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vendredi 27 juin 2025

Les Berlinoises de Inga Vesper

D’Inga Vesper j’avais lu Un destin sauvage, si sauvage et je retrouve avec Les Berlinoises, un roman qui est encore une fois policier et historique où les personnages féminins occupent le devant de la scène. Mais nous avons changé de décor, d’époque et de thème.

L’autrice s’est inspirée de la vie d’une ancêtre (je me suis demandé si ce n’était pas Rike lorsque celle-ci livrera sa confession, mais peu importe au final). L’idée lui en est venue en se souvenant du moment où elle feuilleta l’album-photo de sa grand-mère. Elle la découvre en tenue folklorique avec ses amies dans une clairière faisant toutes le salut nazi. Inga n’avait que quatorze ans mais comprenait l’enjeu de la situation. Sa grand-mère ne lui répondit pas directement quand elle lui demanda si elle avait été nazie. Elle fit claquer l’album en commentant, sous forme d’aveu, nous nous sommes bien amusées aussi, ce n’était pas si terrible

La romancière a composé une histoire en comblant des pans entiers en faisant preuve d’une imagination qui sonne juste. Elle situe le roman à Berlin en 1946 et la ville, qui est quasiment un personnage à elle seule, est loin d’avoir retrouvé le calme et la sérénité d’avant guerre. La défaite est douloureuse, surtout pour les femmes chargées de déblayer les décombres, pierre après pierre, dans un hiver glacial. Malgré le réchauffement fugace avec un lait de poule préparé avec de l’alcool dénaturé, des œufs reconstitués et du mauvais sucre. Tout homme est à craindre, en premier lieu les Ruses qui, entrés les premiers dans la capitale, se sont servis en vainqueurs sans conscience. Ils ont volés ce qui restait à prendre et n’ont pas hésité à violer les femmes qui les craignent plus que quiconque.

Je n’ai pas été surprise par cet aspect qui était présent dans le formidable livre Une femme à Berlin. Journal 20 avril-22 juin 1945 (Traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart, Présentation de Hans Magnus Enzensberger, Gallimard, 2006). Pour lire d’autres articles consacrés à Berlin, suivre le lien.

Les principales héroïnes s’allient pour survivre dans la ville en ruines. Vera Klug a eu l’idée de proposer une maison en colocation à six autres femmes. C’est une ancienne actrice qui a eu une brève heure de gloire dans La croisière au soleil, un film qui s’avérera être de pure propagande. Aujourd’hui Vera chante pour les Yankees et reste en quête de rédemption. Hélas, sa mort, suspecte, bouleverse le fragile équilibre de la maisonnée. Chaque femme a quelque chose à se reprocher et toutes sont soupçonnées.

Les Américains se sont fixés l’objectif de dénazifier la population en la soumettant à des interrogatoires qui se concluent la plupart du temps par la classification en catégorie IV et la mention « suiviste » après la crainte que ce soit pire (Il y avait cinq catégories : Principaux Coupables, Charges Importantes, Charges mineures, Suivistes, Non Concernés, apprend-on p. 143). Il est donc relativement facile d’obtenir le certificat dit Persil (en référence au slogan de cette lessive qui promettait de laver plus blanc que blanc) pour tant d’allemand(es) qui ont regardé sans rien dire alors qu’ils auraient pu empêcher le pire (p. 158).

C’était trop monstrueux dira une femme. Trop humain, répondra le soldat américain chargé de l’interroger. Il ajoutera : On ne peut pas punir tout le monde (p. 384). Ce qui est très bien amené par Inga Vesper c’est que le lecteur ne sait pas si c’est une aberration de plus dans un monde qui persiste à marcher sur la tête ou s’il peut s’en réjouir au motif que les protagonistes ont la vie dure et qu’il faut bien tourner la page.

Beaucoup estiment qu’il ne faut rien oublier. Vous marcherez chaque jour sur des tombes. Vous essayerez sans doute d’enterrer le passé, d’empiler les briques pour bâtir le futur sur le bord de la route, mais les morts … Ils seront toujours là, remontant vers la surface. Ils ne vous quitteront jamais. Vos péchés ne seront jamais pardonnés (p. 123).

Plusieurs hommes interviennent dans l’histoire. Côté allemand, on découvre Ernst Mückler, le mari disparu d’une des colocataires et le redoutable Erich William Fischer, ex-Oberbefehlsleiter du Parti national-socialiste, section Berlin-Centre dont Vera semble avoir été très proche. Côté forces alliées il y a le sergent Coston qui, lui aussi sera victime d’un meurtre, et Billy Keely, le soldat américain tout droit arrivé du fin fond du Kentucky, à l’esprit raciste mais possiblement évoluable.

Il va entraîner le lecteur dans son enquête pour démasquer le ou les coupables des deux meurtres et nous verrons bien s’il existe un lien avec des crimes de guerre. Une carte des lieux aurait facilité la compréhension des déplacements.

Il y a (bien entendu) des passages absolument horribles comme l’était -on le sait- la vie dans les camps. Le plus terrible est de lire que, même après l’armistice, des soldats allemands continuent à en rire. Même quand on est au courant de la vérité tant de souffrance demeure inimaginable. On peut continuer à s’interroger alors que des conflits armés secouent encore le monde.

Les Berlinoises de Inga Vesper, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thomas Leclere, Éditions de La Martinière

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