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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 31 mai 2023

Quelques vins de Crète (et de Chypre)

Dans l’Antiquité, le vin était plus puissant qu’aujourd’hui, un peu partout en en particulier en Crète. On le parfumait avec des herbiers et des épices et, du coup, on le coupait d’eau au moment de le boire.

C’est aussi à cette époque qu’on commença à sceller les amphores contenant le vin avec de la résine pour les rendre imperméables, ce qui transforma involontairement le goût du vin. Mais en raison du succès de cette nouveauté on poursuivit jusqu’à nos jours en ajoutant pendant sa fermentation des morceaux de résine au vin blanc. Quant il est fait selon les règles de l’art, le Retsina est très appréciable avec les mezzés traditionnels du début de repas.

Il faut aussi évoquer le Tsikoudia (c’est le nom crétois du raki) qui est une eau-de-vie à base de raisin, qui se boit glacé … à longueur de repas et bien que les verres soient miniatures je doute que ce soit un élément du régime crétois.

On trouve la bouteille posée sur la table et il faut prendre garde à ne pas confondre cette boisson avec de l’eau parce qu’aucune étiquette n’indique sa composition. Symbole de générosité, il est le plus souvent de fabrication artisanale et de ce fait les arômes peuvent varier d’un endroit à l’autre.

Le rakomélo est une variante spécifiquement crétoise, que j’aurais volontiers dégusté. C’est un raki parfumé au:miel et aux épices comme la cannelle et la cardamome qui serait plutôt adapté à la fin d’un repas.

Il y a aussi l’ouzo, réalisé à partir de marc de raisin, parfumé de graines d’anis, qui s’apparente au pastis français.

Je savais, avant d’arriver en Crète, que les plus anciens vignobles se trouvent au nord où les vignes bénéficient d’un climat tempéré du fait des influences de la mer. La région de Sitia est en effet l’une des zones vinicoles les plus importantes de l’île.

Les vieux cépages crétois sont le roméiko, le kotsifali, le liatiko et le ladikino pour les rouges. Le vilana, le plyto, le vidiano, le malvasia et le moshato pour les blancs (figurent en gras ceux que j’ai découverts).

Je ne pouvais pas le savoir mais, à chaque repas, c’est une carafe anonyme qui était posée sur la table, si bien que je n’ai pas vraiment acquis de connaissances en matière de vins crétois.

Cependant, au début de mon séjour, j’ai participé à la dégustation de deux vins, un blanc et un rouge, produits par le monastère de Toplou qui est réputé pour faire l’un des meilleurs vins de l’île (le blanc en particulier). Jusque là je n’avais jamais dégusté de vin de cette provenance, malgré l’immense choix proposé lors d’une journée de présentation de vins grecs organisée par les frères Mavrommatis il y a quelques semaines (on ne peut pas tout connaître …). Je n’avais donc aucune référence pour me permettre de juger.

Ce fut une brève halte, qui permit toutefois de voir quelques-unes des richesses patrimoniales du monastère (qui feront l’objet d’une publication spécifique) et de voir l’extérieur de ce moulin à vent qui témoigne de son utilisation autrefois pour moudre les grains ou remonter l’eau des nappes phréatiques en particulier sur ce plateau de Lassithi. La plupart des édifices ont désormais disparu mais il faut imaginer combien ils étaient nombreux autrefois, tournant avec le vent qui, lui, continue de souffler. Hélas, personne ne songea à nous faire entrer dans le moulin pour en apprécier l’ancien dispositif de broyage ni à nous faire visiter le chai où les moines procèdent à la vinification au moyen d’installations qui seraient hautement modernes.

Leur raki et leur huile d’olive biologique constituent également des produits d’excellente qualité. Et j’aurai l’occasion dans quelque jours d’évoquer leur huile.
La vigne est millénaire en Crète et on voit des pieds partout, même si en terme de nombre ils sont moins nombreux que les oliviers, cela va de soi. On en trouve même à l’entrée du site de Knossos.
Mais revenons au premier vin, un blanc du nom de Gerto (qui signifie courbé) dont le nom lui a été donné en raison de la déformation des ceps. Nous verrons qu’il y a une histoire derrière chaque étiquette.
Ce vin tire son caractère sauvage et exotique du caractère unique de la nature crétoise orientale où les arbres se penchent, obéissant au vent et à l’intense sécheresse estivale. Le monastère de Toplou a été pionnier dans la renaissance des gammes de vins locaux et la culture biologique de ce cépage crétois Thrapsathiri qui offre des vins splendides et excitants. Si la culture est revendiquée être biologique on remarque malgré tout que l’étiquette mentionne la présence de sulfites.

mardi 30 mai 2023

Othello mis en scène par Jean-François Sivadier

Adama Diop est déjà sur scène lorsque le public prend place dans les gradins. Ce n’est pas surprenant. On a l’habitude. Il s’adresse au public, dans une forme de complicité. Nous ne sommes pas encore étonnés. Mais lorsqu’il nous parle en wolof on s’interroge. Et quand Emilie Lehuraux le rejoint et que commence une leçon de langues vivantes on se demande si ce sont bien Othello et Desdémone qui sont sur le plateau ou si ne nous serions pas trompé de spectacle.

C’est ignorer qu’à l’époque de Shakespeare les comédiens étaient coutumiers du fait parce qu’il était important de s’assurer la complicité du public. Quitte à effectuer jusqu’à des clowneries.

Il y aura plusieurs moments comme cela ce soir, régulièrement, ce qui est à la fois un point fort et une faiblesse du spectacle.

 S’il est important qu’on se sente interpelé il n’empêche que ne pas avoir de réponse à donner aux comédiens est désarmant.

A peine a-t-on sympathisé avec le couple amoureux que surgit Nicolas Bouchaud qui, sans aucune. équivoque possible, nous fait part de ses intentions machiavéliques, basées uniquement sur la jalousie qu’il entretient à l’égard de son maître. Je n’agis ni par amour, ni par dévouement (mais dans mon seul propre intérêt). C’est clair et net.

C’est un interprète exceptionnel. J’ignore s’il sera « moliérisable » pour ce rôle -il le fut en 2014 pour le Misanthrope- mais Dieu qu’il mérite une statuette ! Et comme elle est inconfortable notre position, car nous ne pouvons nous autoriser à aimer ce personnage si détestable.

Le texte de Shakespeare, sensationnellement traduit par Jean-Michel Déprats (ou retraduit car il me semble avoir changé depuis 1986, quand Hans Peter Cloos le mit en scène à la MC93 de Bobigny) s’avère être d’une modernité remarquable.

La mise en scène de Jean-François Sivadier est surprenante pour qui ne le connait pas. Il y avait déjà du rock dans Un ennemi du peuple que Marc Jeancourt avait programmé à La Piscine en 2019. Et déjà Nicolas Bouchaud (il est à raison de toutes les créations de ce metteur en scène qui a bien raison de distribuer depuis plus de vingt ans).

Tout ce qui est ajouté, le morceau de Queen comme la chanson de Dalida, Paroles, paroles, arrive totalement à propos. Y compris la scène finale dont je ne vous dirai pas de quelle grimace il s’agit pour ne pas ruiner votre surprise et vous empêcher de l’apprécier. Le seul inconvénient est malgré tout d’allonger le temps de la représentation dont il est nécessaire, effectivement, qu’elle commence à 20 heures, faute de rater le dernier transport en commun.

Tous les acteurs sont surprenants. Outre Nicolas Bouchaud et Adama Diop, artiste en résidence à L’Azimut (qui fut un si formidable Lopakhine aux côtés d’Isabelle Huppert dans La Cerisaie à Avignon en 2021), il faut souligner le talent juste éclos de la jeune Émilie Lehureaux dont il est certain qu’on va entendre parler, capable d’incarner avec autant de justesse la respectueuse Desdémone que la troublante prostituée Bianca. C’est d’ailleurs une excellente idée de lui avoir confié les deux rôles car cela ajoute de l’ambiguïté puisque Bianca est la maîtresse de Cassio et qu’Othello redoute que sa femme le devienne.

Cyril Bothorel, dont la silhouette rappelle Daniel Emilfork, dégage une énergie fiévreuse. Gulliver Hecq endosse l’habit de Rodrerigo et supporte d’être le souffre-douleur de Iago. Stéphan Butel surprend en Cassio. Jisca Kalvanda est Émilia, la troublante épouse de Iago.

La scénographie imaginée par le metteur en scène (avec Christian Tirole et Virginie Gervaise) joue sur les vides et suggère un jardin au lointain. autant qu’un palais en ruines dont le sol serait veiné de marbre. Othello pourrait y être heureux puisqu’il est un général victorieux et qu’il connait un amour partagé avec sa femme. C’est sans compter sur le pouvoir (destructif) des mots qui, s’ils ne sont que des mots, ont cependant davantage le pouvoir de détruire que de guérir le coeur. Les dialogues tournent en rond et se répètent souvent en boucle. C’est à devenir fou … Othello sombre.

Jean-François Sivadier nous montre comment l’emprise s’installe et tisse sa toile, ce qui est d’une grande modernité par rapport à nos préoccupations actuelles. 

La mort d’Othello est un crime et n’a rien d’un sacrifice. Voilà pourquoi j’ai été peu convaincue, bien que j’en comprenne le sens, par le masque blanc avec lequel il revient au dernier acte.
Othello de William Shakespeare
Texte français Jean-Michel Déprats
Mise en scène Jean-François Sivadier 
Avec Cyril Bothorel (le père de Desdémone), Nicolas Bouchaud (Iago), Stephen Butel (Cassio), Adama Diop (Othello), Gulliver Hecq (Roderigo), Jisca Kalvanda (Émilia), Emilie Lehuraux (Desdémone et Bianca)
Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit
Scénographie Jean-François Sivadier, Christian Tirole, Virginie Gervaise
Lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin
Son Ève-Anne Joalland
Costumes Virginie Gervaise
Dramaturgie Véronique Timsit
Création 2022. Vu au Théâtre La Piscine de l'Azimut le 25 mai 2023

lundi 29 mai 2023

Ma recette de Tzatziki

J’avais donné cette recette sur Facebook avant de savoir que je partirai en Crète. Si je n’ai pas mangé là-bas cette spécialité qui est pourtant un des plats les plus communs du fameux régime crétois, ce n’est pas une raison pour l’ignorer.

Elle est très facile à faire, désaltérante, et aussi savoureuse nature, en mezze (Hors d’œuvre) qu’en accompagnement d’une salade de tomates ou d’autres crudités, voire même d’une brochette de viandes grillées ou d’un poisson.

Voici donc  ma version du Tzatziki sachant qu’en Crète on y met de l’aneth (mais il n’est pas courant d’en avoir sous la main en France) : faisselle allongée d’un peu de crème fraîche, beaucoup d’herbes (persil-coriandre), quelques minuscules oignons finement tranchés et bien entendu du concombre coupé en dés les plus petits possible, un tour de moulin de poivre et ça suffit.

Pas d’huile d’olive à ce stade (mais vous pouvez en ajouter sur le dessus du bol).

Personnellement je l’accompagne de pain pita libanais.

On peut aussi varier la recette en utilisant de l’ail ou de l’oignon rouge. Quant aux herbes je résiste rarement à la menthe et à l’estragon.
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Article écrit suite à une mission d’affaires regroupant des acheteurs spécialisés en produits alimentaires, grossistes et distributeurs et quelques journalistes, coorganisé par l’ambassade de Grèce en France avec la participation du Bureau économique et commercial afin de promouvoir le programme européen pour les produits AOP et AOC de Crète.

dimanche 28 mai 2023

Barbe bleue adapté et mis en scène Frédérique Lazarini

Ce n'est pas moi que vous voyez sur cette photo mais une petite fille qui déambule, fait un petit geste de bienvenue, et sourit au public en train de s’installer sur les gradins. 

Sa présence nous rappelle que nous sommes avant tout dans l’univers du conte. Et sa silhouette est un charmant clin d’œil à Amélie Nothomb qui porte toujours un chapeau noir et dont la couverture du livre était noire et rouge.

L’enfant ferme le livre. Le rideau peut s’ouvrir … et accueillir des centaines d’Amélie, candidates à une colocation. C’est un joli début.

Don Elemirio Nibal y Milcar est un noble espagnol qui vit seul dans un hôtel de maître du 7ème arrondissement de Paris dont il ne sort jamais. Par le biais d’une annonce, il propose à la location une grande chambre très confortable et anormalement bon marché. Saturnine, jeune femme très vive d’esprit et passionnée d’art, vient présenter sa candidature et apprend que, si huit femmes ont déjà obtenu cette colocation, elles ont aussi disparu. Et on n’a plus jamais entendu parler d’elles…
J'avais lu Barbe bleue à la rentrée littéraire de 2012 et la chronique que j'ai écrite à l'époque s'accorde quasi parfaitement au spectacle que j'ai vu à l'Artistic théâtre.

Je comprend donc qu'Amélie Nothomb ait apprécié cette version théâtrale de son roman. Don Elemirio (Pierre Forest) y incarne la figure de l’ogre. Mélaine (Cédric Colas) est un majordome mystérieux d’une drôlerie jouissive, farfelue à souhait, aux manettes d’une drôle de machine à tout faire. Saturnine (Gisèle Worthington) n’est pas une ingénue et son amie Corinne (Helen Ley) joue très bien son rôle d’alerte.

Le champagne coule, inévitablement puisque cette version fluide de l’or est, de notoriété publique, le breuvage préféré d’Amélie. Le décor est stylisé par les éléments essentiels comme la porte, un lustre et un miroir, lequel permet une séance d’essayage de robes surréaliste et magique. Les costumes de Dominique Bourde et Isabelle Pasquier sont comme toujours exceptionnels.

Ce que Frédérique Lazarini nous propose, et elle a eu raison de le faire, c’est une vision certes fidèle au livre et au conte de Perrault (écrit en 1697), mais en ajoutant des références à bien d’autres comme la naïveté (apparente) de Boucle d’or, la séduction à laquelle on assiste dans La Belle et la Bête ou Peau d’âne, ou en faisant chantonner à Saturnine la recette du cake d’amour que Jacques Demy a fait interpréter à Catherine Deneuve dans son film (1970). 

Elle réussit, et ce n’était pas évident, à monter un spectacle qui s’adresse à tous les publics (rappelons que le livre est destiné aux adultes) en sollicitant notre capacité à nous amuser, la conscience tranquille puisque (pour une fois si on considère l’actualité) le prédateur n’est pas celui que l’on croit. L’ingénue n’est pas si inoffensive qu’il y parait et c’est le soit-disant ogre dont on aura -peut-être- envie de prendre le parti.
Barbe bleue, d’après Amélie Nothomb, adapté et mis en scène Frédérique Lazarini 
Scénographie et lumières François Cabanat
Costumes Dominique Bourde et Isabelle Pasquier
Création sonore François Peyrony
Chorégraphies Françoise Munch
Vidéo Hugo Givort
Créé le 27 février 2023 puis reprise avec une nouvelle distribution à partir du 9 mai, avec Pierre Forest, Gisèle Worthington, Cédric Colas, et Helen Ley
Du mardi au dimanche à 20 h30 (sauf les mercredis et dimanches à 17 h, représentation supplémentaire les samedis à 17 h)
Au Théâtre Artistic Athévains - 45 Rue Richard Lenoir  - 75011 Paris

samedi 27 mai 2023

Le bateau fraise d’Alain Labbé

Aurais-je découvert Le Bâteau fraise sans le challenge NetGalley 2023 ? Sans doute non.
Vue du ciel, la presqu’île de Plougastel est comme une main ouverte avancée dans les eaux tempérées de la rade de Brest. Elle y recueille de la douceur, de la vigueur. Dix-sept kilomètres de long, sept de large, un petit territoire enfoncé dans ses criques, ensoleillé plus souvent qu’à Brest, bien remisé du vent mais pas de la pluie nécessaire à sa culture. Les terres s’y réchauffent au climat océanique comme celles de Concepción, cette région du Chili, d’où Amédée Frézier ramena les premiers plants. Car l’histoire de la fraise c’est aussi la mer et le voyage (p. 27).
Ça commençait bien. J’allais déguster ce récit autobiographique d’Eric Labbé dont je m’étais tout de même inquiétée de la longueur, … 242 pages, et dont le titre est emprunté à un de ses ouvriers (p. 64).

De fait, j’ai eu le sentiment de m’engager dans un tunnel sans fin, où la température croissait au fur et à mesure que je balayais l’écran (car je l’ai lu en format numérique et il est probable que cela a pesé sur mon attention). 

C’est pourtant peu dire que le sujet m’intéressait car, d’une part À bride abattue étant alternativement culturel et culinaire, j’ai souvent eu l’occasion de préparer des plats avec ce fruit. Et je sais aussi combien il appartient au patrimoine de ma région puisque la Fraise de Paris était réputée dans le monde entier au XIX° tant pour sa qualité que pour ses volumes.

La variété originelle était la Fragaria vesca de Linné (Fraise des bois). Elle fut détrônée par l’arrivée d’une fraise de gros calibre venue d’Amérique et qui ne s’accommoda pas au climat francilien.

Du coup, les maraîchers améliorèrent la fraise des bois et donnèrent naissance à la fraise de Montreuil. Jusqu’à ce que la fraise venue du midi détrôna les douces Belles de Meaux ou encore Meudonnaises. Cependant la fraise francilienne n’est pas oubliée et est encore célébrée au mois de juin où deux fêtes de la fraise se succèdent dans l’Essonne, à Marcoussis et à Bièvres où j’avais eu l’occasion de prendre cette photo de la reine en 2019.

Aujourd’hui, du fait des problèmes de main-d’œuvre et du développement des transports, la concurrence extérieure est forte, comme le souligne Alain Labbé. Elle n’en demeure pas moins un fruit d’exception que les Franciliens peuvent notamment aller cueillir directement dans de nombreuses cueillettes franciliennes, ou trouver sur les étals des marchés. Et l’exposition qui se déploie actuellement à la Conciergerie sur la Gastronomie française fait référence à cette Fraise de Paris.

Pendant douze ans, il fut navigateur. Producteur de fraises à Plougastel depuis 1999, Alain Labbé n’a rien oublié de son passé de navigateur. Il a côtoyé pendant une douzaine d’années les marins les plus connus comme Éric Tabarly, Olivier de Kersauson ou Éric Loizeau et les souvenirs remontent à la surface régulièrement, troublant le fil de son récit sur la culture de la fraise et ses aléas, depuis l’établissement de l’exploitation, la cueillette, la vente sur les marchés, la gestion du personnel saisonnier, etc …
Il commence un mois de décembre et racontera, de mois en mois, la chronologie de cette culture et de sa commercialisation, sans rien occulter du désarroi de la filière qui gagnerait à ce que la Fraise de Plougastel deviennent une AOP, ou du moins une IGP, comme il le souligne au chapitre 6, après avoir présenté les axes d’un hypothétique plan de relance.

C’est cet aspect socio-économique qui m’a le plus intéressée, de même que ses diatribes sur comportements des consommateurs sur les marchés (chapitres 11 et 12). J’ai souri aussi lorsqu’il se mets en rogne contre ces voleurs de fraises, sans doute des gens des nouveaux lotissements venus de la ville. Je maudissais aussi Agnès Varda et son film Les Glaneurs que je n’avais pas vu, mais aussi cette émission vue récemment à la télévision sur le droit de glanage où trois sociologues et un juriste affirmaient pouvoir entrer dans mes tunnels pour « finir » la récolte. Et quoi encore ! (P. 179)

Cela respire le vécu et pourtant Agnès Varda n’incitait pas au vol car son film réalisé en 2000 (que j’ai vu et dont le titre exact est Les glaneurs et la glaneuse) n’encourage pas à se servir avant ou pendant les récoltes par les producteurs, mais après.

On peut se passionner pour ce livre, qui a plusieurs qualités (sincérité, auto-dérision) pourvu d’accepter toutes les digressions marines qui, par contre m’ont perdue en chemin. Les anecdotes autobiographiques ne font pas de cet ouvrage un roman, même si elles sont savoureuses. En voici une : À propos de gariguette, l’autre jour à Quimper, un client a prétendu avec beaucoup de morgue que le mot gariguette prenait deux « r ». Il s’est emparé d’une étiquette pour bien montrer à tous l’erreur du producteur qui fait des fautes. Je lui ai dit que non, gariguette ne prend qu’un « r ». Il n’était pas d’accord. J’ai ajouté qu’un seul « r » suffisait à ce terrible fruit que j’adore pour son goût acidulé, cette intime symétrie entre le sucre et l’acide. Par contre le mot connerie, lui, prenait bien deux « n » dans tous les cas de figure. Le type est reparti furieux. De toute façon, disait-il, il préférait la mara des bois et je n’en avais pas (p. 148).

On est loin de la puissance d’un À la ligne de Joseph Ponthus qui pourtant lui aussi narrait sa reconversion en conserverie. C’est dommage mais je crois qu’il y a matière à construire un scénario qui, une fois filmé, pourrait alerter (et distraire) sur les difficultés de ce métier ô combien indispensable.

Le bateau fraise par Alain Labbé, Libretto, Date de parution 1 juin 2023
Précédemment publié le 4 mars 2020 aux éditions Phébus avec une autre couverture.

vendredi 26 mai 2023

La salade crétoise

Le dîner en Crète est un sirtaki d‘assiettes à partager en convivialité.

La spécialité la plus connue est la salade crétoise très colorée : quartiers de tomate, morceaux de poivrons verts, lamelles d’oignon, quelques olives, de l’huile d’olive et, posée dessus, une authentique tranche de feta (fromage réalisé uniquement avec du lait de chèvre).

Il serait idéal de saupoudrer d’origan.

Ce n’est pas compliqué à réussir, pourvu d’avoir de bons produits et une fêta authentique, donc réalisée uniquement avec du lait de chèvre. J’ai appris que les crétois sont les plus gros consommateurs de fromage au monde avec 10 kilos par an.

Quant à l’huile, avec 40 millions d’oliviers répartis sur l’île, une production de 300 000 tonnes, la consommation serait de 20 litres par personne et par an. Les Français ont de la marge pour atteindre ce record puisque notre consommation annuelle est de 1, 7 litres par an et par personne.
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Article écrit suite à une mission d’affaires regroupant des acheteurs spécialisés en produits alimentaires, grossistes et distributeurs et quelques journalistes, coorganisé par l’ambassade de Grèce en France avec la participation du Bureau économique et commercial afin de promouvoir le programme européen pour les produits AOP et AOC de Crète.

jeudi 25 mai 2023

La Campagne de Martin Crimp, mis en scène par Sylvain Maurice

Vous avez forcément entendu parler de la présence lumineuse d’Isabelle Carré dans La Campagne de Martin Crimp, en ce moment à la Scala (après avoir triomphé au Rond-Point).

Comme Sylvain Maurice a eu raison de nous proposer cette pièce de l’auteur contemporain anglais qui écrit formidablement bien sur le thème de la perversité !
Richard, médecin, sa femme Corinne (Isabelle Carré) et les enfants ont fui les bruits de Londres, le confort bourgeois et un passé trouble qu’ils déchiffrent à peine eux-mêmes. Installés à la campagne ils disent rêver d’une vie tranquille, bucolique. Mais Richard revient un soir avec Rebecca (Manon Clavel), une jeune femme qu’il dit avoir trouvée inconsciente sur le bord de la route.
L’atmosphère exsude alors des doutes qui résurgent du passé dès lors que Corinne trouve des indices troublants qu’elle considère comme des pièces à conviction.
Ils sont cinq personnages, mais nous n’en verrons que trois sur scène, et encore puisqu’ils ne seront jamais que deux à s’affronter. Les autres, Morris et Sophie, ne se manifesteront que par téléphone et nous constaterons combien la présence de cet objet sur la table n’est pas anodin.

Le décor est construit par les jeux de lumières (splendides, de Rodolphe Martin) qui illuminent les protagonistes tout en laissant des zones d’ombre, exactement comme les dialogues où tout est signifiant même s’ils ne s’enchaînent pas suivant une logique habituelle de question-réponse. Le ton semble léger alors que les propos sont graves. Exemple : c’est ton métier d’amener une inconnue dans notre maison au milieu de la nuit ?

Derrière la gentillesse des remarques du mari (J’espère que tu lui as donné quelque chose / J’espère que tu t’es montrée gentille) on sent monter une forme d’emprise. Ou de tentative de domination car Corinne est plus forte qu’il n’y parait, esquivant la dispute d’un : Et bien c’est ce que j’ai dit / fait … comme si elle était parfaitement d’accord avec son conjoint, ce qui ne la retient pas de poursuivre son enquête : Donc il n’y avait pas de sac (alors que jusque là il n’a jamais été question de cet accessoire).

Ce qui est fort dans l’écriture de Crimp (auteur anglais né en 1956), c’est l’absence de silence dans la conversation sans pour autant que les réponses soient données par ceux qui s’affrontent en détournant le propos. Du moins dans la première partie. Au final nous comprendrons que personne ne gagne, ou alors momentanément, comme dans un jeu de Chi Fou Mi (dont le nom vient dit-on du japonais Hi Fu Mi, signifiant Un-deux-trois).

Martin Crimp ponctue chacun des cinq actes du terme ciseaux, pierre ou papier et -c’est l’unique reproche que je ferais à la mise en scène- cette mention m’a manqué. Elle aurait pu apparaître, sans qu’il soit besoin de prévoir un dispositif supplémentaire, sur l’écran qui, à la fin, mentionne que l’action se poursuit quelques mois plus tard.

Ce jeu de mains, dont l’apparition en Europe est assez récente, ne se pratique qu’à deux. De fait, s’ils sont trois à s’affronter, ils ne jouent jamais la partie ensemble. Les arguments que chacun avance ne peuvent pas l’emporter définitivement. Une nouvelle partie s’engage à chaque acte. Rappelons que ce n’est pas un jeu de stratégie mais de complet hasard, avec une probabilité stricte de 1/3, sauf à connaître l’adversaire et à tenter de deviner ses coups. Ce qui nous ramène dans le champ de la domination.

Mais, en essayant de contrer la logique de l’adversaire, le joueur en adopte une lui-même, que son challenger peut mettre à son profit à son tour. La meilleure méthode sera finalement de rester suffisamment concentré pour enlever toute apparence logique à ses choix et se rapprocher du hasard. Si bien que le spectateur est mené en bateau par l’auteur quand il croit réussir à percer la logique de chaque personnage, en retenant quelques mots comme Un salaud de manipulateur (dit Richard à propos d’un patient) / Personne n’a à mentir (dit Richard à Morris), Ne me fais pas mal (tantôt dit comme une supplique, tantôt comme une menace) ou encore Le docteur a violé toutes les règles (dit Rebecca).

Tout va vite. Comme dans les parties de pierre-feuille-ciseaux et la pièce progresse par soubresauts au fil d’échanges de rarement plus de trois phrases, dans une forme de dialogue où les répliques se chevauchent sans se répondre réellement, en une écholalie faussement résolutive :
- Ce n’est pas la ville, tu ne peux pas juste ….
- Je sais qu’on ne peut pas.
- Donc il n’y avait pas de sac.

Parfois, comme s’il s’agissait d’un stratagème, l’un ou l’autre invoque Morris, ou Sophie, qui sont d’ailleurs bien réels et qui interviendront régulièrement (au téléphone) comme des arbitres de jeu.
La table devient une métaphore de la Cène, sans repas (juste un verre d’eau), avec trahison, condamnation et résurrection … Quant aux ciseaux, ils sont bel et bien omniprésents tout au long de l’histoire, utiles (pour découper du papier au tout début) ou arme contre soi ou l’autre.

Certes, il y a aussi de longue diatribes lorsque par exemple Corinne se lance dans un interminable échafaudage d’hypothèses en opposition à Rebecca qui vient de lui reprocher que plus vous parlez moins vous en dites (p. 48). Quand la première juge la seconde sentencieuse, l’autre se met en colère en jugeant Corinne complètement aveugle et condescendante. Alors Rebecca finira par raconter sa propre histoire sous forme de conte qu’elle lirait aux enfants. Elle le fait pour effrayer Richard en lui montrant sa capacité à dévoiler le pot aux roses. Quant à lui, il l’implore de raconter ce que tu penses que nous ne pouvons pas dire, ce à quoi elle répond à juste titre : Comment pourrais-je te raconter ce que je ne peux pas (ce qui évidemment va frustrer le spectateur).

L’écriture de Crimp est une machine de guerre et les trois comédiens ferraillent avec grande intelligence pour maintenir le couple en équilibre ou le faire imploser. Isabelle Carré et Manon Clavel sont aussi touchantes l’une que l’autre. Les votants des Molière les avaient distinguées en nominant la première pour le Molière de la comédienne ET la seconde pour celui de la comédienne dans un second rôle.

The country a été écrit en 2000 et avait fait l’objet d’une première création en France en 2003 par Louis-Do de Lencquesaing à la Maison des arts de Créteil avec Christine Boisson, Anne Mouglalis et Laurent Grévill.
La Campagne de Martin Crimp dans la traduction Philippe Djian
Mise en scène et scénographie Sylvain Maurice
Avec Isabelle Carré, Manon Clavel et Yannick Choirat en alternance avec Emmanuel Noblet (qui jouait le soir de ma venue),
Lumières Rodolphe Martin
Du 25 mai au 18 juin 2023 à 17 ou 21 heures
A La Scala - 13 boulevard de Strasbourg - 75010 Paris
Pièce publiée chez l’Arche en 2002

mercredi 24 mai 2023

Le Festival Off d'Avignon 2023 est dans les starting-blocks

Très intéressante 57 ème conférence de presse aujourd’hui à Paris du festival d’Avignon off dont l’affiche créée par Camille Bricout a déjà suscité de passionnants débats puisque, enfin, on discute de ce que l’art doit être.

Le détournement assumé de l'oeuvre du sculpteur et graveur italien Maurizio Cattelan (né en 1960) qui connait un succès important dû à ses expositions scandaleuses dans les débuts des années 2000 et qui n'a pas fini de faire couler de l'encre.

Je l'avais enregistrée dans mes photos il y a trois ans quand 

Elle représente une banane scotchée à un mur et a été initialement offerte par Maurizio Cattelan à l'expostion d'art contemporain Art Basel à Miami Beach, aux Etats-unis. La particularité de cette oeuvre est bien entendu sa valeur symbolique même si je me souviens avoir lu dans un magazine son prix de vente exorbitant de 100 000 euros. Je l'avais alors enregistrée dans mes photos, ne me doutant alors pas qu'elle resurgirait aujourd'hui.
Elle est aussi métaphorique car l'artiste italien avait pour habitude de scotcher une banane sur le mur de son hôtel lors de ses passages à Miami pour trouver de l'inspiration pour ses prochaines oeuvres d'art.

Et on remarquera que s'agissant de l'affiche globale de la manifestation, elle est toujours dans une gamme de tonalités orangées, à l'exception de l'année 2019 qui fut marquée par le rouge.
Après une année de transition, AF&C (organisme paritaire regroupant compagnies et théâtres) présente de nouvelles actions qui témoignent combien la scission historique entre off et in est en voie d’effacement tout en conservant les identités spécifiques de chacun. La présence du directeur du In Tiago Rodrigues et de Pierre Gendronneau, directeur délégué, à la conférence de presse avignonnaise du off en est la preuve.

Les premiers résultats se constateront sur l’axe de l’écoresponsabilité et bientôt sur la porosité des publics.

L’un comme l’autre ont intérêt à mutualiser leurs efforts pour obtenir par exemple une amélioration de l’offre de transports (si la SNCF pouvait faire arriver et partir les trains à l'heure les festivaliers en seraient soulagés).

Ou encore sur l’encadrement des loyers des locations saisonnières (dont on constate le doublement depuis 2020). De nombreuses pistes sont envisagées : un arrêté municipal, un accord avec les plateformes de location, le recours à des chambres chez l’habitant, l’élargissement du périmètre de l’offre au-delà des remparts (pourvu que les transports en commun s’adaptent).
D’ici là on testera la nouvelle formule d’abonnement. Après dix ans de stabilité la carte Off passe de 16 à 19 euros mais devient une carte Avantages. Outre la toujours intéressante réduction de 30% sur les spectacles, elle va désormais donner accès à des réductions dans restaurants, bars et commerces partenaires ainsi que dans des lieux touristiques. De quoi donner envie de découvrir par exemple les Jardins du Palais des Papes. Et de vérifier si les artichauts y fleurissent toujours.
La carte professionnelle augmente davantage mais son prix de 45 euros reste très en deçà des tarifs des grands festivals internationaux qui dépassent 500 dollars outre-Manche.

Pour la seconde année le village du off sera installé 6 rue Pourquery de Boisserin. Il sera ouvert du 7 au 29 juillet, de 9 heures à 2 heures du matin. 
La transition ecoresponsable est une préoccupation commune avec le in. Le nombre d’affiches sera réduit à 150 par spectacle. ( avec l’objectif de passer de 60 tonnes de déchets papier à 25) et la réduction par 100 de l’empreinte carbone. Espérons qu'on ne verra plus pléthore de guirlandes comme ci-dessus.

Un label de bonnes pratiques professionnelles, incluant cet aspect (comme par exemple la diminution de l’usage des climatiseurs) est en cours de finalisation pour faire évoluer le modèle économique du off. La mutation sera réelle lorsqu’on déconstruira la logique de l’offre et de la demande sur une saisonnalité qui changera d’échelle, passant de lente à l’année avec des périodes de création et de résidence. 

L’accent est mis sur la jeunesse car Avignon est le plus grand festival jeune public au monde.

Les 174 spectacles qui leur sont dédiés (soit 12% des spectacles) feront l’objet d’une brochure spéciale et des ateliers leur seront proposés au village du off les journées des 17 et 24 juillet. En 2024 un Village des enfants et des familles sera créé spécialement.

Accent aussi sur l’international avec un guide français-anglais des 125 compagnies étrangères programmées ce été, soit un doublement par rapport à 2022. De multiples actions sont mises en place, évidemment dans une logique de réciprocité.

Les livres arrivent pour la première fois au Village grâce à la librairie avignonnaise indépendante La Comédie Humaine qui présentera tous les textes édités joués pendant le festival. Le prix Cultura récompensera un spectacle.

J'ai noté aussi la volonté du off de devenir un lieu exemplaire en matière de lutte contre les violences sexistes.

Chaque soir le bar du Off programmera un concert, comme le ferait un festival de musiques actuelles en défendant l’émergence.

Ce terme d’émergence est souvent revenu au fil de la matinée. L’accompagnement sera favorisé par 14 webinaires interactifs (accessibles ensuite en ligne) en amont de la venue des compagnies et des artistes.

Un système de parrainage bénéficiera à 50 d’entre elles et le Fonds de soutien favorisera la prise de risques. Enfin des aides sont déployées en lien avec d’autres festivals internationaux comme le Cinars et le Fringe d’Edimbourg.

Autre nouveauté, les showcases qui devraient accélérer la promotion des projets auprès des professionnels  ils auront lieu dans un nouvel espace dédié aux pros à l’espace Jeanne Laurent , situé à deux pas du Centre des Congrès du Palais des Papes, dans le jardin du Rocher des Doms. Ce programme sera consultable en ligne.

C’est là qu’aura lieu le Banquet des pros le 14 juillet à 12 h 30 … qui sera un haut lieu de réseautage, comme le seront aussi les Apéros pro au Village du off qui deviennent thématiques. Il y aura aussi des déjeuners, des soirées et même une spéciale visite guidée du Palais des Papes pour les accrédités.

Souhaitons que toutes ces mesures fort attractives aideront les professionnels sans détourner le public de l’essentiel : aller voir les spectacles qui vont s’enchaîner de tôt le matin à tard le soir à une moyenne de 10 par jour dans les 141 lieux répertoriés dans le Off, sans compter le In et le If.

Pour moitié il s’agira de théâtre, pour un quart d’humour, le dernier quart étant consacré à la musique (11%), la danse (6%), le cirque (3%), la marionnette (3%), …

Au total ce sont 33 000 levers de rideau soit un quart de l’ensemble de ce qui se passe en France, ce qui explique que 25% des choix de spectacles des programmateurs se concluent en Avignon.

S’il attire un public du monde entier il faut souligner que 38% des spectateurs sont issus de la région. Un gros effort est entrepris pour les publics qui ne sont pas familiers des salles. 2000 places (contre 800 l’an dernier) leur seront offertes et accompagnées par un temps de médiation pris en charge par les compagnies car l’argent n’est pas le seul frein à accéder à la culture.
À vos agendas pour composer votre programme :

15 juin sortie du programme en version numérique 

Fin juin publication de la liste de recommandations sur À bride abattue (pour le In comme pour le Off dans un article unique). Et sachant que vous ne verrez en moyenne que 6 spectacles le choix est donc crucial.

3 juillet sortie du programme papier

6 juillet la traditionnelle parade

8 juillet à 11 heures inauguration officielle du Village du off.
Légende des photos des membres d'AF&C (de gauche à droite) : pour la première, Thomas Le Douarec (Cie Thomas Le Douarec, Théâtre des Lucioles), Chloé Suchel (Directrice de la communication), Hugues Leforestier (Compagnie Fracasse, vice-président), Laurent Domingos (Les Mots, le Corps et la Note, Les Sentinelles, co-président)

Pour la seconde, Harold David (Atypik Théâtre-Archipel Théâtre et Rouge-gorge, coprésident), Anna Cottis (Les ouvriers de joie, secrétaire), Raymond Yana (Espace Alya, secrétaire) Agnès Chamak (Théâtre des Brunes) et Pierre Boiteux (En scène! Productions)

dimanche 21 mai 2023

Le petit déjeuner crétois

Il y a quelques jours, je donnais les grands principes du Régime crétois.

Voici, aujourd’hui, quelques idées pour prendre un petit déjeuner à la mode crétoise.

Le plus emblématique est l’assiette santé composée de:
- fromage blanc, si possible au lait de brebis pour son apport en calcium et ses protéines
- des céréales complètes pour se procurer des fibres et des minéraux (ou du granola)
- de la matière grasse sous forme de fruits à coque, comme des noisettes et des noix
- du miel pour le plaisir, et dans l’idéal un miel de thym crétois

Quant à l’ajout de noix sur le fromage blanc, on peut les griller dans une poêle pour les torréfier et leur donner plus de saveur.
Il est conseillé de prendre un fruit frais pour absorber des glucides simples, des fibres supplémentaires et de la vitamine C. On remarquera sur les photos que je les ai ajoutés, coupés en petits morceaux.
Une boisson est recommandée. Je ne suis pas certaine que l’expresso frappé sur des glaçons, recouvert d’une épaisse couche de crème fouettée comme on le ferait à Vienne soit approuvé par les protagonistes du célèbre régime crétois mais je peux vous dire que c’est « le » breuvage à la mode dans cette île. Kalliopi Morfi le mentionne dans la dernière version du Guide du Petit Futé.
Beaucoup sont gourmands et ne résistent pas aux pâtisseries le matin qu'ils accompagnent de ce fameux café glacé, mais la chaleur n'est pas une excuse et ce n'est pas "régime".
Evidemment, on peut faire soi-même son granola. J’en ai déjà publié une recette ici pendant le confinement. Je suis en train de réfléchir à une variante dont je donnerai la marche à suivre si elle est réussie.
Avec un bon petit déjeuner on pourrait tenir jusqu’à 14 heures pour déjeuner, et 22 heures pour dîner, comme le font les habitants.
*
*    *
Article écrit suite à une mission d’affaires regroupant des acheteurs spécialisés en produits alimentaires, grossistes et distributeurs et quelques journalistes, coorganisé par l’ambassade de Grèce en France avec la participation du Bureau économique et commercial afin de promouvoir le programme européen pour les produits AOP et AOC de Crète.

samedi 20 mai 2023

Jeanne du Barry, un film réalisé par Maiwen

J’ai lu quelques critiques sévères sur Jeanne du Barry, venant de personnes qui n’avaient pas toutes vu ce chef d’œuvre, car c’est le terme qui convient, et qui se permettaient de juger le casting.

Quelle chance pour Maiwenn, malgré les soucis que cela occasionna, que les deux stars françaises aient décliné le rôle de Louis XV, l’un par mépris, l’autre pour raison de santé (elle tait leur nom, et elle a bien raison, ce serait leur faire de la publicité). Ils doivent se sentir aujourd’hui stupides. Sans eux, le casting est de haute précision avec Johnny Depp (qui joue pour la première fois en français) et qui en impose par un simple regard, aux côtés de Benjamin Lavernhe (formidable premier valet de chambre du roi), Pierre Richard, Melvil Poupaud, Noémie Lvovsky, Pascal Greggory ou encore India HairDes acteurs qui portent de vrais rôles et qui ne font pas de la figuration. Et bien sûr Maiwen, absolument parfaite, capable de nous surprendre en nous faisant rire … ou pleurer.

Si pour certains plans elle porte des robes fantastiques (dont certaines ont été faites par les ateliers Chanel qui a largement aidé la production) et des coiffures inouïes, pour d’autres, elle est au naturel, comme sur cette photo que j’ai choisie pour illustrer l’article car elle résume toute la sensibilité qu’on découvre dans ce biopic très particulier.
Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition.
Son amant le comte Du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV et Jeanne, c’est le coup de foudre…
Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour. Il va donc d’abord falloir lui trouver un mari.
Je veux bien comprendre qu’on n’apprécie guère ce film si on a aimé Les trois mousquetaires. Ici, c’est tout le contraire. De longs plans séquence qui laissent au spectateur le temps de s’imprégner des lieux et des intrigues. Versailles apparaît comme on le voit rarement, dans un océan de verdure. L’emploi de la pellicule 35 mm (Kodak, toujours formidable en terme de rendu des couleurs) confère une dignité aux images. Les costumes, les coiffures et les maquillages sont exceptionnels.

Les décors sont majoritairement versaillais où l’on ne peut tourner que le lundi, en extérieur, dans la Chapelle Royale, la Galerie des Glaces et le salon Hercule. Si bien que certaines scènes ont été enregistrées à Vaux-le-Vicomte, dans le Grand Salon, la bibliothèque, la salle des buffets et le Salon des muses, ainsi que quelques jardins et la forêt. Bien entendu les banquets, éclairés à la bougie ont dû être reconstitués en studio. Et de très belles campagnes évoquent la Lorraine natale de Jeanne.

Maiwenn explique que son intérêt pour Jeanne est né en 2006 de la projection du film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette où Asia Argento interprétait Madame du Barry. Elle découvre alors la trajectoire d’une héroïne qu’elle n’hésite pas à qualifier de " looseuse magnifique qui court à sa perte." Elle se sent probablement des points communs avec son personnage principal, dont elle ne pourrait confier le rôle à personne d’autre qu’elle. Elle n’a pas de mal à mettre dans Jeanne toute la sensibilité qui la caractérise, autant que sa témérité, et son aversion pour les conventions superficielles. Il faut voir avec quelle malice elle nous rappellera plusieurs fois l’usage imposant de ne jamais tourner le dos au roi.

Elle n’a alors de cesse de se documenter et d’écrire elle-même un scénario. Elle va mettre des années à concrétiser son rêve. Cinq longs-métrages plus tard, après Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011), Mon roi (2015) et ADN (2020) elle sort de sa zone habituelle, abandonnant les tournages nerveux se nourrissant d’improvisations. Cette fois tout est prévu d’avance, même si elle acceptera plusieurs suggestions faites par Johnny Depp, car si elle est sérieuse, elle n’est jamais rigide.

Avec le courage, le sérieux et la volonté qui la caractérisent, elle va nous raconter l’histoire incroyable et pourtant exacte (à quelques détails près) d’une héroïne en but à la misogynie exercée surtout par d’autres femmes, quoique le comte du Barry ne soit pas en reste question violences conjugales (et sur ce point Maiwenn nous a déjà démontré avec Mon roi que le sujet lui tenait à coeur). C’est un peu Cendrillon harcelée par les filles du roi caricaturées en Anastasie et Javotte. Les références à l’univers du conte, mais du conte qui se termine mal, sont subtiles et justifient le recours à une voix off pour lier les séquences qui s’organisent selon un classicisme revendiqué.

Plusieurs sont marquantes, par leur violence (la scène la montrant lire dans sa baignoire, ou l’examen gynécologique préalable à sa validation comme candidate à devenir la maîtresse du roi), par leur humour (le lever du roi, le patinage dans la Galerie des glaces), par leur force sociale (l’arrivée de Zamor), par leur fougue (la montée des marches comme s’il s’agissait d’escalader une pyramide), par la force des émotions (la mort d’Adolphe ou celle du roi où Maiwenn est déchirante), par leur lyrisme aussi …

Le geste artistique est toujours justifié. C’est peu dire que je trouve l’ensemble cohérent et réussi. Aussi fort que Polisse, dans un tout autre registre.

Voilà un film historique tourné comme si c’était une histoire contemporaine. Qui, de plus réhabilite une personnalité qui, jusque là n’avait été vue que comme la favorite d’un roi et non une femme audacieuse et sincère dans un monde où la vanité est la valeur dominante, de grande éducation, capable de respecter des usages qu’elle ne comprend pas, érudite, lectrice assidue, artiste, esthète, mécène, capable de lancer des modes, libre et authentique.

Jeanne du Barry, un film réalisé par Maiwen
Avec Maiwen (Jeanne), Johnny Depp (Louis XV), Benjamin Lavernhe (La Borde, valet du roi), Pierre Richard (Duc de Richelieu), Melvil Poupaud (Comte du Barry), Noémie Lvovsky (Comtesse de Noailles), Pascal Greggory (Duc d’Aiguillon), India Hair (Adélaïde de France), Robin Renucci (Monsieur Dumousseaux), Diego Le Fur (le Dauphin), Ibrahim Yaffa (Zamor) …
Scénaristes : Maiwenn, Teddy Lussi-Modeste, Nicolas Livecchi
Directeur de la photo Laurent Dailland (qui avait fait le si réussi Aline)
Scripte Marion Pin - Montage Laure Gardette
Décors Angelots Zamparutti - Costumes Jürgen Doering - Coiffures John Nollet
Narration Stanislas Stanic

(Photo Stéphanie Branchu pour Le Pacte)

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