Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 30 avril 2023

L'immeuble de la rue Cavendish #4 par Caroline Kant

Il se passe toujours quelque chose dans l’immeuble dont Caroline Kant a ouvert les portes il y a juste un an. Les aventures des occupants de L’immeuble de la rue Cavendish ne sont pas près de s’arrêter. Après Margaux puis Charlotte et ensuite Lucie (en septembre) c’est à Hermine de nous confier ses tourments.

S’il est très agréable d’enchainer les épisodes dans l’ordre de leur parution il n’y a pas de contrainte à le faire. On comprend très bien ce qui se passe sans avoir besoin du résumé des opus précédents.

Le seul repère essentiel, c’est le schéma de la répartition des appartements avec le nom de leurs occupants et il figure toujours au début du livre. Il est d’autant plus nécessaire que, comme partout, des déménagements se produisent (aussi) parmi les habitants.
Hermine est une trentenaire qui adore chiller dans son appartement, après sa journée de travail comme institutrice de maternelle dans une école défavorisée où un enseignant remplaçant la drague effrontément. Elle admire sa collègue Yasmine, bénévole auprès des mineurs sans-papiers. Difficile de refuser de l’aider quand celle-ci lui demande d'accueillir un adolescent de seize ans, une semaine sur deux. L'arrivée d'Ismaël bouleversera sa vie... et celle de ses voisins !
Quelle chance alors d'être si bien entourée : Margaux est toujours de bon conseil et Joshua, le séduisant médecin, toujours là pour elle et pour le jeune garçon, asmathique. Hermine craquerait bien pour ce bel homme mais il est encombré d’une fiancée magnifique … et exaspérante. Hermine a bien des tracas, ce qui justifie le titre de l’épisode, Les tourments d’Hermine.Réussira-t-elle à obtenir ce qu’elle souhaite plus que tout au monde et retrouvera-t-elle la paix ? 

J’aime beaucoup l’écriture de Caroline Kant et on peut se réjouir qu’elle poursuive. Elle nous offre à chaque fois un vrai plaisir simple (c’est un compliment) de lecture et nous fait réfléchir sur des problématiques sociales sans nous culpabiliser. Mieux qu'une série télé où l'on ne prend pas le temps de souffler entre deux épisodes.

Les tourments d'Hermine de Caroline Kant, Tome 4 de L'immeuble de la rue Cavendish, Les Escales, en librairie depuis le 9 mars 2023
Tomes précédents : #1 Les manigances de Margaux ; #2 Charlotte se cherche ; #3 Lucie se rebiffe

samedi 29 avril 2023

L'ombre chinoise de Napoléon de Thierry Brun

Dans quelques jours aura lieu le couronnement de Charles III et l’empire britannique sera une nouvelle fois au cœur de l’actualité. Mais sait-on vraiment bien jusqu’où s’étend cet empire qui fut la première puissance mondiale en 1922 ?

Sainte-Hélène (Saint Helena en anglais) a été défini par les Nations Unies comme un « territoire non autonome » de la Couronne britannique. Si je savais que Napoléon y avait passé les dernières années de sa vie, suite à la défaite de Waterloo, j’aurais été bien en peine de situer l’endroit sur une mappemonde. Et sans doute pas si bas dans l’Océan atlantique, loin à l’ouest des côtes de l’Angola.

Avec une population estimée à 4000 personnes, on peut imaginer combien la vie y est peu mouvementée sur ses 122 km 2 de roches volcaniques. Je comprends que les visiteurs y soient rares en dehors des anciens habitants rendant visite à leur famille. On estime à quelques centaines les « vrais » touristes, sans doute attirés par l’ombre napoléonienne. Le livre de Thierry Brun suscitera peut-être des envies de voyage à certains.

Les Anglais avaient bien choisi l’endroit, estimant peu probables ses chances de leur fausser compagnie comme il avait réussi à le faire depuis l’Ile d’Elbe. Il y arriva en octobre 1815 et y resta jusqu’au 5 mai 1821, date de sa mort, et même au-delà car son corps ne fut transféré aux Invalides qu’en 1840 qu’après que le roi Louis-Philippe en ait obtenu la restitution.

En attendant, il fut inhumé, conformément à ses dernières volontés (formulées dans le cas où son corps ne serait pas ramené en Europe) dans la vallée du Géranium, appelée depuis « vallée du Tombeau » alors que toute la colonie française quittait ce territoire.

L’habitation de Longwood fut cédée à un fermier. Mais l'empereur Napoléon III négocia ensuite avec le gouvernement britannique son achat avec celui de la vallée du Tombeau qui devinrent propriétés françaises en 1858. Elles sont gérées par le ministère français des Affaires étrangères ainsi que le pavillon des Briars qui fut la première demeure de Napoléon sur l’île, adjoint au domaine en 1959, lorsque sa dernière propriétaire, l'écrivaine australienne Dame Mabel Brookes (1890-1975), racheta ce pavillon pour l’offrir à la France.

Thierry Braun est médecin biologiste, ancien chef de Clinique du service de Bactériologie de l'hôpital Cochin à Paris et il a participé à la découverte et l'étude des premières bactéries mutantes résistantes aux inhibiteurs des beta-lactamases. Il travaillé sur le dossier médical de Napoleone Buonaparte, basé sur des témoignages de contemporains.

Il devenait ainsi légitime à se pencher sur les dernières années de l’empereur qu’il raconte dans L’ombre chinoise de Napoléon. Découvrant les hautes falaises de Sainte-Hélène, Napoléon s’y serait écrier : Vilain séjour, si j’étais resté en Egypte, aujourd'hui je serais Empereur de tout l'Orient !

Thierry Brun établit que si Napoléon se passionnait pour l'Orient c’est sur sainte-Hélène qu’il noua de vrais contacts avec des Chinois. A l’époque de sa détention, 646 Chinois y résidaient,  dont 23 travaillant à Longwood, la maison même où les Anglais l’avaient emprisonné.

L'île de Sainte-Hélène était alors une escale obligée sur la route de l'Orient. Plus de mille navires y transitaient chaque année, offrant mille occasions de s'échapper... Dans ce livre intéressant, fortement dialogué, on apprendra comment Chen Jin est devenu l'ombre chinoise de Napoléon, autrement dit son espion, une ombre qui sera suspendue entre l'Amérique et l'Orient.

Le Corse Cipriani, frère adoptif de Napoléon et chef du réseau de renseignements de Longwood. conseillait en effet à Napoléon d’oublier la France et Sainte Hélène : En Amérique, nos idées agitent toutes les têtes. On est Bonapartiste aujourd’hui comme on était catholique hier. Les États-Unis d’Amérique sont favorables aux idées républicaines et libérales que tu incarnes mieux que personne (p. 76).

C'est à Sainte-Hélène, recevant l'ambassadeur anglais lord Amherst, de retour de Chine, qu'il prononce une prédiction que l’on attribue à tort à Alain Peyrefitte (parce qu’il en a fait le titre d’un livre publié en 1973 chez Fayard) : Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera ! (p. 126)

Outre Cipriani, les acteurs secrets de ce drame sont le Chinois Chen Jin et la belle Yi Lian qui sera le dernier amour de Napoléon. 

Une bibliographie détaillée et une chronologie complètent cet ouvrage historique admirablement documenté.

L'ombre chinoise de Napoléon de Thierry Brun, en librairie depuis le 30 Mars 2023

jeudi 27 avril 2023

Le Retour de Richard 3 par le train de 9h24 de Gilles Dyrek, mis en scène par Eric Bu

Dans le hall du théâtre, rebaptisé Théâtre Actuel la Bruyère, une vitrine exhibe 4 statuettes (sans doute choisies un peu au hasard des nombreuses qui pourraient y prendre place) dont la plus ancienne est le Molière 1990 de la décentralisation. On y reconnaît les photos récentes de la remise du Molière de la révélation féminine en 2022 à Salomé Villiers pour son rôle dans le Montespan.

J’avais vu le film réalisé par Eric Bu d'après le scénario  de Gilles Dyrek, avec Sophie Forte et Hervé Dubourjal, Jean-Gilles Barbier, Camille Bardery, Amandine Bardotte, Lauriane Escaffre, Ariane Gardel, Benjamin Alazraki, Yvonnick Muller…

Je me souvenais des difficultés de diffusion liées au contexte du premier confinement dû au Covid. Et surtout aussi de l'intelligence du scénario. Connaissant Eric Bu, je n'avais pas de doute sur la transposition sur une scène de théâtre mais je n’avais pas pu le caser dans mon emploi du temps avignonnais de l’été 2022. Sa présence à Paris offrait une seconde chance et je n'ai pas été déçue le moins du monde.
On retrouve l’atmosphère présente dans le film avec l’utilisation d’images projetées, avec la présence de sa musique si particulière et enthousiasmante (les instruments qui figurent à jardin ne sont pas là pour faire office de décoration), et avec la quasi-totalité de la distribution du film sur scène.

Il y a un côté beckettien dans cette pièce. Au début, on attend. La chanteuse aussi. Elle attendrait le jour et la nuit … ton retour. On connait bien la chanson. On l'écoute en appréciant la guitare manouche sans forcément faire le lien avec Richard …
Sur la scène, une grande table autour de laquelle les comédiens prennent place l'un après l'autre et s'assoient dans une pose figée. Arrêt sur image. 
Le public, impatient, finit par applaudir. Dalida reprend la même chanson. Le spectacle peut se poursuivre.
On nous dit que c'est une belle journée d'été. Chacun y va de ses petits mots. On sent l’ambiance un peu tendue, comme s’ils ne se connaissaient pas vraiment, ce qui est le cas puisque le plus âgé, Pierre Henri, condamné par la médecine, a engagé des comédiens pour remplacer ceux qui ne sont plus là et pour l’aider à régler ses conflits avec eux. Il s’est donné une semaine dans sa maison de campagne pour tenter de se réconcilier avec chacun. Mais cette expérience l’entraîne bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer…

Comme l’a très bien compris l’adaptateur, Gilles Dyrek, c’est une pièce sur des comédiens en prise avec la réalité d’un homme qui ne joue pas, une situation qui déplace en permanence la frontière si ténue entre jeu et réalité, entre vérité et mensonge.

De lui, j’avais vu Venise sous la neige, qui fut un énorme (et mérité) succès, qui a ensuite été adaptée au cinéma, produite par Véra Belmont, réalisé par Elliott Covrigac et interprétée par Elodie Fontant, Arthur Jugnot, Juliette Arnaud et Olivier SitrukIl a énormément écrit pour le théâtre tout en étant acteur. Et dans Le retour il endosse le rôle de l’ami, qui n’est pas le plus sympathique et dont il tire le meilleur parti, jouant toute l’ambiguïté de la sympathie et de son contraire.

Les ressorts comiques s’appuient sur les confrontations entre jeu et réalité, vérité et fiction. Pour ce qui est du tragique chaque personnage aura un moment plus ou moins pathétique. Ajoutons qu’au théâtre tout est vrai même si rien n'est vrai, ce qui est le contraire dans la vie.

Les lumières de Cécile Trelluyer sont travaillées de manière à focaliser l’attention sur un personnage en particulier. Il y a des idées de mises en scène additionnelles dans la version théâtrale, comme une incroyable partie de ping-pong, et la présence d’un accessoiriste qui agit en noir, mais à vue, alors qu’il nous faudra un certain temps pour comprendre qui se cache derrière lui. Il sera très applaudi aux saluts.

Tout est rebondissement au cours de la soirée. Rien d’étonnant à ce que le public y perde sa lucidité et frappe trop tôt dans ses mains, ce qui doit bien réjouir la troupe.

L’humour est décapant. Et nous verrons bien s’il est envisageable de se réinventer une famille pour réparer la vraie. Le spectacle a bien mérité sa nomination aux Molières 2023 dans la catégorie « Meilleure Comédie ».
Eric Bu multiplie les collaborations au théâtre tout en continuant à développer ses projets audiovisuels, notamment avec le long-métrage Le retour de Richard 3 par le train de 9h24, écrit par Gilles Dyrek, récompensé dans de nombreux festivals et sorti sur la plateforme filmoTv en juin 2020.

À Avignon en 2018 et 2019, il avait créé au théâtre Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, avec Elodie Menant, mis en scène par Johanna Boyé. (Récompensé par 2 Molières en 2020 dont celui du Spectacle Musical)

À la rentrée 2020, il avait écrit et mis en scène Dolto, Lorsque Françoise paraît, au Théâtre Lepic, avec Sophie Forte dans le rôle de Françoise Dolto, succès Avignon 2021, salué par une critique unanime. Il développe actuellement de nombreuses écritures pour la scène et l’écran.

Le Retour de Richard 3 par le train de 9h24
Mise en scène d’Eric Bu
D’après une idée originale et un film d’Eric Bu écrit par Gilles Dyrek
Avec Hervé Dubourjal Isabelle de Botton Amandine Barbotte Camille Bardery Lauriane Escaffre Benjamin Alazraki Jean-Gilles Barbier Gilles Dyrek
Musique originale Stéphane Isidore
Chorégraphie Florentine Houdiniere
Scénographie Marie Hervé
Création lumière Cécile Trelluyer
Création maquillage et perruque Emmanuelle Verani
Costumes Christine Vilers
A partir de 12 ans
Depuis le 13 janvier 2023 et prolongé jusqu’au 30 juin
Au Théâtre Actuel / La Bruyère - 5 rue La Bruyère, 75009 Paris
Du mercredi au samedi à 21h
Matinée samedi à 18h30 et dimanche à 16h
(Ensuite au festival d’Avignon au Théâtre du roi René pour la seconde année consécutive)

mercredi 26 avril 2023

Le secret de Sherlock Holmes de Christophe Guillon et Christian Chevalier

Cela fait plus d'un an que je m'étais promis d'aller voir Le secret de Sherlock Holmes et puis le temps a passé et un certain nombre de circonstances malheureuses ont retardé ma venue. Très franchement, en sortant de la salle, j'ai regretté de n'avoir pas pu venir plus tôt. C'est un spectacle excellent, autant intelligent que drôle. Je comprends qu'il ait reçu le Prix du "Meilleur spectacle théâtral" au Festival Polar de Cognac et que cette comédie policière ait déjà réuni plus de 50.000 spectateurs.
En résumé, Londres, 1881 : Sherlock n’est pas encore le grand Holmes et le docteur Watson, médecin légiste, rentre tout juste d’Afghanistan. Alors que ce dernier cherche un toit, l’inspecteur Lestrade de Scotland Yard fait appel à lui pour une enquête délicate. La découverte d’un cadavre sur les bords de la Tamise va lier les destins de Sherlock Holmes et du docteur Watson et les faire entrer dans la légende.
Il y avait beaucoup de jeunes le soir de ma venue et le public plus âgé craignant les chahuts mais ils ont été attentifs … et conquis.

Donc nus sommes en 1881, à Londres, dans le smog anglais et Big Ben résonne au loin. Le premier coup de théâtre se produit dans les premières minutes avec une arrestation spectaculaire. C'est que la police a fait des progrès … les voleurs aussi. On devra s'attendre à d'incessants rebondissements.
Les scènes s'enchainent avec brio. Les jeux de mots et les réparties claquent, toujours justes, jusqu'à l'absurde comme cette affirmation mûrement réfléchie : la victime n'est pas l'assassin. Les double-sens et les allusions sont multiples, jusqu'à faire un clin d'oeil à Colombo (qui avaient une coquetterie dans le sien … d'oeil) et bien entendu à Conan Doyle. Les bruitages sont parfait de réalisme. Les costumes sont magnifiques. La scène de duel est un bijou de chorégraphie. Les effets spéciaux sont à propos. On savoure tous les types d'humour. … sauf un, l'humour raciste qui ne passe pas dans la salle (mon dieu comme les spectateurs peuvent manquer de largesse d'esprit !). Excepté sur ce point, c'est un régal.

Les comédiens méritent nos compliments, à l'unanimité. Laura Marin est une fine Katryn, Hervé Dandrieux un Docteur Watson fidèle à la légende.
La solution du secret est invisible puisque visible par tous, parfaitement dans l'esprit qu'on connait de Sherlock qui est interprété avec brio (le soir de ma venue par Pierre Hancisse, tandis que Romain Ogerau était Silvius). Ce "monsieur je sais tout" force l'admiration avec sa supériorité et on lui pardonnera ses airs supérieurs.

Surtout après avoir entendu la mise en garde de Michel Bouquet, qui nous est livrée aux saluts par l'inspecteur Lestrade (Emmanuel Guillon) : N'oubliez pas que si le public vient vous voir jouer , il vient aussi pour jouer avec nous.
Si nous n'oublions pas les autres interprétations de la légende, notamment avec Omar Sy sur Netflix, celle-ci va s'ancrer dans nos mémoires. J'accourrai si les co-auteurs Christophe Guillon et Christian Chevalier nous proposaient un nouveau chapitre, avec la même équipe.

Le secret de Sherlock Holmes de Christophe Guillon et Christian Chevalier
Mise en scène Christophe Guillon
Avec Hervé Dandrieux, Christophe Guillon ou Christophe Laubion ou Romain Ogerau, Emmanuel Guillon, Laura Marin, Didier Vinson ou Pierre Hancisse
Depuis le 4 avril 2023 les horaires ont été modifiés
Le Mardi à 20h30, Les Mercredi, jeudi, vendredi à 19h, Le Samedi à 16h et 21h
Au Théâtre Actuel La Bruyère
5 rue La Bruyère - 75009 Paris
Spectacle à partir de 9 ans
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de © Laurencine Lot

mardi 25 avril 2023

La 34e cérémonie des Molières couronne 10 spectacles

J'ai un grand respect pour les gens de théâtre (et le monde du spectacle en général) et je suis attachée aux Molières mais ce n'est pas une raison pour m'enthousiasmer quant au processus d'attribution des récompenses, lequel est d'ailleurs très largement critiqué dans la profession.

Je n'ai pas assisté à la 34e cérémonie qui a eu lieu hier, le 24 avril 2023 au Théâtre de Paris. Peut-être mon point de vue aurait été différent si je m'étais trouvée en salle de presse, comme les années précédentes. Il m'a sans doute manqué l'ambiance.

On aurait pu croire que la soirée aurait eu "de la gueule" en confiant son orchestration et sa mise en scène à Alexis Michalik, qui a remporté personnellement 5 Molières, sans compter touts ceux de ses comédiens pour des pièces telles que Edmond, Le Cercle des illusionnistes, Le porteur d'histoires, ou encore Les Producteurs.

Il n'est pas impossible que la retransmission de la soirée, avec juste 10 minutes de décalage ne suffise pas à couper le superflu et permettre un montage dynamique.

Une chose est sûre et j'insiste sur ce point : tous ceux qui ont été récompensés méritaient le buste de Molière. Le problème n'est pas là. Il est dans ce que les 19 statuettes décernées en 2023 se répartissent entre seulement 10 spectacles.

On a constaté encore une fois que ce n’est pas le nombre de nominations qui est déterminant. On l’a constaté, encore une fois, avec Big mother qui avait en vue 5 potentielles statuettes et qui n’en a reçu aucune. Ce qui est injuste au final dans le mode d’attribution des récompenses c’est que, dès lors qu’on en obtient une, on multiplie ses chances d’en avoir d’autres. Et c’est logique pour deux raisons. La première est artistique, la seconde technique.

Sur le plan artistique il est logique que si un spectacle mérite le Molière de la mise en scène, c’est qu’il est excellent et que donc il est légitime pour le Molière du meilleur spectacle, à moins que les votants ne se dédient. Quand un comédien est bon, il n’est que rarement le seul à l’être, ou alors c’est que la distribution a été mal faite. Donc, là encore, la probabilité que plusieurs comédiens d’une même pièce montent sur le podium est très forte.

Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les Molières de la révélation féminine comme masculine aient été attribués à la même pièce, Glenn, naissance d'un prodige (mise en scène Ivan Calbérac) qui d'ailleurs bénéficiait de six nominations.

Et il n’est pas plus surprenant que les Molières de la comédienne et du comédien dans un spectacle privé (Marie-Julie Baup et Thierry Lopezsoient reçus par un couple qui est partenaire sur la scène. Sur ce plan, pas de jaloux. Mais un seul spectacle récompensé. 

De la même façon que les Molières du spectacle musical et de la Création visuelle et sonore accordés à Starmania (qui aura probablement aussi le Trophée du meilleur spectacle musical dans un mois, comme les Producteurs l'an dernier) font eux aussi en quelque sorte double emploi.

Sur le plan technique, c’est la liste des nominations qui entre en jeu. Oublie-moi n’ayant pas été écrit par un auteur français et n’ayant que deux rôles, la pièce ne risquait pas de concourir dans 3 catégories où il y a fort à parier qu’elle aurait remporté -là encore- des palmes, laissant ainsi une chance aux Poupées persanes et à Une idée géniale

Et puis, étant donné que Marie-Julie Baup et Thierry Lopez ne pouvaient pas prétendre à un Molière de la révélation cela ouvrait aussi une brèche pour les comédiens de Glenn, qui tous deux l’ont remporté, en toute cohérence artistique.

Il y a eu pourtant des surprises : Johanna Bohé, metteuse en scène de Je ne cours pas, je vole ! d'Élodie Menant aura bien le Molière de la mise en scène mais en jeunesse pour La reine des neiges ! Comme en 2017 pour Pauline Bureau qui le remporta dans cette catégorie avec Dormir cent ans alors qu'elle n'était même pas citée pour Mon coeur.

En conclusion, les votes sont cohérents, et c’est très louable, mais le résultat ne sert pas le théâtre, et créé des jalousies et des tensions dont la profession n’a pas besoin. Il est temps que l’académie des Molières revoit son système de vote. D’une part en élargissant les votes à ceux sans qui aucun spectacle n’existerait, à savoir le public. D’autre part en faisant en sorte, et c’est très facile avec l’informatique, de hiérarchiser les récompenses en bloquant un spectacle à partir du moment où il aura obtenu un nombre de voix lui assurant la plus haute distinction.

Également élargir à 6 le nombre de nominés au lieu de 4 dans chaque catégorie principale, ce qui équivaudrait à augmenter les chances de 50% en élargissant la diversité. Car il faut bien avoir conscience que le fait d'être nominé constitue déjà en soi une belle distinction, et un accélérateur de l'intérêt des futurs spectateurs. Finalement c’est davantage la liste des nommés qu’il faut considérer plutôt que celle des lauréats.

Et puis revoir la dénomination des récompenses afin d’intégrer la technique et d’autres métiers que ceux de la mise en scène et du jeu. Enfin ne croyez vous pas qu’on frise le ridicule en nominant systématiquement de grands comédiens ou comédiennes, déjà honorés d’une statuette et qui du coup pourraient truster les récompenses … ou repartir bredouilles plusieurs années de suite, s’imaginant alors avoir démérité ? Bref, il serait bon de classer certains (es) hors concours et d’élargir le panorama.

Il y avait cette année 19 Molières possible et ce ne sont que 10 spectacles qui auront été lauréats, presque la moitié de ce qui était envisageable. N’est-ce pas désolant ? Même si, je le répète, tous ceux qui sont repartis avec une statuette la méritait et je les salue de tout coeur.

Voici en rouge les lauréats, tandis que mes chroniques apparaissent en bleu (parfois ce sont les mêmes):

dimanche 23 avril 2023

Au printemps des monstres de Philippe Jaenada

J’ai failli renoncer quand je l’ai eu entre les mains. Mazette ! Viendrai-je à bout de 750 pages sans me lasser ? Et bien, … oui ! Au printemps des monstres est plutôt ce qu’on appelle un roman facile à lire. C’est là tout le talent de Philippe Jaenada que de nous embarquer en nous menant par le bout des yeux.

D’ailleurs, il y a fort à parier qu’il a glissé les épisodes de ses propres pérégrinations hospitalières pile aux moments où il pressentait que l’attention du lecteur pouvait faiblir. Et puis, comment ne pas me passionner pour cette histoire abracadabrante (mais ô combien tragique puisque tout de même il y eut mort d’enfant) qui s’est déroulée à quelques mètres de là où je suis venue habiter presque trente ans plus tard.

Voilà une coïncidence qui réjouirait l’auteur. Sans parler de l’époque, car étant en ce moment au printemps c’est une lecture de circonstance. A fortiori aussi parce que -hélas- les monstres ne sont pas une espèce en voie de disparition et que, à l’inverse, l’humanité dont Philippe Jaenada fait preuve (mille preuves) est admirable. Sans compter sa ténacité à chercher à faire sur cette affaire le maximum de lumière possible. Je comprends pourquoi ce roman a suscité tant d’intérêt à sa sortie, à la rentrée 2021.
Le 26 mai 1964, un enfant parisien sort de chez lui en courant. On retrouvera son corps le lendemain matin dans un bois de banlieue. Il s’appelait Luc. Il avait onze ans. L’affaire fait grand bruit car un corbeau qui se dit l’assassin et se fait appeler « l’Étrangleur » inonde les médias, les institutions et les parents de la victime de lettres odieuses où il donne des détails troublants sur la mort de l’enfant. Le 4 juillet, il est arrêté. C’est un jeune infirmier, Lucien Léger. Il avoue puis se rétracte un an plus tard. En 1966, il est condamné à la prison à perpétuité. Il restera incarcéré quarante et un ans, sans jamais cesser de clamer son innocence.
Je ne me doutais pas, lorsque j’habiterai en bordure du bois de Verrières-le-Buisson (91) que je me trouverais près de cet endroit où un enfant est mort abominablement en 1964. Les réseaux sociaux ne piaillent alors pas encore et pourtant l’information fuite très vite. L’AFP est une énorme caisse de résonance et comme le souligne Philippe Jaenada (dont je pourrais faire remarquer que les initiales sont prémonitoires) les reporters ne sont jamais loin des flics (p. 41).

L’auteur a effectué un travail de bénédictin pour dépiauter le dossier -et ses annexes- et il parvient sans trop de mal à démontrer qu’il y a eu erreur judiciaire. Philippe Jaenada ne conclut pas que Lucien léger soit innocent de tout, mais il n’est pas le meurtrier de l’enfant. Il avait un des meilleurs avocats de l’époque, Maurice Garçon, mais qui par malchance le croyant coupable ne cherchait qu’une chose, lui éviter la peine de mort (ce qu’il obtint au demeurant). Le pauvre Lucien ne pourra que s’écrier pathétiquement à l’annonce du verdict : Monsieur le Président, vous venez de commettre une erreur judiciaire ! (p. 234).

Il n’empêche que Lucien ne méritait pas d’être condamné sans preuve, sans témoin, sans mobile, de faire autant de prison, et de voir ses demandes de remises de peine échouer systématiquement. Il fut longtemps le détenteur d’un triste record, celui du nombre d’années d’incarcération.

On voudrait faire l’économie de quelques (c’est un euphémisme) pages mais c’est impossible. Chacune des trois parties (Le fou/ Les monstres/ Solange) est essentielle. 

On me reproche parfois de faire long, de manquer d’esprit de synthèse (ce qui est faux bien sûr, puisque lorsque les tweets étaient limités à 140 caractères je me réjouissais de les écrire en un temps record) mais Jaenada me bat à plates coutures. Cela étant, ses analyses sont passionnantes et ses nombreuses parenthèses tout autant. Elles appartiennent à son style … comme les notes de bas de page caractériseraient le mien si je publiais les romans que j’ai en projet.

Jaenada s’apprête à renoncer à traiter ce dossier quand son train s’arrête pile devant le panneau indicateur de Mandres-les-roses, une petite ville qu’il ne connaissait pas et qui joue un rôle dans l’histoire (p. 74). L’écrivain adore les coïncidences même si, parfois, ce sont elles la cause de drames. Il se méfie des apparences (p. 287) et il déteste les invraisemblances. Elles sont si nombreuses dans ce dossier qu’on se demande comment elles n’ont pas réussi à sauter aux yeux de quelqu’un. L’auteur en dresse une liste (sans doute non exhaustive) p. 304.

A la décharge de ceux qui eurent à juger du crime il faut reconnaître aussi qu’il y eu beaucoup de mensonges, venant de toute part. Car comme le souligne l’auteur au tout début les raisons qui poussent à dire autre chose que la vérité sont innombrables (p. 44). Elles ne signifient pas qu’on soit coupables.

Lucien Léger a eu la malchance d’être entouré de monstres -sauf sa femme Solange-. Il en est un aussi mais tellement inoffensif dira Jaenada (p. 320). J’ajouterai qu’il a aussi eu la malchance de ne pas avoir le meilleur avocat même s’il était un ténor du barreau. 

Bref, Jaenada a tout repris, et il y a fort à parier qu’il n’a rien laissé passer, ne s’épargnant aucune visite sur place, y compris jusque sur la tombe de Lucien, aucune lecture, … seules les mesures de confinement ralentiront sa progression, ce dont bien entendu il nous fait part, se voyant coincé, au bout du rouleau (p. 562). Vous avez un exemple de son humour. Il n’en manque pas pour relater toute l’affaire, et il en faut pour maintenir l’attention du lecteur. Ainsi, il dira de l’agent de police n° 16 164 qu’il doit faire des jaloux parmi les amateurs de bière (p. 91).

Il a aussi une manière bien à lui de qualifier les choses et les gens, hésitant à peine à traiter Dupont-Moretti, qui n’était pas encore Garde des Sceaux, de pignouf (p. 269) en insistant sur le terme à deux reprises, pour qu’on comprenne bien son avis sur le bonhomme.

Jaenada l’écrivait à la fin de la première partie : rien n’est simple. Il ajoutait c’est la meilleure illustration de la règle d’or prévenant qu’il faut se méfier des apparences (p. 287). Plus loin il redit la même chose : La vérité est rarement pure et jamais simple (p. 743), ce n’est cette fois pas de lui mais d’Oscar Wilde. Cette phrase résume bien la situation, même si elle est moins lyrique que la déclaration de Lucien Léger, Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres (p. 99), qui a donné le titre au livre.

Avec son style inimitable, Philippe Jaenada reprend minutieusement les éléments du dossier et révèle que, par intérêt, lâcheté, indifférence ou bêtise, tout le monde a failli, ou menti. Alors il se penche sur Solange, la femme de l’Étrangleur, seule et vibrante lumière dans la noirceur. À travers ce fait divers extraordinaire, il fait le portrait de la société française des années 60, ravagée par la deuxième guerre mondiale mais renaissante et, légère seulement en apparence, printemps trompeur de celle qui deviendra la nôtre.

Un roman impossible à croire qu’il finira par écrire, sous la forme d’une longue lettre à son frère, pour franchir la censure pénitentiaire qui s’intitulera Le prix de mon silence, et qu’il tentera de faire publier.(…) Si je m’attarde trop dans ce labyrinthe de fou je risque de perdre les lecteurs les plus coriaces ou les plus indulgents (p. 245). Mais c’est plus fort que lui, Jaenada s’y plongera car sinon, ajoute-t-il pour se justifier c’est pas la peine d’écrire des livres.

On apprend aussi des trucs au fil des pages, comme ce verbe to houdinize que les américains ont inventé en s’appuyant sur la capacité de l’illusionniste Houdini à réussir à se sortir d’une situation inextricable (p. 340). Aurait-il suffit de dire la vérité, rien que la vérité ? Et je pense à La petite menteuse qui ment … pour qu’on la croit.

Philippe Jaenada est l’auteur d’une douzaine de romans, dont Le Chameau sauvage (prix de Flore), La Petite Femelle et La Serpe (prix Femina).

Au printemps des monstres de Philippe Jaenada, Mialet-Barrault Éditeurs, en librairie depuis le 18 août 2021

samedi 22 avril 2023

Les filles comme nous de Daphne Palais Andreades

Filles de couleur filles de couleur filles de couleur transformées en marionnettes quand elles sont invitées chez des blancs (p. 66). Cette répétition, trois fois, et sans virgule, a donné le titre original Brown Girls qui, pour l’édition française, n’a pas été conservé en le traduisant littéralement.

C’est un autre triplé qui a été retenu, et qui lui aussi revient comme un leitmotiv : Les filles comme nous.

Il est vrai que si la question de la couleur de peau est au coeur du récit, il n’empêche que, s’agissant d’un texte écrit à la première personne du pluriel, il était important de respecter cet aspect. Même si le premier chapitre de la première partie, « Filles de couleur », se comprend mieux avec le titre anglais (p. 13). Alors que, quelques pages plus loin, « Filles comme vous » continue de nous interpeler (p. 33)..

Le récit semble décousu, hoquetant, mais ce n’est qu’une apparence car la lecture est facile, voire même très agréable et vite addictive. C’est un diaporama qui claque entre chaque cliché. Un cantique à mille voix qui se déroule comme un ruban, d’un chapitre à l’autre, composant huit parties, inégales (la dernière n’a qu’un chapitre). Le livre raconte la vie, de la naissance à la mort, de la population féminine (noire) des habitantes du Queens, un des cinq arrondissements de New-York, entourant Brooklyn, à l’extrémité de l’île de Long Island.

Et c’est en toute logique que des dizaines de prénoms sont égrenés au fil des pages : Certaines d’entre nous (c’est-à-dire -mais pas seulement- : suivi une énumération de prénoms …).

C’est le quartier où Daphne Palasi Andreades a grandi. Elle le connait très bien et elle a voulu rendre hommage à ses habitantes, en ne se polarisant pas sur une seule famille ni sur une seule génération. L’emploi de la première personne du pluriel donne davantage de puissance aux affirmations, et évite l’autocentrage. Le récit est très vivant, d’une écriture qui progresse comme un rap. Souvent les mots ou les expressions sont triplées, et reviennent comme un refrain, introduisant quelque chose de musical.

Les racines se heurtent aux diktats de la culture et des souhaits des parents pour qui L’éducation est le seul moyen de réussir  (p.40) alors que le mantra des filles, qui est écrit en majuscules pour bien signifier sa force c’est je ne veux pas rester moisir ici toute ma vie (p. 42). Tout le monde s’accordera sur un point, la nécessité de réussir à l’université, la meilleure possible, quitte à sortir du Queens. Mais quand elles ont échoué aux examens, l’art sera qualifié de planche de salut (p. 99) même si plus loin il deviendra notre prison (p. 120). Et à la moindre frustration et même sans occasion particulière ces « filles » se jettent sur les sucreries, en particulier les donuts qui les consolent de tout.

Tous les visages de la couverture paraissent se ressembler mais ils sont différents. Au fil du temps, celles qui se sont jurées de rester amies pour la vie verront leurs routes diverger. Bientôt il y aura Celles qui partent, celles qui restent (p. 113). Jusqu’à ce que certaines prennent conscience d’une amère réalité : Nous sommes des fantômes du futur (p. 190).

Le récit commence très tôt, alors qu’elles n’ont que 13 ans. Les filles deviendront mères à leur tour, et la mort surgira tôt pour quelques-unes.

J’ai beaucoup aimé ce voyage dans une culture que je ne connaissais que de loin, dans ce pays si particulier que sont les Etats-Unis, où il est normal de ne parler qu’une seule langue, l’anglais (je me souviendrai et reprendrai la blague de la p. 136 à ce sujet). Je vous laisse la savourer et apprécier combien l’auteure peut (aussi) faire preuve d’humour.

Daphne Palasi Andreades a grandi dans le Queens, au sein d’une famille d’immigrés philippins.  Mais, et c’est une des forces de son livre, elle n’a pas cherché à se focaliser sur la diaspora philippine mais sur tout ce qui peut concerner des filles (et des femmes) de couleur. Elle est cependant une des rares romancières d’origine philippine. Elle est diplômée de l’université de Columbia où elle a obtenu un master de « fine arts », soit un deuxième cycle en écriture créative, Elle nous offre ici un premier roman plein de promesse.

Les filles comme nous de Daphne Palais Andreades, traduit de l'américain par Emmanuelle Aronson, Les Escales, Collection Domaine étranger, en librairie depuis le 12 janvier 2023
Finaliste du Center for Fiction 2022 First Novel Prize

vendredi 21 avril 2023

Les tourmentés de Lucas Belvaux

Le sujet des Tourmentés est horrible et amoral mais les chapitres étant courts on se dit allez, je continue, encore un.

Et comme Lucas Belvaux sait bien écrire, et même très bien de toute évidence, en suivant le regard de chaque protagoniste, on ne lâchera pas le livre qui nous surprendra jusqu’au bout.
Dix ans que les deux hommes s’étaient perdus de vue et puis, d’un coup, ils se retrouvaient au détour d’une rue, face à face. Le hasard, paraît-il, fait bien les choses. S’il s’agissait de lui, il aurait mieux fait ce jour-là de se mêler de ce qui le regardait, mais il n’y était pour rien. Skender le comprendrait bientôt, ce n’est pas le hasard qui avait mis Max et Madame sur son chemin. Il le comprendrait bientôt.
L’auteur connait parfaitement les rapports de force et les enjeux politiques. Ses films l’ont amplement démontré. Il n’est pas différent en tant qu’écrivain et sa plume, toujours lyrique, porte le texte à la frange d'un surréalisme figuratif en opposant le blanc et le noir, l’orient et l’occident, le bien et le mal.

Memento mori, camarade. La formule qui remonte à l’Antiquité, aurait été dite par un esclave à un légionnaire, donc inversant le rapport de forces entre eux. Elle sera invoquée à plusieurs reprises.

Ce n’est pas tuer qui m’amuse (…) Je serai l’arbitre de leur folie (p. 40) prétend Max mais tiendra-t-il parole ? Plus le temps passe et plus je (Max) vois ce que je ne voulais pas voir. Ce que je ne voulais pas qu’il advienne, qui arrivera pourtant et qui me hantera jusqu’à mon dernier souffle, car leur histoire est la mienne, que je le veuille ou non (…). J’ai écrit son (Skender) histoire, j’en suis l’auteur, que je le veuille ou non (p. 330). 

On suit les affrontements qui ne sont peut-être qu’un jeu de dupes, dont on est nous-mêmes crédules, car on prend parti à propos de qui devrait l’emporter dans ce pacte à la vie, à la mort, qui va déraper, avec audace. Alors on revient sur notre opinion, on se range dans le camp adverse, avant de reconsidérer notre avis.

Que vaut la vie d’un homme ? Qui mérite d’être sacrifié et au nom de quoi après tout ?
La rédemption est-elle un concept désuet où reste-t-elle envisageable ? Une fin heureuse est-elle possible ?
Jusqu’où est-on engagé dans un contrat ? Peut-on invoquer une clause de renoncement ?

Max et Skender ont commis l’horrible, l’indicible. Ils ont fait ou laissé faire, même s’ils se chamaillent sur ce point il n’y a pas de pardon possible aux exactions auxquelles ils ont participé, comme acteur ou spectateur volontaire. L’intrigue nous met sous tension, dans une construction parfaitement maîtrisée, jamais manipulatrice du lecteur qui conserve son libre-arbitre et qui révèlera une humanité surprenante jusqu’au dernier mot.

Le style est excellent, parfois lyrique, mais jamais trop, par exemple quand Skender exprime la volonté de leur (leur, ce sont ses enfants) donner les armes pour aimer plutôt que se battre (p. 286). Ou dans la description de la maison des Corbières, dans le pays des Cathares, le pays des « bons hommes » (p. 148). Qui n’aurait pas envie de s’y installer sans délai ?  Et encore dans la description quasi romantique du terrain de chasse (p. 152).

Lyrique donc, mais aussi poétique. Comme ici par exemple : Skender prit ma main ou peut-être ai-je pris la sienne (p. 273) qui reviendra régulièrement en leitmotiv comme dans un poème en prose.

L’auteur ne s’interdit pas quelques touches d’humour. Quand Max annonce le départ pour les Carpates Skender répond joyeusement on se carapate (p. 150).

L’écriture est chorale, toute en subtilité comme un fil qui ne noue d’un personnage à l’autre, développant une pensée collaborative. D’ailleurs Max et Skender lisent l’un et l’autre dans leurs pensées. Belvaux tisse une toile autour de ses personnages. Ils sont 6 à être pris dans la nasse car il ne faut oublier ni Madame, ni l’ex-compagne de Skender, ni leurs deux enfants. Et on remarquera que la moitié des protagonistes sont désignés par un prénom ou un surnom qui commence par un M.

Sont-ils alors si radicalement différents que ce qu’on perçoit dans les premiers chapitres ? Max comme Skender, et même Madame aurait pu penser ceci, à un moment ou un autre du récit : Besoin de se sentir utile, de protéger, de me protéger. (…) J’accepte la réalité comme elle est et je n’ai plus peur depuis longtemps, c’est tout. Plus peur de rien. Ni de mourir, ni de souffrir (…) Je n’attends rien des jours qui viennent, je ne les crains pas non plus. Je me contente de les vivre, acceptant ce que chacun m’apporte (p. 50).

Chacun a des motivations « respectables ». Ainsi Madame relate qu’il (Skender) a demandé trois millions. Cette discussion ne m’intéresse plus. Elle est obscène, comme s’il se vendait, que je l’achetais. Il n’est pas question de ça. Pas d’argent. Il est question de vie et de mort. Je n’ai pas envie de marchander. Passons à autre chose. Vite. Alors elle accepte le marché : - D’accord. Trois millions (p. 94).

Trois millions en échange de sa vie (je ne spoile pas grand chose). La somme pourra-t-elle compenser l’amour qu’il n’a pas donné à ses enfants (p. 154) ?

Lucas Belvaux aura-t-il l’intention d’en écrire le scénario ? On sait qu’il en a toutes les capacités. Il attend peut-être que nous en manifestions l’envie. Ce serait dans la continuité du film consacré à la guerre d’Algérie Des hommes. Quoiqu’il en soit il faut saluer la naissance d’un écrivain et souhaiter qu’il poursuive sur cette voie où il est déjà salué par les plus grands auteurs contemporains.

Né à Namur en 1961, Lucas Belvaux est acteur, réalisateur et scénariste. Pour le cinéma, il a réalisé plus d’une dizaine de films dont La Raison du plus faible (2006), Rapt (2009), 38 témoins (2012), Pas son genre (2014), Chez nous (2017), Des hommes (2020). Les Tourmentés est son premier roman.

Les Tourmentés de Lucas Belvaux, Alma éditeur, en librairie depuis 19 août 2022
Prix Régine Deforges du premier roman
Prix Claude Chabrol 2023

jeudi 20 avril 2023

Anima de Noémie Goudal et Maëlle Poésy

Je n’avais pas pu voir Anima au dernier festival d’Avignon, en juillet 2022, car la jauge de ce spectacle était réduite au regard du nombre de demandes. La déception était atténuée par l’espoir d’assister à une représentation sur Antony puisque Maëlle Poésy étant artiste associée à L’Azimut, Anima serait programmé au Théâtre Firmin Gémier Patrick Devedjian d’Antony (92).

J’étais prévenue. C’est un spectacle segmentant qu’un spectateur sur deux plébiscite ou horripile. A moins de rassembler un public averti comme celui qui fut tant enthousiaste fin mars au Centre Pompidou.

J’ignorais si j’allais adorer ou détester mais rien ne pouvait tempérer mon intention. Surtout avec la collaboration artistique des deux Chloé, Chloé Moglia qui m’avait subjuguée lors de la première représentation qui eut lieu dans ce théâtre Devedjan et bien sûr Chloé Thévenin dont la musique m’avait tant touchée lors de l’inauguration de la Scala Provence, pendant le sus-dit festival.

Chacun s’arrête sur ce qui le touche. Certains auront entendu des cigales. J’ai d’emblée reconnu les cris des singes hurleurs qui m’avaient impressionnée dans la cité maya de Calakmul, au sud du Mexique. C’est vous dire aussi combien les palmiers me sont habituels.

Si Maëlle Poésy a tendance à préférer que le spectacle soit donné en extérieur je dois dire que la salle dans laquelle nous sommes entrés s’y prêtait bien. Le fait de ne pas voir le ciel instaure une impression de boite noire sur laquelle un couvercle aurait été posé (je vérifierai plusieurs fois, mais sans rien percevoir de tel), comme une cinquième dimension. Je n’avais jamais pensé jusque là que le plafond pouvait constituer une sorte de « cinquième mur ». Le dispositif est saisissant même s’il aurait été préférable de retirer les fauteuils des deux premiers rangs afin de ne pas avoir la sensation d’avoir le nez dans l’image centrale.

On découvre, sur trois écrans géants, un film (des films ?) de la photographe et vidéaste Noémie Goudal et de la metteuse en scène Maëlle Poésy, tournés spécialement à mi-chemin entre réalité et fiction pour cette création et inspirés de la paléo-climatologie, une discipline qui étudie les transformations de notre planète à travers les âges. Assise au second rang, ma nuque ne cessa de faire des allers-retours entre jardin et cour pour saisir un changement infime que très vite j’ai remarqué, au rythme d’une respiration.
J’apprécie de ne pas souffrir du souffle glacial du mistral comme il arrive qu’il balaie Avignon et aussi sans les particules de cendre qui se sont abattues l’été dernier sur la cour de l’hôtel de Montfaucon où est installée la Collection Lambert lors des épisodes incendiaires qui ont sévi dans les collines voisines, et qui, sans doute, ont dû renforcer l’effet de certains moments.

mercredi 19 avril 2023

La mécanique des émotions d'Eugénie Ravon

Le propos d'Eugénie Ravon est très intéressant : s'intéresser plus généralement aux émotions ambivalentes, paradoxales et équivoques qui peuvent nous traverser lors des grandes étapes de notre vie comme les enterrements, les séparations, les deuils.

Les comédiens qu'elle a choisis pour l'accompagner dans cette aventure sont tous très talentueux. La plupart ont travaillé avec de grands metteurs en scène. Nathalie Bigorre avec Philippe Adrien, Jules Garreau avec Bellorini, Philippe Gouin avec Omar Porras … La plupart sont autant chanteurs que comédiens et danseurs. Philippe est même aussi un excellent pianiste.

J'aime beaucoup le nom qu'elle a donné à son collectif, La taille de mon âme, en référence sans doute à la si belle chanson de Daniel Darc qui conclut après avoir énuméré chacun de ses organes, si seulement tu savais la taille de mon âme.

Je suis venue voir La mécanique des émotions dans le très confortable « petit théâtre » du chaleureux TSQY de Montigny-le-Bretonneux. Je suis très respectueuse de sa propre expérience, l'accident vasculaire cérébral qu'elle a subi à la naissance de sa fille. Et bien que je ne sois pas très fan de l'usage des micros HF (les artistes qui se produisent au festival d’Avignon en savent quelque chose) je suis devenue plus tolérante à cet égard, à condition qu'ils soient parfaitement réglés par un ingénieur du son module la puissance de manière à ce que le spectateur ne reçoive pas les décibels mais précisément l'émotion portée par le texte.

Vous aurez compris que j'ai été déçue … Et pourtant que de bonnes idées, avec le glissement récurrent d'un registre à un autre, la variété des adresses et le traitement de la musique. Mais il m’a semblé que la dramaturgie du spectacle ne s’appuyait pas sur beaucoup de « nos » émotions, essentiellement le rire que l’on partage avec la metteuse en scène à la fin de la première séquence.

Ça commençait d'ailleurs très bien, par une séquence quasi pédagogique, menée de main de maitre par Philippe Gouin, fort instructive à propos de la note lacrymale, cet accord qui, invariablement provoque l’émotion quand nous l’entendons, que ce soit dans une chanson de Gloria Gaynor, Claude François ou Adèle… ou de bien d’autres artistes de la variété occidentale. Ce comédien qui prend souvent le costume de Monsieur Loyal apporte beaucoup de fraicheur dans le spectacle et chacune de ses interventions en solo aura marqué le public.
Sa première scène est interrompue par les rires d’Eugénie Ravon qui descend les gradins pour partager son histoire personnelle et place au théâtre … mais j'ai couru après le fil dramatique tout au long de la suite du spectacle, peut-être parce que, souvent, les paroles ne me parvenaient pas suffisamment distinctement, si bien que malgré de belles images et des chorégraphies très léchées il fut de plus en plus difficile de décoder de quelles émotions on voulait me parler. Un comble.

Alors que le personnage d’Eugénie souffre sur son lit d’hôpital, maltraitée par une équipe de docteurs Mabuse aux gestes et mimiques loufoques, une de ses amies (Morgane Bontemps) est amoureuse de quelqu’un avec lequel elle a rompu mais qu’elle espionne (j’apprends le terme stalking) via les réseaux sociaux mais elle ira jusqu’en Islande pour tenter de le retrouver, sous les encouragements d’Eugénie et d’une troisième meilleure amie (Magaly Godenaire) qui, lorsqu’il s’agit d’elle, restera ultra réservée, voire mutique, se défendant de devoir dire toute la vérité, en prétextant le mensonge salutaire.

La mère (Nathalie Bigorre) semble folle à lier, incapable spontanément d’amour maternel. L’infirmier (Jules Garreau) se métamorphose en souris sous l’effet de ses fantasmes ou de l’absorption de quelque substance … car on ne saisit pas le rapport avec la situation de départ, l’AVC de la jeune femme. Mais on aura beaucoup dansé … souvent je salue au passage le travail de la chorégraphe Garance Silve).
J’ai cru que le spectacle souffrait d’un manque de dramaturgie mais je dois me tromper puisque c’est l’excellent auteur et dramaturge Kevin Keiss qui s’y est attelé. 

Eugénie Ravon affirme pratiquer un théâtre fondé sur l’art de l’acteur. Avec sept partenaires de jeu qui ont entre 30 et 60 ans et dont la virtuosité d’incarnation les rend capables de passer d’un registre très intime à une grande puissance de théâtralité, capables aussi de faire affleurer l’humour dans les larmes et la joie dans le tragique. (…)

J'ai perçu l'humour, très souvent, et je l'ai apprécié, beaucoup moins la joie, et finalement le tragique n'est pas arrivé jusqu'à moi. Il a dû se fracasser contre le quatrième mur.
La mécanique des émotions
Conception et mise en scène Eugénie Ravon avec la collaboration de Kevin Keiss
Avec Nathalie Bigorre, Morgane Bontemps, Stéphane Brel, Jules Garreau, Magaly Godenaire, Philippe Gouin, Eugénie Ravon
Scénographie Emmanuel Clolus
Création lumière Pascal Noël
Création sonore Colombine Jacquemont
Création costumes Elisabeth Cerqueira
Les photos qui ne sont pas logotypées À bride abattue sont de © Patrice Leiva

mardi 18 avril 2023

Le grand sommeil mis en scène par Marion Siéfert, avec Helena de Laurens

Quelle chance avons-nous que Marion Siéfert puisse proposer quelques représentations du "Grand Sommeil" au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au vendredi 21 avril 2023 !

Créé en 2018, il est interprété par la fabuleuse Helena de Laurens qui est autant comédienne que danseuse, presque contorsionniste, sans le moindre décor, si ce n’est l’immense scène des Bouffes du Nord qu’elle occupe pleinement.

Cela ne se raconte pas. Ça se voit, se vit, se ressent.

Ça commence à plein tube avec Bitch better have my money de Rihanna, un morceau trap qui porte à merveille les déhanchés hip-hop de cette fille en rouge sur fond rouge qui devient derviche tourneur avant de se faire oiseau, mutine, gamine effrontée d’une cour de récréation, adulte sévère … On ne perd pas une miette de cette prestation hors normes et inoubliable même si elle n’est pas vraiment racontable.
Ce devait à l’origine être un duo entre Héléna et Jeanne, mais au fil des répétitions, l’engagement a semblé trop important pour les parents qui ont refusé que leur fille de 11 ans soit sur scène, physiquement du moins, car Héléna assume au final les deux rôles. Ce qui aurait pu nuire au spectacle a constitué un atout et a contribué à sa spécificité, son originalité et sa force.

Héléna se saisit de la parole de l’enfant tout en exprimant la sienne, et tous les personnages dont parle Jeanne. Elle est dans le jeu permanent. Le corps semble détaché de la voix. Et nous, en tant que spectateurs, ne savons pas (pas encore) si la femme-enfant qui se déhanche devant nous est naturelle ou provoquante, si lorsqu’elle fait tournoyer son sac comme un marteau elle ne va pas soudain le lâcher et le propulser à la tête des spectateurs.
On hésite un huitième de seconde sur le parti à prendre mais la comédienne a déjà modifié sa trajectoire et installé avec nous un rapport de confiance qui nous place dans l’empathie et l’acceptation de sa folie furieuse. Nous sommes prêts à voir toutes les choses dérangeantes qui ne pourrait pas être dites.

La jeune Jeanne dans le corps de la grande Héléna donne un être hybride, qui n’est jamais tout à fait l’une ni tout à fait l’autre, que la metteuse en scène désigne sous le terme de « l’enfant grande ». Auquel le spectateur a le sentiment de tenir la main, pour l’encourager à mettre en gestes les images de ce qu’elle a traversé, et de ses fantasmes aussi. Et pour être certaine qu’on le comprenne bien, Marion Siéfert a choisi comme seconde et dernière musique S&M, encore un titre de Rihanna, qui fait référence au sado-masochisme. La petite fille n’est pas une sage enfant, on s’en serait douté.
Le titre reste pour moi un mystère mais peu m’importe. J’ai assisté à une sorte de réalité augmentée et je suis impatiente de voir la prochaine création de cette metteuse en scène qui ose (aussi) s’affirmer totalement autodidacte, n’ayant aucun mal à prévenir qu’elle a été refusée de plusieurs écoles, mais qu’elle a beaucoup regardé, s'est inspiré de son vécu, de musique, de films, de livres, et de rencontres … bref ce qu’on appelle l’école de la vie.

Cet enseignement l’a manifestement amenée à régler ses comptes (mais qui n’en a pas) avec sa famille. Le spectacle qui a suivi, intitulé _jeanne_dark_, était inspiré de sa propre adolescence orléanaise (et on appréciera le jeu de mots avec celui de l’héroïne historique et la référence au mystère et à la part d’ombre du personnage). Il est probable que Daddy sera encore un niveau au-dessus.

Elle en a peut-être aussi (des comptes) à régler avec le théâtre contemporain (qui ne l’a pas acceptée comme élève dans ses grandes écoles) et qu’elle dit vouloir dynamiter (le mot est d’elle). Il est vrai qu’elle en explose les limites, mais avec un tel sens artistique qu’il ne fait aucun doute que ce qu’elle produit en est … du théâtre.

Dans un mois, Marion Siéfert donnera "Daddy" au Théâtre de Odéon - Théâtre de l'Europe du 9 au 21 mai 2023. Continuera-t-elle son opération de sabotage ? Nous verrons bien. En attendant ne manquez pas son Grand sommeil. La performance d’Helena de Laurens y est exceptionnelle. Je ne pensais pas qu’on puisse à ce point et avec cette intensité jouer et danser tout à la fois. Le public, debout, était d’accord avec moi. Sur ce point, Marion Siéfert, qui adore diviser, n’aura réussi qu’à faire l’unanimité.
Le grand sommeil, conception, texte et mise en scène Marion Siéfert
Chorégraphie Helena de Laurens et Marion Siéfert
Collaboration artistique et interprétation Helena de Laurens
Scénographie & assistanat à la mise en scène Marine Brosse
Création lumières Marie-Sol Kim, Juliette Romens
Création sonore Johannes Van Bebber
Costumes Valentine Solé
Du mercredi 12 au vendredi 21 avril 2023
Du mardi au samedi à 20 heures
Aux Bouffes du Nord
37 (bis), boulevard de La Chapelle 75010 Paris - réservations 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com
Les photos qui ne sont pas logotypées À bride abattue sont de © Matthieu Bareyre

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