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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 5 novembre 2025

La disparition de Josef Mengele adaptée et jouée par Mikaël Chirinian

En quittant le théâtre de la Pépinière, abasourdie par le flot et le débit de paroles de Mikaël Chirinian, je m’interroge sur l’échelle du pire. Sont-ce les horreurs commises par Joseph Mengele à Auschwitz ou son absence de remords ?
En 1949, Josef Mengele débarque à Buenos Aires. Caché sous une fausse identité, l’ancien médecin-chef du camp d'Auschwitz, qui avait envoyé près de 400 000 homes et enfants en chambre à gaz, croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie. L’Argentine est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis.
Ce spectacle est l’adaptation du roman éponyme d’Olivier Guez et l’histoire de la cavale de l’un des plus grands criminels de guerre du vingtième siècle, en Amérique du sud qui s’achèvera par sa mort sur une plage au Brésil en 1979. Au plus près de cet homme insaisissable, cette traversée intime et historique raconte l'impunité totale dont il a bénéficié.
Il est difficile d’assimiler toutes les informations tant l’acteur les déverse. Ça va très (trop?) vite et nous n’avons aucune envie de chercher la moindre circonstance atténuante au personnage. La cavale de l’ange exterminateur (pourquoi ange ?) n’inspire que le mépris, ce qui est sans doute le but recherché par le metteur en scène Benoit Giros.

Le décor est simple bien que le fond de scène soit saturé de photos, de pages de journaux, de portraits … Plusieurs valises rappellent que le personnage passe le reste de sa vie en cavale. Le comédien est arrivé par la salle, s’adressant à nous avec détachement comme l’aurait fait un conférencier dans un musée pour mettre en valeur un objet du patrimoine, un matériel agricole de la marque Mengele. Cela semble invraisemblable mais ce fut une entreprise florissante, d’abord dans le domaine des moissonneuses batteuses, puis -on peine à le croire tant c’est un signe- dans les machines pour épandre le fumier. Les choix stratégiques furent mauvais et le site de production a été rasé au début des années 2000 pour y construire un centre commercial, un cinéma et des parkings.

L’adresse au public bascule sur une tonalité emphatique, passionnée. L’homme devient volubile, enflammé, intarissable, … n’exprimant ni remords ni compassion mais s’apitoyant sur son sort, obsédé par la volonté d’échapper à ceux qui sont à ses trousses pour éviter la condamnation dont il sait d’avance qu’elle aboutirait à une épine de mort.  On pourrait le voir comme un délire … à ceci près que l’on s’agit que ce qu’il dit est vrai.

Protégé et soutenu pendant près de quarante ans par sa famille, ses compatriotes et les gouvernements des pays qui l’ont accueilli, Josef Mengele mourra sur une plage brésilienne sans avoir jamais affronté la justice en 1979 et San jamais avoir exprimé le moindre regret.

Dégoût et mépris s’étendent à tous les réseaux complices, aveugles ou volontairement intéressés, qu’ils soient allemands, argentins ou paraguayens. Tout ce qui est dit est de notoriété publique pour peu qu’on ait un minimum de conscience politique. Il n’empêche que notre conscience est secouée comme si nous subissions un tsunami.

Bien qu’intitulé La disparition de Josef Mengele le spectacle rappelle qu’il n’était pas le seul à échapper à la justice. Son système de défense, invoquant avoir fait son devoir de scientifique par loyauté envers l’état allemand démontre que c’est tout un système qui méritait d’être condamné. Il faut donc, paradoxalement, que Josef Mengele ne disparaisse pas pour que cet homme devienne notre Jimmy Cricket s’adressant directement à nos consciences.

Le sujet est historique mais d'une actualité encore brûlante puisqu'au même moment ce récit a été porté à l'écran par Kirill Serebrennikov et sous le même titre. le film est sorti le 25 octobre et suscite une certaine polémique à propos du parti-pris artistique.
La conclusion prononcée par Mikaël Chirinian est on ne peut plus juste : il faut se méfier des hommes. En particulier de ceux qui confondent ce qui est légal (ou autorisé, voire encouragé) avec ce qui est légitime parce que le sentiment d’impunité conduit à la toute puissance et tous les débordements sont alors envisageables.

On connait bien Mikaël Chirinian qui a autant travaillé au cinéma qu'au théâtre, et même à la télévision. Je l'avais découvert dans un seul en scène mis en scène avec Anne BouvierRapport sur moi (en mars 2009) et son talent s'était confirmé dans La liste de mes envies toujours sous la direction d'Anne Bouvier. Je l'avais revu avec plaisir pendant le festival d'Avignon au Chêne noir dans le grand succès que fut Changer l'eau des fleurs où il jouait et consignait la mise en scène.

La disparition de Josef Mengele 
D'après le livre d'Olivier Guez, publié aux Editions Grasset, Prix Renaudot 2017
Adaptation et jeu Mikaël Chirinian 
Mise en scène Benoit Giros
Créé le 29 juin 2024 au Théâtre du Chêne Noir (Avignon Off 2024)
Création sonore Isabelle Fuchs
Création costume et scénographie Sarah Leterrier
Création lumière Julien Ménard
Prolongation tous les lundis à 21h jusqu'au 22 décembre 2025.
A la Pépinière Théâtre
7 rue Louis Le Grand, 75002 Paris

Le spectacle sera ensuite en tournée en janvier 2026 aux 3 Pierrots de Saint-Cloud, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Cyr-l'Ecole, au Centre Culturel Albert Camus d'Issoudun, à l'Espace Saint-Exupéry de Franconville, en février 2026 au Théâtre Antoine Watteau de Nogent-sur-Marne, au SEL de Sèvres, aux Scènes Mitoyennes de Cambrai, en mars au Théâtre de Haguenau, à l'Espace Rohan de Saverne, L'Acqueduc de Dardilly, l'Auditorium de La Louvière d'Epinal, Le miroir de Gujan-Mestras, la Fabrique de Saint-Astier, le Vesinet et Antibes, en avril à L'Embarcadère de Saint Sébastien-sur-Loire.

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