Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 29 février 2012

Ma petite boulette au roquefort

Je devrais remercier Mathilde Seigner en ces jours de Salon de l'Agriculture ... pour son coté fermière dans une Hirondelle a fait le printemps, très beau film où elle partageait l'affiche avec Michel Serrault en 2007. Et pour son coté boulette, qui m'a fort inspirée car elle en a fait une de taille le soir de la cérémonie des Cesar (à croire qu'elle s'est comportée exprès pour figurer ad vitam aeternam dans le bêtisier de la retransmission à égalité avec Adjani et Anémone).

Je vais donc oser intituler ma recette Petite Mathilde au roquefort, espérant que cette "mathilde" se hisse au rang de la madeleine en terme de spécialité culinaire.

J'ai employé un riz que j'ai fait cuire à l'eau bouillante (employer toujours beaucoup d'eau), en choisissant un riz rond, plus habituellement dédié aux desserts, pour m'assurer d'un résultat moelleux. Vous pourrez néanmoins utiliser un reste de riz déjà cuit.

J'avais ajouté une gousse d'ail dans l'eau de cuisson car j'en apprécie le parfum.

J'ai égoutté une boite de thon au naturel, ajouté un demi oignon rouge, haché et revenu préalablement dans une matière grasse, un œuf battu, le riz égoutté (on dose comme on aime), deux cuillères à soupe de chapelure, du poivre et une herbe fraichement coupé. J'ai testé la menthe, l'aneth et la coriandre ... et au final c'est la version menthe qui eut la préférence.

J'ai formé des boulettes entre deux grandes cuillères en glissant au centre un morceau de roquefort d' environ 1 cm x 1 cm. J'ai ensuite roulé chaque boulette dans la chapelure et ai fait frire à l'huile d'olive dans une poêle.

J'ai aussitôt servi un assortiment de plusieurs parfums avec une salade de mâche et de la betterave en vinaigrette à chaque convive impatient. Le roquefort avait fondu et coulait en bouche, libérant ses arômes.

Par association d'idées avec la madeleine je réalise qu'il n'y a quasiment pas de dessert au roquefort. Quand on dispose d'un si beau et si bon produit on devient vite imaginatif. J'ai re-découvert ce fromage, que je croyais pourtant bien connaitre, au Salon de l'agriculture et je vous livrerai une ribambelle de nouvelles suggestions ces jours-ci.

mardi 28 février 2012

Un jardin sur le ventre de Fabienne Berthaud, chez JBz & Cie

J’avais fait la connaissance de l’univers de Fabienne Berthaud avec Pieds nus sur les limaces, un film pour lequel j’ai souvent exprimé mon enthousiasme et qui est programmé le 6 mars prochain sur Canal +. Depuis, elle a publié un livre que j’ai tout de même mis un an avant d’ouvrir.

J’ai retrouvé, intacte, l’énergie qui traversait le film. L’auteure n’a pas écrit une suite mais elle traite tout de même de thématiques presque identiques, la mort soudaine de la mère qui est le point de départ, une fille désemparée, deux sœurs dissemblables, le particularisme du travail de deuil, les dissensions familiales … C’est d’ailleurs à la chef décoratrice du film, Valérie Delis, qu’elle a demandé de concevoir la couverture du livre.

Un jardin sur le ventre
comme tracé sur une vitre en écriture manuscrite, regardé à contre-jour et en contre-plongée pour ouvrir sur un ciel qui n’est pas sans nuages … L’expression n’est pas courante. Elle interroge le lecteur qui mettra quelque temps à en saisir le sens. Fabienne la tient de son arrière grand-mère qui a peut-être inspiré aussi Jacques Brel qui, dans le Moribond, annonçait qu’il partait aux fleurs la paix dans l’âme.


Son écriture est joliment métaphorique. Je la soupçonne d’inventer sans même en avoir conscience. Pour preuve, Antonio écrit (p.292) qu’il lavande son existence. Or si la plante porte un nom qui est dérivé du verbe laver, lavander est un néologisme. Et pourtant on devine ce que la phrase signifie en lisant la lettre destinée à sa nièce.

Fabienne Berthaud aime la nature qui est très présente dans la narration. C’est peu dire que d’affirmer qu’elle y puise de la force et de l’inspiration. Elle écrit, m’a-t-elle dit, par nécessité de soulager les douleurs du monde, ce qui explique qu’elle parvienne à raconter la violence avec légèreté. Fabienne aime mettre a à nu les choses cachées. Le roman est caustique et tendre à la fois. Et on peut s’étonner d’une lecture agréable à propos de quelque chose d’insoutenable en vérité.

Le personnage central du livre, Suzanne, que l’on va suivre de 1936 à nos jours, a vécu dans son enfance la terrible angoisse d’être abandonnée. Elle ne guérira jamais de la peur de ne pas être aimée même si elle a pu connaitre un moment ce sentiment inconditionnel et indispensable auprès de sa grand-mère. C’est ce qui l’a tenue éloignée de la dépression car si le manque d’amour peut ne pas rendre fou il tue à petit feu quand même.

La mère de Suzanne est moderne pour son époque, formidable dans sa vie professionnelle, mais lamentable avec ses enfants et c’est ce qui est terrible. On aurait envie d’établir un parallèle avec Les oreilles de Buster, un roman suédois de Maria Ernestam paru chez Gaia et que les libraires ont beaucoup mis en avant au moment de la rentrée littéraire de septembre dernier. Un livre choc mais lui aussi écrit avec une certaine distance, et qui commence par la confession d’Eva, 56 ans, expliquant pourquoi et comment elle a tué sa mère, après des années de torture mentale, ce que le lecteur ne mesure pas d'emblée.

Suzanne est parvenue néanmoins à créer un foyer « heureux », à regarder autour d’elle avec empathie, et à élever ses deux filles avec bonheur. Mais l’absence d’amour maternel est un cataclysme qui l’a privée de sa lucidité élémentaire à distinguer l’intérêt du sentiment vrai.

Sa fille porte un regard sans concession, estimant que ses parents sont partis de rien pour n’arriver nulle part. Elle analyse le comportement de sa mère avec pertinence : Tu feras semblant de tout pour qu’il (ton mari) soit gentil avec toi. Tu n’auras pas d’autre solution. Tu n’en as jamais eu. (p.14)

Dommage pour elle de n’avoir pas su jouer au bridge ou au golf. Elle rate l’occasion de se lier avec des amis potentiels et d’échapper, peut-être à son destin. Elle vit sa vie comme dans un monastère, sur un étroit chemin (mais elle parvient à s’en contenter malgré tout, aidée par le petit cachet du matin et celui du soir). Elle n’aurait jamais pris un amant pour s’échapper, supportant toujours d’être « son souffre-douleur préféré ». (p. 256)

Suzanne a tellement l’habitude d’éviter les conflits qu’elle ne revendique quasiment jamais. C’est à peine si elle éprouve « une légère envie de mourir » quand elle découvre la preuve de la trahison de son mari dans la boite à gants (p.266). Elle n’aura d’ailleurs pas songé à réclamer « ni fleurs ni couronnes » en disposition testamentaire. Voilà comment la démonstration volumétrique des sentiments familiaux, réels ou exagérés, pourra être visible à son enterrement, quand elle se retrouvera un jardin sur le ventre.

Le personnage du père est un homme « difficile » écrit Fabienne Berthaud. Quelle litote ! Il rumine ses mots comme la vache son herbe. Un mari qui grogne comme un vieux moteur, quoique tant que l’agacement ne tourne pas en colère cela ira. De fait Suzanne finira broyée dans le tourbillon de ce qu’on désigne maintenant sous le nom de violences conjugales, en y mettant le pluriel parce que le singulier serait trop faible pour en rendre compte. L’écriture à la seconde personne est une manière de s’adresser aux femmes qui en sont victimes.

Fabienne Berthaud dresse plusieurs portraits de femmes composant une galerie où l’on espère que la répétition sautera définitivement les générations.

On pense d’abord que c’est l’auteur qui raconte sa version de l’histoire. Mais le tutoiement ne s’adresse pas à nous qui devenons des spectateurs invités à suivre l’enquête de la fragile Gabrielle pendant qu’elle explore le cerveau de sa mère avec un faisceau lumineux. Le regard de l’enfant est le plus touchant car il est imprégné de vulnérabilité.

Elle expectore son chagrin comme la mère vomit son existence, mais elle ne montre rien de sa douleur psychique, par sursaut de dignité mais aucun détail ne lui échappe. Son ubiquité est troublante. Au début du livre elle parle d’elle à la troisième personne. Mais à la toute fin, dans la dernière partie, désignée par un V majuscule (comme vérité ?), elle a pris plus d’assurance et ose le « je ». Et sans dévoiler l’issue on peut penser que le rêve par lequel Gabrielle clôture le récit est une façon de boucler la boucle du roman.

C’est bien de cela qu’il s’agit. Et au cas où le lecteur en douterait il est averti que toute ressemblance avec des personnes vivantes ou disparues serait purement fortuite et involontaire. Car le mari terrible de Suzanne n’est pas le père de Fabienne.

Fabienne vient d’achever le scenario de son troisième film, l’histoire d’une femme qui cherche sa place sur la terre, qui fait des rencontres, qui essaie d’avancer dans la vie par les émotions, et qui va se retrouver en Arizona, où Fabienne va bientôt retourner pour terminer le casting. Le rôle a été écrit pour Diane Krüger qui est en quelque sorte son actrice fétiche depuis Frankie tourné en 2005.

Elle travaille aussi sur un autre projet de roman où il sera cette fois question d’un amour partagé, mais aussi de trahison et de mensonges et qui sera probablement publié chez JBz & Cie, si son éditeur ne change pas encore d’employeur. Car Fabienne est d’une fidélité exemplaire et elle n’aurait pas quitté Albin Michel où est paru son premier roman, puis le Seuil sans autre raison.

Les livres de Fabienne Berthaud : Cafards, Albin Michel, 1994
Moi par exemple, Fleuve noir, 1999
Mal partout, éditions du Seuil, 2004
Pieds nus sur les limaces, éditions du Seuil, 2004, vient de sorti en Livre de poche
Un jardin sur le ventre, chez JBz & Cie, 2010

lundi 27 février 2012

Massage dans le Noir

Hasard ou nécessité …, la coïncidence est en tout cas amusante : l’établissement est situé tout près de la Librairie gourmande et s’est spécialisé dans les programmes d’amincissement. Mais on peut aussi s’y rendre pour des soins du visage, un gommage, un enveloppement, profiter du hammam ou programmer un rituel relaxant de 1 h 30 à 3 heures.

J’y suis allée pour un massage, désireuse de faire cette expérience … dans le noir puisque tel en est le concept.

Cécile m’accueille avec un large sourire. C’est la directrice du Spa. C’est aussi la seule à être voyante car ici la particularité est d’employer des esthéticiennes (on dit praticiennes bien-être) qui sont mal ou non-voyantes. Elle me confie à Djeneba qui me conduit dans une salle qui n’est pour le moment plongée que dans une obscurité raisonnable, le temps que je me repère pour mettre correctement mes vêtements dans le placard.

dimanche 26 février 2012

Jolene de Shaïne Cassim, à l’École des loisirs

Cela faisait peu de temps que j’avais lu Je ne suis pas Eugénie Grandet quand je me suis aperçue que l’auteure, décidément prolixe, signait un nouveau livre dans cette même collection Médium de l’École des loisirs.

Après s’être glissée dans la peau d’une adolescente la voilà qui emprunte les vêtements d’un jeune homme avec autant de facilité apparente. Elle nous avait plongés dans l’univers du théâtre. Et nous découvrons maintenant celui de la musique.

Le livre raconte l’histoire de Jolene, une jeune fille imprévisible, au caractère bien trempé, hérité d’une arrière grand-mère Sioux. C’est aussi le titre d’une chanson de Dolly Parton, reprise par Ray LaMontagne auquel Shaïne Cassim fait plusieurs fois référence (il est très connu depuis qu’il a signé How come, que l’on entend dans le Diable s’habille en Prada). Elle imagine qu’Aurélien rencontre Jolene au cours du concert que le chanteur a donné (réellement) à l’Olympia. Le jeune homme a peur d’affronter ses émotions, mais il a l’art de repérer celles des autres, et il sera à la fois au ciel et au désespoir avec la jeune musicienne. Hallelujah ! comme le chante si bien Leonard Cohen.

Aurélien connait des interrogations comme tous les ados d’aujourd’hui. Il se demande avec lucidité : pourquoije séduis, pourquoi je fuis (p.26). Le cow-boy solitaire qui n’a besoin de personne (p.58) a la trouille d’aimer et son credo pourrait être : ne rien signer surtout… S’il se comporte parfois avec cynisme (avec Oriane) il est aussi capable de devenir un grand consolateur, pour son frère énurétique puis, avec l’aide de sa très compréhensive maman, à l‘égard de Rosemarie, une jeune fille désemparée rencontrée par hasard et qui évoque Sara (prononcer Sera) chantée par Bob Dylan.

Le livre aborde avec sensibilité des sujets polémiques comme l’alcoolisme des jeunes, l’école buissonnière, et des questions existentielles comme le deuil et le pardon. Avec notamment cette philosophie inattendue préconisant de dire adieu comme il faut aux gens qui vous ont fait du mal, sinon ils vous hantent toute votre vie. (p.101)

Et alors que la chanson Hurt de Johnny Cash est représentative de l’univers dans lequel Bernard Saint-Paul plonge le personnage principal de son livre, LUCIEN, c’est cette fois Like a bird on the wire que l’auteure fait écouter à Aurélien avec nostalgie dans la version de Johnny Cash (p.36).

Personnellement je préfère la version originale de Leonard Cohen et je regrette qu’un CD n’ait pas été glissé dans la couverture du livre. On peut craindre que les jeunes lecteurs aillent télécharger les nombreux titres cités pour partager l’atmosphère de voix magnifiques : Nina Simone chantant Feeling Good (p.116), Audrey Hepburn à la guitare pour Moon river (p.138), Otis Redding et son Sitting on the Dock of the Bay (p.159) sans oublier la célébrissime (pour les lecteurs cinquantenaires s'il y en a) protest song de Bob Dylan Hurricane, composée en 1970.

Et de nouveau écouter Like a bird …pour comme le grand Leonard (Cohen, qui fut le créateur du titre en 1969 et qui en a fait la reprise en 2008 à son retour sur scène, d’une manière qui évoque Bashung) espérer pouvoir affirmer I have tried in my way to be free.

Jolene de Shaïne Cassim, collection Médium de l’École des loisirs, mars 2012

samedi 25 février 2012

L'attraction la plus photographiée du Salon de l'Agriculture

Je n'y viens pas tous les ans. Il faut que la vache ait une bonne bouille. Valentine étant le nom de mon doudou d'enfance je me devais d'aller la voir. Et, une fois n'est pas coutume, j'étais parmi les premiers visiteurs. Des effluves caprines prennent les narines d'assaut dès le troisième pas posé sur la moquette du pavillon 1, celui dédié aux grands animaux. Impossible d'oublier que l'on se trouve dans la plus grande ferme du monde.

En fin de journée il faudra vraiment regarder où l'on met les pieds, même si on peut se consoler en se rappelant que cela porte bonheur.

L'attraction la plus photographiée ce matin là ne fut pas Valentine mais un être bien plus petit en taille et en volume, se déplaçant néanmoins lentement tant sa progression dans les allées étaient entravée par la foule.

Il fallait voir les professionnels, plantés en bordure de leur stand, patientant une trentaine de minutes, exhibant à bout de bras les cadeaux destinés à sa majesté. De quoi remplir un tombereau avec tee-shirts, livres, communiqué de presse, stylos (seul gadget utile pour signer les nombreux autographes que sa campagne va lui imposer de griffer).
Il fallait voir aussi les badauds, téléphone portable brandi, pour photographier l'illustre personnage. A croire qu'il n'avait là que des amis. Ils viendront "tous" faire leur moisson au Salon (le grand gagnant étant ... François Hollande avec un temps de présence de 12 heures). Ce matin-là le visiteur lambda désespérait de parvenir à discuter sérieusement sur les stands. Chacun était concentré uniquement sur la venue du politique jour, qu'il ne voulait pas rater, scrutant ses SMS pour suivre la progression (toujours aussi ralentie) de cet hôte particulier.
Laissons passer. Je vous raconterai ultérieurement ce que j'aurai pu faire après son départ. En particulier un banquet affrontant des anges et des démons sur le stand de la Planète Viande (pavillon 1) et diverses dégustations, notamment d'un fromage d'exception, me faisant adopter leur nouvelle devise, le roquefort j'adore en toute sincérité. Je ferai aussi quelques découvertes de produits auvergnats dont l'histoire est pourtant ancienne et je ferai un tour auprès des producteurs lorrains que je connais bien. Plus quelques autres surprises ...

vendredi 24 février 2012

Et si nous parlions des Cesar ?

Je n'en parle pas tous les ans mais il y a des soirs où ce genre de cérémonie appelle des commentaires. Il me semble parfois nécessaire d'exprimer mon opinion, quitte à m'attirer des foudres.

Tout palmarès est injuste, on le sait, mais tout de même je regrette que l'équipe de la Guerre est déclarée soit repartie bredouille et que celle de Polisse n'ait pas eu besoin d'un caddy pour transporter les statuettes.

De là à cautionner l'intervention désastreuse de cette actrice, mécontente du choix du Meilleur acteur dans un second rôle, et qui se permit de porter un jugement sur le vote des jurés il y a un gouffre que je ne franchirai pas. Sont-ce les boissons alcoolisés qui abondaient sur les buffets installés à chaque étage du Théâtre du Châtelet avant le début de la retransmission (je n'y étais pas mais on m'a raconté) qui ont compromis la bonne tenue de cette dame ou bien un excès de pure bêtise ? On pardonnerait mal d'un homme une telle goujaterie. L'unique mérite de cet incident fut de révéler l'humour et le fair-play de Michel Blanc proposant de pratiquer la garde alternée du César avec Joe Starr.

Je ne me dédis pas. J'écrivais en octobre dernier que je n'aurais pas été surprise que cet acteur reçoive le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes. Mais la prestation de Michel Blanc dans l'Exercice de l’État est remarquable, quoique moins surprenante. On sait depuis longtemps combien c'est un très bon comédien. Mais s'il est vrai qu'il n'a pas encore reçu de César, et sachant combien les artistes ont besoin de reconnaissance, réjouissons nous que grâce lui soit enfin rendue.

Quant à Maïwen, espérons qu'elle se consolera en se souvenant de la remise du Prix du jury au festival de Cannes, ou plus proche, de celle du Prix Toscan du Plantier attribué à Alain Attal, le producteur du film via Les productions du trésor. Elle pourra aussi comptabiliser avant de s'endormir le nombre croissant des entrées du film et si tout cela ne suffit voir en boucle l'hommage que Laure Gardette lui a fait dans son discours de remerciement du César du meilleur montage.

Avec 13 nominations Polisse était le grand favori des César 2012 (oui César ne prend pas de s, qu'on se le dise). Le film est d'ailleurs ressorti mercredi sur les écrans français, et le succès qu'il rencontre en salle est somme toute la meilleure récompense.

The Artist a été le grand gagnant, sauf le principal protagoniste, Jean Dujardin, assez visiblement déçu de ne pas avoir sa statuette comme les autres. Qu'il sache bien que le Cesar n'est pas la plus grande récompense du cinéma. On dit que c'est l'Oscar. Alors gageons qu'il sera honoré à Hollywood dans 48 heures.

Je vous avoue que ce n'est pas ce long métrage là que j'aurais plébiscité (sauf l'acteur principal qui réalise une vraie prouesse). Il est certes très bien fait, mais nombriliste et tellement certain de plaire à un public américain que cela en devient gênant. J'attends autre chose du 7ème art.

Il y eut quelques jolies séquences d'anthologie, comme ce remake de The Artist avec Antoine de Caunes dans le rôle principal ou l'hommage à Annie Girardot, monté avec sensibilité. Et puis, le numéro de dressage de Julie Ferrier d'un petit chien ... artiste comme il se doit.

Qu'attendre d'une cérémonie comme cette remise de prix ? De l'humour et de la tenue ... ce ne fut pas toujours le cas. Si dans l'ensemble Antoine de Caunes fut plus correct que d'habitude, malgré des jeux de mots pesants (il s’amuse à placer la soirée sous le signe du glumour, une contraction de glamour et humour avant d’aller faire un petit tour en trottinette) on ne peut pas en dire autant de Laurent Laffite qui ferait un beau duo avec la demoiselle précédemment épinglée. Nous nous préserve pour les Molière ... en espérant que la soirée ait lieu cette année, ce qui est loin d'être gagné tant que la guerre entre théâtre privé et théâtre public demeurera déclarée.

Pas de tenue sublime cette année. Quelques jupes très courtes, quelques robes minimalistes et sans bretelles que leurs occupantes retenaient de glisser au moment de monter sur scène, et surtout, surtout, beaucoup de plexus à l'air ou presque. Cela en devenait lassant. S'il fallait attribuer un prix du décolleté plongeant c'est peut-être Sylvie Testud qui l'aurait emporté, avec quelques centimètres d'avance.

Rappelons tout de même que la plus grande victoire est celle du Cinéma qui avec 215 millions d'entrée a fait sa meilleure année depuis 1966, preuve que le téléchargement ne le fait pas mourir et qu'il y encore un public qui aime aller voir un film en salle, au milieu d'autres êtres de chair et d'os.

Chroniques que vous pouvez lire dans les colonnes de A bride abattue sur les films primés, ... ou pas :
Le superbe film réalisé par Valérie Donzelli, la Guerre est déclarée.
Carmen Maura, César de la Meilleur actrice pour un second dans les Femmes du 6ème étage
Omar Sy, Meilleur acteur dans les Intouchables
Meilleur film d'animation le Chat du rabbin, de Joann Sfar
Le film Polisse
Pour relire le billet consacré à Maïwwen à propos de Pardonnez-moi, cliquer ici.
Et la chronique Cesar 2008, premier billet d'humeur, et d'humour du blog, à relire

jeudi 23 février 2012

Fagottini Barilla en pot-au-feu

Les pâtes divisent mes enfants à propos ... vous allez sourire ... de leur emballage.

Ma fille choisit les mous, parce, dit-elle, on voit clairement ce qui est à l'intérieur et combien il en reste une fois le paquet entamé. Elle estime qu'il est facile de le refermer hermétiquement.

Mon fils préfère les boites en carton parce qu'elles peuvent s'empiler sans que tout s'effondre lorsqu'il ouvre le placard. Il faut tout de même que la boite soit conçue pour se refermer aisément sans avoir besoin de scotcher le dessus du carton. Bien sûr ce serait mieux s'il y avait "une petite jauge" sur le coté, ou mieux encore sur le devant, mais il lui suffit de soupeser pour avoir une idée du volume restant. Ma fille ne supporte pas l'idée que les pâtes soient alors "à l'air", ce qui ne le dérange pas s'agissant d'un produit sec.

Et voilà qu'arrive sur le marché, comme on dit, et proposé par Barilla, un nouveau conditionnement (à droite sur la photo) qui les met d'accord, sauf sur un point : ils ne croient pas à la promesse de 3 portions, estimant le paquet trop petit. La suite des évènements leur démontrera leur erreur d'appréciation. Il y eut largement de quoi régaler 4 personnes.

Cet emballage, d'un joli bleu pour ma fille, encore suffisamment géométrique pour mon fils, un peu rétro pour les deux, mais changeant agréablement des pâtes trop classique, fait tout de même craindre un prix un peu plus élevé. A vérifier en rayon ...

J'ai préparé ces Fagottini de manière peu classique précisément en les cuisant et en les servant dans un bouillon de légumes. J'ai employé un poireau, une carotte, une pomme de terre, un panais et un oignon piqué d'un clou de girofle. Une fois les légumes cuits, j'ai égoutté, attendu que le bouillon reprenne une ébullition pour y jeter les pâtes que j'ai laissé 8 minutes.

J'ai servi dans une assiette creuse, avec le bouillon, en disposant joliment un peu des légumes (à mon avis). avant de revoir l'assaisonnement en sel et poivre. Les convives ont apprécié, estimant que cela changeait des pâtes sèches traditionnelles. Leur consistance très proche des pâtes fraiches fut très appréciée.

Recette réalisée avec les Trofie Liguri ici.

mercredi 22 février 2012

Lo Speziale, opéra-bouffe de Haydn mis en scène par Anne-Marie Lazarini aux Artistic Athévains


(mise à jour 9 décembre 2012)

Un orage éclate avant l'entrée des musiciens, masqués comme si nous étions en février à Venise, en plein Carnaval. Le retard de la pianiste provoque une certaine électricité. La représentation ne peut pas commencer sans Andrée-Claude Brayer qui assure aussi la direction musicale. Elle arrive, abritée sous un parapluie qu'elle claque sèchement avant d'attaquer ... la marche turque de Mozart.

On aura compris que l'on va gentiment nous secouer ce soir. Après le parapluie apparaitront une mappemonde, un mixer, une radio pour suivre un match de foot, un journal, une valise à roulettes et autres objets anachroniques renvoyant aux années 60-70 avec un naturel confondant et sans choquer le moins du monde.

Les costumes seront magnifiquement d'époque (XVIII°). Le décor est une toile peinte en trompe-l’œil (sujet d'actualité en ce moment) rendant parfaitement l'ambiance de cette placette en bordure de la lagune. Le livret, écrit par Goldoni, n'est pas très palpitant ... comme souvent à l'opéra. Je la veux, il l'a veut, lui aussi, pas elle et en fin de compte (on aurait envie d’écrire "conte") les voilà réunis après un combat de coqs et tout est bien qui finit bien. O que vita !
On va à l'opéra non pas pour entendre un beau texte mais de belles partitions données par des voix puissantes. Et pour ce qui est de cela Lo Speziale est un bijou. La mise en scène d'Anne-Marie Lazarini est délicieusement impertinente ce qui fait de cette soirée un moment particulièrement appréciable.

Lo Speziale, opéra-bouffe de Haydn mis en scène par Anne-Marie Lazarini aux Artistic Athévains jusqu'au 26 mars 2012, 45 rue Richard Lenoir, 75011 PARIS, M° Voltaire, Tél: 01 43 56 38 32

Ensuite reprise du 3 au 29 avril 2012, toujours aux Artistic Athévains des Serments indiscrets, de Marivaux dans la mise en scène Anne-Marie Lazarini dont j’avais rendu compte la saison passée
mardi 20h ; mercredi et jeudi 19h ; vendredi et samedi 20h30 ; samedi et dimanche 16h ; relâche lundi
et en tournée :
le 27 janvier 2012 à 20h45 à Saint-Germain-en-Laye, au Théâtre Alexandre Dumas, Jardin des Arts, place André Malraux 78108 Saint-Germain-en-Laye réservations 01 30 87 07 07
les 27, 28 et 29 mars 2012 à 20h à Oullins, au Théâtre de la Renaissance, 7 rue Orsel 69600 Oullins réservations 04 72 39 74 91

Reprise aux Artistic Athévains du 18 décembre 2012 au 12 février 2013

mardi 21 février 2012

LUCIEN de Bernard Saint-Paul aux Editions du Panthéon

Les chroniques (je n’ose employer le terme de critique) que j’ai publiées depuis ma participation au Grand Prix des lectrices de ELLE me valent d’être sollicitée régulièrement par des éditeurs, parfois directement par des auteurs. C’est à la fois un bonheur et une épreuve. J’essaie de ne pas accepter un livre dont je suppose d’avance que je n’en parlerai pas, soit que je n’en aurai pas le temps avant longtemps, soit que je n’ai aucune attirance pour le sujet. Il arrive que l’on m’adresse une liste avec en annexe les 4ème de couverture en m’invitant à « faire mon marché » et il est encore plus difficile de résister.

Qu’est ce qui fait alors que je m’intéresse à un livre en particulier ? L’annonce d’un premier roman est une bonne raison. Il me semble que s’il y a un effort de découverte à entreprendre c’est bien envers les jeunes auteurs, quel que soit leur âge. Bien sûr la couverture, le titre, le pitch comptent aussi, mais dans une moindre mesure. C’est ainsi que LUCIEN m’arriva entre les mains.

La couverture dénotait furieusement avec la discrétion habituelle d’une première publication. Annoncée comme un roman elle avait un air de biographie. J’aurais parié sur la vie d’un jazzman comme Armstrong, à ceci près qu’il se prénommait Louis, et non Lucien. Qui pouvait bien être ce personnage … il faudra lire l’ouvrage entièrement pour en avoir la révélation et apprendre qu’il s’agit en fait d’une ante-biographie en quelque sorte.

J’ai assez vite compris que la couverture affichait le portrait de l’auteur, ce qui trahissait un narcissisme dérangeant ou une timidité maladive. Il faut en tout cas une belle spontanéité pour s’exposer en gros plan, comme pour inviter le lecteur à mieux entrer dans son intimité. A force de naviguer dans le cerveau de Grégoire, le personnage principal compositeur de musique de pub, j’ai soudainement réalisé que ce cliché évoquait une jaquette de CD. Le cliché employé sans retouche, hormis le tramage,a été effectué dans des conditions modestes, avec un éclairage de fortune, par Emmanuel Louis qui commence à avoir une belle notoriété.

Le nom de l’auteur aurait du me parler. Par chance Bernard Saint-Paul ne me disait rien. L’objet pouvait donc être dégusté à l’aveugle si je puis dire, et malgré cette association de bleu et d’orange peu appétissante, elle aussi peu courante hormis dans le secteur des travaux publics.

J’ai commencé la lecture un matin, très tôt, comme j’aime le faire, et c’est à regret que j’ai suspendu cette découverte une heure plus tard pour me rendre au bureau. L’écriture est dense, ronde, gonflée d’expressions imagées, sans pour autant verser dans le style parlé.

On met énormément de soi dans un premier livre. Certains passages respirent trop le vrai pour avoir été inventés. Nul besoin d’appartenir à la jet-set pour deviner le nom de celui ou de celle qui est férocement pointé. Il n’empêche que c’est habilement tissé. Le tour de force consiste à laisser vivre les personnages plutôt que de céder à la tentation de se raconter soi-même, surtout quand on a une forte personnalité et qu’on a eu ce qu’on appelle une vie riche en émotions.

Bref ce n’est pas un roman à clés, ni un règlement de comptes avec le monde de la musique, gonflé d’individus à l’ego surdimensionné. C’est un vrai bouquin qui se partage avec plaisir.

La quatrième de couverture m’avait prévenue : Grégoire navigue entre deux tentations, l’envie d’être célèbre et le besoin d’être vrai.

La célébrité n’est rien d’autre, à mon avis, que la nécessité de colmater la brèche d’un déficit d’amour subi dans l’enfance. L’ourson mal léché développe un odorat exceptionnel dans l’espoir de trouver un jour, non pas celle qui a été sa mère, -il sait intuitivement qu’elle est à jamais perdue – mais dans la perspective de ne pas passer à côté de celle qui sera une moitié d’orange possible. On ne peut tout de même pas rater toutes ses entreprises. Tant qu’à échouer quelque part, rêvons que ce soit sur une épaule complice.

Le besoin d’être vrai est le revers de cette même médaille. N’étant pas guéri de son enfance on finit par exhiber ses handicaps comme des médailles. A défaut d’avoir été aimé inconditionnellement on vise de l’être malgré ses points faibles qu’il devient hors de question de gommer bien au contraire. L’entourage se moque, croyant avoir analysé un masochiste indécrottable. Certains tournent ainsi en rond assez longtemps.

L’issue est de créer une œuvre, qui sera plus facilement présentable que sa propre personne. Car si elle est une partie de soi, elle est tout de même un morceau externe qui peut s’offrir aux regards. Et si elle est appréciée c’est le « début de la rustine » car cet objet est éternel. Et la « reconnaissance » prend une valeur réparatrice. On pourrait donc ne pas chercher la célébrité pour soi mais la cultiver pour ses créations. C’est cela (aussi) être vrai.

Parfois l’œuvre est un enfant et c’est une nouvelle complication. Mais revenons au début de l’histoire. Le premier chapitre m’a fait penser à l’autobiographie de Jean-Dominique Bauby, Le Scaphandre et le Papillon, paru en 1997. Il y a quelques similitudes au démarrage. Il y en aura une autre à la fin lorsque Grégoire s’effondrera. C’est que cet homme a plusieurs points communs avec l’ancien rédacteur en chef de ELLE, question probablement de milieu, d’époque, de système de pensée, de valeurs ...

Bernard Saint-Paul a des goûts littéraires marqués. Quand il n’aime pas il ne gêne pas pour le faire savoir, ce qui est quasi courageux s’agissant d’une femme qui publie un roman par an avec une régularité métronomique. Quand il aime il ne s’embarrasse pas pour en faire la pub. Cela tombe bien, je partage le même avis que lui à propos de Pascal Garnier.(p.134)

Pareillement dans le domaine musical. Il apprécie Johnny Cash et nous livre les paroles de Hurt (p.110) dont il nous dit que les paroles sont sur-mesure pour Grégoire, à moins que ce ne soit pour lui-même.

L’auteur a du style pour décrire un lieu quelconque en le magnifiant. Allez savoir si c’est parce qu’il est myope qu’il s’intéresse à ce point à l’ouïe et à l’odorat, mais son écriture s’en trouve enrichie tout en demeurant masculine, flirtant avec un ton de roman policier.

Avant d’être écrivain Bernard Saint-Paul fut réalisateur dans l’industrie musicale. Sa plus grande surprise d’écrivain fut de découvrir que l’inspiration n’existait pas. Et qu’il ne suffisait pas d’avoir envie d’écrire pour que les doigts trouvent d’instinct les bonnes touches sur le clavier de l’ordinateur. Il a démarré très exactement un 8 juillet, il y a 4 ans, persuadé de pouvoir passer à autre chose à Noël.

Il a du faire sien l’adage populaire prévenant que c’est en forgeant qu’on devient forgeron et celui de Nicolas Boileau qui préconisait dans son Art poétique de sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettre son ouvrage, pour le polir sans cesse et le repolir.

Bernard Saint-Paul dit qu’il a « buriné » la pierre pendant quatre longues années pour parvenir à décrire de manière digeste le point de vue d’un quarantenaire qui commence à regarder dans le rétroviseur. Il a fallu purifier le style, donner un rythme particulier à l’écriture avant de parvenir à restituer de manière vraie et sensible la maladresse d’un homme qui a tout pour être heureux sans l’être. Car si Grégoire est beau gosse, qu’il a du cul et un savoir-faire, c’est un peureux opportuniste et sa rencontre avec Amandine ne mènera nulle part. Il y a trop de jalousies et de non-dits entre eux (alors que rien n’est caché au lecteur qui aurait bien envie de leur dire à chacun de s’écouter un peu pour mieux s’entendre). La jeune femme en est persuadée : l’amour c’est pas pour nous, on n’est pas fait pour çà, il nous manque un maillon dans la chaine affective (p.269).

La formule est habile mais juste. Et avoir conscience de ce manque est essentiel pour éviter d’aller, comme on dit, dans le mur. L’histoire finira-t-elle bien ou mal … vous le devinerez … peut-être … mais en en faisant votre propre lecture.

C’est sans doute difficile d’écrire un premier roman. Il me semble que le second l’est davantage. Par chance Bernard Saint-Paul l’a vraisemblablement commencé avant d’avoir achevé le précédent. Il s’intitulera Monsieur Lapin et racontera l’histoire d’un mec qui s’appelle Lucien, parce que décidément l’auteur aime ce prénom en particulier.

Rien ne dit que ce soit la suite du premier (et ce serait d’ailleurs assez drôle que ses héros se prénomment systématiquement Lucien, histoire de régler la question une fois pour toutes). Ce Lucien- là sera né avec une poliomyélite et le roman débute quand il part enterrer son vieux professeur de physique. L’enjeu est de comprendre pourquoi c’est lui qui organise les obsèques, entouré de gens qui ne savent pas l’essentiel de la vie de cet homme.

Il se pourrait bien que je m’intéresse à ce livre là parce que le sujet est intrigant et que j’ai aussi tout simplement envie de retrouver dans ce second roman un plaisir de lecture comparable au premier.

LUCIEN de Bernard Saint-Paul aux Éditions du Panthéon, 2012

lundi 20 février 2012

Detachment de Tony Kaye

Detachment n'est pas un film de plus sur le difficile exercice du métier d'enseignant.

Certes, Adrien Brody campe le rôle d'un prof dans un établissement où les adolescents sont si mal éduqués qu'on en viendrait à considérer les élèves du film français Entre les murs comme des enfants de chœur. Et il faut alors d'urgence aller voir Detachment pour mesurer que nos collèges n'ont pas encore atteint le pire, même si vous me ferez observer que depuis trois ans la situation n'a pas dû s’arranger.

Mais là n'est pas le sujet de ma chronique. Detachment m'a séduite à plus d'un titre. Et je ne suis pas unique puisqu'il a remporté de nombreux prix, notamment le Prix de la Révélation Cartier et le Prix de la Critique Internationale au Festival de Deauville 2011.

Le point de départ est simplissime : Henry Barthes est un professeur remplaçant. Il est assigné pendant trois semaines dans un lycée difficile de la banlieue new-yorkaise. Alors qu'il s'efforce de toujours prendre ses distances, Barthes va voir sa vie bouleversée par son passage dans cet établissement et la rencontre dans la rue d'une jeune prostituée ...

Ainsi résumé le scenario semble mince. Sauf que la réalité ravive d'anciennes blessures. Le flegme et la patience de l'enseignant ne lui sont pas si naturels et très vite on s'aperçoit du travail qu'il a entrepris pour tenir ses propres démons à distance. Le montage est conçue de manière à ce que le spectateur confonde la passé et le présent, les souvenirs et la réalité et se double quasiment d'une intrigue familiale. On a tous du chaos dans nos vies, fait-il remarquer. Les séquences sont filmées sans concession.

Le fait que le scénariste soit enseignant, ainsi que le propre père d'Adrien Brody (dans une école publique de New York) où il est selon lui un modèle de générosité et de patience ont permis que chaque détail soit juste et que les dialogues soient crédibles malgré leur extrême dureté.

L'interprétation d'Adrien est parfaitement authentique. Et il est rare d'entendre un acteur dire qu'un film porte à ce point des valeurs communes, même si cela demeure (on l'espère) un rôle de composition. Il incarne un non héro, contrôlant "juste" ses failles, et ses fragilités, ses blessures intérieures et jusque là secrètes évidemment. A croire qu'elles deviennent une force quand on réussit à les transcender. C'est éprouver du "détachement", ce qui ne signifie pour autant se désintéresser. D'ailleurs il accepte avec empathie les complexités humaines. Il répond avec calme à un jeune qui vient de l'insulter et qui menace de le frapper : tu n'as pas à être en colère contre moi car je suis une des rares personnes à vouloir te donner une chance.

IL se sent investi de ma responsabilité de conduire des jeunes de manière à ce qu'ils ne craquent pas, ce que les parents (dramatiquement absents ou à coté de la plaque) ne font pas, ou plus. Il est capable d'un calme olympien avec les élèves, mais il "pète un cable" dans le service où son père est hospitalisé. Son message est de guider les jeunes, et pour les aider à sortir victorieux de l'enfance il recommande de leur donner un exutoire créatif (comme par exemple en travaillant les œuvres d'Albert Camus ou d'Edgar Poe) en leur prodiguant des encouragements. L'enjeu est de défendre et de préserver son esprit par la lecture et la culture. C'est classique. Rachid Bouali en faisait la démonstration sur la scène théâtrale il y a quelques jours avec son spectacle Un jour j'irai à Vancouver, j'aurai l'occasion d'y revenir. Ce qui l'est moins c'est le traitement de l'image et c'est une des forces de ce film qui évite l'écueil de la "bonne leçon".

Vous aurez deviné que s'il avait été dans la courses aux récompenses j'aurais décerné au comédien la place de premier de la classe. Oscarisé il y a quelques années meilleur acteur pour son rôle dans le Pianiste de Polanski Adrien Brody ne cherche pas les honneurs. Le personnage d'Henry Barthes n'est peut-être pas un artiste, mais il est de la veine de ceux qui aident à comprendre la psychologie humaine et à grandir. Et personnellement, j'aime que le cinéma ne soit pas qu'une distraction.

dimanche 19 février 2012

Trompe-l'oeil, imitations, pastiches et autres illusions au Musée des Arts décoratifs

Après la couleur rouge qui fut le thème de l'accrochage qui occupa deux ans durant la Grande galerie du Musée des Arts décoratifs(voir série de billets en août 2009), et une exposition thématique consacrée à l’animal dont je n'ai eu le temps que de faire une brève allusion dans un billet de février 2011 avec une photo absolument mystère d'une paire d’assiettes pour qui ne l'avait pas visitée voilà un nouvel accrochage particulièrement réussi.

Le thème choisi est suffisamment vaste et il est traité dans un sens très large pour être illustré en piochant dans les nombreuses collections du Musée qui présente des sections dédiées au mobilier, aux bijoux, aux jouets, à la publicité ... Ce serait la littérature qui aurait la première donné l'idée d'imaginer un trompe-l’œil en racontant un concours de réalisme entre deux peintres. Pline le Jeune relate que les grains de raisin du tableau du gagnant auraient été picorés par des oiseaux qui n'auraient pas su faire la différence entre le vrai et le faux.
C'est surtout à l'époque de la Renaissance italienne que le principe connait ses plus grandes gloires, avec un second âge d'or au XVIII° avec le baroque nordique et germanique. Quand on sait combien la hauteur sous plafond était un signe de réussite sociale on comprend que certains aient cherché à créer l'illusion, ce qui était avantageux sur le plan économique, même si le plus souvent, le trompe-l'oeil s'affiche en temps que tel, visant en premier la prouesse artistique. On le constate avec cette huile sur toile composant un Dessus-de-porte les saisons, France, vers 1745, d'après les bas-reliefs, les Quatre saisons sculptés par Bouchardon pour la fontaine de la rue de Grenelle à Paris.

Mais l'exemple le plus représentatif sera à cet égard un objet personnel, une armoire surréaliste et onirique en bois peint verni de Marcel Jean(1900-1993), ami proche de Magritte (première photo du billet).
Conçu pour attirer le regard, le trompe-l’œil apporte une troisième dimension dans la deuxième. Les matières jouent parfois un rôle particulier. L'artiste a utilisé des lapis-lazuli et de l'or pour mieux donner l'illusion d'un trio de dés posés sur les 7 de trèfle et de pique et sur l'as de pique, alors que le plateau de la table imite à merveille la feutrine sur laquelle on aurait disposé un jeu de cartes. Monsieur Strasser inventera le strass pour remplacer les diamants, ce qui fut fort utile pour les familles désargentées.

Paul Dyonissopoulos, dit Pavlos, emploie lui des papiers massicotés, qu'il plie et colle pour présenter sous plexiglass une série de Chemises-cravates.

On constate beaucoup d'applications avantageuses avec un mur peint en faux marbre, ou un sol recouvert de linoléum (littéralement huile de lin en latin), une invention qui permet au XIX° de faire de belles économies car un parquet de chêne est comparativement hors de prix.
Plus tard avec le Formica, trouvé par hasard en recherchant un isolant de conduites électriques à base de mica, et qui aujourd'hui serait plébiscité en permettant de préserver les arbres tropicaux. Solide, hygiénique, économique, cette matière a investi les cuisines des années 60 et cela pendant une trentaine d'années.
Le but est parfois de copier dans un souci éducatif. C'est dans cet esprit qu'au XIX° siècle les grands musées se sont échangés des moulages de trésors réalisés grâce aux progrès de la galvanoplastie dont la maison Christofle deviendra orfèvre en la matière ...

Quand l'amélioration des systèmes de chauffage autorise de remplacer les boiseries par du papier-peint les fabricants s'évertueront à créer l'illusion avec virtuosité, sans souci cette fois de réduire les dépenses. Ce sera aussi le cas avec les meubles en papier mâché que l’on croirait en ébène et qui sont disposés dans cette soit-disant Period room . Ici le décor est fictif, composé d’éléments provenant des périodes diverses allant du XIXe siècle avec des papiers peints en guise de draperie ou de trophées de chasse, ou encore des stickers contemporains plastifiés pour évoquer une cheminée ou une double porte haussmannienne.

On imitera aussi la porcelaine ou les matières naturelles avec virtuosité dans un jeu de va-et-vient entre vrai et faux, sans chercher à duper, mais bel et bien à surprendre. Ainsi cette série de Croutes, modèles créés en 1900 par Adolphe Lamarre (1837-1922) à partir d'un moulage sur vif, Mehun-sur-Yèvre, manufacture de Pillivuyt, 1920-1940, porcelaine émaillée (collection particulière) pour le moins appétissante.Les tables s'orneront aussi dans les années 50-60 de diverses imitations de bambous, ou de pailles tressées.

Le domaine de la mode est également dignement représenté. Il suffit de se souvenir des perruques (accessoire masculin à l'origine), faux-culs, chapeaux (une femme ne serait pas sortie "en cheveux" au XIX°) et autres accessoires, souvent fleuris.Mais aussi, plus récemment du premier pull trompe-l’œil d'Elsa Schiaparelli qui imagina un sweater jacquard en 1928, un principe dont Sonia Rykiel fera sa spécialité.
Coco Chanel eut l'idée d'employer la broderie pour imiter le bijou et on peut voir au deuxième étage de la grande galerie de belles réalisations des ateliers Lesage. Les temps changent mais les illusions demeurent. Ce sont les faux tatouages qui font fureur aujourd'hui. Avec les progrès du numérique les prouesses semblent sans limites car le trompe l’œil n'est rien d'autre qu'un savant jeu d lumières et d'ombres, les plus difficiles étaient les réalisations en noir et blanc.

Pour en savoir davantage je vous oriente vers le site du Musée. Vous avez jusqu'au 15 novembre 2013 pour voir ... et revoir cette exposition. N'attendez tout de même pas trop longtemps !

Et si vous êtes passionné par les illusions d'optique et que vous avez envie de confronter vos représentations je vous recommande le site de Walter Wick, un photographe de génie qui compose des tableaux où l’œil se perd avec bonheur.

samedi 18 février 2012

Pour le meilleur et pour le pire par le Cirque Aïtal à l'Espace Cirque d'Antony (92)

J'avais été emballée par La Piste là, le spectacle qu'ils avaient donné à l'Espace Cirque d'Antony en décembre 2008 et je me réjouissais de les revoir. Victor Cathala et Kati Pikkarainen sont deux artistes sympathiques, unis à la ville comme au cirque, pour le meilleur et pour le pire.

J'ignore où se niche le pire mais leur idée de théâtraliser leur nouveau spectacle est très astucieuse. Prétexte à nous mimer une histoire d'amour acrobatique avec tendresse, humour et talent, en faisant parler leurs corps. Ils passent en revue les premiers ébats, les vacances au bord de la mer, les disputes, et le quotidien d'un couple peu ordinaire.

En effet tout les oppose. Elle est petite et blonde. C'est un géant brun. Elle est finlandaise. Il est toulousain. Mais ils ont le cirque en commun et probablement aussi la passion pour la musique dont ils nous font entendre de beaux morceaux.

Un couple ... de chiens en tenue de mariés déboule sur scène dans une vieille Simca (comment pourrait-elle être neuve, on se le demande ...) immatriculée AITAL, du nom de leur formation circassienne, mais aussi 38, ce que regrette Victor qui aurait préféré le 31 de la Haute-Garonne. La voiture recule en coulisses, provoquant déjà des commentaires dans les gradins : c'est le même démarreur que la Twingo, elle était géniale cette caisse.

Retour du véhicule cahincaha avec cette fois les artistes acrobates qui freinent in extremis à quelques millimètres du premier rang. Le couple affiche la crise. Les fleurs s'envolent. Çà sent le gaz ... pardon l'essence, entre eux. A défaut de grimper aux rideaux Kati s’agrippe à l'antenne. Le toit devient tremplin de plongeoir. Le siège-avant sera trinka pour permettre des jeux icariens.

Ils enchainent voltige et clownerie, en utilisant des accessoires qu'il faut resituer dans le contexte. Ce n'est pas un hasard si Victor tire des parpaings du coffre de la voiture. Les utilisateurs avaient pris l'habitude d'en transporter en permanence pour équilibrer le poids du moteur situé à l'arrière. On ne craignait pas à cette époque de faire une surconsommation d'essence en s'alourdissant.

Ils jouent au badminton, activité de loisir qui connut son heure de gloire, au-dessus d'une jupette tendue en guise de filet alors que Niagara chante l'Amour à la plage. Plus tard Madonna couvrira une jolie dispute. Puis les chiens reviendront pour un numéro de dressage très drôle.

Victor et Kati sont partout : dans la voiture, dessous, dessus, sur la piste ... et soudain le voilà qui descend de là-haut , du sommet du chapiteau alors que l'on ne l'a pas vu y grimper. Ils réinventent la balançoire, tirent sur la corde tant qu'ils peuvent, toujours accompagnés des airs célèbres qui ont marqué les vingt dernières années.
Nous les suivons dans leurs efforts physiques et leurs prises de risque osées. Je n'ai pas peur de la route, chante Noir Désir, tout le long d'un bel échange dansé. Un très beau spectacle visuel et musical jusqu'au traditionnel jeté de pétales ... avant d'aller prendre une longue douche très méritée et de retrouver le public pour discuter dans le premier chapiteau d'accueil.

Pour le meilleur et pour le pire jusqu'au 18 février à l’Espace cirque d’Antony, Théâtre Firmin Gémier/La Piscine. Tél : 01 41 87 20 84. En tournée du 23 au 26 février, au Théâtre de l'Olivier à Istres (13), du 8 au 11 mars à l'Athanor à Albi (81), du 16 au 21 mars au Cirque-théâtre d'Elbeuf (76), du 16 au 19 mai au Carré magique de Lannion (22), du 23 au 25 mai au Grand-Logis de Bruz (35), du mai au 1er juin au Théâtre de Redon (35), peut-être du 4 au 7 juillet à St Étienne (42) et enfin de retour en région parisienne en juillet-août dans le cadre du festival Quartier d'été où le spectacle sera présenté en alternance avec la Piste là.

Toutes informations sur le site de la compagnie.

vendredi 17 février 2012

Antoine Desailly tient les murs au Purgatoire

Le mot Purgatoire a de quoi surprendre. Sauf quand on sait qu'il s'agit d'un lieu d'exposition, nouvellement ouvert rue du Paradis (d'où son nom, il n'y a pas à chercher midi à quatorze heures) sous la fourchette d'Alain Cirelli, le patron d’Événements culinaires, dont j'ai déjà parlé dans le blog, mais en rubrique culinaire.Tenir les murs signifiait autrefois, dans une situation de siège, "empêcher l'ennemi de rentrer dans l'enceinte assiégée". Je me trouvais dans cet état d'esprit le soir du vernissage, encombrée malgré moi de noires pensées qui ont précédé un long silence sur le blog. Chacun connait pourtant l'usage actuel de l'expression, empruntée à une façon de désigner les inactifs en langue arabe.C'est l'intitulé choisi pour nommer la seconde exposition du Purgatoire. Antoine Dessailly a investi chaque mur de l'espace qu'il a habillé de son univers en alignant des fenêtres condamnées, des arbres effeuillés et de minuscules prostituées imprimées sur un papier peint conçu pour l'occasion, se découpant, noire, sur une surface diaboliquement rouge.

L'espace d'exposition occupe un loft dont le sous-sol comporte des cuisines à la hauteur du talent d'Alain Cirelli où quelques chefs préparaient en direct des petites gourmandises comme ce risotto aux champignons. Les murs du rez-de-chaussée, revus et corrigés par l'artiste, avaient des allures d'appartement, impression renforcée par un savant mix de matières ultra-modernes et d'objets anciens.
On pouvait apprécier aussi l'humour d'Antoine, tant sur les murs que dans sa conversation. Le jeune artiste travaille avec minutie jusqu'au moindre détail.

Ses œuvres méritent d'être regardées de loin comme de près jusqu'à ce que notre regard se perdre dans les motifs. Une foule très dense se pressait le premier soir, rendant l'exercice fastidieux mais prometteur d'un succès mérité. Merci à lui et à l'équipe d'Alain de m'avoir distraite.

Les photos qui illustrent cet article tenteront de me faire pardonner de ne pas en dire davantage.

Le Purgatoire - 54 Paradis, 54 rue de Paradis, 75010 Paris, est ouvert au public les lundis, mardis et mercredis de 14 à 19 heures. L'entrée est libre. Vous avez jusqu'au 22 mars pour vous y rendre.

Billets relatant un cours de cuisine ou une manifestation d’Événements culinaires :
Nougat de foie gras, sucrine marinée et caramel de balsamique
Pot-au-feu de foie gras de canard à la citronnelle
Papillote de foie aux petits légumes et au gingembre
Présentation générale d’Événements culinaires et d'un des chefs, Yannick Leclerc
"Des Clics et du Goût – Rencontres culinaires" le vendredi 22 avril 2011

jeudi 16 février 2012

Salade de pâtes à la genevoise

J'aurais tendance à bouder les pâtes, craignant qu'elles ne fassent grossir, alors que je sais que c'est inexact.

D'abord parce qu'il faut bien se "nourrir", et se bien nourrir signifie manger à sa faim. Il ne sert à rien de se limiter pour se jeter deux heures plus tard sur des sucreries.

Ensuite parce que si on est un peu astucieux rien n’empêche d'y adjoindre une des cinq portions de fruits et légumes qu'il est recommandé de consommer quotidiennement.

Dans de telles conditions de bonnes pâtes deviennent un vrai régal. C'est ainsi que j'ai découvert les Trofie de Barilla que j'ai cuisinés à la mode ligurienne en les servant avec une sauce au pesto, profitant du fait que la marque vient de proposer la sienne, parfaitement équilibrée, et rapide à employer (même si j'adore réaliser ma version personnelle à base de pignons, d'huile d'olive, de parmesan et de basilic frais).

Leur forme fuselée et tressée incite à une cuisson à mi-chemin entre al dente et bien cuit puisque cette pâte n'est pas d'épaisseur régulière. Elle s'enrobe de sauce sans l'absorber, ce qui est à mon avis plus gouteux.

J'ai détendu cette sauce avec du vinaigre de coquelicot et de l'huile olive, en ajoutant un peu de sel et de la moutarde, alors que je l'aurais utilisée nature si je l'avais employée sur des pâtes chaudes. J'ai ajouté des olives noires, et les tomates en dés, et puis quelques câpres, en regrettant tout de même de n'avoir pas à disposition les fameuses câpres de Pantelleria, énormes et croquantes.

J'ai servi dans un bol Sucre glace noir mat, contrastant avec les couleurs des aliments. Avec du pain de mie, coupé en triangle, et généreusement tartiné de pesto. Trop bon dirent les enfants ... et les grands aussi.

Si vous voulez gagner un petit saladier Sucre glace, différent de celui-ci mais tout aussi beau, à vous maintenant d'imaginer une recette de pâtes que vous photographierez dans un contenant noir puis de l'envoyer à Interprétations culinaires.


mercredi 15 février 2012

Niloufar de Ron Leshem

Ron Leshem est né en Israël en 1976. Il vit à Tel-Aviv, écrit en hébreu. Internet lui permet de voyager sans se déplacer, et de vivre des expériences que la vraie vie lui interdirait tout en écrivant comme s'il y était. Si bien que le docu-fiction est presque la spécialité de ce journaliste également romancier. Il a écrit son premier livre, Beaufort, un énorme succès qui fut adapté au cinéma, Ours d’argent au festival de Berlin en 2007. Il a été conçu d'après les confidences d'un vétéran israélien de la guerre du Liban. Lui qui n'a pas fait son service militaire a réussi à raconter, comme vécue de l’intérieur, une mission de surveillance et de punition des hommes du Hezbollah.

Cette fois, il fait une percée dans un pays voisin du sien, l'Iran, où bien sûr il n'a jamais mis les pieds, ce qui ne l'empêche pas de bâtir une histoire qui semble plus vraie que nature. Après avoir scruté une carte, pointé quelques rues, choisi un immeuble, donné des prénoms à des personnages, il a travaillé pendant trois ans en se connectant sur Internet pour recueillir de la matière première, jusqu'aux extrêmes limites de l'illimité, comme il le reconnait dans une interview.

Il découvre ainsi les rencontres clandestines, et s'étonne que les dirigeants tolèrent une jeunesse ivre et bravant quelques interdits pour éviter d'avoir à gérer des révoltés. Il ne tarde alors pas à établir une comparaison avec la jeunesse israélienne et à nous prédire que dans trente ans Israël aura connu une flambée du fanatisme et subira la même évolution que celle de l'Iran.

Le roman qu'il nous livre est historiquement et sociologiquement très documenté. Il m’a un peu déçue sur le plan littéraire.

Les premiers chapitres :
Kami et son meilleur ami, Amir, se définissent comme des « collectionneurs d’expériences ». Alors qu’Amir reste Kami débarque à Téhéran pour y poursuivre ses études. Il tombera amoureux de l’intrépide Niloufar, une jeune femme passionnée de Formule 1, rêvant de construire son propre bolide et de gagner une course en tant que pilote, en concourant parmi les hommes. Un pari insensé que Kami suivra pour nous du début à la fin, avec une issue qui témoigne de la fragilité des femmes aujourd’hui, en Iran…

Par sa naissance Niloufar se situe du coté des puissants alors que Kami demeure un provincial. Sa vie quotidienne nous est brossée à travers des personnages pittoresques, comme la vieille tante Zarha, chez qui il habite, sorte de Mme Rosa de la Vie devant soi (d’ailleurs cité dans le livre). Cette actrice et chanteuse a subi la déchéance après la révolution. Autrefois célèbre elle ne vit plus qu’entourée que de son chat Hamad, dans la mémoire de son mari décédé, dans un immeuble où se trouvent aussi une ancienne juge, Mme Safoureh, et un jeune homosexuel discret…
Si j’exprime une relative déception sur le plan littéraire c’est par exemple en raison d’imprécisions comme ce titre de chapitre (p.13) « Hé les polonaises, vous êtes réveillées » que l’on ne comprendra que beaucoup plus loin, en réalisant que c’est un extrait d’un dialogue de la page 277.

C’est aussi parce que l’aspect documentaire prime souvent sur l’intrigue. On sent que l’auteur veut faire passer son message avant de nous raconter une histoire, ce qui n’est pas la vocation première d’un roman. Ceci étant tous les faits sont très probablement exacts, ce qui est en son honneur. Des amis iraniens ont attesté de tout ce qui est écrit et le lecteur sous-informé apprendra l’essentiel de l’histoire récente de ce pays (p. 254 et suivantes). Il connaitra aussi la dureté du Code pénal islamique, les règles de lapidation, plus draconiennes pour les femmes que pour les hommes. Il distinguera ce qui est haram (interdit) de ce qui est halal (permis). Il comprendra mieux pourquoi l’opposition clandestine est plutôt limitée, ce qui renforce la portée du roman.

Ron Leshem a réussi également à traduire le mode de pensée des iraniens et leur philosophie de la vie. Certaines maximes sont banales : Chaque fleur a sa saison pour s’épanouir (p.78). D’autres sont mélancoliques : pour qu’il y ait du bonheur, il faut qu’il y ait un fardeau (p.265) ou encore : ne néglige jamais la capacité des gens à te décevoir (p. 271).

Et pourtant, man khoubamtout va bien. Il fait dire à Kami : le plus important dans la vie, c’est de réduire la part des regrets pour ne pas se lamenter qu’il est trop tard (p.120), le pire étant de se languir de ce qui a presque été mais, à la fin, n’a pas été (p.259). Il explique le secret de l’amitié entre Mme Safoureh et Zahra dans l’évitement des questions inutiles, les réponses n’étant pas indispensables (p.170) car nous sommes un peuple trop entier, ivre de drames, et trop sentimental (p.260). Changer quelque chose pour le moment c’est impossible, alors nous nous « souvenons » (p.296) écrit-il avant d’expliquer en quoi consistent les manifestations du souvenir.

Ma passion pour la cuisine a été pleinement satisfaite. Cette lecture met en appétit. J’ai, depuis, une envie folle de khorest au cerfeuil (p. 16), avec du bœuf, du céleri, de la menthe et une pointe de safran que je dégusterais volontiers en buvant un dough (p. 41) ce yogourt pétillant à la menthe séchée au sel et au poivre, avant d’enchainer avec des shirinis, des petits pains sucrés, que j’accompagnerais de confiture de carottes.

La célébration de Norouz, le nouvel An, qui est toujours fixé au 21 mars depuis trois millénaires est racontée dans le détail (p.278). Il faut mettre sur la table au moins 7 choses dont le nom commence par la lettre S, comme un poisson rouge, un œuf peint, un miroir, de l’ail (sir), une pomme (sib), des épices (sabsi). On ajoutera du vinaigre puisque le vin est prohibé et on n’oubliera pas de poser le Coran sur la nappe. Il n’y aura bien sûr pas de sapin dans la maison mais les enfants recevront un cadeau et la personne la plus âgée devra donner une pièce de monnaie aux plus jeunes.

On perpétue la tradition de l’antique religion persane en ayant ce jour-là de bonnes pensées, en prononçant de belles paroles et en accomplissant des actes de miséricorde. Comme le dirait Niloufar, tout est si fugace, il n’y a pas de temps à perdre (p.91). Ne l’oublions pas le 21 mars prochain !

Niloufar, de Ron Leshem, traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions du Seuil, février 2011
Livre chroniqué dans le cadre du Prix robinsonnais.

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