Publier un livre sur la question des violences dans les relations de couple n’est pas en soi original. Mais ce qui surprend avec Le mal-épris c’est le parti pris de Bénédicte Soymier de se placer dans la tête du maltraitant, Paul, lequel n’est pas heureux de ce qu’il ne peut s’empêcher de faire.
Ce n’était au départ qu’une nouvelle qu’elle a fait grandir en combinant cette laideur qui n’est pas que physique avec des traits de caractère, et qui n’agit pas comme une mise en garde. C’était osé.
Paul n’aime pas son travail. Il est solitaire et envieux de tout. A commencer par sa voisine de palier, Mylène. C’est la partie que j’ai préférée parce que l’auteure décrit une emprise presque banale, ordinaire, puisqu’elle ne s’accompagne même pas de sentiments amoureux et il est remarquable que la femme parvienne à s’en déprendre.
Il tissera ensuite sa toile autour de sa collègue Angélique. Cette maman solo est une proie idéale, bien plus que sa précédente et éphémère conquête. Elle-même n’a pas suivi un chemin de roses et c’est ce qui la rend sans doute encore plus attirante.
Ces deux-là pourrait se conforter mutuellement mais Paul ne sait pas vivre autrement que dans la violence. Le lecteur apprendra que son comportement résulte des souffrances qu’il a endurées dans son enfance. Comme s’il avait été marqué au fer rouge, devenant incapable d’agir différemment.
Ce n’est pas pour autant que j’ai ressenti de l’empathie pour ce personnage car rien ne justifie à mes yeux qu’on répète ce qu’on a subi. Au siècle dernier peut-être, mais aujourd’hui il y a tant d’aides possibles que je ne lui trouve pas d’excuse.
D’autant que l’alcoolisme ne l’incite pas à se remettre en question. Un plein verre de vodka qu’il boit d’un coup sec, histoire de noyer le gosier et d’abrutir l’esprit. Il avale et racle la culpabilité, la morale à deux balles, la nuit qui s’étire et tout le bazar de sa tête (p. 86).
Une voix (est-elle intérieure, est-ce celle de l’auteure ?) vient régulièrement le plaindre : Tu y laisses ta peau. Pauvre Paul. C’est vrai que ça fait mal (p. 86).
C’est tout de même à ces femmes qu’il tabasse que ça fait le plus mal. Et ce n’est pas la triple demande de pardon (p. 161) qui me fait lui trouver grâce à mes yeux. D’autant que l’accalmie sera éphémère. Même une fois qu’il aura cherché (et obtenu) de l’aide auprès d’une association. Comment, dans la vraie vie, éliminer Léa, effacer Mylène, récrire Angélique (p. 205) ? Il n’y a que dans la chanson d’Alain Souchon qu’on peut espérer passer l’amour à la machine et le ressortir tout neuf.
J’ai pourtant compris l’objectif de Bénédicte Soymier. Alors j’ai placé le livre au coeur d’un buisson d’agaves comme il y en a tant sur Oléron (et au Mexique d’où l’espèce est originaire). Les feuilles sont pointues comme des épées mais la hampe florale, que l’on devine au centre de la photo, est d’une beauté insoupçonnée, porteuse de dizaines de clochettes élégantes. Histoire de ne jamais perdre espoir.
Le mal-épris de Bénédicte Soymier, Calmann-Lévy, en librairie depuis le 6 janvier 2021