
Il m’est arrivé souvent de déguster des produits tout juste sorti des turbines comme ici chez Alperel dans leur laboratoire de Trappes.
Alors si je vous dis que les glaces de REŸS sont exceptionnelles, vous pouvez me croire les yeux fermés, la bouche ouverte. Et, coup de chance, il est installé dans la plus grande ville de France, à Paris, donc vous allez être nombreux à pouvoir en profiter.
C’est le week-end du 11 Juin 2022 que la Maison REŸS a ouvert sa première boutique en plein coeur du Marais, sur la charmante place du Bourg Tibourg, dans le 4ème arrondissement. Tout s’est vite accéléré à partir d’une promenade en famille dans le quartier quand la pancarte signalant que le local était libre attira les yeux de Jean-Pierre Braun qui, n’osant y croire prit rendez-vous pour visiter dès le lendemain.
L’affaire fut conclue aussitôt et l’ouverture a vite suivi mais je ne l’ai découverte qu’un an plus tard. Pourtant le succès ne s’était pas fait attendre. Parce que l’été était là, beau et chaud, et que les touristes commençaient à revoyager après des mois de restriction dus à la crise sanitaire.
L’originalité des parfums, la couleur attractive rose fuschia de Baiser du dragon, et surtout la qualité, ont accéléré un bouche-à-oreille positif. Une longue file d’attente a vite marqué les esprits des habitués du quartier. Et ce n’est plus un scoop aujourd’hui puisque REŸS figure en bonne place dans les listes des meilleurs glaciers parisiens. Ils sont 14 personnes, dont 3 en production pendant tout l’été, chaque matin de 8 à 14 heures. Ils peuvent être jusqu’à 12 en boutique pour éviter que la file d’attente ne déborde sur la rue voisine comme en août 2022.
Ce sont deux rêves prémonitoires qui ont poussé Jean-Pierre Braun à se lancer dans l’aventure. Ils font l’objet d’une affiche qu’on peut lire dans la boutique. Étant un homme de méthode, il a commencé par un apprentissage en Toscane, auprès d’un italien qui lui a enseigné l’art de travailler dans le respect de la tradition du gelato artisanal. Car même si le glacier a de puissants souvenirs de glaces indiennes c’est le procédé italien qui a sa préférence. Toute l’Italie en fait puisqu’il a aussi comme spécialité la Granita dont il aime raconter qu’elle a été imaginée au Moyen-âge par les Siciliens après avoir modifié la recette du sorbet arabe « sherbet » parfumé à l’eau de rose. Il faut savoir en effet que pendant plus de 3000 ans on a dégusté des glaces à partir du moment où on a découvert qu’on pouvait utiliser de la neige mélangée à du sel marin comme moyen de réfrigération.

Ils composent aussi une couronne royale qui a quelque chose de la joaillerie (un domaine que le créateur connait bien) et rappellent les sommets sur lesquels on envoyait les valeureux guerriers gratter les neiges éternelles pour les ramener au cuisinier du roi qui composait alors un dessert glacé. Comble du hasard ou magie des signes, la silhouette du glacier correspond trait pour trait à « La Combe des Reys » situé en Haute-Savoie.
Tout autour de la Méditerranée, REŸS signifie « les Rois » ou « Celui qui dirige ». Dans les langues d’Europe centrale, il est « la Route », « le Voyage » ou parfois « La Lumière ».
La signature de glaces éternelles est pleine de sens en référence aux neiges éternelles, à l’origine des premiers sorbets et en hommage également à la source divine par laquelle le fondateur ressent avoir reçu cette vocation.
Cet homme cultive l’amour de l’artisanat et n’apprécie guère ce qui est industriel même s’il reconnaît volontiers le succès commercial de telle ou telle marque. Le credo de son enseigne est de n’avoir recours à aucun ingrédient industriel, de n’employer que des fruits souvent bios, achetés entiers et surtout pas en purée toute prête, des vanilles elles aussi entières, du gingembre frais et pas en poudre, du sucre bio non raffiné, Les glaces ne contiennent que du naturel, de À à Z et ce n’est pas ici qu’on utilisera du mix, c’est à dire ces sachets de poudre qui sont vendus par les industriels pour faciliter le travail des artisans. Même le stabilisateur qu’il emploie est naturel puisque c’est de la poudre de chicorée et pas un produit chimique.
Après avoir étudié à l’École Hôtelière de Paris dans les années 80, il a travaillé dans l’hostellerie de luxe, notamment au Plaza à Paris, à L’Auberge de la Vieille Tour en Guadeloupe alors qu’il était parallèlement musicien professionnel. Cet enchainement de jours et de nuits l’a conduit à s’interroger sur son rythme de vie. Il se reconvertit dans le marketing digital et travaille en agence à Toulouse avant de revenir dans le métier de l’hôtellerie en tant que directeur de la communication et du marketing d’une société d’hôtellerie de plein air.
Son parcours est tout sauf linéaire. En 35 ans de carrière, l’entrepreneur a exercé plus de 30 métiers parfois simultanément. de la formation au spectacle, du coaching à la joaillerie, dans lesquels il démontre toujours une grande créativité et une boulimie de travail, sans se penser infaillible, voilà pourquoi il a tenu à commencer cette nouvelle vie par un apprentissage auprès d’un maître glacier italien, avant d’accomplir ses derniers rêves. Il a retenu de chaque expérience plusieurs éléments qu’il met en application en les combinant avec des souvenirs d’enfance.
Jean-Pierre Braun est en production tous les matins de la semaine, sauf le week-end. Tout est produit sur place, de la préparation des fruits frais au turbinage définitif du produit, par bac de 7 kilos. Il explique sans chichi tout ce que ses glaces ont de particulier qui les distingue de la plupart de ses concurrents et on peut dire qu’ils sont nombreux, à Paris et dans le quartier.
Sa spécificité est de faire du gelato traditionnel, ce qui signifie qu’il n’y a aucun d’œuf dans la recette alors qu’en France il est de tradition de partir d’une crème anglaise que l’on descend en température. C’est ce qui a fait par xemple le succès de la glace Plombières dont j’ai appris le secret dans la ville du même nom. Il ne pourrait y avoir qu’un seul motif de transgression le jour où il voudra effectuer un sabayon puisque le jaune d’oeuf est un ingrédient alors incontournable.
La deuxième grande différence réside dans la légèreté du produit fini, qui résulte d’une proportion de sucre un peu réduite et d’une conservation, certes entre moins 18 et 22 degrés (en toute logique) mais d’un service entre moins 12 et moins 14 degrés. La quantité de sucre joue sur la dureté puisque cette matière a un pouvoir d’anti-congélation, comme le sel, c’est une question de physique.
La troisième différence avec ses concurrents est qu’il ajoute de la texture, alors que la crème glacée traditionnelle est souvent très lisse. On trouve dans ses glaces de la pistache concassée, des grains de riz, des morceaux de cacao ou de noix de cajou. Et si des graines craquantes sont en partie conservées dans Douceur Passion (ci-dessous) c’est tout à fait intentionnel.