
Une nouvelle version a été repensée par Anne Bourgeois et Jean-Pierre Bouvier, avec une première représentation le 14 novembre dernier au Théâtre de l’Archipel, à Paris.
Désormais c'est Vanessa Cailhol (la prodigieuse interprète de Courgette, qui lui valut le Molière de la comédienne 2024 où elle avait fait un discours très émouvant) qui joue le rôle de Solange, ce personnage que Gérard Savoisien avait créé comme condensé métaphorique de toutes les femmes que connu l'écrivain.
Le décor (de Jean-Michel Adam) qui représentait si bien l'univers mental de l'écrivain n'a pas changé et le propos non plus. Ce n'est toujours pas un biopic, ni une pièce historique (comme s'en défendait l'auteur) mais la folie ressort davantage, d'où son changement de titre, Maupassant Inside. Et cela vaut vraiment la peine de voir cette version.
La pièce commence sur une musique joyeuse qui, vite, devient grinçante. On notera la très belle création sonore de Michel Winogradoff. Il est temps que je me rende à la clinique. Je ne parviens presque plus à lire. J’apprends l’annonce de mon internement par les journaux. Maupassant est saisi de tremblements, appelle Sosso, sa Solange. Nous sommes le 1er janvier 1893, qui sera l'année de sa mort.
Guy de Maupassant (1850-1893) aura marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, avec la prodigieuse Clémentine Célarié (admirablement mise en scène par Arnaud Denis) au Festival d'Avignon 2019. Il est surtout connu pour ses nouvelles (parfois intitulées contes) comme Boule de Suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887).
Tous ses écrits sont marqués par une force réaliste, mais aussi par la présence importante du fantastique et par un pessimisme puissant. Et ce sont ces caractéristiques qu'on retrouve dans Maupassant Inside.
La carrière littéraire de Maupassant se limite à une décennie -de 1880 à 1890- avant qu’il ne sombre peu à peu dans la folie due à la syphilis, avec sans doute des crises de schizophrénie (suggérées par le flou de la nouvelle affiche) et ne meure juste avant l'âge de 43 ans.
Dès la première "apparition" de Solange le doute ne m'a pas quitté quant à la réalité de la jeune femme et le spectateur aura probablement semblable interrogation tout au long du spectacle. Sa présence est-elle un fantasme comme les malades atteints de syphilis peuvent en connaître ? L'interprétation si sensible et si puissante par Vanessa Cailhol influence notre regard.
On nous dit qu'ils se sont connus alors qu’il avait pris le pseudonyme de Joseph Prunier. Sur ce point il est exact que l'auteur en utilisa plusieurs et que celui-ci lui servit pour son premier conte, La Main d’écorché en 1875. Il n'a alors que 35 ans et est encore tout à fait vaillant.
Il est intéressant que Gérard Savoisien (qui a voulu à travers elle représenter toutes les femmes que l'écrivain a eues dans sa vie) la décrive comme une jeune femme naturelle et spontanée, libre, volontaire, capable de le quitter pour un autre qui aura quelque chose de plus que lui, à savoir le mariage qui lui assurera le confort. Il brosse une personnalité qui est pragmatique mais qui ne renie pas son amour ce qui permet de jolies duos, jouant d'une grande palette de sentiments, y compris l'humour, dans les répliques ou certaines situations.
Au risque de me répéter, j'insiste sur l'intelligence de la mise en scène des hallucinations, rendues crédibles par de multiples astuces, et de fines répliques. Par exemple que Maupassant se plaigne d'être allergique au caoutchouc quand, prudente, la jeune femme menace que c’est ça ou rien.
Un des thèmes de la pièce, et il était essentiel, concerne la maladie, la folie, l'approche de la mort, mais aussi le temps qui passe, avec des propos philosophiques : La jeunesse a tout. Elle l’ignore. La vieillesse n’a rien. Elle le sait.
Mais tout n'est pas triste. On s'amuse à voir le comédien mimer les séances de canotage sur la Seine, une activité que pratiqua assidument Maupassant, toujours en galante compagnie, le dimanche, et pendant les vacances. Quand il téléphone à Zola, ce qui est tout à fait plausible puisque qu'ils étaient très liés (à tel point que Zola prononcera son éloge funèbre), de même d'ailleurs qu'avec Gustave Flaubert, la conversation qui nous est rapportée suscite le rire et offre un temps de respiration.
On peut aussi entendre une analyse pertinente du processus d'écriture de Maupassant : Je n’écris que ce que je vois. Avec pour conséquence le drame quand la vue de l'écrivain décline.
Bien sûr, il faut parler du jeu de Jean-Pierre Bouvier, plus précis qu'à la création de la pièce. Il rend la folie crédible, nous faisant oublier qu'on est au théâtre, avec art parce que le risque aurait été d'en faire trop. La musique est savamment dosée, avec l'insistance du violoncelle à mesure que la maladie prend possession de lui. Les lumières (de Stéphane Baquet) elles aussi interviennent en soutien, particulièrement cette nappe rouge au moment le plus tragique.
On ne peut pas résumer la pièce à une vie, quelques jours et puis plus rien. C'est tellement plus et c'est heureux que l'équipe ait si bien remis la main à la pâte pour en faire un spectacle très abouti qui touchera un nouveau public sans décevoir ceux qui l'avaient déjà apprécié.
Mise en scène : Anne Bourgeois
Avec : Jean-Pierre Bouvier et Vanessa Cailhol
Scénographie : Jean-Michel Adam
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Création sonore : Michel Winogradoff
Création lumière : Stéphane Baquet
Éclairages : Mathias Fondeneige
Du 14 janvier au 30 mars 2025
A 17, 19 ou 21 heures selon les jours
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