Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 31 janvier 2020

Un contrat de Tonino Benacquista

Je ne l'avais pas vu en Avignon dans la mise en scène d'Olivier Douau. Je suis pourtant amatrice de l'écriture de Tonino Benacquista mais d'une part j'avoue ne pas connaitre la salle des 3 Raisins et j'ignorais qu'il avait (aussi) écrit pour le théâtre. Dommage, soit dit en passant qu'il n'ait pas continué car il est autant déroutant sur scène que sur papier.

Le spectacle est annoncé comme avoir été un succès en Avignon deux ans de suite, après avoir été sélectionné au Festival Polar Cognac 2017. Je ne peux pas juger ce que l'on doit à la nouvelle mise en scène, signée Stanislas Rosemin. Je serais quand même curieuse de savoir ce qui a été modifié.

En tout cas la pièce est qualifiée de polar psychanalytique et c'est tout à fait cela. La tension s'installe lentement et ne faiblit pas jusqu'au dénouement final à propos duquel le spectateur modifie sans cesse son hypothèse.

La cure psychanalytique est presque une enquête, dont le but est que le patient aille mieux. C'est le "contrat" de base et c'est ce que le thérapeute (Patrick Seminor) cherche à instaurer. Mais son client n'est pas ordinaire. Il va résister plus que la normale et le jeu du transfert/contre-transfert sera difficile à maitriser. Car pour lui (Olivier Douau) le terme de contrat correspond à toute autre chose.

Au départ le psychanalyste semble trouver "normales" les crises d’angoisse de son nouveau patient et ne s'en inquiète pas plus que ça, avant de réaliser, séance après séance et au fur et à mesure des confidences, qu’il est pris au piège de révélations sur des affaires criminelles que nul n’est censé connaître.

Car les deux hommes ont un autre terme lexical commun autour du silence, protecteur dans le cadre du secret professionnel, angoissant dans celui de la loi du silence qui s'applique dans la mafia.

Ces deux axes composent la structure en spirale ascendante du huis clos écrit par Tonino Benaquista. Il retourne les codes, joue des double sens, insère quelques lapsus dans une atmosphère qui devient étouffante. Qui en sortira ? Un seul ou les deux ? Et dans quel état ?

Si l'intelligence devient une arme, suffira-t-elle à briser l'omerta ? Quelle place laisser à la culpabilité et dans quel intérêt ? Les deux comédiens sont à égalité de puissance et l'humour -noir évidemment- apporte la légèreté suffisante pour que le public hésite constamment à prendre parti, surtout lorsque la situation se retourne.

Les deux hommes s’affrontent dans une partie d’échecs sous tension, dont l’issue incertaine n’est délivrée que dans la dernière réplique.

Décidément, le sous-sol du Gymnase Marie Bell est le théâtre de belles pièces depuis la rentrée avec aussi Les Gardiennes et l'Ombre.
Un contrat de Tonino Benacquista
Avec Patrick Seminor, Olivier Douau
Nouvelle Mise en scène par Stanislas Rosemin
Lumière David Ripon
Jusqu'au 21 mars 2020
Du jeudi au samedi à 20H30
Au Théâtre du Gymnase Marie Bell
38, boulevard de Bonne Nouvelle - 75010 Paris - 01 42 46 79 79

jeudi 30 janvier 2020

Les passagers de l'aube de Violaine Arsac

J'avais lu Les passagers de l'aube avant mon départ pour le Mexique et je peux le dire, j'étais dubitative sur la transposition sur une scène de théâtre. Quelle erreur je faisais !

La mise en scène de Violaine Arsac (qui est aussi l'auteure de la pièce) est d'une fluidité idéale. Les comédiens sont parfaits de justesse. La preuve : beaucoup de spectateurs ne se sont pas aperçus que deux d'entre eux jouaient plusieurs rôles.

Ils sont aussi techniciens, manipulant les éléments de décor (de Caroline Mexme) dans une chorégraphie impeccablement réglée, sous des lumières parfaitement dosées par Stéphane Baquet.

Plusieurs personnes dans mon entourage n'étaient pas tentées par le sujet -et c'est un euphémisme. Pourtant je vous assure qu'on ne ressort pas du théâtre avec le moral dans les chaussettes. Je dirais même que c'est le contraire. Allez-y sans crainte.

D'abord il est important de préciser que la fiction que nous propose Violaine Arsac est basée sur des faits scientifiques réels. Cet élément est annoncé au début du spectacle et influence notre regard, en conditionnant notre crédibilité, d'autant que les comédiens ne nous entrainent pas dans le pathos.

C'est l'histoire d’un jeune et brillant interne en dernière année de neurochirurgie et à l'avenir tout tracé, dont les certitudes vont voler en éclats. D’une intrigue scientifique qui va mettre en danger la femme qu'il aime, sa carrière et l'estime de son meilleur ami. D’une quête effrénée où vont se confronter médecine occidentale et sagesse ancienne, amour, raison et physique quantique.
Il est question d'EMI, terme qui désigne l'Expérience de Mort Imminente et qui secoue notre conception habituelle cartésienne du monde. On a envie ensuite de creuser davantage le sujet et de se questionner sur d'éventuels liens entre la science et la spiritualité.

La possibilité d'une continuité de la vie de la conscience, lorsque le corps ou le cerveau sont hors d'état de fonctionner, est une question vertigineuse à laquelle ce spectacle apporte une réponse à laquelle on a envie de croire.
Les Passagers de l’aube
De et mis en scène par Violaine Arsac
Avec Grégory Corre, Florence Coste, Mathilde Moulinat et Nicolas Taffin
Au Théâtre 13 / Jardin
Du 9 janvier au 9 février 2020
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h
103 A, boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris (métro Glacière)
Ensuite en tournée :
Le 20 mars 2020 à Landivisiau
Le 25 mars 2020 à Aubagne
Le 1er avril 2020 à St Etienne
Le 2 avril 2020 à Le Bourget du Lac
Le 3 avril 2020 à St Priest en Jarez
Le 17 avril 2020 à Bruges
Le 30 avril 2020 à Pezenas

Le texte de la pièce a été publié en 2018 par les Editions du Cygne.

mercredi 29 janvier 2020

Fêter la Saint-Valentin chez Batifol

N'y voyez aucun jeu de mots mais j'ai eu envie de vous proposer de "batifoler" le jour de la Saint-Valentin, dans un bistrot qui a du charme, de la classe, et où l'on mange bien.

Il s'agit de Batifol, juste en face de la gare de l'Est, qui le 14 février prochain, au déjeuner comme au dîner propose un excellent menu à seulement 49 € annoncé en formule tout compris, de l'apéritif au café, et avec eau minérale, et même une rose offerte.

Et si vous souhaitiez consacrer un budget moins élevé ce jour-là vous pourrez malgré tout bénéficier de l'ambiance et du charme de l'endroit en choisissant vos plats à la carte qui reste au prix habituel ce jour là (et les autres aussi car franchement aller chez Batifol donne envie d'y revenir).

Par exemple :
Lentilles vertes du Puy servies en jatte, vinaigrette moutardée 5,00€ (servie à discrétion, soit dit en passant)
Suprême de poulet fermier rôti, pommes grenaille et champignons 14,00€
Ile flottante au pralin, crème anglaise 6,50€

Ma suggestion dépasse très légèrement 25€, mais à ce prix là vous n'aurez ni boissons (que je vous recommande de consommer avec modération, cela va de soi), ni café, ni rose. Revenons donc au menu spécial Saint-Valentin, dont je peux parler en toute connaissance de cause car selon mes principes je n'écris qu'à propos de ce que j'ai vu, lu, et goûté personnellement.

L'accueil est sympathique. On formule des voeux de bonheur en levant une coupe d’effervescent "Code Rouge" de chez Gérard Bertrand et en grignotant un bretzel, en référence à l'Alsace toute proche si on prenait le train. Je l'ai dégusté à table mais à la réflexion je vous suggère de le prendre sur le joli zinc du bar pour découvrir les lieux progressivement.
On se dit en jetant un oeil autour de nous qu'il serait sans doute judicieux de commander à une autre occasion un des plats typiques de la cuisine bourgeoise du début du siècle, comme le pot-au-feu (ménagère et son os à moelle) mentionné au-dessus d'un gramophone ou une choucroute alsacienne.
On ne s'éloigne pas beaucoup de l'Est de la France, réputé aussi pour son foie gras, quand arrive l'entrée : deux belles tranches de Foie gras de canard français et chutney de fruits secs avec un verre de Gewurztraminer, suffisamment fruité et charpenté pour accompagner l'assiette.
Je valide amplement le choix d'un pain de campagne grillé d'un seul coté.
Un Suprême de poulet fermier, sauce Nantua, étuvée de légumes succèdera facilement. La viande est tendre. La recette est fine sans être trop sophistiquée et correspond à l'ambiance bistrot du cadre. L'équilibre des couleur attise l'appétit. Le vin est servi à la température idéale, un peu fraiche. je n'aurais pas choisi mieux que ce Touraine Gamay "Domaine de la Charmoise" Henry Marionnet.
En dessert, on trouve du chocolat, c'était prévisible. Cet Entremets chocolat et praliné évoque une revisite de la Forêt Noire, ce qui est encore une fois un choix adéquat. Les bulles du Code Rouge s'accordent à merveille avec l'assiette.
Chaque table a son charme. La décoration n'est pas chargée tout en rappelant les objets utilisés il n'y a finalement pas si longtemps que ça, comme la caisse enregistreuse (ci-dessus) ou le standard téléphonique (ci-dessous). Quel plaisir de voir aussi des chapelières en laiton doré sur lesquelles on peut aussi poser un sac.
 
Les affiches publicitaires sont magnifiques et les banquettes de cuir sont confortables. La hauteur sous plafond et la disposition des tables sont propices au papotage car la salle n'est pas bruyante. Les assiettes sont généreuses. Le personnel est attentif. On est hors du temps et pourtant au coeur de la cuisine bourgeoise française que l'on apprécie avec bonheur et qui revient en force. Alors retenez l'adresse, pour le 14 février, et au-delà :

Bistrot Batifol
5, place du 8-Mai-1945  (face à la gare de l’Est), Paris 10ème
Ouvert tous les jours de 7h30 à minuit.
Téléphone : 01 42 05 20 02

mardi 28 janvier 2020

Le Banquet écrit et mis en scène par Mathilda May

Il existe des spectacles vraiment particuliers et qui, une fois qu'on les a vus, relèvent pourtant de l'évidence, au-delà de leur singularité, parce qu'ils sont forts et touchent à l'universel.

Le Banquet, écrit et mis en scène par Mathilda May, est de ceux-là.

C'est une expérience particulière parce que les dialogues sont en yaourt, mais compréhensibles par le ton employé et surtout par les mimiques accompagnant chaque scène. On est dans ce qu'on pourrait qualifier de théâtre visuel, un peu à l'instar de ce que fait Familie Flöz que j'aime beaucoup, ou encore LoDka.

Comparativement, les paroles des chansons de Dolly Parton qui chante en américain sont assez limpides.

Le public est dans l'ambiance dès le lever de rideau, en suivant les déboires de la serveuse (Stéphanie Djoudi-Guiraudon) qui provoque l'hilarité. Les rires vont se succéder sans relâche. Et le spectateur ressentira une palette d'émotions. Comme dans la vraie vie et qu'on a envie d'éclater de rire à un enterrement ou de pleurer à un mariage.

Tout au long de la soirée, les personnages s’aiment, s‘affrontent, se jalousent, se retrouvent, s'émerveillent et se perdent dans une succession de tourbillons rythmés par la musique country de Dolly Parton (avec notamment Love is like a butterfly, 9 to 5 et Travelin’ Prayer). Le spectacle obéit à une mécanique ultra-précise qui n'a rien d'improvisé. 
Les comédiens sont autant à l'aise dans le jeu, le mime, la danse, et même le chant, justifiant le Molière 2019 du metteur en scène d'un spectacle de théâtre public, et le Molière de la révélation féminine (pour Ariane Mourier).
Tout y est : le jet de riz comme le lancer de bouquet, le discours, l'ascension acrobatique vers le buffet, l'invité mystère, la gaffe, l'accident ... le gâteau, des ralentis, des moments de poésie ou de trivialité, et même de la magie. Tous les sentiments se succèdent, même l'ennui.

Le Banquet est intemporel et c'est une heureuse idée de le reprendre au Théâtre de Paris quelques mois après sa création au Rond-Point, à un moment de l'année où on a besoin de distraction. N'hésitez pas à aller le voir. Laissez-vous porter. C'est un régal pour un public qui s'avoue conquis.

Le Banquet
Ecrit et mis en scène par Mathilda May
Décor Jacques Voizot
Lumières Laurent Béal
Son Guillaume Duguet
Costumes Valérie Adda
Vidéo Nathalie Cabrol
Avec Sébastien Almar, Anna Mihalcea, Bernie Collins, Jérémie Covillault, Lee Delong, Stéphanie Djoudi-Guiraudon, Arnaud Maillard, Brigitte Faure, Ariane Mourier et Tristan Robin
Au Théâtre de Paris jusqu'au 19 mars 2020
Du mardi au samedi à 20h30
Les dimanches à 15h30
15 rue Blanche - 75009 Paris 01 48 74 25 37

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Giovanni Cittadini Cesi

lundi 27 janvier 2020

Le Comptoir des Fables, la nouvelle adresse de David Bottreau

On connait déjà Les Fables de la Fontaine, au 131 rue Saint Dominique dans le 7ème arrondissement de Paris (01 44 18 37 55) David Bottreau célèbre une cuisine du partage, raffinée voire même sophistiquée, mais dont les assaisonnements sont toujours très justes, réputée en particulier auprès des amateurs de poissons.

Si chaque jour il éprouvait avec son nouveau chef Medhi Bencheikh un immense plaisir à accueillir sa clientèle d’épicuriens il a eu envie de se lancer un autre challenge en observant l'évolution des modes de consommation et les habitudes des gourmands, pour leur offrir une autre alternative.

Il a profité de la disponibilité des murs d’une ancienne boucherie, situé dans la même rue, mais sur le trottoir opposé, au numéro 112, pour pousser le concept plus avant dans la convivialité en s'inspirant des tapas, tout en restant dans la haute bistronomie.

Il en résulte par exemple une formule déjeuner à 19 €, servie entre 12 et 14 h 30 que le gourmet construit en choisissant sur la carte parmi les plats étoilés de rouge. Rien de mieux qu'une démonstration en couleurs, alors voici un exemple de combinaison que l'on pouvait déguster le jour de ma venue.

Vous avouerez que trois portions pour un total de moins de 20€ dans un cadre agréable, mérite l'applaudissement. C'est le miracle du Comptoir des Fables.
Avec pour commencer un Lieu jaune en vapeur de verveine, chou pak choï et miso fumé (à gauche) suivi d'un Cochon. Mogettes. Piquillos (à droite). Et pour finir une tarte du jour qui, comme son nom le promet, change quotidiennement (ci-dessous).
Il y a bien d'autres combinaisons possibles puisque ce sont 14 plats qui sont ainsi associables. On est plus à l'aise à l'intérieur en ce moment mais on appréciera bientôt une de ces petites tables posées sur la rue. Comme le prône le patron le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé. Alors je vous conseille de venir entre amis-copains-collègues ou membres d'une même famille pour en jouer pleinement en salle, autour d'une table ronde en puisant dans une carte qui n'est pas strictement ordonnée en trois groupes Entrées/Plats/Desserts.

mercredi 22 janvier 2020

Je m'habille comme je veux ... pantalon ou jupe !

Vous voulez rire ?

Le carton d’invitation, constellé d’étoiles de différentes tailles, sur fond bleu, était arrivé le jour de mon anniversaire, exhaussant un de mes souhaits : j'allais assister à une cérémonie de remise de Prix, en l'occurrence la 11° édition des Etoiles d'or du cinéma français que les professionnels de la presse française cinéma devaient décerner le 15 février 2010.

L'endroit qui avait été choisi était un haut-lieu des soirées parisiennes, ouvert en 1978 par le légendaire Fabrice Emaer, dans une salle de théâtre abandonnée du Faubourg Montmartre, sorte de jumeau du "Studio 54" de New-York. Au sous-sol, "Le Privilège" a constitué une sorte d'annexe privée dès 1980, où les célébrités se sentaient à l'abri des regards et des mouvements de foule. Le jeune Thierry Mugler avait dessiné les costumes des serveurs, et j'ai appris il y a peu de temps que Gérard Garouste avait contribué à sa décoration.

Je me souviens que la crainte des gens branchés de l'époque était de se voir refoulés à l'entrée car ses cerbères jugeaient arbitrairement sur la mine. Je n'avais donc jamais osé tenter l'aventure et je n’étais pas peu fière de disposer du sésame absolu avec mon beau carton bleu marine et or. Ne restait plus qu’à choisir la tenue adéquate. L’exercice représentait pour moi un autre challenge en raison de plusieurs traumatismes antérieurs.

J’avais, à seize ans, été menacée de perdre une journée de travail par un patron réactionnaire qui refusait que ses vendeuses portent un pantalon. La révolution de mai 68, menée trois ans plus tôt, l’avait laissé complètement hermétique à l’évolution de la condition féminine. Il est vrai que l’abrogation de la loi interdisant aux femmes le port du pantalon ne sera votée qu’en février 2013 (vous avez bien lu) même si cet usage commençait à être toléré depuis 1909 à condition que « la femme tienne par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ». J’ai dû batailler pour ne pas repartir à la maison le matin où je me suis présentée en pantalon devant la pointeuse. Le magasin disposait d’un rayon habillement et j’avais négocié l’autorisation d’y emprunter quelque chose. La chef de rayon m’avait prêté une jupe de laine grise, trop grande de trois tailles, qui me tombait sur les hanches et masquait mes genoux. Le tissu grattait et me tenait horriblement chaud. Mais pas question de subir une retenue sur un salaire qui m’était indispensable pour financer mes études. Je ne voulais pas davantage renoncer à ma liberté. J’avais trouvé une parade pour les jours suivants. J’arrivais en mini robe sur mes pantalons chéris que je laissais au vestiaire toute la journée et je passai tout l'été légère et courte vécue (apparemment cela ne dérangeait personne) sous la blouse rose de polyamide que chaque vendeuse portait alors sans exception. La mienne était ornée d’un badge "jeune au travail" accroché de travers au-dessus de la poitrine. Les trois chefs de rayon se distinguaient -elles- par une blouse bleue, en coton de belle qualité.

Des années plus tard j’avais eu l’honneur d’accompagner mon petit ami de l’époque au Festival du film romantique de Cabourg. Je n’avais pas trente ans. Jean-Pierre Vincent, administrateur de la Comédie Française, venait de lever l’obligation imposée aux spectateurs de porter un smoking pour avoir le droit d’entrer dans le saint des saints. Joëlle, la chanteuse du groupe Il était une fois portait presque systématiquement un short à chacune de ses apparitions à la télévision. J’étais encore mince et plutôt jolie. Avec de longues jambes fines. J’avais sélectionné, pour assister à une projection privée, un short que j’estimais être tout à fait dans le style de ceux que portait Brigitte Bardot dans les années 75 pour traverser Saint Tropez. Un chemisier de tulle blanc tranchait avec le coton bleu marine. Je m’étais présentée au contrôle avec confiance. Le vigile fut intraitable et je ne vis pas le film sélectionné, lequel fit d’ailleurs un flop, sans qu'il y ait la moindre relation de cause à effet.

Je n’ai pas osé tenter une récidive pour le dîner de gala. Les photos d’archives attestent de mon éclat, en longue robe de soie mordoré rouge vif, boutonnée dans le dos, et ceinturée à la façon d’un obi japonais.

Ces mésaventures avaient laissé une trace. Ne dit-on pas jamais deux sans trois ? Une vague inquiétude me vrillait l’estomac. Qu'allais-je porter pour la cérémonie des Etoiles d'or ? Je n'ai pas eu le temps d’envisager le pire que j'apprenais que la soirée était annulée, réglant d'un coup net le dilemme du choix de la robe de cocktail et surtout la réponse à la question : qui pourrait bien me prêter une tenue susceptible de correspondre au dress-code d’un tapis rouge …

Selon le communiqué de presse : Pour des raisons de forces majeures techniques sans rapport avec le théâtre le Palace, les organisateurs des Etoiles d'or du Cinéma sont contraints d'annuler la 11ème cérémonie de remise des Etoiles d'Or aux Lauréats de la production cinématographique française. Les trophées seront remis ultérieurement aux Lauréats en comité restreint. Les Lauréats désignés par le vote des journalistes de cinéma et par les membres de l'Académie de la presse de cinéma sont : (suivait une liste de noms parmi lesquels on pouvait lire Isabelle Adjani, Etoile d’Or du Premier Rôle Féminin français 2009 pour son interprétation dans La Journée de la Jupe).

Les organisateurs présentent leurs excuses aux Lauréats, aux journalistes de cinéma participants, aux invités à la cérémonie et aux dirigeants du théâtre le Palace qui ont tous soutenu cette manifestation en l'honneur de la création cinématographique Français. Signé : Jean-Luc Favriau Fondateur des Etoiles d'Or du cinéma depuis 1998.

Alors que je me réjouissais très sincèrement de savoir Isabelle Adjani étoile d'or pour sa formidable prestation dans la Journée de la jupe, un film que j'avais découvert à la télévision, je me disais que la question vestimentaire était une problématique d’actualité. Elle l’est restée. Gaëlle Billaut Dano reprenait brillamment le rôle d’Isabelle Adjani cet été en Avignon dans une nouvelle adaptation, spécialement écrite pour le théâtre par Jean-Paul Lilienfeld. Ce spectacle excellent est au Théâtre des Béliers Parisiens (14 bis rue Sainte Isaure, 75018 Paris) depuis quelques jours et jusqu'au 31 mars.

Il y a toujours des filles qui, dans certains quartiers, ne peuvent pas s’habiller selon leurs goûts. Pour ma part il y a belle lurette que, tout en faisant attention, je vais aux cérémonies de remise de Prix, Molière et autres remises de trophées, en choisissant ce qui me plait.

C'est fait. Je peux cocher la case : Je m'habille comme je veux

mardi 21 janvier 2020

L'éclair Haute Couture de Marius

Ce fut une surprise, très heureuse, que la découverte du concept élaboré par Marianna Mircevski, qui a décidé d'élire la pâte à chou pour en faire l'écrin de toutes ses créations en revisitant -et le terme n'a jamais été aussi juste- les recettes iconiques de la pâtisserie traditionnelle.

Il est amusant de savoir que le premier qui en a eu l'idée, Antonin Carême, avait lui-même procédé à une déclinaison d'une de ses créations en détournant la profiterole qu'il décida d'allonger et de fourrer de chocolat ou de café, et d'y ajouter un glaçage sucré.

Nous sommes au XIX° siècle et on appelle alors "petite duchesse", ce gâteau qui se dégustait si vite qu'il fut surnommé éclair. Il exista longtemps dans sa version d'origine et c'est une excellente idée de le revisiter une nouvelle fois.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais il me faut toujours beaucoup de temps pour choisir un gâteau. J'hésite d'abord longuement devant la vitrine. Une fois à l'intérieur je sollicite l'avis de la vendeuse ... qui souvent augmente ma perplexité. Je suis tentée par la couleur, la décoration, la saveur ou la texture (supposées) quand ce n'est pas le nom qui me fait saliver.

Quand je dois acheter pour plusieurs personnes, je ne prends que des portions individuelles toutes différentes, en espérant qu'un autre convive acceptera de partager ... C'est stupide mais l'aspect extérieur est souvent si éloigné du goût qu'il est bien compliqué de se faire une opinion.

Le concept de l'éclair de Marius règle plusieurs de mes freins. D'abord parce qu'il n'y a que de la pâte à choux. Et comme j'adore cette base, je ne peux que me réjouir. Ensuite parce que l'aspect extérieur correspond à ce qui est à l'intérieur (à une petite exception dont je parlerai plus bas). Le gourmand est donc dédouané de la forme pour se concentrer sur le parfum. Il devient facile de satisfaire une envie de fruit ou de chocolat, un soudain désir de retrouver un dessert comme on en voit plus que rarement. car les pâtissiers, à force de rivaliser d'originalité en termes d'apparence, et d'inserts de toutes sortes finissent -de mon point de vue- à perdre le consommateur. Oui à l'originalité, mais dans le respect des fondamentaux ... comme dirait un célèbre chef pâtissier.
Marianna sur ce plan mérite la note de 10 sur 10. Ses créations sont toutes siglées d'une pastille en chocolat ornée d'un M ... comme l'initiale de son prénom ou de celui de Marius.

Elle a lancé le concept en septembre 2019 et ce n'était alors qu'une idée pour faire plaisir aux enfants en améliorant les parfums traditionnels de l’éclair (chocolat - café - vanille)Elle a commencé par faire 10 éclairs par série sur chaque boutique en montant à 15 le dimanche. Et puis, avec le succès, la production n'a cessé depuis de monter en puissance.

dimanche 19 janvier 2020

Les os des filles de Line Papin chez Stock

Je poursuis mes lectures de la sélection du Prix du Roman d'Antony avec Les os des filles, présenté comme une autobiographie par une jeune femme qui n'a que 23 ans mais qui est déjà un auteur confirmé.

Son écriture est d'une maturité exceptionnelle. J'ai vérifié plusieurs fois son âge, croyant à une erreur.

Il faut dire qu'elle a une grande expérience puisque Line Papin a été publiée pour la première fois à 19 ans et qu'il s'agit ici de son troisième roman. Car bien qu'il soit très inspiré par des faits réels et par l'histoire de sa famille elle tient à ce qu'il reste considéré comme un roman. Et elle a raison.

Née à Hanoï en 1995, Line Papin y a grandi jusqu’à l’âge de dix ans, avant de s’installer en France. Elle se consacre à l’écriture, au dessin et au cinéma. Son premier livre, L’Éveil a reçu le prix de la Vocation en 2016.

Les os des filles est un ouvrage très personnel. J'ai eu le sentiment de lire un conte (ce que Lise confirme en interview) et pourtant rien n'est inventé dans ce récit qui commence dans un pays qu'on connait mal, le Vietnam des années 70 et qui nous permet de comprendre d'où elle vient. C'est peut-être l'alternance surprenante du je, du tu et du elle qui concourent à cette impression. Ce ne sera que page 42 que l'on comprendra que le "elle" la concerne en lisant : Il faut y aller, Line, dépêche-toi !

D'autant que la première personne du singulier est également utilisée pour parler de sa mère qu'elle ne désigne jamais comme sa mère ou sa maman. Les trois filles (sa mère et ses tantes) sont systématiquement désignées par la lettre H. Ce sont elles qui figurent en couverture dans cette rare photo retrouvée et datant des années 80, à côté de sa grand-mère et dont elle va explorer la mémoire invisible.

Car rien ne fut dit à la petite fille de dix ans qui sera arrachée à son pays. Du jour au lendemain son univers change radicalement : la température, la nourriture, l'environnement, le mode de vie. Tout est inattendu pour elle et souvent à l'opposé de ce qu'elle a connu jusque là. Le bouleversement est immense. Elle perd (p. 48) ses cinq familles : ta ville, tes parents, ta nourrice, tes grands-parents, tes amis, que plus loin elle désignera comme cinq pôles.

Elle revient (p.49) sur cette liberté enfantine dans un lieu où rien ne peut vous arriver, cette chaleur, cette piscine, ces amis, ces animaux, cette errance, cet amour, ces rires : ils ont pu confondre tout cela avec le paradis.

Et pourtant il y eut, dans ce pays, des guerres effroyables, la guerre d'Indochine, la guerre du Vietnam qui ont fait souffrir sa famille qui éprouva une cruelle famine.

Sont-ce les non-dits ou une forme de réaction en miroir qui a précipité la jeune fille dans une troisième guerre, la guerre intérieure de l'anorexie, qui l'affama jusqu'à la presque dernière limite et qui lui valut d'être hospitalisée un an ?

A moins que ce ne soit la certitude d'être née (p.37) par accident, comme une petite bombe, mais qui n'éclatait sur aucun pont et que l'on pouvait serrer dans ses bras. Surtout Ba, sa grand-mère avec qui elle entretient une relation fusionnelle.

L'écriture est aussi parfois surréaliste : la petite fille porte en elle les coeurs bleus et les os maigres  des anciennes guerres (p.40) et frôle l'instant d'après le langage parlé : il fallait qu'elle leur lâche un peu la grappe.

Les os reviennent régulièrement comme synonyme du mot "corps. Aussi bien celui, très vivant du nouveau-né, premier petite poche d'os de la vie (p. 26), que dans la petite boite où l'on conserve au Vietnam les ossements des morts. Ce sont les signes de la maigreur pendant la guerre, et aussi la menace de la fin de vie de celle qui s'affame et qui n'a plus que la peau sur le squelette. Enfin c'est aussi un jeu de mots avec les eaux de l'accouchée.

Le lecteur avance de surprise en surprise dans ce récit très émouvant qui balance entre deux cultures très différentes qui se réconcilient avec l'écriture. Et qui oscille aussi entre la mort et la vie.

Les os des filles de Line Papin chez Stock, en librairie depuis le 3 avril 2019

mercredi 15 janvier 2020

Avoir rencontré son double ?

Vous voulez rire ?

Mon activité de blogueuse me vaut de recevoir régulièrement des invitations plutôt sympathiques. Qu’il s’agisse de tester un nouveau concept, de découvrir la décoration d’un hôtel récemment restauré, d’assister à un défilé de haute couture, de visiter une exposition en avant-première, d’aller au théâtre… et même de participer à un concours culinaire. Les propositions semblent infinies.

Ce jour là un mail m’annonçait l’ouverture imminente d’un restaurant plutôt original, dont les recettes seraient toutes présentées dans des bocaux et qui plus est conçues par des chefs prestigieux. Suivaient de grands noms de la gastronomie française : Anne-Sophie Pic, Gilles Goujon, Philippe Conticini, Christophe Michalak, Fréderic Bau, Emmanuel Renaut, Jean-Michel Lorain et bien entendu Simon et Vincent Ferniot, les initiateurs du projet.

Même le plus glamour des génériques de Top Chef n’avait jamais rassemblé autant d’étoiles. J’avais très envie de me rendre à l'inauguration mais la date annoncée correspondait pile poil à la seule soirée que j’aurais pu passer en compagnie de Lucie, avant qu’elle ne reparte à Toulouse poursuivre son année de spécialisation. J’imaginais cependant que ma fille adorerait m’accompagner parce qu’elle est plutôt gourmande. J’y voyais aussi l’occasion de lui faire discrètement comprendre que sa maman, bien que non rémunérée comme blogueuse, n’était pas tout à fait n’importe qui. Seulement voilà, l’invitation figurait à mon nom et m’était envoyée par une attachée de presse que je ne connaissais pas suffisamment pour avoir le cran de lui demander si je pouvais venir accompagnée.

Ne craignant pas le refus et ayant choisi mon camp (celui de ma fille avec qui je passerais la soirée avec ou sans chef), je me suis armée de diplomatie pour rédiger un mail qui ne soit pas pleurnicheur, évoquant l’hypothèse de venir avec elle sans donner le moindre argument mais en précisant qu’en cas de réponse négative je garantissais que je ne me vexerai pas et que je viendrais seule (alors que, rappelez vous, j’en avais décidé autrement).

On me répondit fort aimablement dans les secondes qui suivirent que Vincent Ferniot n’était pas opposé à ce que je vienne accompagnée et que tant qu’à faire ce serait plus sympathique que j’amène un bœuf de Salers.

mercredi 8 janvier 2020

Avoir été victime d’une agression ?

Vous voulez rire ?

L’histoire remonte à très longtemps. A une époque où j’accompagnais des groupes d’études à l’étranger. Le thème du voyage était orienté sur la sauvegarde des parcs naturels en Pologne.

Je crois que c’était avant l’accident de Tchernobyl mais même à cette époque là on pouvait avoir de très gros doutes sur la manière dont ce pays prenait en compte les principes écologiques. Pour preuve un des "parcs" dont la visite a été obligatoire (malgré nos protestations) aura été le camp d’Auschwitz qui, on peut le dire sans faire d’humour noir, était loin d’être un parc naturel. Bref là n’est pas le sujet.

Nous étions jeunes. Nous étions hébergés dans des résidences universitaires vidées de leurs étudiants pendant l’été. Je partageais une chambre avec une autre participante que je connaissais déjà et qui était une amie.

Ce soir-là, fatiguée, je décide de me coucher de bonne heure. Elle, très en forme, choisit de sortir en boîte et d’aller danser. Nous n’avions pas de clé pour fermer la chambre et il y avait seulement un verrou intérieur. Je lui dis qu’elle peut rentrer quand elle veut. Étant en totale confiance, je ne ferme pas la porte à clef et je n’actionne pas le verrou, histoire de faire une nuit complète sans devoir me relever pour lui ouvrir.

Me voilà réveillée en pleine nuit par le plafonnier de la chambre. Je proteste. J’ouvre les yeux et je me retrouve nez à nez avec un mec sans doute un peu aviné, penché sur mon lit et qui marmonne … évidemment en polonais.

mercredi 1 janvier 2020

Avoir fugué ?

Vous voulez rire ?

Elle ne portait pas un joli tablier à carreaux…

Imaginez une gamine aux joues rondes encadrées d’une tignasse qui, si elle avait eu le reflet de deux ailes de corbeau, aurait pu être jolie. Des yeux pétillants. Le corps toujours en mouvement.

Elle était fagotée dans une blouse, grise de surcroît, parce que ce n’est pas une couleur salissante, munie d’une poche gonflée d’un grand mouchoir en tissu, parce que ça peut toujours servir, et que de toute façon à cette époque là, le mouchoir en papier n’avait pas encore été inventé. On était écolo sans le savoir.

Une gamine à l’esprit agité de mille projets, qui aurait quitté père et mère (comme s’en plaignait sa maman à tout le monde) pour suivre n’importe qui.

Cette gamine, c’était moi. Nous vivions dans un petit village dépourvu d’école maternelle. Françoise Dolto n’avait pas encore expliqué que l’enfant était une personne. Ma mère était mobilisée par les tâches domestiques et n’aurait jamais joué avec moi. Le jardin prolongé d’un verger était mon paradis. J’ai appris à connaître les plantes avant de savoir lire et écrire. Je ne me lassais pas de les regarder prospérer, d’observer les oiseaux ... et je me carapatais à la moindre occasion chez la voisine. Son poulailler était mon château. Je ramenais les œufs fièrement dans un petit panier d’osier tout rond sans jamais avoir fêlé une coquille.

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