Je vois beaucoup de spectacles. Certains me marquent à vie. Ce sera le cas de En addicto de Thomas Quillardet dont la Première avait lieu ce soir au Pédiluve, la plus petite salle de l’Azimut à Châtenay-Malabry (92).
Ce n’est pas du tout un souci de planning mais la volonté de l’artiste de jouer au plus proche des spectateurs. Vous ne le verrez pas sur un grand plateau, malgré toute la technique possible des micros HF pour porter sa voix.
Si vous l’avez manqué à Châtenay, et que vous résidez en banlieue sud de Paris, allez par exemple à Cachan. Je sais que je le reverrai à Saint-Quentin-en-Yvelines puisque Lionel Massetat l’a programmé du 2 au 5 avril prochain.
Je dirai simplement aujourd’hui qu’il s’agit d’entendre les joies et les vides de ce que l’artiste définit comme une "polyphonie solo", inventée pour porter les mots et les maux des patients en tentative de sevrage et des soignants débordés (qui n'ont pas encore assisté au spectacle mais qui viendront bientôt). Il nous transmet leurs paroles avec pour résultat une vraie rencontre. Ne vous arrêtez pas à la qualification de seul-en-scène. Thomas est seul, mais accompagné de tant de voix.
Il est déjà assis sur sa chaise quand on s’installe dans les gradins. On hésite entre s'assoir face à lui ou au bout d’une rangée, pour tenter d’échapper à son regard.
Bonjour. Le spectacle s’enclenche. On se dit que bientôt la lumière va progressivement baisser et qu’on pourra se détendre un peu. Peine perdue, nous ne serons jamais lâchés par le regard de Thomas.
Tiens, justement, un Thomas se faufile discrètement dans la cohorte des personnages. Mais bien sûr, ils ne font qu’un, lui et le metteur en scène.
Alors que le réalisme social n’a pas reçu (malgré les excellents comédiens interprétant Welfare dans la cour d'honneur du Palais des papes) le succès espéré au dernier festival d’Avignon, ce spectacle, peut-être parce qu’il est présenté en petite jauge, est totalement prenant et il m’est facile de prédire sa réussite.
C’est avec une certaine fatigue que le public sortira de la salle car on ne peut pas en perdre une miette. A peine est-on entré dans l’histoire de X, dont évidement on voudrait connaître la suite, que le metteur en scène zappe pour diriger la focale sur un autre. Et soudain, ça revient comme dans la chanson. Un couplet vient compléter les informations données précédemment.
Et à propos de musique, la bande-son compose le seul décor. On entendra How Deep Is Your Love, cette chanson des Bee Gees par Barry Gibb, sortie en 1977 sur l'album Saturday Night Fever et plus tard la chanson titre de cet album. Çà fuse comme dans le livre À la ligne, où son auteur nous offrait une vision à 360° de la condition ouvrière contemporaine. Pas étonnant que deux compagnies théâtrales se soient emparées du texte de Joseph Ponthus pour le transposer sur une scène.
Thomas Quillardet n’est ni pédagogue, ni mélodramatique. On est pleinement touché, pas coulé, non. Peut-être néanmoins qu’après on ne regardera plus un alcoolique de la même façon si on comprend que l'addiction c'est une solution pour ne pas se foutre en l'air…On pourrait aller jusqu'à dire que consommer devient de la légitime défense.
De la famille on sait que c'est un nid à névroses, mais on s'y voit, et des addictions on ne connait que ce que font les Alcooliques Anonymes en ignorant qu’il existe des services d’addictologie dans les hôpitaux. Ils sont cruciaux à notre époque où les dépendances ne se limitent plus à la boisson, au tabac, au sexe ou à la drogue. Et on peut rager d’apprendre la fermeture d’un service comme celui où l’artiste a été accueilli en observation pendant cinq mois.
On apprend que le coeur du problème c’est l’abandon. On s’abandonne parce qu’on a été (ou qu’on s’est senti) abandonné installant un vrai noeud comme un lasso. Pourtant l'abandon structure nos vies au quotidien et il faut arriver à dépasser cette frustration. Certains n'y parviennent pas et vivent encore à soixante ans des moments de rentrées au CP 4 fois par jour. Comment, alors, parvenir à aller mieux ? Quand Y a des moments où on s'abîme / Où le hasard nous assassine, si on écoute attentivement les paroles de Michel Berger chantées par France Gall dans Bébé come la vie en 1980 ?
Ce n'est pas un spectacle intentionnellement prophylactique mais on retiendra que, quel que que soit notre choix, un verre contiendra toujours 10 grammes d'alcool, même le pastis qu'on pense léger. Que la stratégie pour ne pas "boire" au cours d'une soirée est de tenir à la main un verre (de jus de fruits sachant que le jus de pommes avec deux glaçons passera pour du whisky) et de ne jamais le lâcher pour contrer un des aspects les plus graves de l'addiction qui est la perte de contrôle.
Jusqu'à ce qu'un jour, après avoir reconnu cette maladie dont on ne s'imaginait pas victime, on se sentira mieux parce que le comprendre fera du bien et on pourra espérer devenir comme le Max du tube d'Hervé Christiani en 1981 … libre.
En Addicto existe avec notamment le soutien du Festival d’Automne à Paris auquel Thomas Quillardet fut invité pour la première fois en 2018 pour présenter Tristesse et joie dans la vie des girafes de Tiago Rodrigues. Il y est revenu en 2020 pour Ton père, adaptation du roman de Christophe Honoré. Sa dernière création, Une télévision française (2021) avait été jouée à l'Azimut il y a juste un an.
En Addicto de et avec Thomas Quillardet
Dramaturgie Guillaume Poix
Collaboration artistique Jeanne Candel
Création lumière Milan Denis
Du vendredi 06 au mercredi 11 octobre à L’Azimut (Le Pédiluve - Théâtre La Piscine)
18 au 28 octobre - Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt - Paris
15 au 16 novembre - Théâtre Jacques Carat - Cachan
7 & 8 décembre - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg
24 au 26 janvier 2024 - La Rose des Vents - Villeneuve-d’Ascq
8 au 10 mars - Théâtre de l'Aquarium - La Cartoucherie dans le cadre du Festival BRUIT
Dramaturgie Guillaume Poix
Collaboration artistique Jeanne Candel
Création lumière Milan Denis
Du vendredi 06 au mercredi 11 octobre à L’Azimut (Le Pédiluve - Théâtre La Piscine)
18 au 28 octobre - Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt - Paris
15 au 16 novembre - Théâtre Jacques Carat - Cachan
7 & 8 décembre - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg
24 au 26 janvier 2024 - La Rose des Vents - Villeneuve-d’Ascq
8 au 10 mars - Théâtre de l'Aquarium - La Cartoucherie dans le cadre du Festival BRUIT
2 au 5 avril 2024 - Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines - Scène Nationale
9 au 11 avril 2024 - Théâtre d'Angoulême - Scène Nationale
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire