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dimanche 1 juin 2025

Le Chant des Lions de Julien Delpech et Alexandre Foulon

Le Mois Molière est devenu un rendez-vous qui s'inscrit rituellement sur mon agenda pour la quatrième année consécutive (même si je l’avais découvert en 2014 au Potager du Roi mais à l’époque Versailles me semblait être au bout du monde).

J’essaie désormais chaque année de voir quelques créations. Impossible d’assister à toutes les représentations, elles sont « trop » nombreuses (330 cette année sur 62 lieux) mais j’approuve totalement la volonté de François de Mazières créateur du Mois Molière et désormais maire de Versailles de vouloir ce festival accessible à tous les publics, et dans tous les quartiers. Une des preuves en est la gratuité de multiples séances, ou leur tarif symbolique fixé à 2 €.

Il avait insisté au cours de la conférence de presse d’annonce du Mois Molière sur la place accordée au théâtre contemporain … et à la musique, ce qu’illustre parfaitement la création de la nouvelle pièce de Julien Delpech et Alexandre Foulon Le Chant des Lions (ci-contre à coté de Charlotte Mazneff).

Traditionnellement le festival ouvre dans la Cour de la Grande Écurie du Roi, donc en plein air et même si l’endroit ne permet pas l’installation de lumières comme dans une salle de spectacles ni la projection d’images dont les metteurs en scène adeptes de lapping sont du coup privés, j’avoue que l’extérieur apporte une dimension particulière, une atmosphère que nous apprécions tous comme un moment hors du temps.

La météo était incertaine hier, pour le premier soir de création. La metteuse en scène Charlotte Mazneff a fait pression pour ne pas faire courir de risque au décor et au dispositif technique. Le Théâtre Montansier a dû ouvrir spécialement pour accueillir l’équipe. On comprend pourquoi quand on découvre la scénographie d’Antoine Milian, à la fois sophistiqué et simple.
Elle permet au spectateur de passer en un claquement de doigt de l’appartement de Kessel à une salle de restaurant ou une scène de cabaret, tout autant qu’un wagon de restaurant pour finalemetn se retrouver dans le bureau de De Gaulle puis dans les studios d’enregistrement de la BBC.
A cour, une sorte de standard téléphonique sera le quartier général d’un curieux ingénieur du son, artiste en bruitages (Thierry Pietra ci-dessus avec Elodie Colin) qui, outre une infinité de second rôles lui donnant l’occasion d’un joli travail sur les voix et les imitations, nous révèle les coulisses de plusieurs bruitages : battements de coeur, déflagration, train, …, une averse et des claquements de bottes allemands, et même de la musique avec un verre. C’est Mehdi Bourayou, compositeur et acteur (ci-dessous à droite de Charlotte Mazneff), qui a imaginé cet univers sonore dans lequel il a même réussi à intégrer un extrait de la Symphonie de la machine à écrire de Leroy-Anderson, qui annoncerait presque le spectacle suivant, Les dactylos, qui sera créé au Conservatoire (et auquel je consacrerai un article très bientôt).

Côté lumières nous avions été prévenus que le temps avait manqué pour installer le dispositif tel que Moïse Hill l’avait prévu (et la difficulté aurait encore été supérieure en extérieur en fin d’après-midi) mais le résultat était déjà très prometteur.

Ce spectacle raconte la genèse du Chant des Partisans qui fut composé dans le but d’unir et de motiver les résistants afin qu’ils jouent un rôle décisif lors du Débarquement sur les plages normandes. C’était l’air préféré de son père, ce qui explique son émotion lorsque les deux auteurs, Julien Delpech et Alexandre Foulon, lui ont proposé de le monter. Ayant monté récemment avec eux Les téméraires à propos de l’affaire Dreyfus, elle ne pouvait qu’être partante pour cette nouvelle aventure.

Il ont travaillé un an à l’écriture en jouant avec la chronologie et en faisant de cette chanson, qui fut écrite par Maurice Druon et Joseph Kessel une double déclaration d’amour. Celle de Joseph, surnommé le lion à Germaine Sablon (1895-1985), et celle de Lazare Kessel, le frère de Joseph (1899-1920) à Léonilla Samuel, parents de Maurice. Ce dernier couple apparaît régulièrement par le biais de flash-backs.

C’est un spectacle de théâtre qui accorde une place de choix à la chanson, ce qui donne l’occasion aux auteurs de nous faire entendre quelques-unes de la trentaine qu’enregistra Germaine Sablon et dont nous n’avons guère conservé en mémoire que le Chant des partisans.

Une part importante est aussi consacrée au travail de l’armée des ombres à laquelle appartenait Katia Gangardt, la deuxième épouse de Joseph Kessel (avec d’autres célébrités qui n’apparaissent pas dans la pièce comme Marcel Pagnol ou Gastion Gallimard). On devine le rôle que Germaine a joué dans la Résistance. Engagée dans la France libre, elle poursuivit la guerre en tant qu'infirmière jusqu’en Italie et en France. Elle sera décorée après la Libération de la médaille de la Résistance et de la Croix de guerre, et plus tard la Légion d’honneur, ce qui fait d'elle la plus décorée des chanteuses. Elle méritait bien que sa mémoire soit honorée un jour sur une scène de théâtre !

Les dialogues se concentrent sur un moment de la vie amoureuse du Lion, partagé entre Katia et Germaine, bien avant qu’il ne rencontre Michèle Winifred O’Brien à Londres en 1944, la fameuse "beautiful darling" et qui sera sa troisième épouse.

La vie de Kessel a sans doute été simplifiée par les auteurs en raison de sa complexité. Ils ont conservé l'essentiel pour servir le propos du spectacle. Ceux qui sont voudront absolument démêler l’authentique de l’invention trouveront les clés, scène par scène, dans le livre qui publie le texte de la pièce.

Ils ont en tout cas réussi à ciseler de jolis dialogues pour des comédiens qui s’en emparent avec délice. Kessel (Eric Chantelauze) refuse de se laisser enfermer dans un livre comme une fleur dans un herbier. Katia (formidable Élodie Colin qui incarne aussi la Carpe, une résistante d’un courage exemplaire) accepte qu’on ne mette pas un lion en cage mais qu’on le laisse gambader jusqu’à ce qu’il revienne.

Après plusieurs péripéties inspirées par les évènements historiques, qui permet à Thibault Pinson d’incarner plusieurs personnages savoureux, viendra l’instant de la création d’une chanson qui unisse, rassemble, fédère. Un lyrisme sans borne est à l’œuvre : Je veux sentir siffler les balles au-dessus de ma tête (…) Ton arme c’est ta plume, ta chance c’est de pouvoir (encore) écrire.

On connait les qualités de Vanessa Cailhol autant à l’aise comme comédienne (sa dernière apparition dans Maupassant Inside était prodigieuse) que comme chanteuse (on se souvient de sa présence dans Courgette, qui lui valut un Molière l’an dernier). Il faut saluer sa présence joyeuse et sa voix superbe. Elle nous a offert une magnifique interprétation de Mon homme et bien entendu le fameux Chant des partisans qu’elle démarre presque a capella pour la finir en chœur. Nous sommes le 30 mai 1943, et ce morceau est enregistré pour le film de propagande Three Songs about Resistance (d'Alberto Cavalcanti).

C’est lorsque les choses ne sont pas raisonnables que tout devient possible. Ce spectacle est intentionnellement émouvant mais il présente aussi beaucoup d’instants humoristiques, dosés avec précision.
Le Chant des Lions de Julien Delpech et Alexandre Foulon
Mise en scène et dramaturgie de Charlotte Matzneff
Avec Mehdi Bourayou, Vanessa Cailhol, Éric Chantelauze, Élodie Colin, Thierry Pietra, Thibault Pinson
Scénographie Antoine Milian
Musique Mehdi Bourayou
Lumière Moîse Hill
Costumes Corinne Rossi
Création Mois Molière 2025 le 31 mai à 20h30 et le 1er juin à 17h00
Théâtre Montansier - 13, rue des Réservoirs - 78000 Versailles
Tarif : 2 € • Réservation obligatoire

Festival Off Avignon 2025
Du 5 au 26 juillet à 14h40, Relâches les mercredis 9, 16 et 23 juillet
Au Théâtre des Gémeaux - 10 rue du Vieux Sextier - 84000 Avignon

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