Je poursuis mes lectures de la sélection du Prix du Roman d'Antony avec Les os des filles, présenté comme une autobiographie par une jeune femme qui n'a que 23 ans mais qui est déjà un auteur confirmé.
Son écriture est d'une maturité exceptionnelle. J'ai vérifié plusieurs fois son âge, croyant à une erreur.
Il faut dire qu'elle a une grande expérience puisque Line Papin a été publiée pour la première fois à 19 ans et qu'il s'agit ici de son troisième roman. Car bien qu'il soit très inspiré par des faits réels et par l'histoire de sa famille elle tient à ce qu'il reste considéré comme un roman. Et elle a raison.
Née à Hanoï en 1995, Line Papin y a grandi jusqu’à l’âge de dix ans, avant de s’installer en France. Elle se consacre à l’écriture, au dessin et au cinéma. Son premier livre, L’Éveil a reçu le prix de la Vocation en 2016.
Les os des filles est un ouvrage très personnel. J'ai eu le sentiment de lire un conte (ce que Lise confirme en interview) et pourtant rien n'est inventé dans ce récit qui commence dans un pays qu'on connait mal, le Vietnam des années 70 et qui nous permet de comprendre d'où elle vient. C'est peut-être l'alternance surprenante du je, du tu et du elle qui concourent à cette impression. Ce ne sera que page 42 que l'on comprendra que le "elle" la concerne en lisant : Il faut y aller, Line, dépêche-toi !
D'autant que la première personne du singulier est également utilisée pour parler de sa mère qu'elle ne désigne jamais comme sa mère ou sa maman. Les trois filles (sa mère et ses tantes) sont systématiquement désignées par la lettre H. Ce sont elles qui figurent en couverture dans cette rare photo retrouvée et datant des années 80, à côté de sa grand-mère et dont elle va explorer la mémoire invisible.
Car rien ne fut dit à la petite fille de dix ans qui sera arrachée à son pays. Du jour au lendemain son univers change radicalement : la température, la nourriture, l'environnement, le mode de vie. Tout est inattendu pour elle et souvent à l'opposé de ce qu'elle a connu jusque là. Le bouleversement est immense. Elle perd (p. 48) ses cinq familles : ta ville, tes parents, ta nourrice, tes grands-parents, tes amis, que plus loin elle désignera comme cinq pôles.
Elle revient (p.49) sur cette liberté enfantine dans un lieu où rien ne peut vous arriver, cette chaleur, cette piscine, ces amis, ces animaux, cette errance, cet amour, ces rires : ils ont pu confondre tout cela avec le paradis.
Et pourtant il y eut, dans ce pays, des guerres effroyables, la guerre d'Indochine, la guerre du Vietnam qui ont fait souffrir sa famille qui éprouva une cruelle famine.
Sont-ce les non-dits ou une forme de réaction en miroir qui a précipité la jeune fille dans une troisième guerre, la guerre intérieure de l'anorexie, qui l'affama jusqu'à la presque dernière limite et qui lui valut d'être hospitalisée un an ?
A moins que ce ne soit la certitude d'être née (p.37) par accident, comme une petite bombe, mais qui n'éclatait sur aucun pont et que l'on pouvait serrer dans ses bras. Surtout Ba, sa grand-mère avec qui elle entretient une relation fusionnelle.
L'écriture est aussi parfois surréaliste : la petite fille porte en elle les coeurs bleus et les os maigres des anciennes guerres (p.40) et frôle l'instant d'après le langage parlé : il fallait qu'elle leur lâche un peu la grappe.
Les os reviennent régulièrement comme synonyme du mot "corps. Aussi bien celui, très vivant du nouveau-né, premier petite poche d'os de la vie (p. 26), que dans la petite boite où l'on conserve au Vietnam les ossements des morts. Ce sont les signes de la maigreur pendant la guerre, et aussi la menace de la fin de vie de celle qui s'affame et qui n'a plus que la peau sur le squelette. Enfin c'est aussi un jeu de mots avec les eaux de l'accouchée.
Le lecteur avance de surprise en surprise dans ce récit très émouvant qui balance entre deux cultures très différentes qui se réconcilient avec l'écriture. Et qui oscille aussi entre la mort et la vie.
Les os des filles de Line Papin chez Stock, en librairie depuis le 3 avril 2019
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