Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 29 juin 2023

L'huile d'olive crétoise

Il était un peu délicat de traiter le sujet de l’huile d’olive alors que sortait la grande enquête de 60 millions de consommateurs dénonçant de grandes marques, jusqu’à présent réputées. Je n’entrerai pas dans le débat, n’ayant pas les cartes en mains, mais je sais que ce produit est un des trois sur lesquels il faut être vigilant comme faisant le plus l’objet de contrefaçons.

La culture de l’olivier s’est imposée en Crète, bien avant la Grèce, et dès le début de l’âge de bronze … même si une légende voudrait que le premier olivier ait été offert aux hommes par Athéna, déesse de l’intelligence, qui l’a planté sur l’Acropole.

Ce sont des branches d'olivier qui composaient la couronne, consécration suprême des vainqueurs des Jeux olympiques.

On voit en Crète des arbres au tronc énorme. Ils sont centenaires et parfois même millénaires. Le plus vieux au monde, encore vivant, serait celui de Kavoussi, près d’Iraepetra, et compte 3500 ans.

mercredi 28 juin 2023

Les Confins d’Eliott de Gastines

Avec Les Confins Eliott de Gastines nous raconte une histoire de monde à l'envers, comme la couverture le suggère si habilement.

Paradoxalement, le roman commence par la fin au détriment  apparent d'un suspense quant à l'issue du retour de l'enfant du pays. La tension est forte mais le doute sur ce qui va se produire s’amenuise dès qu’on aborde la seconde partie. D'ailleurs y a t’il une vraie différence entre les deux parties ?

On apprend très vite que l'arrivée de Bruno Roussin s’inscrit dans un double dessein : l'écriture d'un roman et la vengeance (p. 73). On sait immédiatement que celle-ci sera terrible et dévastatrice. Sauvage comme le furent les habitants autrefois à l'égard de son grand-père, Pierre Roussin.

Les références à Stephen King sont évidentes, aussi bien à  Shining avec le personnage de gardien d'hôtel dans un bled paumé en montagne que par le début du roman qui démarre comme de la science-fiction ou disons de l’histoire-fiction.

Il est amusant de placer une carte au début pour aider le lecteur à repérer Les Confins, un hameau dont la quatrième de couverture nous prévient qu’il n’a jamais existé. Croyons-y le temps de l’histoire.

Il n'empêche que l'intrigue est passionnante car elle est construite sur fond de vérité historique quand  l’utopie des sports d’hiver pour tous s’imposait. Rien n’arrêterait les classes moyennes dans la course au standing (p. 17). Les stations de sports d'hiver se développent dans le cadre du Plan Neige, dont il résultera Tignes, La Plagne, et autres énormes complexes "nouveaux" à 2000 mètres d’altitude (p. 64). L'histoire est alimentée par les souvenirs personnels de l'auteur dont le grand-père s’est vu en grand entrepreneur pour construire un télécabine à la Clusaz. Qu'on se le dise néanmoins, et fort heureusement, le drame qu'il nous raconte est une pure fiction.
En 1964, le village des Confins promettait d’être une station de ski florissante. Vingt ans plus tard, il n’en reste qu’une station fantôme. Les installations – remonte-pentes qui ne mènent nulle part, gares de téléphérique inachevées – sont peuplées de spectres et traversées par les vents glacials de haute montagne.
La route, jugée trop dangereuse, est fermée à partir du mois de novembre. Juste avant, au début de hiver 1984 le fils du promoteur qui jadis vit en ces lieux un Eldorado blanc revient au pays. Au village, il n’y a plus qu’une trentaine d’habitants habitués à passer l’hiver reclus. La tempête se lève. Dès les premiers jours, les lignes téléphoniques sont hors d’usage.
La montagne en hiver est un cadre très inspirant pour construire un thriller qui avancera symétriquement comme un pont entre 1964 et 1984. Les hommes aimaient mieux rêver que réfléchir (p. 71). Pour sa part Pierre rêvait en réfléchissant et ce personnage aux multiples talents m’a séduite avec la description que l’auteur fait du projet. Par contre celui de Bruno n'a pas gagné ma sympathie malgré ses malheurs et son tempérament résolument obsessionnel abîmé (à qui l’enfer ne faut pas peur). .Il me faut aussi reconnaitre que, au bout de plusieurs chapitres, le thème de la vengeance m'a lassée et l'alcoolisme prononcé de ces montagnards m'a rebutée. Il manque un petit quelque chose qui ferait de ce roman un livre totalement abouti.

J'aurais pourtant adoré dire d’Eliott de Gastines qu’il a énormément de talent (même si p, 74 il estime que ce serait trop de responsabilité engagée). Trêve de plaisanterie, il a quand même beaucoup.

Eliott de Gastines n'en est pas tout à fait à sa première expérience littéraire. Il a travaillé comme concepteur-rédacteur publicitaire après des études de graphisme. Il a été lauréat du Prix du Jeune Écrivain en 2012.

Les Confins d’Eliott de Gastines, Flammarion, en librairie depuis le le 09 février 2022
Sortie en poche aux éditions J’ai lu

mardi 27 juin 2023

Patte blanche de Kinga Wyrzykowska

En empruntant l’expression chez La Fontaine, Kinga Wyrzykowska a choisi de nous raconter avec Patte blanche une histoire sous forme de fable. On s’attend donc à trouver une morale à la fin du roman.

Mais d’abord, elle campe les personnages d'une famille qui connait grandeur et décadence, et dont chacun a un travers à cacher.
Les Simart-Duteil ont marqué l'actualité comme étant une famille parfaite. Paul, Clothilde, Samuel ont été des enfants rois. Leur père, magnat des autoroutes au Moyen-Orient, leur mère, Italienne flamboyante, leur ont tout donné. Leur nom si français, leur maison flanquée d’une tourelle – comme dans les contes –, leur allure bon chic bon genre ont imprimé sur le papier glacé de la mémoire collective.

Jusqu'à ce qu'un jour, un frère caché écrive de Syrie pour réclamer sa part de l’héritage. Si "l’étranger" montre patte blanche… il n’est pas pour autant le bienvenu. Paul, dont la notoriété d’influenceur politique commence à exploser, décide de prendre en main le salut de son clan. Une lutte pour la survie de la cellule familiale se met en branle. 

La famille s'affichera alors à la page des faits divers, les signalant reclus dans leur manoir normand aux volets fermés. La façade se lézarde. Les failles intimes se réveillent. Les souvenirs remontent et, par écran interposé, le lecteur plonge dans la généalogie d’un huis clos.
L'écriture de l'auteure, dont c'est le premier roman, est autant nerveuse qu'intelligente. On retrouve dans ce livre nombre de sujets qui ont fait, et qui pour certains continuent, les choux gras des médias sociaux.

Il est question de followers à qui Clothilde, la fille, 1036 amis sur Facebook, raconte le moindre épisode de son quotidien sa vie plutôt que de les savourer avec ses enfants. Elle comptabilise les likes attribués  à des photos prises dans des poses ridicules, mais tant pis, il  faut de l’effet. Paul, le fils ainé, a fait son coming-out. Claude, le père, mène une double vie. Isabella, la mère est adepte de la chirurgie esthétique.

La vie pas très nette de la famille s'étale sur le Net. L'analyse de la futilité est judicieuse (p. 155). Les répliques sont truffées d'expressions anglaises. Très vite, le lecteur s'interroge sur la vérité des sentiments. Tout semble artificiel, même les suppliques polies mais intéressées du rejeton syrien.

L'histoire se passe en Normandie, à Yvetot, et on pense à Guy de Maupassant qui, lui aussi dressait de noirs portraits de la bourgeoisie.  On a aussi en tête des images de Festen, ce film danois co-écrit et réalisé par Thomas Vinterberg, Prix du jury à Cannes en 1998, qui a pour sujet la révélation de vérités difficiles à entendre …

Pierre Desproges aurait pu en être l'inspirateur. C'est caustique et caricatural mais comme aucun personnage n’attire la sympathie on ne va pas bouder notre plaisir. La crise révèle la nature profonde des gens (p. 243) et bientôt c'est un vrai jeu de massacre.

Éric Zeimour apparait fugacement, dans un train, contre la poitrine duquel Clothilde s’écroule. Le lecteur tremble un peu parce que les références aux attentats de Charlie et du Bataclan se profile en toile de fond, décrivant un climat social que nous avons connu et d'où émerge la peur de l'autre, sans que l'on ait la capacité à déterminer avec justesse de quel "autre" il y a le plus à craindre, surtout dans une communauté où personne ne veut rien perdre ni même partager.

Ce qui est également très réussi c'est la porosité entre les bons et les méchants. Ainsi Clotilde, qui cherche à bien faire améliore chaque recette avec des épices (pour y mettre sa patte écrit l’auteure). Mais lorsqu'elle le fait pour des sandwichs qu’elle distribue porte de La Chapelle à des migrants on le lui reprochera au motif que "la fantaisie peut créer du conflit et de l’incompréhension. Et puis pas trop de familiarité (lui conseille-t-on). Les gens ne sont pas des anges, vous savez, ni ici ni ailleurs. Ni eux ni vous" (p. 190).

Sans devenir paranoïaque comme les membres de cette famille, retenez l'astuce du paquet de chips -vide et propre- pour brouiller les ondes et protéger ses données (p. 240). Je conserve mon passeport dans un sachet métallisé depuis des années.

Je n'ai qu'un (petit) reproche à faire à Kinga Wyrzykowska, c'est l'emploi erroné de l'expression mariage pluvieux comme signe de bonheur (p. 192). Même des auteurs français, qui n'ont pas comme elle l'excuse d'être né en Pologne (en 1977) le font. Il ne s'agit pas de météo mais d'âge. Lorsqu'on se marie plus vieux on est censé avoir eu le temps de mieux choisir et par conséquence d'être davantage heureux.

Patte blanche de Kinga Wyrzykowska, éditions du Seuil, en librairie depuis le 18 aout 2022
Prix Françoise Sagan 2023 

lundi 26 juin 2023

Vers la violence de Blandine Rinkel

Je ne sais pas si j’aurais lu Vers la violence s’il n’avait pas été reçu le Grand Prix des Lectrices de ELLE. Ayant été jurée une année, je suis toujours curieuse du palmarès de ce prix qui me semble particulièrement objectif.

Je ne connaissais pas Blandine Rinkel. A 32 ans elle a pourtant déjà publié deux romans, à un rythme plutôt soutenuL’Abandon des prétentions (2017) et Le Nom secret des choses (2019), C’est, je crois, le titre de son troisième roman qui ne m’aurait pas encouragée.
Fort et fantaisiste, Gérard illumine l'enfance de sa fille, Lou. Mais il traîne avec lui des secrets et des fantômes. Est-ce de là que surgissent ses subits accès de cruauté, qui exercent sur Lou fascination et terreur?
Vers la violence rappelle comment nos héritages nous façonnent, entre chance et malédiction.
L’héroïne a donné à sa compagnie de danse le nom de La Meute et elle s’appelle Lou. On ne peut pas éviter de songer que ce prénom colle plutôt bien avec l'animal qui figure sur la couverture. Egalement que le type de danse qu'elle a choisi le Krump, (très bien analysé p. 213 ) n'est pas sans lien avec la violence même s'il la dénonce. Je remarque aussi que Blandine est le nom d’une sainte qui fut livrée à la voracité d’animaux sauvages, ours, sangliers, taureaux, lynx et bien entendu aussi de loups mais ceux-ci ne l’ont pas touchée. Son martyre n’en fut pas moins cruel mais dirigé par des hommes.

Quoiqu’il en soit, la narratrice raconte, de son enfance à l’âge adulte, combien le personnage de son père la façonne et conditionne ses choix, jusqu’à ce qu’elle s’en libère, si bien qu’à la fin le lecteur ne pourra pas trancher entre ce qui aura relevé de la malédiction et de la chance.

De l'enfance à l’âge adulte, Lou va découvrir et nous révéler une image de plus en plus précise de son père, Gérard. Un homme minable et violent. De lui elle écrit : il ne m’avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Pourtant j’héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J’héritais de lui l’absence, la joie et la violence. Au mieux, elle aura appris le sang-froid au contact d'un homme comme celui-là (p. 144).

L’imagination est plus importante que le savoir, les secrets plus précieux que les vérités (p. 95). Il n'empêche que c'est surtout parce qu'elle a une force de caractère hors du commun, innée ou acquise, la question se pose, que Lou va trouver son chemin. Et si nous n'avons pas le même parcours, plusieurs de ses réflexions peuvent faire écho en chacun de nous. Pour des raisons très personnelles ce qu'elle écrit à propos du rein me touche particulièrement (p. 314).

Le roman de Blandine Rinkel est formidablement bien structuré et justifie amplement l’obtention du prix.

Vers la violence de Blandine Rinkel, Fayard, en librairie depuis le 17 août 2022
Prix Méduse 2022
Grand Prix des Lectrices de ELLE 2023

samedi 24 juin 2023

TUTU par les Chicos Mambo

TUTU est ce qu'on appelle un spectacle culte et le qualificatif est amplement mérité. Vous le constaterez sans doute par vous même en visionnant la vidéo que j'ai jointe à la fin, même si on peut regretter qu'elle soit fortement sous-exposée. Les couleurs éclatent dans la salle sous les magnifiques pinceaux de lumières de Dominique Mabileau.

TUTU est une création de la compagnie Chicos Mambo qui a vu le jour il y a plus de 20 ans, en 1994 à Barcelone, suite à la rencontre de son directeur actuel Philippe Lafeuille avec deux danseurs : un catalan et un vénézuélien. Leur expérience et leur sens de la dérision ont donné naissance à l’esprit piquant des spectacles de la compagnie.

Après un succès prometteur avec la première création en Espagne et en France, le deuxième spectacle Méli-Mélo, créé en 1998, confère aux Chicos Mambo une renommée internationale jusqu’au Japon où il sera à l'affiche pendant 2 mois.

Méli-Mélo II sera présenté pour la première fois au Festival d’Avignon OFF en 2006 et remportera le prix du « Meilleur Spectacle International » au Festival Fringe d’Edimbourg. Il tournera régulièrement en Europe et Amérique du Nord jusqu’en 2013.

L'année suivante, Philippe Lafeuille imagine TUTU qui sera longtemps à l'affiche à Bobino. Il décrochera le prix du public « Danse » au 50ème Festival OFF du Festival d’Avignon en 2015 et le Prix de la reprise aux Trophées de la comédie musicale ce mois-ci en 2023. Au moins 500 000 spectateurs ont déjà assisté à une représentation dont le nombre dépasse les 600 dates et le public n’a pas fini de grandir.

Serait-il envisageable que ce spectacle ne vous plaise pas ? Ça commence doucement avec un air de boite à musique, comme celles qu’on déniche encore aux Puces et qui, lorsqu’on en soulève le couvercle, fait surgir une figurine en simple tutu blanc. La scène est en noir et blanc comme dans l’ancien temps.

Résonne ensuite la grande musique et nous découvrons un bouquet de tulle rose. Du floral on glisse dans l’animalier, et nous retrouverons cette figure de style à plusieurs reprises.
Les chorégraphies reprennent, en les détournant parfois, les codes de la danse classique et des ballets contemporains. Plus tard dans la soirée on sera surpris par l’évocation du style de la célèbre (et regrettée) Pina Bausch. Philippe Lafeuille a repris le principe de la ronde des danseuses, qu’elle faisait tourner en longue robe fluide, cheveux lâchés, sur la musique du Sacre du printemps en décalant le propos puisqu’il fait évoluer ses danseurs sur le morceau de violon Raquel de Bau en accentuant les mouvements capillaires et en leur demandant de prononcer quelques syllabes en langue germanique.

Par contre, il avait auparavant utilisé la musique du ballet de Stravisky pour en faire une sorte de danse infantile avec des danseurs en tutu-couche-culotte. La dérision est régulière mais jamais vulgaire et toujours au service du sourire, voire du rire alors que notre cerveau réalise combien il a fallu d’heures de travail pour en arriver à ce niveau de simplicité.

Voir les danseurs évoluer sur des pointes, exécuter des pas chassés et mimer un envol avec leurs bras nous semble totalement naturel. Ça ne se voit pourtant jamais sur la scène de l’Opéra. A peine a-t-on réalisé l’immensité de la prouesse que, par un effet d’illusion, on comprend qu’on assiste à une parodie dont, à la fin, on nous révèle le trucage en toute humilité.

Les danseurs mobilisent le moindre de leur muscle (et ils en ont !). Ils osent même danser de dos en demeurant gracieux. Leur corps entier est sollicité, jusqu’au bout des ongles. Les jeux de doigts sont fréquents, transformant les mains en becs de cygnes. Tulle ou plumes … l’illusion est revendiquée et réussie.

Les costumes participent à la construction des scènes. Les voici canards, exécutant des clowneries sur la musique de la Danse des cygnes, du lac des cygnes de Tchaikowsky. Puis en costume doré pour The sleeping beauty, du même compositeur. Après la valse, le tango sur Quejas de Bandonéon.

Quatre paires de jambes se croisent sur le Boléro de Ravel. Un seul interprète (Julien Mercier) évolue, pendu à une sangle sur  le rythme très soutenu de Easy Level de Itecz dans un numéro comme on pourrait en voir au Cirque su Soleil.
Le Danube bleu est dansé sur un rythme cubain. Et la rumba est prétexte à une évocation du concours télévisé Danse avec les stars en costumes paillettes.

Tous les styles de danse sont passés en revue, y compris des incursions dans l’univers du cirque, sur tous les styles de musique d’un très large répertoire. Outre Stravinsky, Tchaikowski, Johann Strauss, Camille Saint-Saens ou Ravel on a le plaisir d’entendre l’Etude en forme de Rythm and blues du Grand Orchestre de Paul Mauriat, The Time of my Life de Bill Medley et Jennifer Warnes (Dirty Dancing), les variations Goldberg,  et même … plus étonnant … la comptine Petit escargot. Ou encore The vegetable orchestra de Scoville avec des couvre-chefs en forme de fraise, chou-fleur, poivron, aubergine …
Tout est prétexte à délire, en restant respectueux de l’œuvre originale, et la salle ne cache pas sa joie. retour au calme avec le mélancolique Yumeji’s Them de In the mood for love avant une bataille de pompons filmée par une Zentaï.
Il n’y a pas à dire : c’est génial ! Ils restent au Théâtre libre jusqu’au 9 juillet mais je peux vous annoncer la bonne nouvelle : leur retour dans ce même théâtre du 8 au 26 novembre 2023 puis du 22 décembre au 4 février 2024.

J’aurai aussi le plaisir d’assister à  CAR/MEN (que je n’ai vu qu’en captation) qui revient du 14 décembre 2023 au 4 février 2024 … en attendant la nouvelle création qui s’appelle A4, encore un titre trouvé avec humour en référence au nom du concepteur.

   
Tutu : Conception / Chorégraphie : Philippe Lafeuille
Avec les danseurs : Marc Behra, David Guasgua M, Kamil Pawel Jasinski, Julien Mercier, Vincent Simon, Vincenzo Veneruso
Zentaï : Corinne Barbara
Conception lumières : Dominique Mabileau - Costumes : Corinne Petitpierre - Bande son : Antisten
Jusqu’au 9 juillet au Théâtre Libre 4 boulevard de Strasbourg - 75010 Paris 
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de © Chicos Mambo

vendredi 23 juin 2023

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea

Une nouvelle rentrée littéraire se profile alors que la précédente n’aura pas été éclusée. Parmi les livres que je m’étais promise de découvrir il y avait Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, premier roman de de Maria Larrea.

L’histoire commence en Espagne, par deux naissances et deux abandons. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon, Julian, qu’elle confie aux jésuites. Un peu plus tard, en Galice, une femme accouche d’une fille et la laisse aux sœurs d’un couvent. Elle revient la chercher dix ans après. Victoria est devenue belle comme le diable, et pourtant jamais sa mère ne l’aimera. La vie va lui rouler dessus, marche avant puis arrière (p. 159). Julian et Victoria seront le père et la mère de Maria, notre narratrice qui nous offre donc un roman parfaitement autobiographique.

Après une première partie consacrée aux enfances de ses parents et à la sienne Marie Larrea raconte la rencontre de ses parents et leur installation en France. Sa mère y sera femme de ménage et son père gardien du théâtre de la Michodière. Victoria est très silencieuse. Julian est alcoolique et violent. La narratrice commence des études de cinéma, tombe amoureuse, fonde un foyer.

Mais elle reste hantée par le mystère de ses origines. Le doute n’est plus permis lorsque qu’une cartomancienne lui annonce, après le tirage de 8 cartes que son père n’est probablement pas son père (p. 99). Elle a vingt-sept ans et va se battre pour trouver la vérité.

La seconde partie du livre est consacrée à son retour à Bilbao, la ville où elle est née. Les recherches seront fastidieuses, ponctuées de pauses. Finalement les analyses ADN et les spécialistes en généalogie semblent ne pas porter leurs fruits. La dédicace d’une écrivaine sera déterminante : We can change the story because we are the story (p. 188 ).

La jeune femme décidera alors : j’inventerai mon histoire (p. 215). De fait Maria Larrea va reconstituer le puzzle de sa mémoire familiale en dénouant un à un les fils des mensonges et pouvoir enfin devenir elle même.

Maria Larrea est la lauréate du prix du Premier roman 2022 et du prix Les Inrockuptibles du Premier roman 2022 et du Prix Roman France Télévision.

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea, Grasset, en librairie depuis le 17 août 2022

jeudi 22 juin 2023

Gala et moi de Mylène Desclaux

De cette auteure j’avais apprécié Les jeunes femmes de cinquante ans et je l’avais reçue sur les ondes de Needradio. C’est donc avec grand plaisir que j’ai commencé son premier roman Gala et moi.
Andréa, chef d’entreprise à succès et mère solo au bord de la crise de nerfs, élève seule sa fille Gala. Lorsque son adolescente lui échappe, jusqu’à se retrouver éjectée du système scolaire, elle décide de tout faire pour l’emmener jusqu’au baccalauréat, même s’il faut pour cela entreprendre une thérapie familiale, sacrifier sa vie amoureuse ou sa carrière.
Mylène Desclaux écrit toujours aussi bien, d’une plume alerte, et la lecture est plutôt addictive. On a envie de savoir quelle nouvelle péripétie sera infligée à cette maman solo qui fait de son mieux pour gérer (ce n’est peut-être pas le terme qui convient) une ado qui a tout de la pile électrique et qui n’est sympathique que lorsqu’elle est vue par les yeux d’une maman dont on a compris qu’elle l’aimait par dessus tout.

La môme a un sens de la repartie de la force d’un uppercut. Qui résisterait à toutes ses frasques ? Il y en a tant que je me suis dit que ça ne pouvait pas avoir été inventé et je me suis sentie en empathie avec Andréa dont je ne suis pas sûre qu’un garçon lui aurait causé moins de soucis.

Colère, douceur, chantage, tendresse, compréhension, respect de l'intimité et de la personnalité de l'autre … la maman abat toutes ses cartes sans parvenir à juguler une situation qui dérape constamment. Evidemment c’est drôle pour nous qui regardons le film dans le confort d’une vie plus calme. Je n’irai pas jusqu’à approuver le qualificatif de « jubilatoire » suggéré par l’éditeur parce qu’on ne peut qu’être du parti de la mère. Je souhaite de tout cœur que la part de l’invention soit majoritaire car franchement qui résisterait a autant de secousses, même si, tout bien considéré, la vie ne m’a pas vraiment épargnée non plus.

Ce que j’espère authentique à 100%, c’est l’amour qu’elle a pour sa fille et pour les gens en général (et qui avait déjà transpiré lors de notre rencontre).

Je n’ai aucun reproche à faire à ce roman que je souhaite être le premier d’une longue série. Par contre je ne suis pas fan de la couverture et j’ai dû prendre sur moi pour me lancer dedans. Il faut dire d’ailleurs que cet éditeur (dont j’apprécie très souvent les romans) me tente rarement par ses couvertures sauf lorsqu’il s’agit de photos. Il est vrai qu’après cette lecture l’illustration fournit des indices mais je la trouve guère valorisante On devine en tout cas que le jaune est la couleur préférée de l’auteure. Signe d’optimisme, encore une fois.

Gala et moi de Mylène Desclaux, JC Lattès, en librairie depuis le 17 mai 2023

mercredi 21 juin 2023

Le palais du roi Minos de Knossos

Venir à Héraklion sans visiter le musée archéologique serait stupide Ensuite on ne saurait zapper le site de Knossos puisque nous avons vu d’admirables reconstitution de fresques. Le désir de voir les choses in situ devient très fort.

Knossos ne se trouve qu’à 5 km du centre ville. On peut s’y rendre facilement en bus (n° 2) qui passe toutes les vingt minutes à proximité du musée. Le ticket coûte 2 € (il faut l’acheter au kiosque avant) et le trajet dure environ 20 minutes.

Quand on se rappelle de l'immense maquette vue au musée, on est surpris par le site, qui semble très enterré. Le palais a été dressé sur une éminence artificielle, dominant la vallée de Kairatos. Le dénivelé de terrain a été pleinement utilisé par l’architecte de l’époque, avec deux plans : l’aile à l’est est à un niveau inférieur à celui de la cour centrale et du reste de l’édifice. On saisit pourtant immédiatement l’ampleur du domaine, et cela d’autant plus qu’on sait que le palais du roi Minos et du Minotaure témoigne que les Minoens avaient tout inventé, de la pratique religieuse aux techniques agricoles en passant par les organisations politiques, militaires, sociales et le mécénat culturel.

Il faut dire aussi que désormais l'entrée est discrète. On a fermé l'accès par la voie royale bordant le théâtre, le long de la cour de l'agora (voir une des dernières photos de l'article) qui avait le mérite de permettre d' accéder à la fameuse façade occidentale décorative que l'on voit en illustration sur tous les guides (ci-contre).

Les premières traces de vie à Knossos remontent à 7000 av. J.-C. Alors que toute l’Europe vivait encore dans une civilisation protohistorique, les Crétois construisaient déjà des palais magnifiques et hiérarchisaient la société pour rendre le pouvoir total et légitime.

Pendant plus de 3 000 ans, les premiers habitants du site ont lentement perfectionné les outils en pierre et leur mode de vie, essentiellement tourné vers l’élevage et les cultures. Même s’il ne reste que peu de vestiges des maisons de briques, nous sommes assez bien renseignés sur la vie de ces premiers Crétois qui, peu à peu, acquirent la maîtrise de certains métaux.

Le premier palais, construit au milieu des maisons, a été édifié entre 3500 et 1900 av. J.-C., au nord-est du site. Il est très peu conservé car c’est sur ses ruines que s’est élevé l’édifice suivant. Doté de 1 300 pièces, il était le centre de toutes les activités politiques, religieuses, commerciales et culturelles de l’Etat. Il fut entièrement détruit vers 1700 av. J.-C., sans doute à la suite d’un incendie ou d’un tremblement de terre. Un nouveau palais plus grand et plus élaboré coïncidant avec l'apogée de la civilisation minoenne fut alors édifié sur les ruines du précédent.
Knossos est le plus impressionnant des palais minoens (22 000 m²) avec 1 300 pièces reliées par des couloirs autour d'une cour principale, 5 étages et un impressionnant propylée (entrée monumentale soutenue par 4 piliers). Il compta jusqu'à 15 000 habitants. Il est indispensable de faire appel à un guide agréé pour tenter d'en comprendre les principaux secrets.

Il était sophistiqué, avec des systèmes de drainage et des quarts enfoncés dans la terre, des maisons luxueuses d’une hauteur de cinq étages et des fresques ornant les murs. Finalement, il a lui aussi été frappé par un tremblement de terre et abandonné vers 1600 avant J.-C.

Par la suite les activités se sont organisées autour du palais, sans que celui-ci ne soit cependant reconstruit. Ses ruines acquirent un caractère sacré et c’est à cette époque que naquit sans doute le mythe du labyrinthe dans les dédales du site largement endommagé.

Selon la tradition, Dédale, le talentueux architecte, construisit à Knossos un palais immense et compliqué (appelé aussi labyrinthe) à la demande du roi Minos qui voulait y enfermer le Minotaure, homme à tête de taureau. Ce monstre, qui se nourrissait de chair humaine, était né de l’union de la reine Pasiphaé (la femme du roi Minos lui-même) avec un taureau blanc envoyé par Poséidon. Tous les neuf ans, les Athéniens devaient livrer sept garçons et sept filles pour satisfaire son appétit. Thésée, après avoir séduit Ariane, la fille de Minos, réussit à tuer le Minotaure et sortit du palais en vainqueur grâce au fameux fil d’Ariane qui lui permit de retrouver son chemin dans le labyrinthe.
Le symbole en est la double H. On remarque sur la photo que la partie droite est une reconstitution. Il faut à cet égard souligner l’énormité des restaurations (plus ou moins réussies et souvent controversées).

mardi 20 juin 2023

Notre santé est en jeu de Florence Boulenger et David Ghesquières

Je suis peu coutumière des essais et si j’ai eu envie de lire lui-ci c’est en raison de son sujet.

L’idée de proposer des solutions concrètes pour réinventer notre système de santé en donnant la parole à 40 personnalités et acteurs du monde médical m’a séduite parce qu’il me semble que les solutions seront plus pertinentes si elles viennent des premiers concernés.

Florence Boulenger et David Ghesquières ont analysé le discours de professionnels - médecin, infirmier, aide-soignant, sage-femme mais également directeurs administratifs ou membres associatifs. On note des célébrité parmi les intervenants : Boris Cyrulnik, Michaël Dandrieux, Martin Winckler, Isabelle Derrendinger...

Les points essentiels sont repris sous forme de verbatims. Il en ressort des propositions d'amélioration d'un système aujourd’hui fortement menacé alors qu’il avait été classé en 2000 par l'OMS parmi les meilleurs du monde.

Les auteurs ont raison de souligner que s’il tient encore alors qu’il est aujourd'hui à bout de souffle c’est parce que les soignants ont en commun l’amour du métier (p. 22).

Notre santé est en jeu, il faudrait être sourd ou inconscient pour ne pas s’inquiéter de l’avenir de notre système de santé. Rien que l’expression présuppose une sorte d’échaudage qui présage un équilibre précaire. La crise du Covid aurait agit comme révélatrice d’une crise qui de toutes façons ne pouvait que se produire.

lundi 19 juin 2023

Hazel de Sarah Koskievic

Encore un livre que j’ai découvert en avant-première grâce au Challenge Netgalley !

Le rouge de la couverture sur laquelle se détache un loup dévorant des fleurs m’avait mise en garde. Cette lecture serait un choc. Le doute n’était pas envisageable.

S’il m’était resté un doute infime la dédicace aurait achevé de le lever : … aux fêlées, aux cassées, aux déchues, aux maudites, aux damnées

Effectivement, l’écriture de Sarah Koskievic est de l’ordre du tatouage : incisive, elle marque, impressionne définitivement.
Hazel est une trentenaire désabusée en proie à des idées sombres qui traîne son autodestruction et morcelle son intégrité dans ses relations amoureuses. Elle s’automutile, boit et fume plus que de raison, mange très peu, danse beaucoup et se donne à des hommes le temps d’une nuit, comme de petits abandons volontaires qui la dépossèdent d’elle un peu plus à chaque fois.
Jusqu’au jour où elle rencontre Ian. L’attraction est immédiate, irrépressible. Pourtant cette histoire d’amour est vouée à l’échec. Jusqu’à sa fin… inattendue.
Le roman donne la parole à plusieurs personnages et cet aspect choral confère une dimension supplémentaire à ce livre en relançant constamment l’attention du lecteur et en permettant de suivre les scènes sous des angles différents, à la manière d’un kaléidoscope.

Une playlist (décidément cela devient banal) est donnée mais cette fois elle figure intelligemment au début du roman.

Sarah Koskievic est journaliste. Après plusieurs années à travailler pour la presse écrite, elle est partie en Israël pour occuper le poste de rédactrice en chef d’une émission d’information. De retour en France, elle collabore notamment avec Les Inrocks, Vice, Causette, Uzbek&Rica. Elle est aujourd’hui la productrice éditoriale du podcast « Transfert » (Slate), l’un des podcasts les plus écoutés en France.

Avec ce nouveau roman, qui fait suite à La meute, elle affirme son style. On est tenté de la comparer à Virginie Despentes mais sa puissance est toute personnelle. On pourrait tout autant dire qu’il y a du Luc Besson et du Jean-Jacques Benneix derrière de nombreuses scènes.

Je ne me suis ni reconnue, ni projetée dans le personnage féminin principal qui donne son nom au roman. Comme quoi ce n’est pas une condition indispensable pour dévorer et apprécier un livre. C’est l’art de la romancière de nous placer en empathie à son propos. Hazel nous parle sans détour et quand elle exprime (p. 48) j’aurais voulu changer ce monde qui me consume, ce monde qui ne me comprend pas et que je comprends encore moins, comment ne pas compatir ?

Le titre choisi pour accompagner ce moment, La nuit je mens de Bashung est particulièrement à propos.

Hazel est excessive mais touchante, et jamais plaintive, reconnaissant à la fois qu’elle ne supporte plus les gens heureux (p. 126) et qu’elle s’est créé son propre mythe de Sisyphe (p. 149). Son petit ami, Romain, est en phase avec elle, estimant qu’elle est victime d’un vide que rien ne peut combler et son féminisme vengeur et assassin (p. 91).

A certains moments l’écriture de l’auteure a presque des accents poétiques. Ainsi par exemple p. 152 :
Aujourd’hui, j’ai du mal à me souvenir si tout cela s’est vraiment produit. 
Peut-être que c’est seulement le fruit de mon imagination. 
Acta fabula est.

Aucun doute que Sarah Koskievic aura réussi à maintenir la tension narrative jusqu’au bout et qu’elle saura encore nous surprendre dans ses prochains romans. 

Hazel de Sarah Koskievic Editions de la Martinière, à paraître le 25 août 2023
Lu en version numérique de 181 pages

dimanche 18 juin 2023

Le monastère de Toplou en Crète

Après le musée archéologique d’Heraklion et avant le Palais de Knossos, voici le Saint Monastère de Toplou.

Il a été fondé au 14ème siècle et il est situé à la pointe orientale de la Crète à une quinzaine de kilomètres de Sitia qui est une des zones vinicoles les plus importantes de Crète.

Les moines élaborent l’une des meilleures huiles d’olive (biologique de surcroît) de Crète et poursuivent la culture de la vigne sans utilisation de pesticides sur 350 acres. Leurs vins sont réputés, particulièrement le blanc.

Ils seraient vinifiés dans des installations modernes avec un haut savoir-faire mais je ne peux en attester puisque nous n’y sommes pas entrés. Une dégustation fort sympathique a néanmoins été organisée pour nous dans une petite cour intérieure. J’en parle ici. Et nous avons aussi respiré les parfums odorants de toutes les plantes aromatiques qui mettent de la couleur sur le chemin menant vers l’intérieur. Plusieurs illustrent cet article consacré à la flore crétoise.
Ce qui m’a frappée à l’arrivée, et cela d’autant plus que c’était mon premier regard sur la Crète, c’est un vieux moulin dont je n’ai pas vu l’ancien mécanisme de broyage car nous ignorions qu’il était visitable.
A l'extérieur de l'enceinte, et à l'opposée de l'autre côté de la route, se dresse l'église vénitienne de Timios Stavros « la Sainte Croix » paraissant bien petite au regard des immenses éoliennes modernes qui se profilent désormais sur la ligne d'horizon.

L’emploi du temps étant serré nous n’avons visité que le monastère. Edifié comme une forteresse, il fait honneur à son nom, Toplou, qui est d’origine turque et signifie « armé d’un canon ». Il est entouré d’un épais mur de pierres car il était destiné à protéger les moines des incessantes attaques des pirates. Il joua un rôle décisif dans la guerre contre les Turcs, et fut aussi un lieu de protection pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ayant à plusieurs reprises abrité des partisans il est logique qu’on puisse y voir la plus importante collection d’armes de toute la Crète, de la lutte pour l’indépendance de 1821 à la Seconde Guerre mondiale.
Les parties les plus anciennes datent du XIV° mais il a été reconstruit au XV° siècle, sous l’occupation vénitienne sur les ruines d’un ancien temple. Le sol de la cour intérieure est pavé de belles calades.
On remarque une stèle, incrustée dans le mur et protégée d’un verre, datant du II0 siècle après JC et qui atteste d’un accord de paix entre les villes antiques d’Ithanos et de Ierapetra.

Les cellules s’élèvent sur trois étages alors que la petite église à deux nefs est dédiée d’un côté à la Vierge et de l’autre à Saint Jean le Théologien.
Le monastère était riche et puissant, ce qui lui a permis de posséder de superbes icônes (d’une beauté saisissante) permis lesquelles quelques chefs d’œuvres comme Saint-Jean-Baptiste ailé ainsi que des fresques dont certaines datent du XIV° siècle et raviront les amoureux d’art byzantin. Elles ont malheureusement subi des dommages semble-t-il par des visiteurs hostiles.

samedi 17 juin 2023

L’amour les forêts, le film de Valérie Donzelli

J'ai lu ça et là des observations du style : Grégoire n'est pas un pervers narcissique. Un PN ne se comporte pas ainsi, etc … La question n'est pas là puisque L'amour, les forêts n'est pas un documentaire de santé mentale.
Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.
C'est bien de cela qu'il s'agit, de la difficulté à se soustraire à une emprise lorsque celle-ci s'est installée. Peu importe qu'elle soit une variante de la jalousie ou d'une forme de perversion. Peu importe également que cet homme ait ou non des circonstances atténuantes (ce dont le film ne parle d’ailleurs pas).

La question est de savoir comment se soustraire à cette relation. Comme en prévient l'avocate (Dominique Reymond), c'est une guerre. Et Blanche (le prénom est bien choisi) empruntera un chemin peu courant pour commencer à se libérer de Lamoureux (quelle riche idée de lui avoir donné ce nom).

Dès les premières images, alors que l’on entend le langoureux Hold me tight de Johnny Cash, on devine que la promesse que « tout ira bien » n’est qu’une façade. Elle, naïve, le croit buveur d’eau. C’est de la vodka qu’il avale. Plus tard ils vont échanger des vers de Racine (Britannicus Acte II, scène 2) :
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce.

Le spectateur assistera à la montée en puissance de l’amour et lorsqu’elle prononcera la formule magique « j’échange la mer contre les forêts » nous savons que la descente aux enfers est pour bientôt.

Blanche (Virginie Efira) a des appréhensions mais elle les fait taire. Le couple continuera à partager les références aux grandes oeuvres du patrimoine, accordant un sursis à une issue qui ne pourra qu’être fatale. Le mari (Melvil Poupaud) est très fort, renversant systématiquement la situation à son avantage.

Valérie Donzelli les films avec délicatesse. La caméra fait le point tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Blanche apparaît souvent floue et l’angoisse grandit tandis que les parallèles littéraires deviennent de plus en plus éloquents. Il y a en outre un bel hommage à Jacques Demy (les sœurs jumelles, les chansons) qui apporte un peu de légèreté dans la tragédie qui se prépare. C’est très astucieux, tout comme d’avoir fait jouer les deux sœurs à la même actrice (et j’ai mis un certain temps à le comprendre). Ce procédé suggère en effet que Blanche a de la ressource.

Pourtant la dénonciation des violences n’est pas facile. Ses collègues (Romane Borhinger, Virginie Ledoyen) envient son empressement et elle n’osera pas parler par honte et par peur. Elle choisit de se réparer dans le secret, en décidant de se lancer dans une aventure avec un amant de passage (formidablement interprété tout en douceur par le chanteur Bertrand Belin) et le chemin qu’elle emprunte n’est pas classique.

Trouvera-t-elle la force d’aller jusqu’au bout de la démarche ? Le montage nous le laisse supposer puisque le film commence avec sa « confession » … mais en laissant planer le doute sur l’issue, ce qui donne toute sa force au scénario.

Le casting est d’une précision remarquable. Outre les comédiens cités plus haut, on prend plaisir à retrouver Marie Rivère (la maman) et Nathalie Richard (la gynécologue). On comparera à Mon roi d’Emmanuelle Bercot ou à d’autres films traitant de ce sujet. On aura tort. Chacun sa musique et tous ensemble participent à la prise de conscience de ce phénomène contre lequel il faut lutter.

On rit. On tremble. On pleure aussi. C’est une réussite.

L’amour les forêts de Valérie Donzel
Co-écrit par Valérie Donzelli et Audrey Diwan
D’après le roman d’Éric Reinhardt, « L’amour et les forêts » publié aux Editions Gallimard
Avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Borhinger, Virginie Ledoyen, Marie Rivière, Bertrand Belin, Nathalie Richard
sortie 23 mai 2023

vendredi 16 juin 2023

Un jour j’ai été heureux de Frédéric Hermel

Je n’aurais probablement pas découvert Un jour j’ai été heureux avant la rentrée de septembre s’il ne m’avait pas été proposé par Netgalley.

Frédéric Louis Gustave Hermel (Comme il se présente p. 22) est né à Arras en 1970. Après trente années passées à Madrid comme correspondant de presse, il vit désormais à Paris. Il est l’auteur du best-seller Zidane et de C’est ça la France !.

Un jour, j’ai été heureux est donc son troisième livre mais le premier qu’il revendique comme roman.
Juillet 2002, Brooklyn. Première nuit d’amour avec Allison. Je me souviens de la moiteur de la ville, de nos souffles saccadés, du bruit du ventilateur, des chansons de Madonna qui tournaient en boucle, témoins de nos caresses nocturnes, de l’urgence de s’aimer.
Avril 2022, Paris. Je comprends enfin combien, alors, j’ai été heureux. Dix-sept ans que je ne l’ai pas vue, que je n’ai pas entendu son accent américain si troublant me susurrer des mots d’amour. Pourtant, d’elle, je n’ai rien oublié. Et si le vrai bonheur, c’était ça, notre capacité, immédiate ou tardive, à déceler les moments qui comptent ? 
Les aller-retours constants entre les années sont inconfortables. J’ai été très agacée aussi par l’aspect donneur de leçon du personnage principal, copie conforme de l’auteur, et pour cause puisque c’est lui, qui reconnaît d’ailleurs sa difficulté à contrôler sa grande gueule (p. 93).

Et comme il insiste en confiant qu’il vivait très mal les reproches depuis toujours (p. 95) comment juger ce qui l’a conduit à perdre celle qui était (est ?) la femme de sa vie ? Sachant que tout est vrai je ne me sens pas très légitime pour donner un avis, du moins sur le fond de l’histoire. Peut-être aurais-je été plus à l’aise s’il s’était agi d’une véritable fiction parce que je ne me serais pas sentie ligotée par la vérité historique.

Il m’a manqué un petit quelque chose pour adhérer au propos. Je suis donc perplexe au moment de le chroniquer. D’autant qu’il est -je le reconnais très volontiers- formidablement bien écrit. Et que le plus minuscule détail semble juste. J’ai vérifié : la Cerveceria Monje existe bel et bien à Madrid (p. 68).

Ce qui est gênant c’est que le récit tergiverse entre histoire d’amour, confession, fresque socio-historique et auto-biographie. La profusion des dialogues est également dérangeante. L’impudeur s’infiltre au fil des pages. On se sent indiscret entre deux personnes qui n’ont pas réussi à être durablement heureuses ensemble. 

Le principe de dire qu’il faut savoir reconnaître le bonheur quand on le vit n’est pas nouveau. Il correspond exactement à plusieurs articles que j’ai déjà écrits, comme par exemple celui des trois kifs par jour. Cette affirmation n’est en aucun cas une justification. J’ai eu le sentiment de lire l’histoire d’un ratage, ce qui n’a pas manqué de provoquer une déflagration de tristesse.

On aimerait que ce soit le personnage mais c’est Frédéric Hermel lui-même qui avait prévenu Allison je suis marié à ma solitude et je n’avais pas vraiment l’intention de divorcer (p. 58). Il revendiquera plus tard son éternel chemin de célibataire (p. 75). Alors que cherchent-il aujourd’hui avec ce livre ? Une confession ou une revendication ? A moins qu’il ne s’agisse d’une mise en garde pour nous, pauvres pêcheurs, a priori autant incapables que lui à reconnaître le bonheur ?

L’auteur a depuis ses jeunes années pris l’habitude de choisir un morceau musical pour chaque évènement de la vie (p. 20). C’est un peu systématique mais les références sont agréables, quoique souvent prévisibles, et avoir joint à la fin des QR codes pour accéder à la bande originale du livre est excellente.

Un jour j’ai été heureux de Frédéric Hermel, Fayard, en librairie depuis le 3 mai 2023
Lu en format numérique de 120 pages

jeudi 15 juin 2023

Dîner dans une taverne crétoise

Choisir un endroit pour dîner contraint à lire les avis sur les guides parce que les façades sont souvent peu engageantes, du moins à Heraklion, ce qui s’explique par les reconstructions faites sans doute un peu vite après les guerres et les séismes.. J’avais noté avant de partir qu’il y avait plusieurs catégories de restaurants mais, malheureusement je dirais, je n’ai pu expérimenter que la dernière de la liste. Je les rappelle néanmoins pour vous être utile :

- La taverne de poisson (psarotaverna) qui est une alternative à la taverne classique, où on retrouvera principalement des plats de poisson, souvent assez chers, mais délicieux. Et il est bien regrettable de se rendre sur une île et de n’y avoir jamais mangé de poissons.

- La pâtisserie (zakharoplastia) qui est conçue pour faire découvrir les mets sucrés crétois. C’est un autre de mes regrets.

- Le restaurant de mezze (ouzeria, ou encore rakadiko ou tsikoudiadiko) qui est le lieu dédié au partage, où il est possible de déguster des petits plats typiques ensemble, dans une ambiance conviviale et atypique. Je ne pense pas que cela nous ait manqué vu le nombre de mezzes que nous avions régulièrement à partager où que nous allions.
- La taverne, proche de ce qu’on appelle restaurant (estiatorio) si ce n’est qu’elle est souvent plus chaleureuse que le restaurant. Ne vous fiez donc pas à ses murs extérieurs (exemple ci-dessus).
On le sait depuis que Platon a publié Le banquet, manger est un acte social. Une chose est certaine, partout en Crète, la table est symbole de convivialité, et promesse de passer un bon moment. Les serveurs n’arrêtent pas d’apporter des plats disposés dans de grands plateaux de bois à rebords qu’ils brandissent au-dessus de leur tête. On y mange donc souvent copieusement, comme on peut le constater sur les photos qui rassemblent au moins quatre repas.

Si je connaissais l’essentiel de la cuisine crétoise, plusieurs plats m’ont surprise. A commencer par les escargots (boubouristas) frits à la poêle avec huile d’olive, vinaigre et romarin ou préparés à la casserole avec du blé dur, des oignons et des tomates. Nulle part ailleurs en Grèce on n’en consomme autant qu’en Crète. Ces petites bêtes nous offrent, avec leur chair tendre, les précieux éléments des plantes qu’ils ont grignotées de leur vivant.

J’ai beaucoup aimé les fromages (voir plus bas) mais il est probable que la variété de l’offre française me manquerait vite. Et bien qu’ils ne figurent pas à la carte des restaurants (ils sont offerts à la fin du repas et donc on ne les choisit pas) j’ai adoré la simplicité des desserts. Les crétois préfèrent néanmoins les savourer l’après-midi avec un café.

Voici donc en images ce que j’ai pu goûter en Crète, en compilant les photos de plusieurs repas dont je rappelle les horaires : 14 heures pour le déjeuner, 22 pour le dîner.

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