de l'usage (abusif) des lunettes de soleil est là encore très intéressant. Son ouvrage est autant destiné aux adultes qu'aux enfants. 

L'auteure est actuellement ambassadrice de la Suisse en Côte d’Ivoire. Sensible également aux arts et aux lettres, elle a déjà publié de la fiction, notamment la nouvelle Le puits. Sa pièce de théâtre, Le ballet mal filmé, fut jouée sur scène à Fribourg (Suisse) et Saint-Louis (France) en 2010.

Mieux voir pour mieux vivre de Anne Lugon-Moulin, Editions Favre

jeudi 24 juin 2021

Le Comptoir des Fables rouvre avec une carte encore plus gourmande

Le Comptoir des Fables, qu’il ne faut pas confondre avec le restaurant situé de l’autre côté de la rue, même s'ils sont tous les deux dirigés par David Bottreau, vient de reprendre son activité, le second est actuellement en travaux.

J'avais découvert l'endroit avant la crise sanitaire et j'avais été enchantée. Par l'accueil, l'esprit, la cuisine. Dans mon souvenir le restaurant a fonctionné longtemps mais en fait non. Il n'est resté ouvert qu'à peine trois mois avant de devoir se refermer sur lui-même.

Du coup la réouverture a été vécue par l'équipe comme une ouverture. D'autant qu'il n'était pas possible de faire de la vente à emporter. Ç'aurait été s'éloigner de ce que la maison promet à ses clients, car le bonheur n'existe que s'il est partagé qui est la devise du patron.

Je suis revenue au Comptoir des Fables avec plaisir et je n'ai que des sentiments positifs.

Romain Calvo, qui en est toujours le directeur de salle, a bien raison d'être fier du travail accompli pendant cette "retraite" durant laquelle les aides gouvernementales ont été certes importantes (et appréciées) mais malgré tout a été source d'angoisse. La remise en question a été générale et en fin de compte positive. Beaucoup de changements ont été opérés.

L'endroit était une ancienne boucherie et deux salles avaient été conçues dans chambres froides. L'architecte avait prévu dès le début un plafond acoustique pour ne pas déranger le voisinage. On vient d'ajouter des extracteurs d’air comme le recommandent les autorités en terme de santé. Ils seront également utiles pour que, lorsqu’on emploie les barbecues (ce qui est le cas pour la cuisson sur table de plusieurs plats, par exemple la Basse Cote de Bœuf Normande rôtie, glacée à l'ail noir, pommes de terre grenailles), les vêtements des clients ne s’imprègnent pas des odeurs de cuisine. De plus ces extracteurs peuvent être utilisés pour le chauffage et la climatisation.

La décoration intérieure a été revue pour répondre au désir des clients de bénéficier de chaises plus confortables que celles qui étaient en chêne massif, belles mais un peu trop fermes. Désormais ils seront assis sur du velours.

Une grande banquette a été installée dans la première salle pour permettre d'accueillir une grande tablée tout en restant dans l’esprit tapas propose au lieu. Avec ces aménagements intérieurs, le nombre de places a été augmenté et passe à 60 ce qui fait un total de 100 couverts qui peuvent être réalisés concomitamment. La capacité a ainsi été multipliée par deux et parfois il est possible de faire deux services. Faites le calcul et comprenez que le quartier peut revenir sans crainte de se voir opposer une pancarte "complet".

Les 40 places gagnées (qui s’ajoutent aux trois petites tables déjà disposées sur le trottoir de la rue Saint-Dominique) sont en extérieur, et en terrasse, puisque c'était une des solutions proposées par la municipalité pour permettre la réouverture des restaurants en assurant une certaine sécurité à la clientèle. Bien sûr il y a des contraintes à respecter : interdiction d'occuper des places de livraison, ne pas dépasser 1, 30 m de hauteur de structure et ne pas opter pour un éclairage avec des branchements électriques. On a donc fixé des ampoules à led solaire. Il est également impératif de ne pas bloquer l’écoulement des eaux de ruissellement de pluie. On en comprend l’intérêt ces jours-ci. Et l'an prochain il y aura obligation d'employer uniquement du bois ignifugé. C'est déjà le cas pour le Comptoir.
Chaque maire d’arrondissement n’applique pas forcément les mêmes restrictions. En tout cas Rachida Dati est exigeante sur l’esthétique du 7ème arrondissement. L’équipe du restaurant a préféré faire venir la commissaire pour valider leur disposition rue Sédillot qui est perpendiculaire à la rue Saint Dominique où le restaurant a son entrée officielle. De ce fait les clients sont préservés de la circulation automobile.

Comme vous le savez peut-être la prolongation de l’autorisation d’utilisation des terrasses a été repoussée plusieurs fois. Désormais on pourra à Paris manger dehors jusqu'au 31 octobre. La mesure  dispositif est gratuite pour compenser d'une certaine manière les pertes d'exploitation pendant la fermeture. mais considérant tout de même qu'elle a perdu des places de stationnement payant la ville a déjà annoncé qu'il faudra acquitter un forfait l'an prochain.

Beaucoup de restaurants maintiendront sans doute ces nouvelles habitudes. On peut imaginer que la capitale va se modifier un peu pour adopter le mode de vie sympathique "à la berlinoise" où l'on ne s'effraie pas de manger en extérieur, quitte à poser un plaid sur ses genoux. Le Comptoir a réfléchi à des système de chauffage et a fait poser un store rétroéclairé sur la façade qui protègera d'une éventuelle pluie fine (ou d'un soleil caniculaire).
S'agissant du service, la serviette est restée la même, à nid-d’abeilles mais les tabliers ont été logotisés comme le masque porté par le personnel, l’ice-bag et la carafe. Les tables carrées ont été élargies et recouvertes de marbre blanc. Un carré de bois permet de lire la carte sur son smartphone en scandant un QR code. Et ceux qui voudraient bénéficier d'un accès Wifi n'ont qu'à retourner le morceau pour relier instantanément leur appareil.

La carte des vins a été revue en restant dans l’esprit de départ et sans changer de fournisseurs. On a cassé le code en passant de 12,5 cl à 14 cl mais en proposant aussi une contenance de 7 cl davantage adaptée aux tapas, et soit dit en passant, à la conduite automobile. La carte des vins au verre s'est étendue ce qui offre l'avantages de changer la façon d’apprécier le vin. Chaque convive peut, autour d'une même table, choisir le cépage qui lui plait.

Côté restaurant, on a installé un système unique en Europe, avec un alignement Coravin qui permet en appuyant simplement sur un bouton de verser en une fois la quantité souhaitée, et cela pour 20 références différentes. Une fine aiguille traverse le bouchon sans l’endommager et le remplissage s'effectue via un système d’aspiration. En parallèle, l’appareil injecte un gaz neutre dans la bouteille pour compenser le volume perdu en liquide. L'absence d’oxygène protège le vin contre l’oxydation. Il n’évolue plus. On évite les pertes car il arrivait qu'on doive ouvrir une bouteille pour un seul verre dégusté. Le reste de la bouteille risquait de s’oxyder et au pire de finir en vinaigre.
Cet appareil permet donc de servir au verre, selon deux contenances différentes, vingt vins différents parmi les 32 proposés au verre, pour 85 références. Avec en outre un gain de temps appréciable et moins de circulation bouteille à la main. De plus la boisson est conservée à la température idéale de dégustation.

L'eau ne figure plus à la carte avec plusieurs références. On ne verra pas de camion livrer des bouteilles. Elle est filtrée au charbon actif et amenée en carafe sur les tables, plate ou pétillante et à un prix plus avantageux pour le client.

La réflexion s'est étendue au planning, à la gestion du personnel, et à la refonte du site qui est modifiable à la minute. Je salue le travail qui a été accompli de ce côté là, avec les magnifiques photos de Philippe Schaff qui font saliver d'avance. Mais le chef peut lui aussi ajouter un cliché in extremis pour illustrer une suggestion.

Parlons d'ailleurs de lui. Guillaume Dehecq le chef de cuisine a opéré une grosse remise en question car,  malgré de très bons retours pendant les trois mois et demi de fonctionnement il a voulu profiter du retour à la maison pour se replonger dans les livres. Il a pensé qu'il serait salutaire de revenir aux recettes de base qui sont le noyau dur permettant ensuite la créativité. il a relu Auguste Escoffier par exemple.
Ça s’est traduit par des revisites. Le tartare de bœuf était trop riche Il a choisi le veau. Avec des prunes hachées pour rendre hommage à sa famille aveyronnaise. Et il a préféré le Cantal, plus doux que le parmesan. Vous remarquerez 3 portions faciles à partager avec les amis qui m'accompagnaient.
La carte passe de une à trois propositions pour le déjeuner, sans compter les suggestions. Et pas moins de seize plats sont dégustantes l'après-midi de 15 à 19 heures. Au déjeuner et au dîner le choix s'étend à 31 plats, avec un prix moyen de dix euros.
Le lieu vapeur à la verveine était présent dès l’ouverture. La recette a été revue pour être plus aromatique avec une herbe qui ne domine pas le goût du poisson. Voilà pourquoi le chef associe chou et wakamé.

mercredi 23 juin 2021

Lurçat intime à l'Académie des Beaux-arts

Voilà qu’il fait froid. Alors mon conseil du jour c’est d’aller voir l’exposition de dessins "Lurçat intime - œuvres sur papier" ouverte au public à partir d'aujourd'hui à l'Académie des Beaux-arts. Elle est magnifique. L'accès est libre et gratuit, tout à fait à la portée d’une famille avec des enfants. Les deux salles du rez-de-chaussée se parcourent très commodément.

Une centaine d’œuvres inédites prélevées dans le millier de la production artistique protéiforme de Jean Lurçat (1892-1966), peintre, peintre-cartonnier, rénovateur de la tapisserie au XX e siècle, et qui fut membre de l’Académie des beaux-art, sont exposées pour la première fois au public : des œuvres au crayon, aquarelles, gouaches, fusains, pointes sèches et des techniques mixtes. La présentation ne prétend pas embrasser l’ensemble de sa carrière mais entend poser quelques jalons importants et entrer dans l’intimité de la création de l’artiste.

Une visite en avant-première a été organisée hier pour la presse sous la houlette des deux commissaires qui ont réalisé l'exposition, Martine Mathias et Xavier Hermel, qui oeuvrent tous deux à la Fondation Jean et Simone Lurçat-Académie des Beaux-arts.

Elle a une parfaite connaissance du sujet car elle a travaillé auparavant à la Manufacture d'Aubusson où elle connaissait alors essentiellement l'artiste comme tapissier. Son éclairage est précieux car elle a bien connu Madame Lurçat. Elle pourrait être intarissable sur le sujet, et Xavier Hermel tout autant.

Ils ont souligné qu'il n'y a eu que très peu de restauration. On a dépoussiéré les tiroirs de la maison familiale, et lavé quelques gravures. Lurçat était un formidable coloriste et tout semble avoir été dessiné et mis en couleur il y a quelques jours.

Vous remarquerez combien ses dessins évoquent d’autres grandes figures de la peinture du siècle passé comme Paul Cézanne, Georges Braque, Henri Matisse, Pierre Bonnard, Pablo Picasso. Il suffit de se plonger dans ses oeuvres et de laisser voguer son imagination.

C'est si vrai que l'encadreur qui a pris en charge les dessins s'est étonné qu'on lui confie "aussi" deux planches de Garouste … alors que ce n'était pas le cas. Il faut croire que les artistes s'influencent les uns les autres.

La scénographie de cette exposition a été conçue par Jean-Michel Wilmotte, membre de l’Académie des beaux-arts. Elle est à la fois épurée et efficace.

Le plus ancien dessin qui a été conservé est une scène de bataille avec des soldats après 1870 en Lorraine quand tous les petits garçons jouaient avec des soldats de plomb. Il figure en dessous de son autoportrait (Autoportrait à Sens, 1915, pour Simone 1961 Villa Seurat, graphite) où il apparaît émacié, et ne semble pas heureux. Il est touchant qu’il en ait fait don à Simone en 1961.

On verra sur le mur un peu plus loin un des rares dessins réalisés sur des hommes au repos quand ils étaient en guerre, au début du conflit puisqu'ils portent des pantalons garance. En face, on remarquera une femme enceinte en deuil pendant la guerre.

Les conflits furent une de ses sources d'inspiration. Ci-dessous, de gauche à droite : De gauche à droite, Vevey deux hommes (1934), Mortel sommeil (1934), Paysanne (1935).
La campagne est présente dans de multiples oeuvres. 
Un dessin en couleurs (encres et lavis sur papier, 1914 intitulé La colline) attire particulièrement le regard. Il a probablement été réalisé dans les environs de Marseille quand Lurçat avait déjà l’obsession de travailler sur de grandes surfaces.
C'est l'architecte Victor Prouvé qui le guida dans la campagne lorraine pour le faire travailler sur le motif. Ils sont restés dix mois ensemble. Après Nancy, Jean Lurçat vient à Paris et continue de se former hors des circuits officiels dans les académies privées comme l’Académie Colarossi, auprès du graveur Bernard Naudin. Il s’immerge dans la vie artistique et intellectuelle en même temps que dans le mouvement syndical. Il devient aussi un fidèle de l’Académie d’Isadora Duncan et croque des danseuses sur le vif.

mardi 22 juin 2021

Hors piste d'Adrien Cachot

Je me souviens parfaitement du jour où j’ai découvert la cuisine d’Adrien Cachot. C’était il y a 4 ans.

On m’avait parlé de lui comme d’un jeune gars prometteur en me prévenant de sa timidité et de la difficulté que j’aurais à l’interviewer. Effectivement, il a fallu œuvrer de patience pour obtenir une photo de lui et que je réutilise dans cet article. Je crois qu’il a accepté parce que je lui avais laissé carte blanche pour servir ce qu’il voulait, sans suivre la carte.

Je n'ai pas oublié ces associations, du plaisir gustatif. Mon fils m’accompagnait et il avait été lui aussi (et ce n’était pas gagné) totalement conquis. Son restaurant, le Détour, était un lieu fabuleux pour les papilles, et à un prix plus que raisonnable.

Et puis j’ai vu dans Top chef une silhouette qui me rappelait quelqu'un, mais qui … L'évidence me frappa à la première assiette. J'ai aussitôt juré qu'il serait finaliste de cette saison 11 (diffusée en 2020).

J'ai repensé à lui avec nostalgie il y a quelques jours car je savais que le restaurant avait été vendu. Je venais ce jour-là assister à une avant-première de Novecento pianiste au Théâtre Le Lustre du centre de la Nouvelle Athènes, situé quasiment juste en face du restaurant désormais fermé.

Hors piste est son premier livre. Je ne précise pas "livre de recettes" car c'est autre chose. Il faut lire les du début à la fin et ne pas se focaliser sur les plats qui sont présentés, même s'ils sont assez représentatifs du style d'Adrien. J'y reviendrai plus loin.

L'objet est déjà un ouvrage à part. C'est le seul livre de cuisine où l'iconographie est si sombre. Les photographies semblent avoir été prises la nuit. On trouve des photos de son voyage au Japon, à Tokyo, qu'il dit "kiffer" plus que tout et y être comme un poisson dans l’eauMême les assiettes sont présentées sur un fond noir. Et pourtant les assiettes de ce chef explosent de couleur comme je le montre quelques lignes plus bas.

La couverture est poudrée de farine, à moins que ce ne soit la métaphore d'un lever de brume au-dessus d'une piste (noire) de ski. Adrien revendique suivre un parcours hors-piste en prouvant aux jeunes qui doutent qu'il est possible de réussir et il espère encourager les parents qui se sentiraient dépassés.

Paul Pairet a offert une très jolie préface à ce Marsupilami attachant et déjanté :La prise de risque c’est toujours le reflet de la confiance en soi. Adrien a confiance en lui, même si ça ne se voit pas. (…) Volcan désinvolte et facétieux, quelqu’un de très spécial, un vrai talent. (…) Avec lui on peut s’attendre à tout (…) Il n’en a pas l’air mais si il est naturellement sous stress permanent il oppose une nonchalance en guise d'armure.

Il est très plaisant à lire, enrichi d'un langage donnant le point de vue de ses parents, sa mère, et son père, Un père qui avait des idées à la con mais un peu drôlesLe style est proche du parlé quoique bien écrit par François Chevalier qui a contribué à l'écriture.

Initialement le garçon avait le rêve de devenir footballeur, ou gaffeur, voire même para. Adrien n'intégrera pas un commando de parachutistes mais la brigade d'un restaurant. Il y découvrira, à 14 ans, l'adrénaline du travail en cuisine chez Nicolas Magie, un nom qui déjà le conduit dans un parcours hors cadre. Ensuite on l'envoie chez Etchebest … Christian, pas Philippe, tout simplement parce que sa famille connait Christian (les deux hommes ne sont d'ailleurs pas de la même famille) même si des années plus tard, et bien que ravi d'avoir été parrainé par Paul Pairet il est persuadé qu'il aurait pu aussi suivre Philippe.

Adrien n'écarte pas la question de son tempérament. ll s'avoue "sale gosse", ayant un problème avec l’autorité, celle qui est abusive parce qu'on se rend compte qu'il respecte ses parents et sa belle-famille sans sourciller. Il sait reconnaitre combien aller à la bibliothèque avec ses parents quant il était enfant lui aura été utile.

Je ne suis pas un cuisinier de recettes, je n’en écris d’ailleurs jamais, prévient Adrien Cachot. Mes inspirations sont infinies. Mes plats évoluent sans cesse. Il n'empêche qu'il en figure malgré tout dans ce livre. La première arrive p. 32.  Le lecteur va vite se rendre compte que s'il est prêt à les déguster, il le sera moins à les réaliser. Ce serait aussi illusoire que penser qu'on puisse tous descendre une piste noire tout schuss.

D'abord il faut reconnaitre que ce livre ne fait pas exception en terme de précision, comme dans la plupart des livres de chefs, c'est le jeu, on le sait. Parfois le visuel est différent, présentant des éléments supplémentaires ou en omettant d'autres, parfois le paragraphe dressage occulte une préparation. De temps en temps la marche à suivre n'est pas la même pour un intitulé identique. Ainsi les pickles d'ail ne sont pas faits selon le même processus p. 32 et p. 40. Ce n'est pas très grave puisque l'idée est plutôt d'attiser notre créativité. Comme le dit Adrien : Échouez, réessayez. Encore et encore. Ne vous interdisez rien.

Je commencerai par les pickles de carottes (p. 86) et je verrai par la suite comment adapter à d'autres légumes. J'ai découvert l'existence de la mandoline japonaise (p. 40). Qu'on pouvait faire des chips de pain (p. 39). Que les feuilles de capucine sont tout autant utilisables crues que les fleurs. Je retiens le processus pour fair une huile de coriandre (p. 120) que là aussi je déclinerai avec d'autres herbes aromatiques. Il me semble difficile de reproduire une recette dans sa totalité mais il est tentant de s'approprier quelques éléments comme la purée et la poudre d’herbes (p. 48). J'ai souri de ses huîtres au flambadou (p. 90). Qui sait si ce n'est pas son audace qui m'a poussée à cuire ces fruits de mer au barbecue ? Quant à son potimarron, fourme d'Ambert graines de courge (p. 139) il ne me surprend pas. Je n'étais pas loin avec mon Céleri, Bleu de Gex et noix.,

Certains plats sont sortis depuis longtemps de la cuisine d'Adrien. d'autres sont des recettes hommage à des chefs en particulier, comme les oreilles de cochon à Christian Etchebest (p. 106). D'autres enfin sont celles qu'il a conçues pour Top chef, comme le fameux dessert, intitulé Chocologie (p. 184) à propos duquel il convient (p. 74) que la vison d'un gobelet que l'on pouvait penser être en plastique était un plat suicidaire qui lui a fait perdre Top chef  mais il ne le renie pas et reste fier d'avoir fait un clin d'oeil à l'immense talent de Ferran Adrià.

Je suis fan du talent d'Adrien même si je n'approuve pas toutes ses paroles. Il prévient que Plus c’est moche plus c’est bon. Pas nécessairement. Il cherche à provoquer. Sinon il n'apporterait pas autant de soin au choix des assiettes, dans l'atelier d'Amandine Richard, la céramiste dont il fait (avec raison) l'apologie (p. 124). Et jugez l'allure de ces deux assiettes que j'avais dégustées chez Détour. 
  
A gauche, un Coeur de boeuf mariné, crème aigre, harissa et radis croquant : c'était une explosion de parfums qui s'excitent mutuellement. Le condiment harissa réveille la viande adoucie par le bois de hêtre et la tranche de daïkon, un navet chinois blanc à l'allure d'une grosse carotte, est juteuse et croquante. A droite cet Avocat, coriandre, cacao (dont vous aurez deviné qu'il s'agit d'un dessert). Si vous saviez comme j'ai hâte de revenir goûter sa cuisine ! Espérons que l'ouverture de son nouveau restaurant ne se fera plus très longtemps attendre.
Hors piste d'Adrien Cachot, Flammarion, 208 pages, 19,90 €, en librairie depuis le 16 juin

lundi 21 juin 2021

Françoise Sagan, Chroniques 1954-2003, Cabaret littéraire mis en scène par Anne-Marie Lazarini

Françoise Sagan reste un personnage particulier mais fascinant, du siècle passé. Le charmant petit monstre, comme disait Mauriac a été un phénomène à tous points de vue par sa jeunesse, ses fulgurances, son audace, ses prises de position, sa fidélité.

Elle avait une façon tout à fait personnelle de vivre à 100 à l’heure tout en sachant s’arrêter sur un détail bucolique, comme lorsqu'elle communique son amour du Lot, à travers un texte de 1993 que nous entendrons à la fin, Cajarc au ralenti.

Femme de tous les excès, elle avait l’art de provoquer la chance, au jeu avec une chance insolente lui permettant de s'offrir une maison de campagne en une nuit, en littérature en osant ce titre de BonjourTristesse.

Il est donc naturel qu’elle suscite l’intérêt du théâtre, elle qui convenait alterner succès et flop, comme elle le disait elle-même. Car elle savait être critique de son propre parcours en toute lucidité.

J’ai souvent parlé de Sagan dans le blog, racontant ma rencontre avec elle, commentant le film éponyme, la sortie de la BD de Bonjour Tristesse en présence de son fils, et relatant l’exceptionnelle interprétation de Caroline Loeb, qui se rejoue à la Luna cet été au festival d'Avignon, et son dernier tour de chant avec les titres écrits par Françoise Sagan.
Anne-Marie Lazarini a choisi de se focaliser sur Sagan chroniqueuse. Bonne idée. Et si ses amis et son entourage ont été invités et installés par le scénographe François Cabanat, ils ne sont là qu’en spectateurs bienveillants et muets, plongés dans leurs souvenirs.

Dans la "bande à Sagan" il y a des personnes très célèbres comme François MitterandBarbaraYves-Saint-Laurent, le colossal et génial Orson Welles et d'autres dont les noms sont moins connus comme Denis Westhoff (son fils), ou Marie Bell, une immense actrice (directrice du Théâtre du Gymnase qui porte désormais son nom) à la chevelure en casque wisigoth, pour laquelle elle écrira Les violons parfaits.

Bien sûr, pour le moment, l’ambiance cabaret n’est pas complète, malgré la musique jouée au piano par Guilheme de Almeida, la présence d'un bar -et d'un barman Sylvain Peyran- et l'installation du public autour de tables de bistro, sur des chaises très confortables. À cause des contraintes sanitaires, il est impossible de proposer aux spectateurs de savourer un martini dry avec une olive verte comme Sagan s’en enivrait. Quand les comédiens doivent s’approcher de très près du public alors ils se masquent, ce qui n’est pas un artifice de mise en scène.

J’ai beaucoup aimé cet hommage rendu à la femme impliquée dans son siècle. Rien ne l’obligeait de prendre le risque de soutenir Billie Holiday. D’aller crapahuter à Cuba en 1960 au devant d'un Castro grand, fort et fatigué. D’attirer l’attention sur les infirmières. Sur cette femme torturée. Anne-Marie Lazzarini a bien fait de mettre cet accent là.
Trois fauteuils de cinéma, un bar, un piano, une pile de livres, parmi lesquels circulent Coco Felgeirolles en tailleur pailleté, Frédérique Lazarini en robe noire, Cédric Colas en maître de cérémonie avec un gardénia à la boutonnière. C'était la fleur préférée de la chanteuse de blues et de jazz Billie Holiday, qui en portait toujours une ou plusieurs dans les cheveux.

Je ne serai donc pas surprise tout à l'heure d'entendre sa voix rauque chanter Strange fruit, qu'elle a popularisé en 1939, l'année de la sortie du film Autant en emporte le vent. Qualifiée de chanson du siècle pour la nature du propos comme de l'interprétation, et surtout de l'engagement (risqué car la chanteuse était menacée) contre les lynchages pratiqués aux Etats-Unis à l'encontre des afro-américains durant la période de la ségrégation (1865-1960 Strange fruit est reconnue comme étant la première chanson protestataire américaine (Protest Song). Elle dénonce les balancements des corps noirs dans la brise du sud, tels des fruits étranges, accrochés aux peupliers, recouverts de sang sur les feuilles et sur les racines. Donald Trump a refusé qu’elle soit interprétée à son investiture.

C'est en 1954 que Sagan tiendra à aller l'applaudir, au fin fond du Connecticut, où elle se rend avec son complice musical Michel Magne.

Mais pour le moment, la soirée débute comme un conte : Il était une fois un bébé au nez pointu … avant d'arriver en 1954 à la publication de Bonjour Tristesse, qui n'est pas une chronique mais qui demeure incontournable dans le mythe fondateur. Les deux comédiennes s'amusent en titillant le public à propos de l'incipit, citant comme plausible des lignes de Nizan ou de Lewis Caroll, surtout pas de Proust puisque Françoise ne s'est jamais couchée de bonne heure, ce qui ne l'empêcha pas d'emprunter son nom de plume à la Princesse de Sagan imaginée par Marcel.
Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.
Ces premières lignes ont sans doute touché Hélène Lazareff, la fondatrice en 1945 du magazine féminin Elle.  Elle lancera la carrière de Françoise Sagan chroniqueuse qui en écrira jusqu'en 2003. Elle voyagera dans le monde entier, de Cuba à Venise et ses avenues liquides, de New York, belle comme un rêve de pierre, à Jérusalem. Est-ce la raison qui la conduit à employer une sorte de langage "italo-anglo-germano-français" qui est tout à fait savoureux dans la bouche de Frédérique Lazarini ?
Françoise Sagan n'est pas une touriste ordinaire. Elle s'émeut aux côtés de Billie Hollyday, prend la défense de Djamila Boupacha, une jeune fille algérienne torturée par l’armée française en signant le Manifeste des 141, comme plus tard elle signera celui des 343 salopes en faveur du droit à l'avortement, et s'insurge contre le manque de reconnaissance à l'égard des infirmières. Nous sommes en 1991. Qu'aurait- elle dit pendant le Covid ?
Bien sûr elle vécu de mille excès. Elle n'a pas tout réussi mais on ne peut pas lui reprocher d'avoir tout tenté. Elle demeure un personnage extrêmement généreux. Et retenons cette sage parole : Un échec n’est pas la fin du monde.

Hormis le Prélude de la Traviata, les intermèdes musicaux ont été spécialement composées par Andy Emler. Il s'est inspiré pour chacun de la thématique d’une chronique. Par exemple For Billie à la manière d’un standard de jazz, dans le style de l’époque, comme l’aurait joué un Art Tatum. Enjoy ze croisière est une mélodie arrangée, pour suggérer l'humour et la dérision qui teintait aussi le regard que Sagan posait sur ses contemporains. Guapa libre est une variation sur un rythme de Rumba.
Françoise Sagan, Chroniques 1954-2003, Cabaret littéraire mis en scène par Anne-Marie Lazarini, assistée de Lydia Nicaud
Musique Andy Emler, interprétée au piano par Guilherme de Almeida
Scénographie François Cabanat
Textes additionnels et costumes Dominique Bourde (assistée d’Isabelle Cloarec)
Avec Cédric Colas, Coco Felgeirolles et Frédérique Lazarini
Collaboration artistique : Henri Coueignoux (son), Marion Duhamel (recherche documentaire/ photographies),
Hugo Givort (animation photos/vidéo)
Collaboration technique : Marie Malaterre (poursuite), Sylvain Peyran (régie bar)

dimanche 20 juin 2021

Potage Germaine

Potage de cheffe ce soir. Totalement impromptu en revenant du jardin.

Avec une courgette épluchée et coupée en rondelles, deux poignées de petits pois fraichement cueillis, avec leurs cosses, donc pas épluchés, 5 feuilles de menthe poivrée, 2 toutes petites gousses d’ail fraiche récoltée il y a quelques jours, un grand bol d’eau.
Faire bouillir une dizaine de minutes, retirer la menthe et laisser tiédir un peu. Passer au blender (sans la menthe donc). Filtrer ensuite au chinois pour éliminer les parties fibreuses des cosses.

Servir en posant 3 petits pois frais sur une feuille de menthe à titre décoratif.

Boire tiède. Crème fraiche et sel sont inutiles avec ce procédé.

Super bon. Super sain. J'ai appelé ce potage Germaine en hommage à ma maman, qui était soucieuse de la santé de tous et qui cuisinait majoritairement ses propres légumes. Et en clin d'oeil au potage Saint-Germain, mais qui est préparé avec des petits pois et une pomme de terre.
On pourrait substituer du basilic à la menthe mais j'ai voulu aussi jouer avec la tradition anglaise d'associer petits pois et menthe.

samedi 19 juin 2021

Viva La Vida ! le nouveau spectacle de Soy de Cuba

La tournée mondiale de Soy de Cuba a été chahutée par le Covid-19. Initialement programmée en 2020, reportée au printemps 2021, puis à 2022 pour de nombreuses dates. Bien entendu les billets précédemment acquis restent valables.

Les parisiens ont davantage de chance car ils peuvent, depuis le 3 juin et jusqu'au 30 juin, venir applaudir cette troupe cubaine au Casino de Paris. Leur nouvelle comédie musicale Viva La Vida ! est l'un des tout premiers spectacles d'ampleur à être joué dans la capitale pour la réouverture des salles.

On fait un voyage inoubliable aux rythmes exotiques et endiablés, interprétés par des virtuoses engagés parmi les meilleurs musiciens et danseurs de l’île. Ce nouveau spectacle dansant clame haut et fort un hymne à la vie et à la liberté́ sur fond de musiques colorées et de danses fiévreuses : ¡Viva la Vida!
 
La précédente édition créée en 2011, s’inspirait de la vraie vie de la danseuse Ayala Yanetsy Morejon, interprétant son propre rôle. La jeune femme, originaire des plantations de tabac de Viñales, habitait chez ses grands-parents tout en rêvant d'une vie meilleure. Son corps sublime est taillé pour la danse. Enfant, elle avait deux rêves : jouer du piano et danser. Elle a commencé cet art à 5 ans. Cette maman d'un petit garçon est très fière d’être cubaine mais elle adore Paris, y faire du shopping, et visiter de nouveaux lieux.

Dans ce nouveau spectacle, la vie d’Ayala bascule lorsqu’elle rencontre Oscar, un jeune boxeur travaillant à la fabrique de cigares. Il est joué par Osmani Montero Hernandezdanseur professionnel et notamment soliste au Ballet TV, gagnant 2018 du "Danse avec les Stars" cubain. La danse et l’amour vont réunir leurs destins.

Le propos est simple et il est raconté par le vieux Leonardo, lecteur public de l'une des plus vieilles manufactures de cigares de La Havane qui rassemble 700 ouvriers. En effet, dans les usines de tabac, un homme ou une femme faisait la lecture aux ouvriers et ouvrières en leur lisant chaque jour la presse, Granma, quotidien, des œuvres littéraires internationales, notamment Les Misérables ou Madame Bovary  pour cultiver le personnel pendant qu'il travaillait.

On ne s'attend pas à un livret comme dans les opéras classiques et au demeurant dramatiques. Ce dont on a envie, c'est de gaité et de dynamisme. Et c’est ce qu’on nous offre. Cuba est un petit pays mais le mélange de cultures est d'une richesse incroyable. Il s’exprime à travers la musique, la danse, le théâtre, …  Comme le dit Ayala, "Etre cubain, c’est une philosophie de vie. Même si nous avons des problèmes et rencontrons des obstacles, nous gardons toujours le sourire et restons joyeux ; nous avons de l’humour et rions des aléas."
Ce n’est pas pour rien que le spectacle s’appelle Soy de Cuba, viva la vida ! Cet intitulé est une promesse de bonheur, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Le mot felicidad (bonheur) revient régulièrement dans les chansons. Les artistes ont été choisis pour leur forte personnalité. Savoir danser n'aurait pas suffi. Ils devaient être en capacité d'exprimer et transmettre tous les sentiments sur scène. Ces danseurs ne jouent pas la comédie mais ce sont de sacrés interprètes ! Il suffit d'un regard, d'un port de tête, d'un sourire pour s'en rendre compte. L'intensité est là. Le charisme aussi. Nicolas Ferru, le producteur, a voulu un spectacle de caractère qui laisserait une empreinte. La musique latino étant montée en puissance ces dix dernières années, il avait conscience du niveau d'exigence du public et il a eu raison.

Grand amateur de cigares, Sébastien Acker a relevé le défi d'écrire sur Cuba. Il s'est baladé dans des manufactures de cigares, des boutiques, véritables sanctuaires qui se visitent presque religieusement pour écrire le spectacle. Fin connaisseur en boxe -il a pratiqué la discipline pendant plus de cinq ans-, il évoque les légendes cubaines du ring : Eligio Sardiñas Montalvo alias Kid Chocolate et Teofilo Stevenson dont les portraits sont accrochés aux murs de plusieurs bars de la Vieille Ville. On dit que la boxe cubaine, c'est le plus beau style du monde !

Il raconte le destin d'un boxeur et d'une danseuse en démontrant que ces deux univers relèvent du langage corporel et possèdent des valeurs fortes, de la noblesse et de l’élégance. La lucha (la lutte) est partout : sur la piste de danse, sur le ring, dans la rue, au cœur de tous les Cubains.

Au célèbre "No sport" de Churchill, s’oppose le non moins célèbre "Le sport est un droit du peuple" de Castro. En 1961, l’INDER, l’Institut national du sport, de l’éducation physique et des loisirs voit le jour à Cuba. Avec cette démarche, Fidel Castro est bien déterminé à intégrer le sport dans le monde du travail alors qu’il était jadis réservé aux classes aisées. Les femmes ne sont pas la dernière roue du carrosse. Au contraire. Les sportifs handicapés non plus. Loin s’en faut. Le credo "sport pour tous" permet non seulement de fédérer la population via des disciplines sportives diverses et partagées par tous, mais d’avoir un effet bénéfique sur la santé des Cubains. Un peuple en forme est plus productif. Cette décision avait permis au Commandante de véhiculer l’excellence cubaine à l’échelle internationale ; Fidel Castro avait signé le décret 83A blâmant le sport pro au prétexte qu’il "enrichissait une minorité aux dépens de beaucoup". Cuba est aussi le pays qui compte le plus de médecins par habitant au monde.
Le show nous entraîne donc dans une manufacture de cigares et dans les coulisses des salles de boxe. Au son des mambos, rumbas, salsas et autres tempos jazz afro-cubains, la charismatique Ayala nous fait entrer dans la danse ! Dans ce tourbillon de rythmes, on découvre une troupe de danseurs cubains triés sur le volet, un orchestre live, un décor composé d’inserts vidéo ingénieux... La magie opère grâce au talent du maestro Rembert Egües, compositeur de légende et directeur musical. L'album de Dany Brillant, La Havane, disque de platine, c'est lui ! Désillusionniste, le tube latino de Mauranne, c'est encore lui. Il signe les chansons du spectacle (à l'exception du titre Tu y yo) et sa direction musicale. Les musiciens ont répété dans son studio-appartement et il est heureux de revenir à Paris où il a vécu trente ans.
 
Il est sur scène avec 6 musiciens, dont un est également chanteur, et Anna-Marie, la chanteuse. La présence du maestro est une valeur ajoutée. Un gage d'authenticité. Les femmes occupent une belle place, outre Anna-Marie, la chanteuse, il s'est entouré d'une formidable guitariste et d'une tromboniste d'exception (en robe jaune) qui fait un très joli solo.
Julie Dayab & Michaël Xerri assurent la direction artistique et la mise en scène des 18 tableaux. Lui est issu de la musique et du sound design. Elle vient de la danse. Ils sont tous les deux aussi à l’aise avec le spectacle vivant qu’avec la vidéo, la direction artistique, la réalisation, la scénographie, et ont eu à coeur de valoriser et sublimer la culture cubaine. Le mapping est particulièrement réussi, nous projetant au coeur de La Havane, d'une rue à une autre, jusqu’aux mythiques salles de boxe hors d’âge de la capitale. On ne serait pas surpris de voir une évocation d'Ernest Hemingway qui a vécu à San Francisco de Paula, près de La Havane entre 1939 et 1960 et y a écrit, entre autres, Pour qui sonne le glas, Le vieil homme et la mer...
Si l'atmosphère, l'identité et les références culturelles que nous connaissons sont là, ils innovent en ne se contentant pas de jouer uniquement sur le style Buena Vista Social Club. Cette fois, la boxe, sport emblématique à Cuba, s'invite sur scène. Ils ont cherché à donner du caractère et de l’empathie aux personnages. L'exercice a été réellement inspirant pour eux, notamment avec la fabrique de cigares qui, à elle seule, est un personnage à part entière. Aucune place n'est laissée au hasard et tout est travaillé, la technique, la rapidité, la fluidité, la complexité des mouvements, le rythme... Et c'est volontiers que el public accepte de les suivre en frappant dans leurs mains .
Les deux chorégraphes Luis Alberto Moro Ronda, dit Chino, et Dieser Disley Serrano Garcia transmettent au groupe leur passion pour les chorégraphies audacieuses et précises en mélangeant du traditionnel et du moderne.

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