
Anne Révah, qui est aussi pédopsychiatre, professeur de pédopsychiatrie et chef de service à l'Hôpital d'Argenteuil, s'y connait pour nous perdre sur des chemins de traverse.
Les chapitres sont brefs, atteignant rarement cinq pages et son ouvrage est immédiatement inscrit dans un cadre intriguant. L’action se passe à Maleverne dont j’ignorais l'existence et qui contient le drame dans son nom.
Jean est le narrateur est un homme concentré sur le récit des moments passés avec Claire mais l’ombre de Sam, le frère jumeau, s’impose très vite. J'ai longtemps cru qu'il était l'unique récitant, m'étonnant malgré tout au bout de quelques chapitres qu'il soit devenu omniscient, comme s’il était partout.
C’est en fait l’auteure qui prend par moments la parole mais comme ce qu’elle nous dit succède à une phrase dans laquelle Jean s’exprime à la première personne nous avons une illusion de continuité. Ce procédé, très habile, contribue à nous faire douter et participe à l’angoisse.
Claire débordait de haine contre sa mère, son père, son propre corps (…) enferrée dans le mensonge (…) et ne trouve un peu d’apaisement chez Jean et auprès de son cheval (p. 65).
Maleverne est une ville figée entre son motel presque américain et sa zone commerciale. C'est le théâtre de la relation trouble entre Sam et Claire. Jumeaux inséparables depuis leur enfance, dont le lien fusionnel fait jaser. Au fil des années, Jean, son camarade d'école, a appris à attendre Claire, à accepter ses silences et ses retours, à s’effacer devant son lien indéfectible avec ce frère mutique qu’elle protège envers et contre tout.
Jean n'aime pas Sam. Il le trouve angoissant (p. 15) et nous aussi par voie de conséquence d'autant qu'il se répète. Je détestais ce frère pour ce qu’il lui faisait subir, cette vie de prisonnière aux aguets, je ne savais pas comment la sortir de là. La réalité c’est qu’elle n’avait pas le désir que ça change (p. 53).
Ce constat de blocage nous amène à supposer qu’il ne va rien se passer et pourtant c’est loin d’être fini. Les cauchemars arrivent (p. 57) que nous prenons d’abord au pied de la lettre. Puis le moment "fatal" où Jean n’accepte plus le rôle assigné (p. 60). La découverte du premier mort est glaçante (p. 68). C'est la preuve que le cauchemar n’est pas qu’un rêve.
Sam a régulièrement des accès de violence et cache des couteaux sous son lit (p. 52). Cela en fait-il un suspect ?
Les caméras de surveillance chopent une silhouette portant un sweat à capuche. Claire se rend souvent ainsi vêtue à la salle de sports. Cela en fait-il une suspecte ?
Jean est jaloux des femmes que rencontre Claire. Cela en fait-il un suspect ?
Pour complexifier davantage la situation on sait que chacun ment, y compris à soi-même. Personne ne dit la vérité. Tout le monde triche. Jean semble le seul à être lucide : Nous fabriquions ensemble une catastrophe, j’en étais convaincu (p. 93). Mais pourquoi en est-il certain ?
La tension monte au fil des pages. Et puis, il n’y a plus de doute possible. Le (ou la) coupable n’avoue pas mais affirme (p. 158).
Ce huitième roman oscille entre souvenirs d’adolescence, instants suspendus, et l’ombre persistante d’un passé familial délabré, marqué par la folie d'une mère et la mort prématurée d'un père peu investi. Anne Révah y trouve de quoi tisser une histoire de dépendances et de désirs inavoués en composant un roman noir explorant l’ambiguïté des liens, la force des obsessions et la frontière mouvante entre l’attachement et l’enfermement.
La femme qui est dans mon lit de Anne Révah, Mercure de France, collection Bleue, en librairie depuis le 8 mai 2025
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