Petite maman commence dans le noir et dans un silence extrême, discrètement perturbé par un tic-tac qui sera rejoint par des chants d'oiseaux. On découvre Nelly en pleine réflexion, faisant des mots fléchés avec une vieille dame. la caméra la suit, disant au-revoir à chaque pensionnaire d'une maison de retraite. Et je me dis que c'est une drôle d'activité pour une petite fille que d'être visiteuse en EHPAD.
Maman, est-ce que je peux garder sa canne ? La question n'apporte pas encore la réponse. En fait, Nelly a huit ans et vient de perdre sa grand-mère. Elle part dans la voiture de sa mère, Marion, tandis que le père conduit un petit camion. Les parents vont vider la maison d’enfance de Marion. Nelly est heureuse d’explorer les bois qui l’entourent où sa mère, enfant, construisait une cabane dont elle ne lui situe pas l'endroit exact. Un matin, la tristesse pousse Marion à partir. Nelly reste seule avec son père. On entend le bruit du vent qui se lève. C’est ensuite qu'elle rencontre dans ces bois une petite fille qui construit une cabane. Elle a son âge et elle s’appelle Marion. C’est sa "petite maman".
Céline Sciamma, on la connaît pour la réalisation de Tomboy, le scénario de Ma vie de Courgette, le magnifique Portrait de la jeune fille en feu. Elle a écrit un film intimiste, qui déroutera sans doute ceux qui sont habitués aux enchaînements de plans de quelques secondes. L’action se déroule si lentement qu’on a le sentiment de la suivre en temps réel, ce qui est une prouesse s’agissant d’un scénario qui jongle avec la temporalité. C’est que tout est affaire de sensibilité.
Le film raconte -à travers les yeux de l'enfant- l’histoire d’une petite fille qui prend la mesure de la dépression de sa mère consécutivement au décès de sa grand-mère. L’aïeule, comme la mère, ont été atteintes d’une maladie et la mère en a été sauvée par une intervention chirurgicale sans doute traumatisante puisque elle n’en a jamais parlé à son enfant.
Il n'y a qu'un seul personnage masculin, très positif, le père, dont la patience n’a d’égal que l’immense liberté qu’il accorde à la petite fille. En cela le film est une sorte de manifeste pour une éducation bienveillante et permissive, s’appuyant sur les ressources psychiques des enfants à grandir harmonieusement. Peut-être la mère n’a-t-elle pas eu cette chance.
Les costumes ont été choisis par Céline Sciamma de telle manière qu’on ne puisse pas dater la période avec précision même si on suppose être dans les années 60-80, une fourchette suffisamment large pour qu’ils aient pu être portés par n’importe quel enfant, en dehors de contraintes de mode. Et surtout par la mère comme par la fille, ce qui permet au spectateur de douter.
De la même façon, le paysage n’est pas réellement situé. Une sorte de forêt évoquant celle que traverserait le petit chaperon rouge pour aller voir sa mère-grand. A la différence qu’ici il n’y a pas de loup mais un enfant identique dont on comprendra qu'il s’agit de sa mère enfant. Même si les personnages parlent peu et que le mystère est épais on ne ressent pas d'angoisse.
On doit être au début de l’automne même si la saison n’est pas encore très marquée. C'est une anecdote mais j'apprendrai plus tard que l'équipe de tournage a ajouté des feuilles mortes aux couleurs éclatantes. Les maisons des deux petites filles sont rigoureusement identiques, avec la même porte secrète, le même papier peint d’origine dans la cuisine, le même carrelage dans la salle de bain. Une souche d’arbre sert de repères spatio-temporel pour annoncer les changements d’époque et progressivement s'installe le fantastique.
Si la maison a été construite en studio les extérieurs ont été tournés dans la région où la réalisatrice a vécu, l'Axe majeur de Cergy-Pontoise. Sur le côté de cette zone se trouve la pyramide de l'Ile astronomique que les gamines explorent à la fin du film. De 20 mètres de côté et 10 de haut c'est un empilement de 177 éléments de béton blanc, formant des sortes d'escaliers sur les côtés de la sculpture. Elle est le symbole d'un décalage de point de vue voulue par l'artiste Dani Karavan. Elle est creuse et ouverte.
C’est pas que tu oublies mais t’écoutes pas. La patience de l'enfant à l'égard de sa mère est inhabituelle venant d'un enfant. Mais sa ténacité aussi. Plus tard elle interrogera son père : Ça s’est bien passé l’opération de maman ? Je sais pas les vrais trucs, se plaint la petite fille.
L’empathie de Nelly à l’égard des adultes semble sans limites dès le début. Ses au-revoir sont sobres et touchants. La scène de la becquée quand elle glisse des biscuits apéritif dans la bouche de sa mère qui est au volant et qu'elle la fait boire à la paille avant de lui serrer le cou est d'une tendresse infinie. Le moment où elle barbouille le visage de son père de savon à barbe est chaleureux. L'épisode de lecture avec sa mère est très paisible, également quand celle-ci lui raconte ses peurs enfantines de voir apparaître une panthère noire au pied de son lit. Et tant d'autres … On jurerait que la confection des crêpes a été tourné en caméra cachée. Il est rare de filmer le bonheur simple, les rires. Rien ne semble joué. Et pourtant elles jouent sauf la scène du Cluedo qui, elle, est interprétée comme le serait une scène de théâtre.
J’ai beaucoup aimé ce film et je me suis permise d’intervenir auprès de spectateurs critiques à la sortie. Ils n’avaient pas compris la lenteur des plans, ni apprécié le jeu des jumelle, les estimant trop naturelles, alors que c’est pour moi une des forces du film. Il est certain aussi que nous n’avons plus l’habitude de voir des enfants qui n’enchaînent pas caprice sur caprice et qui sont capables de s’occuper avec trois fois rien sans avoir les yeux rivés sur un smartphone ou un écran vidéo. Nelly, elle, joue au jokari, aux petits chevaux, au Cluedo.
Ce dernier jeu est une métaphore de leur vie. Les secrets c’est pas forcément des choses qu’on cherche à cacher mais on a personne à qui le dire. Ce sera Nelly qui confiera à Marion petite fille le fin mot de l'histoire.
On reconnaît la signature musicale du précédent film de Céline Sciamma, une nouvelle fois par para One qui signe la Musique du futur sur laquelle Céline a écrit des paroles. La directrice de la photographie est Claire Mathon, une autre de ses complices habituelles.
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Lilies Films
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