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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 31 août 2015

L'autre moi-même de Saskia Sarginson aux éditions Marabooks

C'est l'histoire d'un livre qui a entrepris un petit voyage avant de revenir entre mes mains. Même si j'ai une assez grande capacité de lecture je ne peux pas lire tous les ouvrages que je reçois, que j'achète, que j'emprunte ... L'autre moi-même m'était arrivé en juin, à une période où je croulais sous le travail. j'aurais pu le laisser patienter dans la pile. Il m'a semblé qu'il avait le potentiel pour satisfaire quelqu'un d'autre avant moi. C'est ainsi que je l'ai confié à Annie qui commence à contribuer au blog, en particulier à la rubrique théâtre.

Annie se trouvant dans une situation comparable c'est à son mari qu'elle a proposé le roman. Un peu dérouté, nous a-t-il dit, à la lecture des premiers chapitres, il l'a ensuite dévoré dès lors qu'il avait percé l'articulation de la narration.

Klaudia est la fille unique d'un couple déjà âgé, vivant à Londres. Elle passe son enfance sans aller à l'école et c'est sa mère qui assure son éducation et son instruction. On peut aisément comprendre l'inquiétude de la jeune fille qui entre directement au collège. Elle n'y connait personne, hormis le concierge de l'établissement qui se trouve être ... son père.

L'homme s'exprime avec un accent allemand très prononcé qui la dérange. Klaudia espère garder cette filiation secrète.  La vérité éclate pourtant au grand jour : elle est la fille de cet allemand. Phénomène aggravant (rumeur ou réalité ?) l'homme est soupçonné d'avoir été nazi.

Le récit se situe en 1986, à une époque où les plaies de l'histoire sont encore très vives. Soumise au rejet de ses camarades Klaudia Meyer va s'échapper, comme l'a sans doute fait son père avant elle.

Elle s'invente une nouvelle identité, sous le nom d'Eliza Bennet, en prenant le pseudonyme d'un personnage de Jane Austen dans Orgueil et préjugés. Cette fuite est l'occasion pour la jeune femme d'arrêter ses études et de pouvoir se consacrer à sa passion pour la danse sans avoir à rendre des comptes à ses parents.

Une femme, deux vies, c'est bien ainsi que l'éditeur annonce la problématique. Ce roman très captivant explore en quoi les fautes des parents rejaillissent sur les enfants, en posant la question de savoir si l'on peut réellement infléchir sa destinée. Il suffit d'un remords de conscience ou de circonstances fortuites pour que la vérité ne réapparaissent.

La structure de la narration et la construction de l'intrigue relève du jubilatoire.  Saskia Sarginson utilise évidemment la technique du flash-back pour construire le suspense. Elle met tour à tour chacun des protagonistes en lumière avant de donner au lecteur la clé qui permet de comprendre le lien qui les unit. Et surtout elle s'est si bien documentée sur le contexte des jeunesses hitlériennes qu'elle parvient admirablement à restituer l'atmosphère particulière qui agita ces tragiques années en Allemagne.

Les chapitres sont courts, selon la technique du "page-turning" dans laquelle les anglo-saxons excellent. Annie recommande vivement ce roman qu'elle a elle aussi apprécié. Véritablement fan de Saskia Sarginson, elle a déjà entrepris de se plonger dans ses précédents romans, Sans toi, publié en 2014 et surtout Jumelles, édité l'année précédente, et dont on peut supposer qu'il est construit selon un principe semblable.

Je la remercie pour ses notes de lecture.

L'autre moi-même de Saskia Sarginson aux éditions Marabooks, en librairie depuis le 9 juin 2015

dimanche 30 août 2015

Kiki de Montparnasse mise en scène de Jean-Jacques Beinex au Lucernaire

Kiki de Montaparnasse est la star de la rentrée. On ne parle plus que d'elle. L'élément accélérateur a probablement été la publication de ses "Souvenirs retrouvés", préfacés par Serge Plantureux aux éditions Corti et Serge Plantureux, en 2005. Peut-être aussi le livre édité trois ans plus tard chez Casterman, en mars 2007, par Catel Muller, auteure de bande dessinée, illustratrice et scénariste de la série télévisée Un gars, une fille.

Avec un tel matériau il est logique que Kiki se détriple. Elle est toujours à l'affiche au Théâtre de la Huchette. Elle est aussi au Théâtre le Guichet Montparnasse, dans un spectacle mis en scène et joué par Françoise Taillandier.

Et la voilà qui apparait au Lucernaire, depuis hier soir, dans une mise en scène par Jean-Jacques Beineix.

Il a choisi Héloïse Wagner pour incarner celle que l'on surnommait la muse aux mille portraits. Un choix qui n'est pas anodin puisqu'ils ont déjà travaillé ensemble. Elle était Georgia dans Cinq filles couleur pêche d'Alan Ball au Cirque d'hiver en 2010. C'est la fille de la comédienne Tania Torrens et du compositeur Reinhardt Wagner, auquel on doit les musiques du spectacle.

La jeune femme cumule beaucoup de talents, à l'instar de l'héroïne qu'elle interprète. C'est une artiste complète qui est danseuse et comédienne, tant pour le théâtre que pour le cinéma, chanteuse aussi et le disque "Kiki de Montparnasse" (Editions Milan Music) est sorti le 28 Août dernier.
Les paroles ont été écrites par Frank Thomas dont chacun connait une multitude de chansons, sans savoir que c'est à lui qu'on les doit. Comme Des jonquilles aux derniers lilas, pour Hugues Aufray en 1968, Bip-bip ou Les Dalton, pour Joe Dassin en collaboration avec Jean-Michel Rivat. C'est avec le même complice qu'il a coécrit Bébé requin, pour France Gall en 1967, Le Lundi au soleil pour Claude François en 1972,  Dites-moi, pour Michel Jonasz en 1974, et, pour Stone et Charden L'Avventura (1971) Il y a du soleil sur la France (1972) Laisse aller la musique (1973) ou encore Made in Normandie (1974).

Kiki a posé pour Fujita, Modigliani, Soutine. Mais c'est surtout son dos, immortalisé par le photographe Man Ray, évoquant un violon, que l'on retient d'elle. Ce cliché est m'a-t-on dit la photo la plus vendue au monde. Mais qui sait que ce dos appartient à Alice Prin, qui était le vrai nom de Kiki ?

Kiki est devenue ce qu'on appelle un personnage. Chaque metteur en scène pourra dire que sa vision est la bonne. Il en va de Kiki comme des grands héros, son apparition est kaléidoscopique. Et chaque spectacle révèle une facette. Celle de Jean-Jacques Beineix pointe peut-être davantage son humanité.
Montparnasse, années 20, l’atelier d’un peintre, une femme enfile ses bas... et se souvient. Elle fut .. elle est à jamais Kiki de Montparnasse, effrontée, libre, modèle nue … Elle chante, peint, danse, anime des soirées de folie. Man Ray, l’œil exercé, "trouve son physique irréprochable de la tête aux pieds", il en fait son égérie, elle, son amant. En un cliché, il l’immortalise. Kiki croise les poètes, les écrivains, Hemingway devient son ami. De la Coupole à la Rotonde, du Jockey au Bar Dingo, de New-York à Berlin, Kiki s’étourdit, brûle sa vie et trace en lettres d’or le destin d’une légende du Montparnasse.
Durant un peu plus d'une heure Jean-Jacques Beineix met en lumière son coté flamboyant comme son allure bohème, sans occulter les périodes sombres et la descente aux enfers.

samedi 29 août 2015

L'air des géants s'expose au Parc de la Villette jusqu'au 13 septembre

Dix oeuvres monumentales sont déployées depuis quelques jours sur l'immensité du Parc de la Villette conçues par des artistes internationaux en plastique gonflable ou en tissu. Il est amusant de penser que chacune est transportable dans une valise quand on se trouve au pied d'un de ces colosses.

L'idée n'est pas nouvelle. Niki de Saint Phalle avait signé quelques Nanas surprenantes en PVC. Christo y a trouvé le matériau idéal pour rentrer dans le Guinness Book des records en concevant la plus grande sculpture jamais créée. Anish Kapoor en a constitué son projet pour la Monumenta 2011 et Paul McCarthy en a fait un de ses médias préférés des années 2000 pour des sculptures aux formes insolites.

Que vous pénétriez dans le Parc par la Porte de Pantin ou par celle de la Villette vous serez accueilli par un des quatre singes de Stefan Sagmeister. L'artiste américain a conçu une oeuvre autour de la maxime Everybody Always Thinks They Are Right, autrement dit chacun est toujours persuadé d'avoir raison. C'est tout aussi vrai pour les disputes minables du quotidien que pour les grands conflits de ce monde, ce qui véhicule au final un message de paix. Si au centre de la pelouse où les projections de films se font en plein air le singe est sur le ventre, il est couché sur le dos porte de la Villette.
Cet artiste américain, né en1962 à Bregenz en Autriche, est une figure marquante du design et du graphisme de ce début du XXIe siècle. Il mélange typographie et imagerie dans un style provocateur, décapant et plein de surprises. Dans ses créations, il remet en cause la frontière entre art et design et s’amuse à transgresser cette limite.

À la fin des années 1990, il se fait connaitre en réalisant des pochettes d’albums mythiques pour les Talking Head, Lou Reed, OK go ou encore les Rolling Stones. Il travaille pour de grands groupes comme HBO ou la Time Warner et réalise d’étonnantes campagnes de publicité pour des entreprises comme Levi’s.

L'oeuvre complète a été présentée pour la première fois en 2007 pour le festival Six Cities Design en Ecosse. Elle se compose de cinq animaux en colère qui tiennent chacun une bannière contenant un mot de la phrase. L'effet est saisissant quand on songe que leur envergure est d'au moins dix mètres. Le promeneur est à peine visible sur cette photo (qui m'a été transmise par Alice Delacharlery que je remercie), dérisoire point rouge à portée de main du singe.

Autre phrase, cette fois un dicton anglais Paint the Town Redsur le pavillon Janvier qui signifie sortir et s'éclaterencourage le spectateur à repenser son environnement et voir la ville sous un angle différent.
C'est le duo Designs in the air, formé par Pete Hamilton et Luke Egan, alias Pedro Estrellas et Filthy Luker, depuis près de 20 ans qui a conçu cette oeuvre assez symbolique du street-artHamilton avait commencé à faire des sculptures gonflables à la suite d’une expérimentation avec un sèche-cheveux et ses vêtements dans son atelier en 1994. Il a été depuis copié dans le monde entier. 
L'objectif de Designs in the air est d'amener un peu de "folies" aux évènements, ce qui est parfaitement "raccord" avec les projets de Didier Fusillier, le nouveau Président de la Villette, concernant notamment l'utilisation des petits bâtiments ou folies de couleur rouge disséminés sur le Parc. C'est à peine visible mais ils sont siglés "à la folie"...
Arrimé sur le toit du restaurant My boat, une autre embarcation, elle aussi voulue symbolique d'un art participatif, en particulier du street art, met en scène la célèbre devise de la Ville de Paris, Fluctuat nec Mergitur. C'est une drôle d'embarcation rouge qui tangue. Et malgré son naufrage (que l'on peut interpréter comme un atterrissage) imaginaire elle semble continuer d'aller de l'avant et délivre un singulier message d'espoir.

Elle a été créée en 2012 par un plasticien wallon, Johan Muyle qui ne cesse d'explorer l’histoire de son pays et de la culture populaire, tout en proposant un regard critique et poétique sur l’époque. Il est directeur artistique du festival "Openairs" à Liège, dont l'idée est de convier une dizaine de plasticiens à créer une oeuvre originale en utilisant un matériau de plastique gonflable.

Entre 1995 et 2004, il avait réalisé principalement des installations composées de peintures monumentales animées, avec la collaboration de peintres affichistes de Madras en Inde.
Les Plasticiens Volants sont une compagnie de théâtre de rue fondée en 1976 par Marc Mirales, qui investit les villes des 5 continents avec ses créatures. La compagnie s’est installée 10 ans plus tard dans le Tarn.

Ils ont participé notamment à la clôture des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, ceux de Sydney en 2000, à l’inauguration du tunnel sous la Manche, à la fête du centenaire du Tour de France à Paris en 2003, à la parade d’ouverture de Lille Fantastic en 2012, ou encore aux Fêtes vénitiennes présentées sur le Grand Canal de Versailles en 2011. J'avais découvert leurs drôles de créatures monstrueuses à Epernay dans le cadre des Habits de lumières en décembre 2013.

Des marionnettes géantes au bestiaire fantastique survolaient le public, manipulées depuis le sol par des comédiens évoluant parmi les spectateurs.
A la Villette c'est un Poulpe d'une envergure de 8 mètres qui déploie ses tentacules.
Je n'ai pas tout vu parce que je suis arrivée peu de temps avant que la nuit ne tombe sur le Parc, alors que les structures allaient être dégonflées. Les oeuvres que j'ai préférées sont celles de Choi Jeong Hwa, un artiste coréen, né en 1961 à Séoul, qui avoue avoir peur de la "vraie" nature,  parce qu'elle est si rare dans son pays en tant que telle, qu'il se sent vraiment effrayé quand il la rencontre.

Le meilleur moyen pour l'appréhender est une idée de la nature à l’abri de la destruction, voilà pourquoi il en crée une artificielle pour la regarder et l’apprécier. Et franchement on est nous aussi fasciné par les objets.

Les fleurs de lotus de l'artiste ont particulièrement attiré l'attention suite à l'apparition de "Dragon Flower" une fleur blanche exposée dans un décor de jardin à l'extérieur du pavillon coréen, à la Biennale de Venise en 2005.
La plupart de ses récentes structures gonflables géantes sont de forme florale, comme ce White lotus, imaginé en 2015, souvent créées en tissu et monochromes : soit dans des couleurs simples et vives, soit en noir, blanc et or. Elle se gonfle et se dégonfle en permanence par un système de ventilateur, simulant une respiration.
La même année il créé aussi Fruit Tree, un arbre providence portant des fruits qui ne devraient jamais mourir ... à condition d'être constamment alimentés en air.

Une troisième oeuvre de Choi Jeong Hwa (non photographiée), About being Irritated, cette fois en plastique, appartient à la série des Robots, un humanoïde gonflé à bloc, couché sur le dos qui tente de se lever par lui-même en poussant avec une seule main. Sa signification est symbolique et induit un positionnement sur les problématiques politiques et sociales de la Corée.

Avec cette exposition en plein air, au sens propre comme au figuré, le "Gonflable" apparaît comme un média récurrent dans la scène de l’art actuel et un passage dans la carrière d’un artiste, une sorte de confrontation nécessaire à la matière à un moment donné.
Il ne faudrait pas de voir l'exposition de Felice Varini La Villette en suites qui elle aussi se déploie jusqu'au 13 septembre.

L'air des géants, du 27 août au 13 septembre 2015
Parc de la Villette
211 avenue Jean-Jaurès 75935 Paris cedex 19
En accès libre

mardi 25 août 2015

La rentrée littéraire 2015 sur A bride abattue

(billet mis à jour le 30 septembre)

Le mot "rentrée" n'a pas le même sens pour tout le monde. Il évoque le cinéma parce que je sais que début septembre je vais faire une cure de cinéma au Festival Paysages de cinéastes qui, cette année est sous le signe du polar. Nul doute que je vais encore découvrir en avant-premières des films qui vont me plaire, ou du moins m'interpeler.

Mais il est aussi associé à l'adjectif littéraire et comme tous les ans j'ai commencé à me plonger dans les romans qui sont sortis depuis ces jours-ci.

Voici un aperçu de ma PAL, ou pile à lire, comme on le dit dans le jargon. Certains sont en chair et en os de papier. D'autres me sont arrivés en version numérique. Tout n'est pas encore lu évidemment et j'associerai au fur et à mesure mes articles avec le visuel de la couverture.

Il suffira de cliquer sur le titre pour ouvrir la chronique correspondante.

C'est avec ces livres que tout commence :

Popcorn Melody d'Émilie de Turckheim, chez Heloïse d'Ormesson, en librairie le 20 août 2015
Un homme dangereux d'Emilie Frèche chez Stock
D'après une histoire vraie de Delphine de Vigan, chez Jean Claude Lattès
Marie Curie, de Laura Berg, et Stéphane Soularue, Naïve, en librairie le 17 septembre 2015
Nous serons des héros, de Brigitte Giraud, Éditions Stock, août 2015
Eva, de Simon Liberati, Editions Stock, en librairie le 19 août
Des mots jamais dits de Violaine Bérot chez Buchet Chastel, en librairie le 20 août 2015
La petite barbare d'Astrid Manfredi chez Belfond, en librairie depuis le 13 août 2015
Tandis que je me dénude, de Jessica L. Nelson, Belfond, sortie le 13 août 2015.

Suivront d'autres gros coups de coeur qui traiteront à leur manière d'un thème semblable, vérité ou fiction ...


  
                   

          Simon Liberati et Delphine de Vigan sont sélectionnés pour le Goncourt

dimanche 23 août 2015

Envole-toi octobre de Virginie Troussier chez Myriapode

Il y a des livres que j'ai envie de lire mais dans lesquels je ne parviens pas à entrer. C'est parfois une simple question de moment. Et, souvent, je me surprends quelques semaines plus tard à apprécier énormément un ouvrage dont je n'avais initialement pas dépassé le premier chapitre.

Je ne le sentais pas en condition pour apprécier Envole toi octobre et je l'ai proposé à mon amie Annie. Elle vient de me le rendre en me donnant son avis, que je vous restitue intégralement.

Quel a été ton ressenti de lecture  ?
Je ne connaissais pas Virginie Troussier. Je l'ai lu assez rapidement alors que c'est un sujet difficile. La quatrième de couverture m'a donné envie de plonger dans ce roman dont le titre m'apparaissait à la fois poétique et énigmatique. Ensuite, le ton grinçant de son analyse m'a intriguée. Son langage percutant m'a attirée.
Octobre est en effet intriguant. On pourrait penser à un prénom ou un surnom, en référence au film de Julien Duvivier sur la Résistance ...
L'héroïne est née en automne, ce qu'elle qualifie de "bâtard et troublant" parce que cette saison "sème des grenades entre les dents que nous dégoupillons avec la bouche". C'est donc bien du mois d'Octobre qu'il s'agit et l'écrire avec une majuscule lui confère malgré tout une sorte de personnalité. C'est avec le poème de Pablo Neruda, l'Automne revient, que démarre le livre, en installant un univers lyrique.
La question de l'autobiographie et de la vérité est assez centrale en ce moment. Peux-tu nous en dire plus ?
Avec l'emploi du "je" on peut penser à un récit autobiographique même si le personnage principal porte un prénom qui n'est pas celui de l'auteur. Suzanne est une jeune femme de trente ans, ayant préparé un monitorat de ski tout en suivant de brillantes études universitaires. C'est une femme qui affirme sa liberté et qui se livre avec beaucoup de nostalgie et de tendresse, en manifestant une forme de lucidité. L'auteur concède d'ailleurs : même si les souvenirs sont faux, ce sont des souvenirs.
Elle a déménagé six fois en cinq ans, c'est dire combien sa vie a été mouvementée, marquée par les rencontres amoureuses. Mais ce qui semble le plus déterminant serait son cadre de vie. Elle compare Paris à un scorpion alors que le touriste voit dans l'organisation des arrondissements une structure en escargot. (On pourra observer que le scorpion est le signe du zodiaque qui correspond à l'automne).  Paris ne représente pas pour elle la plus belle ville du monde mais une "addition de cafards". C'est dans la capitale que tout bascule pour Suzanne qui à l'instar de ces insectes aura tendance à vouloir "rester dans l'ombre pour survivre, sachant que dans la lumière du jour la laideur insupporte".
Disparaître aux yeux des autres, voilà toute son ambition, avec pour seules compagnes la musique et la littérature. Jusqu'à ce que l'enfermement ne devienne médicalisé.
Quel est le fil conducteur du roman ?
La répétition des échecs semble due à l'exigence de son père qui a en quelque sorte formatée Suzanne à rechercher une relation exigeante. Toutes les rencontres sont décryptées selon le prisme de l'empreinte paternelle. Suzanne ne parvient pas à accepter l'imperfection. Et c'est surtout de son père qu'elle craint le jugement : je te fuyais car je crevais de trouille que tu décèles un jour mes faiblesses.
Y a t-il malgré tout une forme de fin heureuse  ?
Suzanne finit par comprendre et admettre que l'excellence n'engendre pas l'amour (p.252) qui peut alors s'exprimer positivement : je n'ai aucune nostalgie du passé. J'attends désormais tout de l'avenir.
T'es tu reconnue dans cette réflexion ?
Je ne me suis jamais identifiée au personnage mais j'ai adhéré à l'analyse.  Ne dit-on pas qu'à la Sainte Catherine (25 novembre) tout bois prend racine ? On peut donc admettre qu'un avenir est possible. Et puis l'écriture de Virginie Troussier, dont c'est le second roman, m'a procuré un réel plaisir. Son style est très personnel, marqué par un foisonnement d'images qui m'ont parfois subjuguée. On glisse sensuellement entre les mots qui sont organisés comme les joyaux méticuleusement travaillés par un orfèvre qui façonne son chef-d'œuvre et on tourne les pages avec une avidité jamais assouvie.
A qui recommanderais tu ce livre ?
A tous ceux qui comme Suzanne sont en recherche d'une légèreté de vivre. Octobre arrive dans quelques semaines. Donnons lui des ailes pour qu'il puisse s'envoler.
Je remercie Annie pour son analyse. Le livre n'a pas fini de rencontrer son lectorat comme vous pourrez en juger sur la page Facebook qui lui est dédiée.

Envole-toi octobre de Virginie Troussier chez Myriapode

samedi 22 août 2015

Les tissages basques Moutet montent à Paris du 4 au 12 septembre

Si vous n'allez pas à Moutet, l'entreprise viendra à vous. Elle ouvrira son premier Pop-up Store Parisien à la Galerie BY Chatel, du 4 au 12 Septembre 2015, transportant ainsi son Sud-Ouest vers la capitale, précisément dans le Marais, près de la place des Vosges, au 58 Rue des Tournelles.

Mais vous ne savez peut-être pas ce que c'est qu'un pop-up ? Tout simplement une boutique éphémère. Un peu à l'instar d'un stand dans une foire ou une manifestation de type "Salon". La durée d'installation est aussi un peu plus longue. Et surtout cela permet d'aller au devant d'une clientèle qui ne ferait peut-être pas la démarche de découvrir les nouveautés de la marque sur la boutique Internet, sans parler de se rendre sur le site de production.

On ne verra donc pas Moutet au Salon Maisons & Objets de septembre mais ... dans une galerie d'art. Et il est réjouissant de constater que le patrimoine vivant soit ainsi mis à l'honneur.

En effet, Depuis 1919, les tissages MOUTET ourdissent, nouent et tissent le véritable linge basque, à Orthez, en Béarn. Dès les années 70, la technique jacquard a permis d’enrichir la gamme pour créer des collections plus modernes, colorées et signées de créateurs et de designers reconnus comme Hilton Mc Connico, Zofia Rostad ou Caroline Diaz et Céline Héno de mini labo (qui a également conçu des cartes de voeux en chocolat pour Mazet l'hiver dernier).

Nappes, longères, torchons… sont entièrement fabriqués à Orthez. Chez Moutet la transmission du savoir-faire se perpétue depuis cinq générations de tisseurs orthéziens. Depuis 2011, ce sont 4 jeunes de moins de 30 ans qui ont été embauchés et formés sur place, puisqu'il n'existe plus de formation scolaire, honorant particulièrement ce label "Entreprise du Patrimoine Vivant" qui lui a été décerné en 2006.

Si elle revendique son ancrage dans le Pays Basque, l'entreprise est d'envergure nationale et mondiale. Il était temps qu'elle investisse le cadre parisien.

La Galerie BY Chatel annonce son arrivée comme un "Pop up store Arty" autour d'une exposition intitulée "Toiles de maîtres". Cette présentation un peu mystérieuse se justifie par le fait que Moutet a obtenu les droits d'oeuvres de René Magritte.
Je n'ai longtemps connu du Pays basque que du linge de maison en coton et lin, blanc et gris, dont la particularité est d'éclaircir au fur et à mesure des lavages. On le constate sur cette photo où un torchon neuf contraste avec un deuxième, lavé quelques fois et un troisième qui lui a beaucoup servi. Le motif de tissage finit presque par devenir invisible.
Et si le linge béarnais traditionnel est orné d'une ou deux larges bandes de couleur, ce sont sept bandes rouges et vertes sur fond écru qui symbolisaient autrefois les sept provinces basques. La technologie et l'arrivée de la couleur dans le domaine du linge de maison dans les années 70 a permis de révolutionner la création, sans renier la tradition. A l'instar du damas, le jacquard révèle le dessin aussi bien sur l'endroit que sur l'envers et l'effet est encore plus saisissant sur une pièce tissée avec des fils de couleur, donnant envie d'assortir avec des couverts pareillement colorés (ici Jean Dubost).
Moutet n'est pas la seule référence dans ce domaine. Je connais depuis très longtemps le Jacquard Français, implanté à Gérardmer, que j'apprécie beaucoup et qui avec Garnier-Thiebaut est le troisième et dernier fabricant français à produire ce tissage jacquard. Mais je dois dire que l'originalité, la fantaisie et la qualité des tissages Moutet me plait tout autant. Je ne me livrerai pas à une étude comparative, les deux sont admirables.
Rendez-vous nous est donc donné à deux pas de la rue du Béarn, coïncidence supplémentaire, le 4 septembre, et pour une dizaine de jours, pour découvrir le savoir faire centenaire, la créativité et l’audace de la dernière collection haute en couleurs et toujours "made in France" de Moutet.

A coté de torchons à l'honneur de Paris (c'est incontournable ...) il y aura des pièces très humoristiques promettant par exemple le bonheur aux amateurs de miel (joliment intitulé "Bee happy") et beaucoup de citations, comme celle que j'ai retenue d'Alphonse Daudet nous rassurant que la gourmandise commence quand on n'a plus faim. Il faut dire que ses Lettres ont souvent mis en scène ce péché mignon.
Pop-up Store MOUTET chez BY CHATEL Selected Fine Arts  
Galerie d'art
58 Rue des Tournelles, 75003 Paris
09 83 04 88 11

vendredi 21 août 2015

Une famille à louer de Jean-Pierre Améris

Le réalisateur Jean-Pierre Améris est venu à Châtenay-Malabry présenter son dernier film avec un large sourire pour plusieurs raisons. Parce que c’est une comédie, la seconde qui marque une belle filmographie de dix longs-métrages, et parce qu’il n’a que de beaux souvenirs de ses passages dans la ville où il a présenté son premier film, en 1994, et où il a mené des projets avec de jeunes scolaires.

On retrouve dans Une famille à louer la sensibilité que l'on avait apprécié il y a trois ans dans les Emotifs anonymes qui était déjà (un peu) autobiographique. Cette fois l'humour est décuplé et Jean-Pierre Améris signe là, avec Murielle Magellan, le scénario d'un film très réjouissant.

Le rire est spontané, jamais stupide ou bêtifiant, et on ressort dopé de la projection. Encore plus quand on a eu la chance d'écouter les confidences du réalisateur et de suivre l'analyse qu'il fait de la vie de famille.
Paul-André est un homme timide et plutôt introverti. Riche mais seul, il s'ennuie profondément et finit par conclure que ce dont il a besoin, c'est d'une famille. Violette est menacée d'expulsion et a peur de perdre la garde de ses deux enfants. Paul-André lui propose alors de louer sa famille contre le remboursement de ses dettes, et de goûter en contrepartie aux joies de la vie familiale ! Enfin c'est ce qu'il pense.
Jean-Pierre Améris s'exprime avec un naturel confondant, annonçant d'emblée que Paul-André, interprété par Benoît Poelvoorde, est directement décalqué de sa propre personnalité, hormis la richesse, parce qu'il n'a pas fait fortune, ni dans l'informatique comme son personnage, ni dans le cinéma.

Une vision de la famille ambivalente
On est triste quand on n’en a pas et comme c’est pénible quand on en a ! Cette considération pourrait résumer le point de vue assez négatif que Jean-Pierre Améris a (avait) de la famille, une telle zone de conflits qu'à près de cinquante ans il ne s'imaginait pas dans une vie de couple et avec des enfants (même des beaux-enfants). Et pour ce qui est des travers de personnalité, son acteur est assez raccord aussi. Vous devinerez que dans un tel contexte Benoit Poelvoorde n'ait pas eu à se forcer beaucoup pour incarner Paul-André et rendre sa composition vraisemblable.

Quelques scènes pointent cette vraie violence où un proche ne peut s'empêcher de vous balancer une méchanceté, en disant "mais je plaisante" après vous avoir meurtri. Et puis les moments où tout le monde crie, comme si gueuler était un ton naturel.

Si Jean-Piere Améris assume les petites pilules, la lampe frontale pour lire au lit dans le noir, et une tendance à préférer l'ordre au désordre, par contre il a emprunté à son acteur la manie extrême de la propreté. La scène où il va chercher un aspirateur pour nettoyer la terre sous les pieds d'un visiteur est directement inspirée d'un moment vécu chez Benoit Poelvoorde dans la (grande) maison de Namur, où il lit beaucoup, en compagnie de son chien.

Les deux hommes se connaissent très bien. Benoît Poelvoorde avait joué dans Les Emotifs anonymes  et le rôle a été écrit en pensant à lui. Mais le mimétisme n'est pas complet. L'acteur s'entend très bien avec sa mère, à la différence de ce qu'on lui a demandé de montrer à l'écran.

Tout est traité à la manière d'une comédie et on peut prédire que le public retiendra des moments qui deviendront des scènes d'anthologie. Ce sera sans doute des instants comme la manière de claquer la porte d'un frigo rebelle, comme le montant (exorbitant) proposé comme argent de poche, la conséquence du coup de foudre (un enfant inattendu mais aimé), ou des séquences entières comme celle où Violette découvre dans un grand restaurant ce que sont des amuse-bouches, au grand dam de sa fille.

Au-delà de la comédie on note, aussi bien chez l'homme que chez la femme, la peur de se lier aux autres. Paul-André a choisi la voie de la solitude, la femme celle du sexe, mais en fin de compte ce sont deux coeurs tendres qui, peut-être, finiront par s'accorder.

Les schémas familiaux sont durs à rompre et engendrent de la souffrance. C'est difficile de s'ouvrir aux autres quand on n'a jamais connu d'embrassades dans l'enfance. Quand Paul-André se trouve face à sa mère il finit par se retrancher : je vais te laisser toute seule parce que tu aimes, et moi aussi j'aime être tout seul.

Les enfants, par contraste, sont plus ouverts, plus adultes en quelque sorte. 

Un casting est très réussi
Il faut parler de Pauline Serieys qui, malgré de très belles références, n'est pas certaine de vouloir devenir comédienne. Elle a débuté à sept ans dans Palais Royal! de Valérie Lemercier. On l'a vue dans Mes amis, Mes amours réalisée par Lorraine Lévy et My Little Princess d'Eva Ionesco en 2011 (sur lequel je reviendrai prochainement quand je chroniquerai Eva, le livre de Simon Liberati), et bien d'autres encore. Son personnage de Lucie est finement interprété. La honte qu'elle exprime sur son visage dans la séquence du restaurant est au-delà de la consternation, mais sans forcer le trait. C'est une évidence qu'elle va inspirer des réalisateurs.

Le fils, Auguste, n'est pas non plus un novice à la télévision ni au cinéma. Calixte Broisin-Doutaz a d'ailleurs tourné son premier rôle au cinéma dans la comédie romantique 20 ans d'écart de David Moreau où jouait ...Virginie Efira.

Et c'est à Deauville où elle est venue présenter son film que Jean-Pierre Améris l'a rencontrée et que l'idée de lui confier le rôle s'est alors imposée (alors qu'il avait pressenti une autre actrice). Elle est belge comme Benoît avec qui elle a tourné Mon pire cauchemar. Et surtout elle est devenue une Violette très crédible, une fois qu'elle a accepté de se glisser dans la garde-robe du personnage.

En collants troués, minijupe noire ou short en jeans, décolleté plongeant et adorable blouson fin doré, l'ex-présentatrice de télévision, snobée par les gens qui sont étroits d'esprit, irradie à l'écran, comme Julia Roberts, à mi-chemin entre la Vivian Ward de Pretty Woman de Garry Marshall sorti en 1990 et Erin Brockovich de Steven Soderbergh (2000).

Jean-Pierre Améris fait des citations légères à ces films là. Violette parle au majordome à travers une moustiquaire qui rappelle celle de la porte du mobil home d'Erin, mais elle ne fait que rêver sur une robe dans un hypermarché. Comme tous les réalisateurs il a tant de références en tête qu'elles surgissent dans plusieurs plans.

La mère de Paul-André, dignement interprétée par Edith Scob, évoque la belle-mère de Tippi Hedren dans Les oiseaux d’Hitchcock. Ce genre de femmes qui n’arrivent pas à être maternelle, dépourvue de manifestation de tendresse...

Quand Violette compare compare Paul-André à Batman, elle pourrait tout autant rapprocher Léon  du majordome et père de substitution de ce héros. Il est comme Alfred toujours courtois, discret, patient, dévoué à son maître et semble définitivement imperturbable. François Morel porte la cravate et son gilet gris est sans rayures, même s'il fait penser aussi à Nestor lorsqu'il déguste sans doute un grand cru de Bourgogne en l'absence de son maître alors que son homologue boit du whisky dans l'épisode Tintin et les Picaros.

On sait depuis longtemps que François Morel est un grand acteur mais il atteint des sommets dans ce film où il a un de ses plus beaux rôles.

Jean-Pierre Améris nous a confié son désir de tourner une scène de billard comme celle qu'interprètent Paul Newman et Tom Cruise dans La Couleur de l'argent, de Martin Scorsese, mais il a dû la couper au montage. On la verra peut-être ne bonus sur la version DVD.

Deux mondes qu'a priori tout oppose
Ce n'est pas seulement que l'un est riche, l'autre pauvre. Ce sont aussi deux conceptions de la vie diamétralement opposées. Et il fallait bien installer le contraste aussi bien visuellement que musicalement.

Paul-André vit dans un bunker, la Villa Poiret, une villa d’exception classée monument historique mais vide. On reconnait dans les premières secondes ce trésor architectural, signé Rob Mallet-Stevens, et classé monument historique. L'équipe a eu la chance de pouvoir tourner en extérieur comme en intérieur à Mézy-sur-Seine, dans les Yvelines, pendant l'absence du propriétaire au Moyen-Orient.

Bâtie selon des principes cubistes, cette demeure est froide, voire glaciale, et ses quelque 800  habitables paraissent immensément vides. Ce n'est pas la touche de rouge du portrait de Francis Bacon, seule note de couleur visible sur un mur en camaïeu de marrons et de gris, qui apportera une vraie fantaisie dans le salon cathédrale de 7 mètres de hauteur. Le peintre est aussi tourmenté que Paul-André. Quand on pense qu'Elvire Popesco vécut là ... bien après le couturier Paul Poiret qui y termina ses jours ruiné.

Le parc planté d’arbres rares, s’étend sur 5 hectares, au-delà de l'allée principale, recouverte de galets et bordée d'oliviers en bacs.

Le contraste est saisissant avec la bicoque de Violette, sur un lopin fleuri, déniché au nord de Sarcelles, au milieu de voisins hyperactifs. La chambre d'Auguste est "un gros désordre"

Paul André est richissime mais ne fait plus rien. Violette est pauvre, surexploitée (par son frère qui profite de sa dépendance affective) mais elle a un talent insolite qu'elle exerce juste pour le plaisir. Elle sculpte des fruits et légumes, et c'est Laurent Hartmann, champion du monde de cet art qui a réalisé les oeuvres qui ont été filmées et qui a donné quelques cours à Virginie Effira.

Jean Pierre Améris aime Tchaïkovski. Alors Paul André écoute la Symphonie n°6 en si mineur, dite la Pathétique dont il prétend à son majordome que ce n’est pas une musique triste : Tout est noir Léon affirme-t-il avec une quasi philosophie. Plus tard ce seront les variations Rococo, du même compositeur qui installeront le couple dans le romantisme dans un kiosque en ruine où Paul-André finit par faire sa déclaration d’amour à Violette.

L'univers de Violette est haut en couleurs. On le comprend illico en la découvrant dans un hypermarché, se déhanchant sur l’air de She’s a lady, de Tom Jones. On entend aussi des titres plus récents (2013) Bathed in Blue et Saved, extraits de l'album Midnight In The Garden de la très jeune Lily Kershaw.

Avec de tels environnement on comprend que Paul-André soit sur le contrôle et Violette dans la fantaisie et une forme de rébellion : Dans mon monde à moi l’amour ne s’achète pas !

Une fable romantique
Finalement c'est une version revisitée de la Belle et la Bête, tournée dans des décors sans aucun naturalisme. La vraie vie est peu apparente, une cage d'escalier, un magasin, un sentier menant à une école ... Même la couleur orange de la Visa de Violette n'existe pas dans la réalité.

Sans parler du lapin sur la table qui est une métaphore de la magie.

Ce qui est heureux avec Jean-Piere Améris c'est que la fiction s'inspire de faits réels, ce qui apporte une forte crédibilité au scénario qui se révèle en fin de compte (conte ?) une jolie leçon d'espérance. car le réalisateur ne s'en cache pas le moins du monde, cette histoire est directement inspirée aussi de la rencontre qu'il a faite avec Murielle Magellan qui partage désormais sa vie.

Elle-même s'est livrée à l'exercice de l'autobiographie l'année dernière dans un roman très émouvant publié chez Julliard N'oublie pas les oiseaux, et qui se termine avec l'arrivée de Jean-Pierre dans sa vie et celle de son fils Samuel. L'enfant promettait de fuguer si l'amoureux s'incrustait. Il y a fort à parier qu'il a renoncé.

La rentrée s'annonce positive avec de telles perspectives.

jeudi 20 août 2015

Popcorn Melody d'Émilie de Turckheim, chez Heloïse d'Ormesson

Émilie de Turckheim est prolixe et talentueuse. Elle collectionne les récompenses et parvient à surprendre avec chacun de ses livres. Elle a commencé avec Les Amants terrestres à vingt-quatre ans. Son expérience de visiteuse à la prison de Fresnes lui inspira en 2008 Les Pendus. Elle a reçu un an plus tard le prix de la Vocation pour Chute libre, puis le prix Bel Ami pour Héloïse est chauve (2012) et le prix Nimier pour La disparition du nombril.

Je m'interrogeais sur ce qu'elle allait écrire après un tel succès. Son nouveau roman ouvre avec fantaisie et une rentrée littéraire

Exit la contemplation égocentrée (mais ô combien réjouissante) de sa personne pour nous plonger dans une autre disparition que celle de son nombril, l'anéantissement de la culture et des populations amérindiennes, et particulièrement les Kansas, ces indiens autochtones des grandes plaines américaines qui ont donné son nom à l'état du Kansas.

Tom Elliott, la trentaine, est propriétaire de la dernière supérette de Shellawick, un bled paumé du Midwest, frappé par l’alcoolisme et le chômage, situé au milieu d’un désert de cailloux noirs infesté de mouches. La moitié des habitants vit - survit serait plus exact - de l’usine de pop-corn du groupe Buffalo Rocks, magnat industriel qui domine toute la région. Tout le monde en périt aussi. Depuis des années, la bourgade se meurt et les commerces ferment les uns après les autres. Mais le coup fatal est porté par l’ouverture d’un immense supermarché ultramoderne juste en face du commerce de Tom. La descente aux enfers commence…

Emilie est sociologue de formation. Cela se sent dans sa volonté de rendre hommage au peuple indien parqué dans des réserves et des internats, ayant fait l'objet de massacres systématiques comme les troupeaux de bisons dont 50 à 60 millions de têtes ont été décimés. Elle en relate les légendes et les croyances à travers des pages bouleversantes (notamment p. 99 à 102).

Cette fois l'auteur s'éloigne de l'autobiographie. Elle en profite pour égratigner le genre au passage : les autobiographies sont des tissus de mensonges sincères qui varient au gré des années et des ressentiments (p. 61). Une définition à méditer.

Elle nous immerge dans un univers fictionnel, planté dans un décor qui pourrait faire penser à celui de Bagdad Café, et traversé de personnages hauts en couleur.  Le point de ralliement n'est pas un troquet mais la boutique où Tom vend la "trilogie du bonheur" : de quoi manger, se laver et tuer les mouches.

On entre au Bonheur (c'est le nom de cette épicerie) pour vider son sac, pas pour le remplir (p.30) pour déposer ses émotions, ses souvenirs, plutôt que faire ses courses et Tom a l'ambition d'apporter du bonheur à ses clients plus que des biens matériels.

Tom a gagné beaucoup d'argent en étant le visage du pop-corn kid qui donne envie d'acheter les paquets de friandises. Il a effectué de coûteuses études à l'université qui ne lui auront pas appris à trouver une autre place que la sienne. Il y a découvert (p. 103) un espace à l'intérieur de moi, un pays qu'une vie entière ne suffirait pas à explorer. Et il est devenu allergique au monde de l'argent.

L'ancien fauteuil de barbier de son père est une sorte de divan où ses clients déversent des confidences que Tom synthétise à travers quelques mots qu'il jette sur les pages imprimées d'un vieil annuaire téléphonique, en courtes phrases qui composent des poèmes à l'allure de haïkus.

Le récit est truffé d'expressions inventées qui semblent naturelles. L'écriture charrie des expressions qui constituent un métalangage. Les jurons sont des cailloux noirs, l'usine un paquebot et dans ce désert où la poussière fait loi on ne doit pas se permettre d'être toucateux. On se méfie des crêles. Les vieux ne sucrent pas les fraises mais ils vendent des fleurs. Les fous aussi.

Une sorte de conte philosophique se tisse au fil des pages. De fait la poésie infiltre tout le roman et ce ne peut être un hasard si la fille adoptive de son ami Matt s'appelle Emily ... Emily Dickinson comme la grande poétesse américaine.

Quand ses congénères ont recours au Dry Corny, un tord boyau local, Tom choisit de fuir dans l'imaginaire. Un érable apparait quand on ferme les yeux et c'est un véritable érable (p. 86).

Le désespoir semble reculer à mesure que le désert avance. La terre inculte prend vie sous la plume d'Emilie de Turckheim qui ouvre brillamment la rentrée littéraire avec ce roman. 

Popcorn Melody d'Émilie de Turckheim, chez Heloïse d'Ormesson, en librairie le 20 août 2015

mercredi 19 août 2015

Rue de la belle écume au Théâtre Dejazet

Vous aurez beau chercher la rue de la Belle Ecume elle ne figure sur aucun plan. Mais elle se déploie au Théâtre Dejazet, lequel se cache derrière un arbre, comme l'annonce judicieusement une pancarte qui attire l'attention au moment même où vous vous dites, mais où il est ce théâtre ?

Quelque chose me dit qu'on pratique en ces lieux l'humour et la musique depuis toujours.

Mozart s'y produisit devant la reine Marie-Antoinette lors de son voyage à Paris en 1778. L'endroit doit son nom à une femme, la comédienne Virginie Déjazet, qui offre au jeune Victorien Sardou un cadre digne de ses productions. Nous sommes en 1859 et l'endroit survivra (il y a du bon à être caché) à l'ampleur des travaux haussmanniens. La place de la République s'arrête à quelques mètres. Une certaine mélancolie en émane depuis que Marcel Carné y a tourné les scènes d'intérieur des Enfants du paradis en 1945.
Coluche inaugura la formule Déjazet Music-hall le 8 février 1977. Plus tard ce sont les clowns Macloma qui le gèreront dans les années 1983-85. Il en reste quelque chose : l'humour a imprégné les lieux. 

Mais c'est surtout la musique qui fait vibrer le Théâtre Libertaire de Paris ou TLP-Déjazet depuis 1986, avec une des plus grandes figures contestataires de la chanson, Léo Ferré. D'immenses têtes d'affiche s'y sont ensuite succédé. C'est aujourd'hui de nouveau un théâtre mais sa programmation accorde en toute logique une place importante à la musique ... et à l'humour.

Il faut connaitre pour y aller mais vous ne serez pas déçu. Cette Rue de la Belle Ecume est un des meilleurs spectacles du moment.

Christian Faviez revisite les titres anthologiques de la chanson française sous la forme d'une pièce musicale. Je ne suis pas sûre qu'il faille avoir une culture musicale pour apprécier. C'est tellement bien fait que même si on ne saisit pas toutes les allusions on ne peut que goûter chaque scène, chaque morceau.
Parce que les interprètes, Emily Pello et Laurent Viel, sont d'excellents chanteurs et comédiens. Chaque pose, chaque geste, chaque pas de danse a du sens. 

Parce que les textes sont écrits en français. Ils réjouiront tous les amoureux de la chanson française. Surtout qu'ils sont remarquablement tricotés d'anecdotes sur lesquelles on aurait envie de revenir. Facile avec le CD du spectacle que l'on peut acheter à la sortie. Christian Faviez sait doser le second degré et moderniser les situations. Ainsi la Lettre au Président de Boris Vian devient un mail envoyé par un fusillé qui dénonce lui aussi la langue de bois. Si les mots changent, l'esprit demeure.

Parce que les musiciens sont eux aussi parfaits. Aussi bien le guitariste Jeff Mignot que Roland Romanelli au piano, à l'accordéon et l'accordina qui nous ont régalé de très beaux accords. C'est Roland qui a assuré la direction musicale du spectacle et c'est un immense plaisir de l'entendre sur scène. Cet artiste accompagna Barbara pendant une vingtaine d'années. Il a travaillé avec ou pour Goldman, Lama, Polnareff, et Aznavour, lequel est un des chanteurs auquel le spectacle rend hommage. Il aurait été difficile de trouver plus légitime que Roland Romanelli !
C'est assez jouissif pour le spectateur de deviner à quel artiste s'adresse la prochaine chanson en entendant juste quelques notes d'intro. Ou même de saisir au vol l'évocation fugace d'un air célèbre au coeur d'un texte dédié à un autre artiste (par exemple Enmenez-moi d'Aznavour dans l'hommage à Boris Vian) ou la citation d'une autre chanson incise dans une autre (par exemple Ces gens là dans les Cousins consacrés à Madeleine de Brel).

La musique conjugue beaucoup de genres, jusqu'à installer une ambiance jazzy, rock ou presque pop quand c'est nécessaire. Les lumières sont magnifiques. Sans surprise puisque c'est Jacques Rouveyrollis qui les a conçues, mais il n'empêche ... Jusqu'aux costumes qui sont très justes. Chaque détail est intelligent. Que ce soit le poste de radio de nos grands-parents pour clamer les nouvelles, ou la coiffure de Roland qui pour l'occasion s'est laissé pousser les cheveux à la manière de Léo Ferré, ou encore Emily, parfois mutine, parfois gouailleuse, et pourquoi pas aussi suggérant Marilyn.
Le parti pris de donner la parole aux personnages est astucieux. L'alternance des voix parlée et chantée humanise les personnages. Madeleine s'adresse au grand Jacques (Brel), le légionnaire à Edith Piaf, la môme à Léo Ferré et le jeune homme à Dalida, et ainsi de suite en passant par Félicie qui taquine Fernandel. Beaucoup d'autres traversent la scène, comme par exemple Sylvie Vartan.
Chaque chanson est un monde
Chaque air un univers
Il y a beaucoup de "si" et de "on ne sait pas". Cela aurait pu être (trop) nostalgique. Cette herbe un peu folle qui a poussé sur la terre fertile des souvenirs est tout simplement vivante. Le succès est amplement mérité et justifie les prolongations jusque fin septembre. J'espère qu'un producteur s'intéressera à ce spectacle qui vaut largement les remix des années x ou y dont la télévision abreuve les oreilles du grand public.
Le spectacle a été rodé à La Nouvelle Eve en avril 2014. Il est arrivé fin prêt au Dejazet. C'est charmant jusqu'au bout, très équilibré, sans "copier-coller" puisque ce ne sont pas des reprises mais des textes originaux. Les bravos fusent dans le public tout au long de la soirée. On pourrait avoir envie de casser les fauteuils comme au temps des soirées grandioses de l'Olympia. On reste sage et on n'oublie pas de jeter un oeil au plafond avant de partir pour admirer les fresques d'Honoré Daumier. 

Rue de la belle écume
Théâtre Dejazet,
En Août : du mercredi au samedi à 19h00 (séances supplémentaires tous les samedis à 16h30)
En Septembre : du mardi au samedi à 19h00 (séances supplémentaires tous les samedis à 14h30) (4 relâches en Septembre : Mardi 1er / Samedi 12 / vendredi 18 / Samedi 20)
41 boulevard du Temple, 75003 Paris

mardi 18 août 2015

En attendant que les beaux jours reviennent de Cécile Harel

C'est le ton de la conversation, de la confidence qui se livre avec pudeur mais sans retenue. Marie est authentique et entière. Elle choisit de tout dire sans rien censurer de ce qu'elle ressent.

Marie, c'est Cécile Harel, le nom derrière lequel s'abrite Sylvie Bourgeois pour nous offrir le livre le plus autobiographique qu'elle n'ait jamais écrit.

Moi qui la connais (un peu, j'ai tout de même écrit au moins 3 articles autour de ses livres) j'ai l'habitude de remarquer qu'elle recycle dans la série des Sophie des éléments de sa vie. Cela m'amuse et me fait sourire. J'aime ces instants de connivence avec un auteur même si je les garde secrets.

Ici point n'est besoin de la connaître pour en avoir la certitude. Marie, c'est elle tout craché. Je ne sais pas comment un lecteur "ordinaire", sans que le terme soit péjoratif, pourrait recevoir ces pages ... Je les ai trouvées bouleversantes.

Le personnage central, car admettons tout de même que c'est un roman, fait face à un contexte familial dévastateur. Il faut que Marie ait une force de caractère et une énergie hors normes pour non seulement ne pas être emportée par les cascades de problèmes mais aussi pour parvenir à les résoudre, du moins a minima.

Car non seulement elle résiste au vent de folie qui secoue la famille, non seulement elle apaise les conflits, mais encore elle ne perd pas de but son objectif : être heureuse. Avec une forme de naïveté déterministe qui force l'admiration.

Elle ne s'économise pas, ne craignant aucun challenge. Ce qui ne diminue d'ailleurs en rien son mérite.

C'est peu dire que le livre de Cécile Harel est secouant. Mais il est traversé par de telles forces qu'on ne le lâche pas, quel que soit l'état émotionnel dans lequel on se trouve. On le referme en se disant malgré tout que ce qui peut nous avoir mis personnellement KO à un moment de notre existence n'était peut être pas si grave.

En attendant que les beaux jours reviennent est un beau cadeau.

Elle est dans la vie l'épouse du réalisateur Philippe Harel qui lui aussi est un personnage du livre. Si bien qu'en choisissant de le signer avec son patronyme elle témoigne de son bien être enfin conquis. A ce stade ce n'est plus un emprunt que d'user ce nom c'est un don.

En attendant que les beaux jours reviennent de Cécile Harel, publié en août 2012 aux éditions Escales, en 2013 chez Pocket

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