
Elle s’inscrit dans une cycle d’expositions-hommages pour redécouvrir des artistes majeurs du XXème siècle comme ce fut le cas avec la très belle mise en valeur de Rougemont par un public invité à entrer dans son atelier.
D’abord graveur (son œuvre est estimée à plus de mille gravures), Trémois aura aussi été dessinateur, peintre, sculpteur, céramiste et orfèvre. Vous le connaissez tous. Vous êtes forcément passés à côté de la sculpture monumentale qu'il a créée en 1977 (réalisée par la Fonderie Susse), et qui se trouve à la sortie Lescot de la gare de Châtelet-les-Halles, en face des composteurs et du guichet de la RATP, que je n’ai malheureusement jamais pensé à photographier.
Appelée fort à propos Énergies, elle exprime la vision que l'artiste a de la fusion entre l’homme et l’animal, et entre le volume et la ligne et qu'il convient -peut-être- de lire entre les lignes et entre les mots (je la décris en note, en bas de cet article).
Pierre-Yves Trémois est un artiste d’une rare intensité, dont l’œuvre a marqué le monde de l’art par son trait incisif, sa précision anatomique et son exploration fascinante des liens entre l’humain, l’animal et le sacré. On comprend qu’Yvan Brohard, commissaire de l'exposition (ci-dessus à côté de Hermine Videau, Directrice de la Communication et des Prix) soit passionné par le parcours de cet artiste fascinant par sa profusion et son éclectisme, ayant touché avec succès à de multiples techniques artistiques, jusqu’à la céramique.
Il a eu la chance de faire sa connaissance en 2012 et d’être le commissaire de pratiquement toutes ses expositions, en particulier Trémois, rétrospective au Réfectoire des Cordeliers et musée d'histoire de la médecine de Paris en Octobre 2019, qui présenta une oeuvre spectaculaire de 24 mètres, représentant la passion du christ face à celle des hommes.
Une vocation tient à peu de choses. Pour Trémois ce fut une question de météo et de gratuité d’un musée. Il raconte, dans une vidéo projetée dans le parcours, qu’à l’âge de 7-8 ans, il trouva refuge au musée Guimet pour échapper à des trombes d’eau. Il tomba en arrêt devant un tableau chinois et un portrait japonais dans lequel il ne compte que 5 traits. Tout est venu de là.
Je ne sais pas si c'est un juste retour des choses mais l'artiste est sans doute plus célèbre en Corée et au Japon que dans son propre pays. C’est aussi le cas de Georges Mathieu qui par ailleurs était son ami et qui est exposé actuellement à la Monnaie de Paris. Inversement Trémois fut un très grand collectionneur d’art japonais et certaines oeuvres sont maintenant à Guimet ou au musée de Tokyo.
On peut voir au moins un autre signe dans son destin en écoutant la musique de son patronyme qui contient les mots trait et moi qui s’expriment si clairement dans ses oeuvres. Non seulement l’artiste est maître du trait, quel que soit le médium mais il est aussi un peintre ou un graveur qui écrit. Ses tableaux sont ponctués de citations, de petites phrases, de clins d’oeil. Pour peu qu’on tourne la tête on verra, pour ne citer maintenant qu'un exemple, on verra que sur son tableau inspiré par celui de David intitulé La mort de Marat, il pousse Charlotte Corday dans un billet signé du jour du crime, à réclamer la bienveillance de Marat au motif qu’elle serait bien malheureuse.
Né en 1921, mort à près de 100 ans, cet artiste aura traversé le siècle dans un foisonnement artistique. La soixantaine des œuvres choisies par Yvan Bohard illustre la fascination de Pierre-Yves Trémois pour les liens qui unissent l’humain, l‘animal et le sacré. Toutes les époques se côtoient dans la première salle, et parmi les estampes et oeuvres gravées, la plus grande en face de nous est la première et se fait remarquer par une technique très classique
Exode II, eau-forte, pointe sèche, 1940
Il avait obtenu, en 1943, le premier grand prix de Rome de peinture. Il se consacra ensuite à la gravure au burin et à l'eau-forte. Il sera pensionnaire de la Casa de Velázquez de 1951 à 1952 à Madrid où il intègre la 22e promotion d'artistes. Dès qu’il se saisit du burin il trace avec la volonté toujours affirmée de créer une écriture graphique qui lui soit propre, nerveuse, précise, vibrante, en restant fidèle à ce qu’il sait faire (la représentation de la réalité). La gravure au burin exige une présicion extrême puisque tout repentir est exclu. On remarque un très beau portrait de Montherlant (burin et pointe sèche, 1953) dont il était un ami résonne et qui lui enverra sa dernière lettre avant son suicide.
La gravure « La guerre civile » burin et pointe sèche, 1964, a été choisie pour le sac de l’exposition.
Yvan Brohard nous explique la préparation incroyable de la toile de lin que faisait Trémois comme au XVII°. Tous les supports l’intéressent, papier à la cuve, encre de chine, fusain, tout sera matière à faire des expériences aussi bien sur le fond que la forme. Il a été jusqu’à se lancer le défi de faire des monotypes qu’il releva brillamment quand on pense qu'on ne peut pas consacrer plus de 30 minutes à peindre la plaque de cuivre avant qu'elle ne sèche et qu’il faille la mettre sous presse, sans compter qu’une seule œuvre est possible. Il en fera 100 grand format (pressés dans les ateliers Lacourière-Frélaut).
Grand admirateur de Dürer il lui consacre où parfois l’écriture apparaît à l’envers comme on le faisait à la Renaissance. Il ajoute une anamorphose (inventée en Chine au XV° siècle). On peut considérer la deuxième comme celle des hommages, en particulier à Sharaku, qui est un des plus grands graveurs japonais et qu’il associe à Van Gogh (qui était un grand collectionneur d’estampes) et Toulouse-Lautrec pour lesquels il avait une grande admiration, comme pour Ingres.
L’Hommage à Ingres, huile sur toile, 2000, est juste en face et prête à sourire. C’est qu’on peut faire 2 voire 3 lectures de chacune de ses oeuvres et s’apercevoir que l’humour transparaît au second degré. Dans La Grande Odalisque peinte en 1814 sur une commande de Caroline Murat, sœur de Napoléon Ier et reine consort de Naples on remarquait très vite un dos particulièrement long (le peintre avait ajouté trois vertèbres supplémentaire) et l'angle peu naturel formé par la jambe gauche. Ces déformations ont été voulues par Ingres, qui a préféré volontairement sacrifier la vraisemblance à sa vision de la beauté. Elles inspirèrent de nombreux pastiches et détournements. Trémois y répond en dotant de trois bras la femme qui est sur les genoux d’Ingres.
La céramique l’intéressa pendant 18 mois juste après avoir découvert Vallauris en 1994 et cet art avec Picasso. Il aura conçu 120 céramiques gravées dans l'argile et émaillées. Il doit alors travailler à main levée, sans aucun appui possible, ce qui est très difficile. Comme il était fasciné par la mer parce que l’homme est issu du monde marin il représentera souvent des poissons, également ensuite en sculptures.
Entre le feu et le trait, recto et verso
Vint ensuite sa période sculpture en bronze poli et bronze patiné de 1995 à 97. On remarquera que la gravure en était une préfiguration car il la considérait comme une forme de sculpture en aplat, à la manière des scripts égyptiens gravant sur les murs dont il s’estimait descendre. Là encore il se révèle être un homme du trait avec un travail d’écriture très impressionnant sur cette raie pour laquelle il est scribe des contours. Est-ce parce qu’il était lié à une famille d'éditeurs proches des artistes (les éditions Pierre Trémois) et qu’il est le fils de l'homme de lettres Eugène Florimond ? En tout cas l’ajout de textes est presque systématique, écrits par lui ou tirés de textes philosophiques.
Et il réalisera de grands Livres illustrés avec pour auteurs Henry de Montherlant (Pasiphae, 1953, Le Cardinal d’Espagne, 1960, La Guerre civile, 1964), Jean Rostand (Le Bestiaire d’amour, 1958, Les Limites de l’humain, 1971), Federico Fellini (Môa Le Clown, 1984), Paul Claudel (L’Annonce faite à Marie, 1950), Jean Giono (Naissance de l’Odyssée et En marge du périple d’Ulysse, 1966), Nietzsche (Le Chant de la nuit, 1976, préface de Georges Mathieu)… et beaucoup d’autres encore.
Raie, bronze poli miroir, 1977
Inspirée de l’art égyptien, on peut lire au dos les inscriptions : Nous sommes tous fondus ensemble. Je me fais ombre et lumière. Je suis déjà la femme.
Il fera aussi dix bijoux-médailles pour la Monnaie de Paris et des bijoux ciselés (en collaboration avec Van Cleef) avec intérêt parce que l’or est inaltérable. On y retrouve évidemment le trait. Un bracelet-montre s’ouvre pour laisser apparaître un crâne symbolisant la vanité. Il réalisera ponctuellement quelques tapisseries. Et puis les épées d’académiciens de Mstislav Rostropovitch, d’André Bettencourt ou de Louis Pauwels en 1986. Pour le réalisateur Gérard Oury il orne la garde d’une bande de pellicule sur laquelle il grave la fameuse réplique de Jean Gabin à Michèle Morgan dans Quai des brumes : T'as de beaux yeux, tu sais.
Plus on avance dans le parcours plus on découvre des oeuvres de taille impressionnante peut-être en partie parce qu’il travaillait d’après des modèles vivants.
Trémois a présenté Dali à Jean Rostand dont il fut un grand ami. Il se rendra régulièrement dans son laboratoire de recherche attenant à sa maison de Ville-d’Avray. Il s’inspira de Galilée, Copernic, Newton et Darwin et fréquenta beaucoup les grands scientifiques. S’il n’est pas possible d’affirmer qu’il fut ce qu’on appelle un bon élève il est certain qu’il était curieux et qu’il allait toujours au fond des choses. C’était un grand humaniste qui, à l’instar des artistes de la Renaissance, et ils sont peu nombreux, a voulu baisser les barrières, ce que facilitait la conjoncture d’après guerre en autorisant à y croire.
Mais quand il réalise que la science ne va pas tout expliquer il fait de grands formats et entre dans une période christique, et également très critique. Il fait dire au singe (ci-dessous) qu’il n’aime pas les hommes et lui fait critiquer la guerre. Il est en effet envahi par le pessimisme quand il repense à la Seconde Guerre Mondiale et aux bouleversements qui ont suivi, par la folie des hommes, même si l’amour de la vie réussit toujours à prendre le dessus.
Drôle d'histoire ! huile sur bois, 1991
Il représentera souvent cet animal qu’on peut associer à la vanité classique, comme une sorte de miroir pour l’homme. Souvent l’animal est dubitatif ou clame sa colère aux hommes.
Il aura la révélation du cirque avec Pipo le clown blanc et se liera avec Fellini. Le cirque représentait pour lui le théâtre de la vie et de ses aléas, ce qui correspond bien à la modestie extrême dont il a toujours fait preuve. Si une phrase devait le résumer ce serait Du plaisir naît la vie.
Puisse la présente exposition (elle aussi gratuite) contribuer à forger de futures vocations aussi belles !
Trémois, l'anatomie du trait
Commissaire de l’exposition Yvan Brochard
Au Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts
27 quai de Conti, 75006 Paris
Du 18 juin au 28 septembre 2025 (sauf du 4 au 18 août)
Du mardi au dimanche de 11h à 18h, entrée libre et gratuite.
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Energies est un bas-relief en bronze poli de 8 mètres sur 3, légèrement concave. Au milieu de la sculpture, une raie détachée du bas-relief, posée au dessus d’un cercle, avec un creux sous le ventre de l’animal. Sur le dos de la raie sont gravés entre autres un visage et un fœtus, et sur ses ailes, à gauche son écriture si caractéristique "Je suis énergie rayonnante" et à droite "Je me fais ombre et lumière". Dans le pourtour du cercle, on peut lire l’équation de Schrödinger. La sculpture est parsemée de mots, lignes et formules mathématiques dont les caractères historiques en plomb proviennent de l’Imprimerie Nationale.
On y retrouve également 3 visages siamois surplombant le nom de la fonderie, un bras en partie écorché levé vers le ciel, un crâne humain désarticulé, une femme et un homme nus s’enlaçant à côté de ce qui ressemble à un virus géant (à gauche de la raie), un soleil, un embryon en plein processus de fécondation, un autre fœtus, la double hélice de l’ADN, les fossiles d’une limule et d’un poisson ressemblant à un turbot, un visage (à droite de la raie), et tout en bas à droite, la signature de l’artiste.
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