Ron Leshem est né en Israël en 1976. Il vit à Tel-Aviv, écrit en hébreu. Internet lui permet de voyager sans se déplacer, et de vivre des expériences que la vraie vie lui interdirait tout en écrivant comme s'il y était. Si bien que le docu-fiction est presque la spécialité de ce journaliste également romancier. Il a écrit son premier livre, Beaufort, un énorme succès qui fut adapté au cinéma, Ours d’argent au festival de Berlin en 2007. Il a été conçu d'après les confidences d'un vétéran israélien de la guerre du Liban. Lui qui n'a pas fait son service militaire a réussi à raconter, comme vécue de l’intérieur, une mission de surveillance et de punition des hommes du Hezbollah.
Cette fois, il fait une percée dans un pays voisin du sien, l'Iran, où bien sûr il n'a jamais mis les pieds, ce qui ne l'empêche pas de bâtir une histoire qui semble plus vraie que nature. Après avoir scruté une carte, pointé quelques rues, choisi un immeuble, donné des prénoms à des personnages, il a travaillé pendant trois ans en se connectant sur Internet pour recueillir de la matière première, jusqu'aux extrêmes limites de l'illimité, comme il le reconnait dans une interview.
Il découvre ainsi les rencontres clandestines, et s'étonne que les dirigeants tolèrent une jeunesse ivre et bravant quelques interdits pour éviter d'avoir à gérer des révoltés. Il ne tarde alors pas à établir une comparaison avec la jeunesse israélienne et à nous prédire que dans trente ans Israël aura connu une flambée du fanatisme et subira la même évolution que celle de l'Iran.
Le roman qu'il nous livre est historiquement et sociologiquement très documenté. Il m’a un peu déçue sur le plan littéraire.
Les premiers chapitres :
C’est aussi parce que l’aspect documentaire prime souvent sur l’intrigue. On sent que l’auteur veut faire passer son message avant de nous raconter une histoire, ce qui n’est pas la vocation première d’un roman. Ceci étant tous les faits sont très probablement exacts, ce qui est en son honneur. Des amis iraniens ont attesté de tout ce qui est écrit et le lecteur sous-informé apprendra l’essentiel de l’histoire récente de ce pays (p. 254 et suivantes). Il connaitra aussi la dureté du Code pénal islamique, les règles de lapidation, plus draconiennes pour les femmes que pour les hommes. Il distinguera ce qui est haram (interdit) de ce qui est halal (permis). Il comprendra mieux pourquoi l’opposition clandestine est plutôt limitée, ce qui renforce la portée du roman.
Ron Leshem a réussi également à traduire le mode de pensée des iraniens et leur philosophie de la vie. Certaines maximes sont banales : Chaque fleur a sa saison pour s’épanouir (p.78). D’autres sont mélancoliques : pour qu’il y ait du bonheur, il faut qu’il y ait un fardeau (p.265) ou encore : ne néglige jamais la capacité des gens à te décevoir (p. 271).
Et pourtant, man khoubam … tout va bien. Il fait dire à Kami : le plus important dans la vie, c’est de réduire la part des regrets pour ne pas se lamenter qu’il est trop tard (p.120), le pire étant de se languir de ce qui a presque été mais, à la fin, n’a pas été (p.259). Il explique le secret de l’amitié entre Mme Safoureh et Zahra dans l’évitement des questions inutiles, les réponses n’étant pas indispensables (p.170) car nous sommes un peuple trop entier, ivre de drames, et trop sentimental (p.260). Changer quelque chose pour le moment c’est impossible, alors nous nous « souvenons » (p.296) écrit-il avant d’expliquer en quoi consistent les manifestations du souvenir.
Ma passion pour la cuisine a été pleinement satisfaite. Cette lecture met en appétit. J’ai, depuis, une envie folle de khorest au cerfeuil (p. 16), avec du bœuf, du céleri, de la menthe et une pointe de safran que je dégusterais volontiers en buvant un dough (p. 41) ce yogourt pétillant à la menthe séchée au sel et au poivre, avant d’enchainer avec des shirinis, des petits pains sucrés, que j’accompagnerais de confiture de carottes.
La célébration de Norouz, le nouvel An, qui est toujours fixé au 21 mars depuis trois millénaires est racontée dans le détail (p.278). Il faut mettre sur la table au moins 7 choses dont le nom commence par la lettre S, comme un poisson rouge, un œuf peint, un miroir, de l’ail (sir), une pomme (sib), des épices (sabsi). On ajoutera du vinaigre puisque le vin est prohibé et on n’oubliera pas de poser le Coran sur la nappe. Il n’y aura bien sûr pas de sapin dans la maison mais les enfants recevront un cadeau et la personne la plus âgée devra donner une pièce de monnaie aux plus jeunes.
On perpétue la tradition de l’antique religion persane en ayant ce jour-là de bonnes pensées, en prononçant de belles paroles et en accomplissant des actes de miséricorde. Comme le dirait Niloufar, tout est si fugace, il n’y a pas de temps à perdre (p.91). Ne l’oublions pas le 21 mars prochain !
Niloufar, de Ron Leshem, traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions du Seuil, février 2011
Livre chroniqué dans le cadre du Prix robinsonnais.
Cette fois, il fait une percée dans un pays voisin du sien, l'Iran, où bien sûr il n'a jamais mis les pieds, ce qui ne l'empêche pas de bâtir une histoire qui semble plus vraie que nature. Après avoir scruté une carte, pointé quelques rues, choisi un immeuble, donné des prénoms à des personnages, il a travaillé pendant trois ans en se connectant sur Internet pour recueillir de la matière première, jusqu'aux extrêmes limites de l'illimité, comme il le reconnait dans une interview.
Il découvre ainsi les rencontres clandestines, et s'étonne que les dirigeants tolèrent une jeunesse ivre et bravant quelques interdits pour éviter d'avoir à gérer des révoltés. Il ne tarde alors pas à établir une comparaison avec la jeunesse israélienne et à nous prédire que dans trente ans Israël aura connu une flambée du fanatisme et subira la même évolution que celle de l'Iran.
Le roman qu'il nous livre est historiquement et sociologiquement très documenté. Il m’a un peu déçue sur le plan littéraire.
Les premiers chapitres :
Kami et son meilleur ami, Amir, se définissent comme des « collectionneurs d’expériences ». Alors qu’Amir reste Kami débarque à Téhéran pour y poursuivre ses études. Il tombera amoureux de l’intrépide Niloufar, une jeune femme passionnée de Formule 1, rêvant de construire son propre bolide et de gagner une course en tant que pilote, en concourant parmi les hommes. Un pari insensé que Kami suivra pour nous du début à la fin, avec une issue qui témoigne de la fragilité des femmes aujourd’hui, en Iran…Si j’exprime une relative déception sur le plan littéraire c’est par exemple en raison d’imprécisions comme ce titre de chapitre (p.13) « Hé les polonaises, vous êtes réveillées » que l’on ne comprendra que beaucoup plus loin, en réalisant que c’est un extrait d’un dialogue de la page 277.
Par sa naissance Niloufar se situe du coté des puissants alors que Kami demeure un provincial. Sa vie quotidienne nous est brossée à travers des personnages pittoresques, comme la vieille tante Zarha, chez qui il habite, sorte de Mme Rosa de la Vie devant soi (d’ailleurs cité dans le livre). Cette actrice et chanteuse a subi la déchéance après la révolution. Autrefois célèbre elle ne vit plus qu’entourée que de son chat Hamad, dans la mémoire de son mari décédé, dans un immeuble où se trouvent aussi une ancienne juge, Mme Safoureh, et un jeune homosexuel discret…
C’est aussi parce que l’aspect documentaire prime souvent sur l’intrigue. On sent que l’auteur veut faire passer son message avant de nous raconter une histoire, ce qui n’est pas la vocation première d’un roman. Ceci étant tous les faits sont très probablement exacts, ce qui est en son honneur. Des amis iraniens ont attesté de tout ce qui est écrit et le lecteur sous-informé apprendra l’essentiel de l’histoire récente de ce pays (p. 254 et suivantes). Il connaitra aussi la dureté du Code pénal islamique, les règles de lapidation, plus draconiennes pour les femmes que pour les hommes. Il distinguera ce qui est haram (interdit) de ce qui est halal (permis). Il comprendra mieux pourquoi l’opposition clandestine est plutôt limitée, ce qui renforce la portée du roman.
Ron Leshem a réussi également à traduire le mode de pensée des iraniens et leur philosophie de la vie. Certaines maximes sont banales : Chaque fleur a sa saison pour s’épanouir (p.78). D’autres sont mélancoliques : pour qu’il y ait du bonheur, il faut qu’il y ait un fardeau (p.265) ou encore : ne néglige jamais la capacité des gens à te décevoir (p. 271).
Et pourtant, man khoubam … tout va bien. Il fait dire à Kami : le plus important dans la vie, c’est de réduire la part des regrets pour ne pas se lamenter qu’il est trop tard (p.120), le pire étant de se languir de ce qui a presque été mais, à la fin, n’a pas été (p.259). Il explique le secret de l’amitié entre Mme Safoureh et Zahra dans l’évitement des questions inutiles, les réponses n’étant pas indispensables (p.170) car nous sommes un peuple trop entier, ivre de drames, et trop sentimental (p.260). Changer quelque chose pour le moment c’est impossible, alors nous nous « souvenons » (p.296) écrit-il avant d’expliquer en quoi consistent les manifestations du souvenir.
Ma passion pour la cuisine a été pleinement satisfaite. Cette lecture met en appétit. J’ai, depuis, une envie folle de khorest au cerfeuil (p. 16), avec du bœuf, du céleri, de la menthe et une pointe de safran que je dégusterais volontiers en buvant un dough (p. 41) ce yogourt pétillant à la menthe séchée au sel et au poivre, avant d’enchainer avec des shirinis, des petits pains sucrés, que j’accompagnerais de confiture de carottes.
La célébration de Norouz, le nouvel An, qui est toujours fixé au 21 mars depuis trois millénaires est racontée dans le détail (p.278). Il faut mettre sur la table au moins 7 choses dont le nom commence par la lettre S, comme un poisson rouge, un œuf peint, un miroir, de l’ail (sir), une pomme (sib), des épices (sabsi). On ajoutera du vinaigre puisque le vin est prohibé et on n’oubliera pas de poser le Coran sur la nappe. Il n’y aura bien sûr pas de sapin dans la maison mais les enfants recevront un cadeau et la personne la plus âgée devra donner une pièce de monnaie aux plus jeunes.
On perpétue la tradition de l’antique religion persane en ayant ce jour-là de bonnes pensées, en prononçant de belles paroles et en accomplissant des actes de miséricorde. Comme le dirait Niloufar, tout est si fugace, il n’y a pas de temps à perdre (p.91). Ne l’oublions pas le 21 mars prochain !
Niloufar, de Ron Leshem, traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions du Seuil, février 2011
Livre chroniqué dans le cadre du Prix robinsonnais.
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