
Elle fut accessible lors des dernières journées du patrimoine et son ouverture au public est programmée conformément aux volontés de Simone Lurçat, veuve de Jean Lurçat qui l’a léguée en 2010 à l’académie. Pour des raisons évidentes de circulation et de protection de l’endroit, elle sera limitée aux vendredi et samedi, seulement sur réservation, à partir du 4 juillet, pratiquement à l’occasion du centenaire de sa construction et uniquement en petits groupes n'excédant sans doute pas 15 personnes.
De chaque faiblesse il faut œuvrer à faire une force. La maison était trop modeste pour y installer un espace librairie. Attentif à la vie du quartier Xavier Hermel repéra un bâtiment à vendre à l’angle de la voix sans issue. L’emplacement donnant sur la rue de la Tombe Issoire était idéal. une librairie y a ouvert en décembre dernier et je lui consacrerai un billet spécifique.
Depuis 2010, l’Académie des beaux-arts, à travers la Fondation Jean et Simone Lurçat qu’elle a créée, assure l’entretien et la rénovation de la maison-atelier construite en 1925 pour Jean par son frère André, dans la perspective de l’ouvrir au public et de créer des réserves répondant aux exigences de la conservation des œuvres d’art. La restauration, prévue pour fin 2023, aura demandé finalement 5 ans de travaux alors que le bâtiment avait été construit à la vitesse record de 6 mois de décembre 1924 à mai 1925. Elle a été surélevée en 1929, toujours par André, pour créer un second atelier au troisième étage, et longtemps la maison sera la seule de la rue à disposer d’une terrasse. Qui plus est dans le prolongement de l’atelier comme nous le verrons en y montant.
La Villa Seurat est, avec les deux villas édifiées par Le Corbusier rue du Docteur Blanche, et la rue Mallet-Stevens dans le XVIe, l’un des trois ensembles importants réalisés à Paris au début du XX° siècle par les plus grands représentants du Mouvement moderne d’après guerre dont André Lurçat fut un membre important avec Le Corbusier, Auguste Perret et Mallet-Stevens. À l'époque le prix du terrain était attractif en comparaison de Montparnasse où se trouvaient les principaux amis de Jean et où les artistes américains faisaient flamber les loyers. La rue était alors peuplée de ferrailleurs et de marchands de pommes. Et c’est par l’intermédiaire de son frère Jean, qu’André Lurçat reçut les commandes d’artistes désireux d’habiter dans des maisons modernes en périphérie du marché immobilier coûteux de Montparnasse.
La maison de Jean Lurçat (1892-1966), membre de l’Académie des beaux-arts, peintre-cartonnier de renommée internationale, grand rénovateur de la tapisserie du XX° siècle, y sera la première d’une série de 8 habitations, toutes construites par André Lurçat (1894-1970). Je reviendrai sur cette rue en fin d’article.
Sa découverte est intéressante à plus d’un titre. En parcourant le lieu, le visiteur peut apprécier le caractère novateur de l’architecture d’André Lurçat et découvrir un des lieux de vie et de travail de son frère Jean, artiste majeur du XXème siècle. Les nombreuses céramiques, tapisseries, peintures et dessins mais également d’autres œuvres de l’artiste acquises par l’Académie afin d’enrichir les collections de la Maison-atelier y sont présentées dans une scénographie créée par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, membre de l’Académie des beaux-arts et directeur du site.
On peut y admirer le mobilier spécialement étudié pour y faciliter la vie. Pourtant Jean n’y séjournera que brièvement entre deux voyages. Il préférera l’espace du château des Tours Saint-Laurent (Saint-Céré, Lot) qu’il achète en 1945 et où il lui sera plus commode de créer de grands formats.
Cet édifice est caractéristique du travail d’André Lurçat dont l’œuvre s’illustre notamment par la continuité du style. La blancheur de ses façades aux enduits lisses, l’importance des baies vitrées, la couverture en terrasse, la simplicité, le jeu des volumes, des plans et des surfaces, l’absence d’ornementation témoignent de l’esthétique des années vingt et du dialogue qui a dû se nouer entre les deux frères, tous deux influencés par les nouvelles tendances esthétiques de l’époque.
Poussons la porte du ferronnier d’art Raymond Subes (1891-1970) sur laquelle on lit les lettres J et L entrelacées.
Le choix de la couleur de chaque mur s’est appuyé sur un travail de recherche. Lurçat faisait régulièrement repeindre et ce sont souvent 5 couches qui ont été appliquées sur les murs à des dates inconnues et pour un nombre de mois ou d’années qui ne l’est pas davantage. Le choix n’est d’ailleurs pas nécessairement définitif. Un carré d’environ 5 cm de côté met à jour les multiples couches qui ont été traitées par scintigraphie.
On remarquera aussi le design vintage des interrupteurs électriques.
La visite commence par l’atelier que Lurçat n’utilisa pratiquement pas car il était trop petit et mal éclairé. Muni d’une porte donnant directement sur la rue il fut néanmoins très pratique pour y recevoir les galeristes sans avoir à les introduire dans l’espace plus intime où se trouvaient des œuvres que Lurçat n’avaient pas toujours envie de montrer. Muni d’un coin cuisine et d’une pièce d’eau donnant sur une petite cour arrière il fut parfois loué comme studio indépendant et, après la guerre, l’artiste y installe son secrétariat.
L’espace de la Maison-atelier a été repensé dans une optique muséale, afin de retrouver l’ambiance dans laquelle il avait vécu et travaillé mais aussi de mettre en valeur l’œuvre de l’artiste. Voilà pourquoi cet ancien atelier est devenu un espace d’exposition présentant la Villa Seurat et replaçant sa construction dans l’urbanisme de l’impasse.
Au rez-de-chaussée, à droite de l’entrée, dans ce qui fut anciennement la serre puis le bureau de Simone Lurçat à partir des années 50, le visiteur découvre l’histoire et les étapes de la vie de Jean Lurçat avec des clichés d’illustres photographes, comme Brassaï ou Robert Doisneau (ci-dessus) le présentant notamment dans son atelier où il peignant en costume-cravate, signe d’un autre temps. Sur le mur d’en face, un portrait rare par Jean-Paul Laffitte, fresquiste d’origine vosgienne (comme Lurçat né à Bruyères).
A l’arrière de la maison, les travaux de restauration ont permis de retrouver la façade Nord de l’édifice. La courette a été recouverte d’une verrière et aménagée pour présenter les dernières acquisitions de l’Académie des beaux-arts destinées à enrichir le fonds de la collection Lurçat et les donations récentes.
Jean Lurçat a fait exécuter par sa mère ses premiers canevas en 1917. Il s’était installée en 1920 à Paris avec Marthe Hennebert (qui avait été, à partir de 1911, la muse de Rainer Maria Rilke). C'est elle qui tisse au petit point plusieurs tapisseries au canevas dont La femme à la corbeille (ci-dessus) qui est une portière. Il l’épousera en 1925. Elle montera un atelier à Toulon après leur divorce, travaillera toujours au canevas et sera soutenue par Lurçat autant que nécessaire.
Une porte conduit les chercheurs (uniquement sur rendez-vous) vers le centre de consultation et d’archives (ci-dessus). Montons maintenant au premier étage. La chambre du couple donnant sur une terrasse a été réaménagée à la fin des années vingt au moment où Rossane Timotheef, sa seconde épouse avec qui il se maria en 1931, qui était sculpteur, vient le rejoindre avec son fils Victor Soskice-Lurçat (1923-1944) que Lurçat adopte et qui sera bouleversé par sa mort, après six mois de torture par les nazis. André va créer un mobilier "immeuble" en sycomore (non photographié) avec un sofa, une commode suspendue, et un petit secrétaire.
Le dallage du sol reprend un dessin très original fait de chutes de pierre avec des réemplois de marbre des chantiers de l’architecte. La baie sur jardin présente un dispositif ingénieux escamotable qui permet depuis la fenêtre de faire passer les toiles grand format.
La chambre ouvre sur une petite salle de bains avec encore une fois un mobilier fonctionnel d’André Lurçat dans lequel on découvrit des bustes, des raquettes de tennis et un livre d’enfant.
De l’autre côté du palier, une petite chambre conçue à l’origine comme une chambre d’enfant, sans doute pour Victor, munie de son cabinet de toilette, présente le travail d’illustrateur de Jean Lurçat.
Le Bestiaire fabuleux, composé en 1951 de 14 poèmes de Patrice de la Tour du Pin (1911-1975), écrits d’après les gouaches de Jean Lurçat, calligrammes de Jules Dominique Morniroli … parmi lesquels la Puce de cerf-volant, la Méduse, la Belle des sables, le Lézard …
Sur le mur suivant (ci-dessous) se déploient les Toupies, un portfolio illustré en 1925 de treize eaux fortes originales coloriées au pochoir, certaines rehaussées de gouache par l’artiste. L’ensemble présente une variation désabusée sur les rôles et métiers de l’homme sous couvert d’arlequins. Jean Lurçat aura été un artiste travaillant dans une multitude de domaines, jusqu’au vitrail, le papier-peint, les tissus, et toujours avec la même écriture.
Dans l’escalier conduisant au deuxième étage se trouve un extrait de la tapisserie Tropiques (1956) réalisée à son retour du Brésil.
Nous entrons dans le séjour qui a été son atelier et sa salle à manger jusqu’à la construction du troisième étage en 1930. La pièce est baignée de lumière par une grande baie d’angle dont on apercevait le rideau rouge depuis la rue.
Le sol est en bois précieux d’ébène de Macassar, là encore provenant d’un chantier et qui accentue la richesse du décor. Le canapé-corbeille date de 1929 comme les sièges de Pierre Chateau, recouverts de canevas d’après les dessins de Lurçat.
On devine sur ces photos ci-dessous les deux bureaux réalisés par André Lurçat en ébène de Macassar et marbre vert des Pyrénées.
Au mur, Villa Seurat, une immense tapisserie tissée à Aubusson, installée en 1961. Elle a été spécialement conçue pour la pièce et offre un aperçu de l’univers poétique et cosmogonique de Lurçat.Côté salle à manger on peut lire sur L’oiseau de fer qui dit le vent, autrement dit une girouette, une tapisserie de basse-lisse de 1945 cosigné avec Louis Aragon, et offerte par un mécène, des vers du poète orchestrés par une petite chorale de coqs chantant la Liberté. Cette tapisserie unique, réalisée en 1945 dans les ateliers Tabard à Aubusson, prend place dans toute une série composée pendant la guerre et témoigne des engagements politiques et humanistes de Lurçat. Il a fait la guerre dans les tranchées, a soutenu les Républicains en Espagne. Il a rencontré Simone dans la Résistance et la retrouva des années plus tard :
Oiseau de fer qui dit le vent
Oiseau qui chante au jour levant
Oiseau bel oiseau querelleur
Oiseau plus fort que nos malheurs
Oiseau de France comme avant
Oiseau de toutes les couleurs
Les céramiques sont encore une fois de Jean Lurçat qui adorait se lancer dans une nouvelle technique … excepté celle qui est placée à l’angle et qui est de Picasso.
Dans la cuisine aux murs jaunes (comme la salle à manger de Claude Monet) où officiait Raymonde, sa cuisinière, et dans l’office est présenté un ensemble de céramiques en faïence réalisées par le peintre dans l’atelier de Sant-Vicens à Perpignan entre 1953 et1965. Sur le palier à gauche, sont placées des pièces de plus grande forme dans une petite pièce, anciennement chambre de domestiques.
On remarque en montant au troisième étage qu’une peinture murale décorative a en partie été exhumée. Elle sera restaurée. Nous pénétrons dans le vaste nouvel espace de travail que Lurçat utilisa jusqu’à la fin des années trente. Il y avait fait aménager un lit d’appoint dans un placard au-dessus duquel est accroché Smyrne, 1927. Cet homme qui n’aimait pas fréquenter les cafés pouvait parfois travailler toute la nuit et se levait très tôt, en général à 5 heures.
On le voit aujourd'hui dans la configuration correspondant à l’époque où Simone vint habiter la villa en 1956. Lurçat travaillait alors davantage dans le Lot. Le sofa est recouvert d’un tissu d’après le motif Sirène de l’artiste, créé par l’éditeur d’art Corot. Un porte-revue (non photographié) en métal noir, indémodable eet iconique, du designer et tapisseur, franco-hongrois Mathieu Matégot, né en 1910 dans la banlieue de Budapes, est resté à portée de main.
Parmi les tableaux réalisés dans l’atelier, Paysage grec, ou la statue dans les ruines, 1927, huile sur toile, 90 x 117 cm, Le marin grec, 1926, huile sur toile, 155 x 75 cm, et La femme au voile rouge, 1926
L’espace s’ouvre au Sud sur une terrasse d’agrément décorée de cabochons en céramique de Lurçat, tous niques.
Ayant été élu membre de l’académie des Beaux-arts le 19 février 1964, deux ans avant de mourir le 6 janvier 1966 à Saint-Paul-de-Vence, c’est une peu "naturellement" que la veuve de l’artiste, Simone Lurçat (1915-2009) a décidé ce legs, consciente aussi que la section de l’architecture serait attentive à maintenir cette maison dans son état d’origine avec son décor et son mobilier. Elle légua en 2010 la maison, les collections, le mobilier et un ensemble d’un milliers de dessins, peintures et 80 tapisseries, des tapis, céramiques, et toutes les archives (ce qui permet de faire du lieu un centre de recherches) professionnelles et privées d’environ 50 mètres linéaires.
Maison-atelier Lurçat, au 4 Villa Seurat - 75014 Paris
Classée au titre des Monuments historiques, en décembre 2018 elle possède également le label patrimoine du XX°siècle (label officiel créé en 1999 par le ministère de la Culture).
Se renseigner sur le site pour connaitre les conditions de visite
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Promenons-nous maintenant dans l’impasse qui porte le nom du peintre Georges Seurat (1859-1891). On y repère évidemment les huit édifices qui sont typés André Lurçat au n°1, 3, 4, 5, 6, 8, 9 et 11.
L’écrivain Frank Townsend vivait au 1, juste à l’angle de la rue. Aux n°3 et 3bis, une autre maison-atelier, destinée aux peintres Marcel Gromaire et Edouard Goerg, rappelle par sa façade courbe le salon-galerie de la villa la Roche dessiné peu de temps avant par Le Corbusier.
Au n°1bis, l’architecte Jean-Charles Moreux, plutôt classique dans ses réalisations, a dessiné la maison du sculpteur Robert Couturier dans un style épuré.
Le n°5 a été conçu pour le peintre Pierre-André Bertrand (1894-1975), le n°6 pour le sculpteur et céramiste Emile Just Bachelet. Au n°8, la vaste maison aux fenêtres d’angle de Mademoiselle Quillé, marque un changement de couleur dans l’impasse depuis qu’elle a été ravalée en ocre. Au n° 9 les ateliers de madame Bertrand, soeur du peintre. Enfin au n°11, le sculpteur Arnold Huggler y installa son atelier.
Le n°7 bis fut bâti par l’architecte Auguste Perret (il s’agit de son unique réalisation dans la villa Seurat) dans un style bien différent des autres pour la sculptrice russe Chana Orloff. Elle se caractérise par sa haute façade colorée et sa vaste verrière surmontée d’un motif de briques saillantes en “pointe de diamant”. Une plaque invite à programmer un rendez-vous pour la visiter.
Plus tardive, la maison-atelier en verre et métal du n°15 a été réalisée en 1963 par les architectes Maillard et Ducamp. Au 16, le compositeur de musique Maurice Thiriet (1906-1972), connu pour la musique des Visiteurs du soir, résida de 1934 à 37.
Enfin, au n°18, l’écrivain américain Henri Miller s’installe à partir de 1936. Il y écrit Tropique du cancer. Anaïs Nin, amie de Miller et elle-même écrivain, y habita également. Aucune mention commémorative ne signale leur passage dans ce bâtiment qui, aujourd’hui n’est pas particulièrement remarquable et qui abrita aussi Chaïm Soutine (qui y décéda) et Antonin Artaud.
Enfin, pour être complète, je signale qu’André Lurçat avait fait construire sa propre maison en 1951 à Sceaux (92) au 21 rue Paul Couderc, et que j’avais visitée en 2015 dans le cadre des Journées du Patrimoine.
Il bâtit la même année la maison Leduc au 23-25 de cette même rue et deux ans plus tard la maison de l'architecte Albert Michaux au 35. Ces trois maisons présentent le même système constructif en pierre de Vigny pour les murs porteurs et en béton armé pour planchers, terrasses et escaliers.
La rue s’appelait alors Voie des Glaises, et était cimentée. Imaginant qu’elle serait un jour bruyante, ce qui s’avéra exact, André Lurçat a limité les ouvertures côté rue. Tout le dessin a été conçu en direction du parc qui, de plus, est orienté au Sud. La salle à manger s'y prolonge par deux terrasses enfouies dans la verdure d'un jardin très agréable.
L'habitation a été dessinée comme une sorte de grand cube autour d’un petit palier central encadré par deux volées d’escaliers de 9 marches. Vers le haut on accède à l’atelier. Vers le bas on découvre les pièces à vivre.
Beaucoup de placards sont intégrés dans les murs, ces fameux "meubles immeubles" chers à l'architecte qui, malgré leur charme, ne sont toutefois pas très pratiques. Pour la cuisine il s'est inspiré des grands rangements intégrés qu’il avait vu dans les maisons vosgiennes de son enfance.
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