Voilà ma dernière lecture de ce Prix des lecteurs de la ville d'Antony (92). Grand frère traite de sujets éminemment actuels comme l’immigration et la radicalisation. Ce n'est pas nouveau. J'ai souvent pensé à la pièce de théâtre, Lettre à Nour qui aborde le même thème, en apportant un point de vue féminin sur la question.
Mahier Guven a imaginé un roman qui n'est pas une autobiographie ni un témoignage (ou pouvant se comprendre comme tel).
Ecrit dans la langue des banlieues et néanmoins facile à comprendre (un lexique figure néanmoins à la fin), ce livre a beaucoup de qualités justifiant l'obtention du Goncourt du premier roman 2018 et du Prix Régine Deforges du premier roman 2018, pour ne citer que ceux là.
Parce qu'il est précis, facile à lire, très bien documenté, un soupçon thriller, et qu'il va plus loin en abordant également des questions sociétales comme la reconnaissance des diplômes et l’ubérisation, phénomène qui risque d'ailleurs d'impacter d'autres domaines que les courses en taxi.
Le lecteur est pris en tenaille entre la position de celui qui est désigné sous le terme de Grand frère (qui n'est pas toujours l'expression de la sagesse) et celle du petit frère (qui n'est pas systématiquement un rebelle). Chacun s'exprime à tour de rôle et il faut reconnaitre que l'un comme l'autre avance des arguments qui se tiennent.
Le plus jeune adore son métier d'infirmier et assume les responsabilités croissantes que l'hôpital lui confie, même s'il n'a pas les diplômes requis, y compris jusqu'à assurer (certes pas seul) une transplantation cardiaque. Jusqu'à ce que le manque de reconnaissance le fasse craquer : Ça me rendait dingue de recevoir des ordres de types moins bien câblés au cerveau, mais qui avaient le diplôme. Dans ce pays, les gens comme moi n’ont pas leur place sous le soleil des belles études (p. 14).
Vous l'aurez deviné, il va mûrir le projet de partir au cham (au pays, en l’occurrence en Syrie), sans penser un instant qu'il va se faire "embrigader" même s'il est conscient du contexte : Bien sûr je savais que c'était une guerre, mais est-ce que j'étais obligé de tuer pour contribuer à rendre le monde meilleur ? (p.49).
C'est un idéaliste. Il hésite peu : La peur de rater quelque chose t’attire comme un aimant. Dans le doute tu y vas (p.11).
Son départ est soigneusement préparé, dans le secret. Il est convaincu qu'il sera infirmier pour une organisation humanitaire musulmane, et ne donne plus aucune nouvelle à sa famille. Ce silence ronge son frère (et son père bien que celui-ci n'exprime pas dans le roman une parole directe), suspendus à la question restée pour eux sans réponse : pourquoi est-il parti ?
Le (grand) frère n'est pas son exact contraire. Il est chauffeur de VTC, branché en permanence sur la radio, ruminant sur sa vie et le monde qui s’offre à lui de l’autre côté du pare-brise. Ses réflexions sont pertinentes et souvent amères. Son jugement sur la presse est sans concession : Les journalistes, ils ont la cataracte (p.36). Il leur reproche de ne plus sortir plus de leurs bureaux, de se satisfaire de répéter ce qu'il a lu, entendu... sinon, soit dit en passant, les bloggeurs n'auraient jamais pris la place qu'ils occupent désormais ... même si eux aussi commencent à se laisser contaminer par une certaine paresse quant à l'investigation.
Le lecteur s'aperçoit qu'il compose avec sa conscience. Il est amené à jouer un rôle d'indic avec la police : Ils fermaient les yeux sur mon passé, et moi j'ouvrais mes oreilles pour sauver leur futur (p.90).
On comprend vite dans quelle alternative il se trouve lorsque son frère est de retour en France. Depuis les attentats de Charlie, c'est fini, plus de doutes pour les autorités, on ne revient pas de Syrie par hasard (p.83).
En suivant le raisonnement de l'un puis de l'autre, le lecteur a le sentiment (l'espoir ?) qu'ils soient sur la même longueur d'onde. Il a raison celui qui, surpris de ce qu’elle réserve, estime que La vie est dingue, toujours (p.14). L'autre aussi n'a pas tort de trouver "délirantes" pas mal de choses comme le pouce de César (p.156).
Le sujet est grave et toujours présent à l'esprit mais Mahir Guven le traite avec une gravité empreinte d'humour, riche de références : Dans la vie il y a ceux qui portent le flingue et ceux qui creusent, toi tu creuses, cette phrase du Bon, la brute et le truand, frérot, résonne dans mes oreilles (p.168).
Un soir la confidence est lâchée : Ça va péter la semaine prochaine. Je ne sais pas ni qui, ni où, ni quand (p.81). Une course contre la montre s'engage. Le récit devient haletant, digne des meilleurs films d'action ... et on se demande ce qu'on aurait fait à la place du grand comme du petit.
Parce que la vie est une somme de "si" (p.233). Il ne faut jamais l'oublier.
Parce qu'il est précis, facile à lire, très bien documenté, un soupçon thriller, et qu'il va plus loin en abordant également des questions sociétales comme la reconnaissance des diplômes et l’ubérisation, phénomène qui risque d'ailleurs d'impacter d'autres domaines que les courses en taxi.
Le lecteur est pris en tenaille entre la position de celui qui est désigné sous le terme de Grand frère (qui n'est pas toujours l'expression de la sagesse) et celle du petit frère (qui n'est pas systématiquement un rebelle). Chacun s'exprime à tour de rôle et il faut reconnaitre que l'un comme l'autre avance des arguments qui se tiennent.
Le plus jeune adore son métier d'infirmier et assume les responsabilités croissantes que l'hôpital lui confie, même s'il n'a pas les diplômes requis, y compris jusqu'à assurer (certes pas seul) une transplantation cardiaque. Jusqu'à ce que le manque de reconnaissance le fasse craquer : Ça me rendait dingue de recevoir des ordres de types moins bien câblés au cerveau, mais qui avaient le diplôme. Dans ce pays, les gens comme moi n’ont pas leur place sous le soleil des belles études (p. 14).
Vous l'aurez deviné, il va mûrir le projet de partir au cham (au pays, en l’occurrence en Syrie), sans penser un instant qu'il va se faire "embrigader" même s'il est conscient du contexte : Bien sûr je savais que c'était une guerre, mais est-ce que j'étais obligé de tuer pour contribuer à rendre le monde meilleur ? (p.49).
C'est un idéaliste. Il hésite peu : La peur de rater quelque chose t’attire comme un aimant. Dans le doute tu y vas (p.11).
Son départ est soigneusement préparé, dans le secret. Il est convaincu qu'il sera infirmier pour une organisation humanitaire musulmane, et ne donne plus aucune nouvelle à sa famille. Ce silence ronge son frère (et son père bien que celui-ci n'exprime pas dans le roman une parole directe), suspendus à la question restée pour eux sans réponse : pourquoi est-il parti ?
Le (grand) frère n'est pas son exact contraire. Il est chauffeur de VTC, branché en permanence sur la radio, ruminant sur sa vie et le monde qui s’offre à lui de l’autre côté du pare-brise. Ses réflexions sont pertinentes et souvent amères. Son jugement sur la presse est sans concession : Les journalistes, ils ont la cataracte (p.36). Il leur reproche de ne plus sortir plus de leurs bureaux, de se satisfaire de répéter ce qu'il a lu, entendu... sinon, soit dit en passant, les bloggeurs n'auraient jamais pris la place qu'ils occupent désormais ... même si eux aussi commencent à se laisser contaminer par une certaine paresse quant à l'investigation.
Le lecteur s'aperçoit qu'il compose avec sa conscience. Il est amené à jouer un rôle d'indic avec la police : Ils fermaient les yeux sur mon passé, et moi j'ouvrais mes oreilles pour sauver leur futur (p.90).
On comprend vite dans quelle alternative il se trouve lorsque son frère est de retour en France. Depuis les attentats de Charlie, c'est fini, plus de doutes pour les autorités, on ne revient pas de Syrie par hasard (p.83).
En suivant le raisonnement de l'un puis de l'autre, le lecteur a le sentiment (l'espoir ?) qu'ils soient sur la même longueur d'onde. Il a raison celui qui, surpris de ce qu’elle réserve, estime que La vie est dingue, toujours (p.14). L'autre aussi n'a pas tort de trouver "délirantes" pas mal de choses comme le pouce de César (p.156).
Le sujet est grave et toujours présent à l'esprit mais Mahir Guven le traite avec une gravité empreinte d'humour, riche de références : Dans la vie il y a ceux qui portent le flingue et ceux qui creusent, toi tu creuses, cette phrase du Bon, la brute et le truand, frérot, résonne dans mes oreilles (p.168).
Un soir la confidence est lâchée : Ça va péter la semaine prochaine. Je ne sais pas ni qui, ni où, ni quand (p.81). Une course contre la montre s'engage. Le récit devient haletant, digne des meilleurs films d'action ... et on se demande ce qu'on aurait fait à la place du grand comme du petit.
Parce que la vie est une somme de "si" (p.233). Il ne faut jamais l'oublier.
Grand frère de Mahir Guven chez Philippe Rey, octobre 2017, Goncourt du premier roman 2018