1 - Combien de temps a-t-il fallu pour que le projet éclose, entre l'idée et l'objet-livre ?Assez vite à partir du moment où la décision est prise. En moyenne un an d'écriture et six mois d'édition.
Pour
Anne le temps nécessaire à la main pour traduire la pensée du cerveau, puis dix-huit mois de plus pour l'édition.
Claire avait fait une première trame 8 ans plus tôt. elle remettait toujours à plus tard la phase d'écriture proprement dire, se laissant déborder par ses activités professionnelles. Six mois lui ont suffi à partir du moment où sa décision a été sans appel.
Pour
Fanny aussi les choses sont allées très vite. Elle a volé les heures par ci par là pendant une année et l'édition n'a pris que quelques mois supplémentaires. Par contre elle a connu une étape supplémentaire parce que le livre n'est sorti qu'un an et demi après la signature du contrat.
Les évènements se sont enchainés différemment pour
Nicole (ci-contre) dont ce premier roman est né très brutalement d'une nécessité absolue après la perte de sa fille ainée de manière inattendue. Elle s'est d'abord plongée dans la lecture des livres qu'Hélène accumulait dans une bibliothèque, ce qui était une façon de la garder près d'elle. Au bout de six mois il n'y avait plus rien à lire. Nicole s'est mise alors à écrire une histoire qui se passe en Extrême -Orient puisqu'elle avait découvert la passion de sa fille pour cette région du monde. Le manuscrit est achevé douze à quatorze mois plus tard, en juin 2008. Le frère d'Hélène le lit et la pousse à l'envoyer à des éditeurs, ce qu'elle fait sans trop y croire et n'y pense plus. Jusque là l'écriture était restée pour elle dans la sphère de l'intime. Actes Sud lui a répondu très vite positivement. Le livre sort un an plus tard alors que Nicole Roland a déjà écrit autre chose ... parce qu'il faut bien affronter les heures de la nuit.
François avait commencé par des bribes en 1997. Il avait laissé le texte en jachère pendant 6 ans avant de le reprendre en 2003 pour aboutir à une première version en 2005 qu'il a lu, relu et retravaillé avant de la soumettre en 2009 à un éditeur.
2 - Peut-on écrire en exerçant un (autre) métier en parallèle ?Quand le projet est impérieux on n'hésite plus à lâcher son travail, même si on attend prudemment d'avoir signé avec un éditeur. Sauf pour ceux qui ont la capacité (ou le handicap) de ne pas faire de longues nuits et qui peuvent cumuler les deux activités.
Être absorbée par son travail représentait une sorte d'excuse pour
Anne qui rêvait secrètement d'être un auteur prodige jusqu'à ce qu'elle réalise qu'ayant dépassé depuis quelque temps l'âge de 17 ans elle ne serait jamais une Sagan bis. Plus modestement elle a compris qu'elle pouvait par contre apporter sa pierre à son chemin. La prise de conscience a fait l'effet d'un déclic. Elle a courageusement quitté son emploi, est devenue entrepreneur en montant une structure de petite édition pour se libérer du temps et être déjà symboliquement dans le domaine du livre.
Claire (ci-contre), qui se trouve être sa sœur, criait sur tous les toits qu'elle serait écrivain. Elle avait stratégiquement choisi de devenir professeur de français en imaginant que cela lui laisserait du temps pour écrire. Constatant son erreur elle décida d'arrêter tout du jour au lendemain.
Fanny a renoncé elle aussi à son travail mais seulement après avoir signé le contrat d'édition. La participation à des concours de nouvelles, qu'elles avait remportés, l'avait encouragée et elle craignait moins le jugement. Elle continue néanmoins une activité de scénariste en parallèle.
Nicole continue à enseigner, ce qui ne l'empêche pas d'écrire de 22 heures à 1 heure du matin.
François a commencé à écrire très jeune. Devenu médecin réanimateur, l'écriture représente une bulle d'espace vital qui lui permet d'échapper aux contraintes. Il a été plus difficile dépêtre assidu devant l'ordinateur et ces moments sont la plupart du temps des instants volés,mais jouissifs. Il ne s'endort pas avant 2-3 heures du matin, et jamais sans "rendre visite" à son manuscrit. Il a bien entendu commencé à écrire un second livre.
3 - Je vous propose de rencontrer un auteur vivant, ou non. Qui me demandez-vous d'inviter ?François aurait aimé discuter avec Guy de Maupassant et Jim Harrisson.
Nicole : Marguerite Duras et Virginia Woolf.
Romain Gary et Françoise Sagan pour
Fanny (ci-dessous)
Claire choisit Paul Verlaine et Emmanuel Carrère.
Anne se tourne vers Michel Houellebecq et Bret Easton Ellis.
En tout cas plusieurs insistent sur le fait qu'écrire a modifié radicalement leur manière de lire.
4 - Quel sentiment éprouve-t-on quand le livre arrive ?Les émotions sont comparables à celles qu'on ressent à la naissance d'un enfant : surprise, crainte de ne pas reconnaitre son œuvre, joie, fierté et dépression teintée de tristesse . Et puis tout de suite après le sentiment que quelque chose vous échappe et qu'un cycle vient de se terminer.
Anne connait bien les stades de la fabrication mais elle a malgré tout été intimidée par l'objet qu'elle n'a pas pu ouvrir pendant deux jours. Claire également qui se souvient de l'attente, de la peur et de la satisfaction d'un premier achèvement.
Nicole a vécu les mêmes étapes avec peut-être encore plus d'intensité. Conçu comme un tombeau littéraire, son ouvrage est devenu berceau depuis que le prénom de sa fille y figure. Chaque fois qu'un lecteur ouvre le livre, Hélène existe et Nicole ne se sépare jamais du premier exemplaire, dont la couverture est patinée et qui déborde de marque-pages.
François a vécu ce que dit Chang à la fin du Lotus bleu : y
'a comme un arc-en-ciel dans son cœur. Il souligne le besoin d'enchainer rapidement sur un autre roman.
5 - Comment écrivez-vous ?Même si on a fait de longues études littéraires le travail d'écriture est -sauf exception- toujours ardu. Il se compare au travail de l'architecte qui imagine un plan et une structure avant de monter les murs, un à un.
On est loin, nous dit
Anne (ci-contre), de l'image romantique de l'écrivain frappé par la grâce ... J'avais du mal à terminer. J'ai analysé des auteurs, l'un après l'autre, comme Annie Ernaux, Patrick Modiano ... jusqu'à trouver des réponses aux questions que je me posais. J'ai été très laborieuse et méthodique, en ayant recours aux outils que j'ai appris au cours de mes études (Khâgne, Hypokhâgne et des études littéraires baroques). Puis j'ai consacré autant de temps à effacer les traces du travail.
Claire écrivait de manière compulsive, sans structure, poussée par les mots comme par un élan vital. Ce n'est pas une "méthode" qu'elle recommande parce qu'il est plus difficile de construire ensuite quelque chose à partir d'une masse énorme de feuillets. Elle suivra l'exemple de sa soeur pour le suivant : le toit et les murs seront là. Elle songe aussi à donner son manuscrit à lire à sa sœur pour bénéficier d'un regard positif mais distancié. Toutes deux pourraient même écrire conjointement.
Fanny travaille avec application quand elle écrit un scénario en suivant une architecture qui se décline dans un séquencier. Pour le roman elle part avec une légère trame et a l'impression de suivre son personnage en se laissant porter par son intuition. Elle ajoute en être étonnée elle-même.
François alterne entre ordre et désordre (ou créativité ...). Il aime lire tous les genres, sauf le policier. Par contre il adore les thrillers au cinéma. Son premier roman concilie ses deux préférences.
6 - L'intitulé de la table-ronde questionnait ce qui se passait après le premier roman. Chacun s'est-il lancé une nouvelle fois dans l'aventure ?Pour nos auteurs, le second roman semble en général avoir coulé de source. Ce serait plutôt le troisième qui poserait problème.
Pour
François (ci-contre) ce deuxième a été extraordinairement plus facile, comme s'il avait atteint l'âge de la maturité littéraire. Mais le troisième lui donne du fil à retordre.
Fanny a traversé une période de boulimie d'écriture après le premier. Elle souhaitait s'orienter vers la comédie mais n'a pas encore tranché.
A l'instar de Fanny qui estime avoir "perdu son innocence"
Claire a l'impression d'avoir "enterré son enfance" et ne se sent plus du tout dans la même position pour le second roman. L'expérience dans la réécriture et la correction est déterminante.
Anne a anticipé en commençant le second avant la sortie du premier, pour ne pas être influencée par les avis.
Nicole a fait de même. Le second sortira en janvier 2012, toujours chez Actes Sud. Il a été plus dur à produire parce qu'elle est allée plus loin en elle mais plus facile sur le plan technique parce qu'elle avait en quelque sorte acquis les bases du "métier". Elle a utilisé cette fois des textes qu'elle a extirpé des tiroirs.
En conclusion y-aurait-il une universalité du premier roman ?Écrire s'inscrit sur un chemin qui emprunte la route du rêve et qui se réalise concrètement lorsque le besoin se fait impérieux. Ce n'est pas un aboutissement mais un début qui conduit très vite au second roman, et souvent à l'adaptation cinématographique.
Le manque de temps n'est qu'une fausse excuse qui s'oublie quand écrire est devenu vital. On peut écrire depuis des années sans pour autant disposer d'un roman. Le texte doit s'architecturer solidement et c'est un vrai travail qui apporte joie et fierté lorsqu'il est accompli.
Chaque auteur présent encourage le public à se lancer.
D'autres articles suivront pour rendre compte de quelques échanges que j'ai eus pendant ou suite au salon, comme par exemple avec Kanjil Editeur et Casterman. Ce dernier éditeur publie Un hiver de glace, de Romain Renard que je présenterai avec la critique du film
Winter's bone, puisqu'ils sont tous deux tirés du même roman de Daniel Woodrell. Il y aura aussi bientôt un portrait de l'illustrateur-auteur de bande dessinée
Tito. Et bien sur les critiques des livres des participants à la table-ronde dès que j'aurai pu les lire.