Quelle chance que
Le règne animal ait été programmé en avant-première dans le cadre du festival
Paysages de cinéastes ! Ce film atypique est un bijou vers lequel je ne me serais peut-être pas tournée spontanément. Ne faites surtout pas comme moi. N’attendez pas pour le découvrir sur grand écran (je doute que la magie opérera autant en version DVD mais ce sera mieux que rien).
On m’avait promis le choc absolu. C’était pile ce qui pouvait me convenir pour me distraire de soucis que je ne parvenais pas à mettre à distance. Hélas, la bande-annonce ne m’avait pas du tout convaincue. Je ne suis pas fan de Romain Duris (dont je reconnais qu’il est un grand acteur et qui, d’ailleurs, ne m’a jamais déçue au cinéma). Voilà pourquoi je n’aurais pas estimé que ce film devait figurer dans mes priorités du moment. Quelle erreur !
Je vais, contrairement à mon habitude, en dire le moins possible pour vous laisser savourer chaque plan sans que vous vous attendiez à quelque chose de particulier. Pas facile pour un scénario de plus de 2 heures …
Le film commence par la main d’un enfant plongeant dans l’épaisse fourrure de son chien qui, on le remarquera plus tard, a curieusement un prénom d’homme. Et tout cela est signifiant, croyez-moi. La deuxième scène est purement incroyable. On s’exclame à la fin Quelle époque !? en même temps que les personnages, en se demandant en quelle année nous sommes et où.
Que vous dire de plus sans nuire à l’effet de surprise si ce n’est que le spectateur est vite mis au parfum et peut-être aussi que le réalisateur est marqué par le survivalisme, et cela depuis son premier film.
On comprendra que la mère de l’adolescent (formidable Paul Kircher) est malade et hospitalisée dans un lieu clos. Quelques indices sont perceptibles mais nous la verrons principalement de dos, ce qui ménage le suspens, à moins que nous ayons réussi à comprendre ce qui se trame en surprenant son regard un bref instant.
Désobéir (au système) c’est ça le courage aujourd’hui, sermonne le père (Romain Duris) qui enchaine les formules comme il le fait de ses cigarettes. Je me suis demandé si c’était un besoin vital de l’acteur ou une idée du réalisateur que de le filmer toujours en train de fumer.
Les voilà partis sur la route pour rejoindre le sud, où la mère a été transférée. Comme dans A la ligne de Joseph Ponthus, ce déplacement s’accompagne d’un changement de vie et de statut professionnel pour l’homme, prêt à toutes les concessions pour suivre sa femme. Le fils, Émile (et on ne peut s’empêcher de penser à Jean-Jacques Rousseau) se fait tirer par la main et on voit bien qu’il lui est difficile de s’intégrer parmi les autres collégiens alors que l’année scolaire est très avancée. Mais est-ce la seule raison ?
La nature est omniprésente et magnifiquement filmée. Le Parc naturel des Landes de Gascogne est d’une beauté étonnante, avec des évocations tropicales, et souvent émouvante à tirer les larmes. On est clairement dans la science-fiction, un genre que je n’affectionne pas vraiment et qui me fait toujours craindre de cauchemarder les nuits suivantes. Et pourtant, malgré la dureté de certains plans, ce ne fut pas le cas. Cependant je peux juste dire que je ne verrai plus jamais une plume de geai sans frémir.
La bande-son est judicieusement choisie. Y aurait-il une chanson plus pertinente que Elle est d’ailleurs que Pierre Bachelet a écrite en 1980 ? Et l’usage fréquent d’une musique entraînante apporte un contre-pied salutaire aux scènes qui ont de quoi effrayer.
Thomas Galley parvient à insuffler de l’humour et surtout beaucoup d’amour dans sa démonstration de la nécessité d’apprendre à vivre ensemble, laquelle ne peut pas se réduire à une volonté politique. Il offre à la gendarme (Adèle Exarchopoulos) un rôle dans lequel s’épanouit toute une gamme d’empathie. A la toute fin j’ai pensé que c’était peut-être « juste » un film démontrant la nécessité de la tolérance et de l’acceptation de l’altérité avec pour conclusion la promesse d’accorder la liberté à ceux qu’on aime.
Il y a tant de paroles vraies et justes qu’il faudrait avoir la capacité de toutes les mémoriser. Je n’ai avais pas songé jusqu’à présent mais il est vrai que Manger, c’est comme parler, ça définit comment t’existe au monde.
Le film commençait par la citation de René Char : Celui qui vient au monde pour en rien troubler ne mérite ni égards ni patience. Une chose est sûre, ce n’est pas le cas du Règne animal qui rend sa noblesse au film fantastique français tout en nous bouleversant. Il est entré dans conteste dans les films cultes, Je n’ai jamais vu un générique aussi fourni. Ils sont des dizaines et des dizaines à être crédités au maquillage, aux cascades et aux effets spéciaux. Et ils n’ont sans doute pas chômé.
Je ne connaissais pas le réalisateur mais je retiens son nom et je vais suivre ses prochains films.
Le règne animal, un film de Thomas Cailley, avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier, Maëlle Benkimoun, Nathalie Richard …
Au cinéma à partir du 4 octobre 2023