Nous étions une (grosse) poignée prévenus de la soirée concoctée ce soir par
Timothée de Fombelle chez son éditeur,
L'Iconoclaste, sur le thème de son dernier (et premier pour les adultes) roman,
Neverland, en compagnie de
Albin de la Simone.
La promesse était d'accoster sur les rivages de Neverland, le pays de l’enfance, pour capturer ensemble l’enfance, entière et vivante entre lectures et musiques. Ce fut une soirée intime et joyeuse à ne pas manquer.
Tous deux ont fait jouer ensemble les mots et les notes avec générosité, comme des potes qu'on diraient amis d'enfance ... alors qu'ils se connaissent à peine depuis plus de deux ans.
Leur rencontre s'est faite autour de Georgia, un conte musical écrit par Timothée, mis en musique par Albin, publié par Gallimard, qui témoigne combien les secrets d'enfance sont autant de blessures.
Il reçut en 2016 la pépite du meilleur livre jeunesse - Catégorie: moyens au Salon de la littérature Jeunesse de Montreuil et fut la même année le coup de cœur de l'académie Charles Cros.
Vous ne connaissez cependant peut-être pas Albin de la Simone, enfin en temps qu'auteur-compositeur-interprète, parce qu'avant de se produire seul sur scène il a été très longtemps le pianiste de nombreux artistes comme Alain Souchon, Chamfort, Arthur H, Salif Keita, Raphaël, et tant d'autres. Il a travaillé et fait la première partie des concerts de Vanessa Paradis, Mathieu Chedid, Alain Chamfort, Georges Moustaki.
Il a fait également une apparition dans le conte musical de Louis Chedid Le soldat rose, où il incarnait le personnage de Cousin Puzzle.
Quand il écrit pour lui, c'est souvent l'enfance qui l'inspire. Comme en témoigne la première qu'il a interprétée ce soir J'ai changé, écrite en 2005 :
J'ai pesé 10 kilos dont 2 de vélo, en pantalons de velours et débardeurs éponges. J'ai chaussé du 18 du 28 du 38. J'ai eu les fesses rouges du talc dans les langes (...)
Tu vois j'ai changé j'ai changé j'ai changé, ne t'inquiètes pas
Timothée venait de lire les premières lignes de
Neverland (cliquer sur le lien pour lire ma précédente chronique), prévenant l'auditoire que les aléas de la vie ont semé dès l'enfance un noyau de cerise qui grandit à l'intérieur d'eux-mêmes.
J'ai eu ma poignée de noyaux. Je crois même que ce sont eux qui nous font pousser. (p.7)
Albin poursuivra avec Ils cueillent des jonquilles (2003) Bottés, cagoulés et gantés, au loin dans le vert de la Somme deux silhouettes multicolores avancent en zig-zagant. Elle a huit ans, il en a cinq, de vrais bijoux d'indépendance. (...) ils l'ignorent, ces jonquilles n'adouciront pas les orties et les chardons qui, en vingt ans, ont poussé sans bruit.
Le piano gratte un peu et quand on sait l'importance que le musicien accorde au choix de son instrument on devine que c'est intentionnel. Il prend peu la parole et le dialogue entre les deux artistes s'établit à coups d'extraits puisés dans les différents ouvrages de Thimothée (il citera aussi Terres des Hommes de Saint Exupéry) auxquels Albin répond en chanson.
La première femme de ma vie (album 2013 : Un homme) avait dans la voix un grain de poivre, Ce tout petit pépin piquant et doux, Qui me plaisait par dessus tout, Un grain de poivre, Ce tout petit pépin piquant et doux, Qui me berçait, qui m'endormait ...
Timothée (et c'est un grand plaisir de l'écouter lire) enchaine avec un extrait du second tome de Tobie Lolness, Les Yeux d'Elisha (p. 465) où Neige trouve une noix dans un trou d'écorce. Une noix qui fait trente fois sa taille et qui est aussi ridée que son grand-père.
Il excelle à conter une saga familiale dans un monde miniature. Il accorde une place très importante à la nature. Et on retrouve une similarité dans les paroles écrites par Albin, peut-être parce que son patronyme vient d'une minuscule rivière qui coulait près de Vervins dans l'Aisne (un petit village peu connu mais qui me parle puisque c'est là qu'est née ma grand-mère) et qui poursuit avec Il pleut dans ma bouche (extrait de l'album : Je Vais Changer, 2005) :
Sous ma langue un lac couvert de feuilles rousses
il pleut dans ma bouche
sur un tapis d'humus où percent mes molaires
et mes parents dorment dans leurs deux lits
La soirée est bien avancée et ce n'est que maintenant que Timothée lit ce très beau passage situé au début du livre (p. 11) JE SUIS PARTI UN MATIN D'HIVER en chasse de l’enfance. Je ne l’ai dit à personne. J’avais décidé de la capturer entière et vivante. Je voulais la mettre en lumière, la regarder, pouvoir en faire le tour. Je l’avais toujours sentie battre en moi, elle ne m’avait jamais quitté.
La sortie de l'enfance se fera un jour d'été (p. 15) en découvrant que son grand-père ne peut plus écrire. C'est que l'enfance n'est pas un pays aussi serein qu'on le croit. On perçoit qu'il faudra être solide pour poursuivre le chemin au-delà de la lisière du monde adulte. L'opinion est partagée par le chanteur : J'espère que tout ça va tenir sur mes épaules. Pas bien carrées, gaulées, ni barraquées, Mes épaules (2013, album Un homme).
L'assistance a repris le refrain un peu déçue de pressentir que le duo prenait fin, heureuse néanmoins de pouvoir discuter avec l'un ou l'autre. Timothée a été pris en otage par ses (fidèles) lecteurs. On remarquait l'émotion lorsqu'il signait sur des ouvrages anciens, manifestement lus et relus. Tobie Lolness, Vango, Le Livre de Perle n'ont pas fini de marquer la jeunesse. Mais les adultes espèrent que Neverland sera suivi par d'autres ouvrages.
Neverland de Timothée de Fombelle, L'Iconoclaste, en librairie depuis le 30 août 2017