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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 31 août 2020

Voir le jour, troisième film de Marion Laine

J'avais beaucoup aimé Chambre 2, le livre de Julie Bonnie et je pensais que Voir le jour en était l'adaptation. Ce n'est pas tout à fait cela et il vaut mieux prévenir ceux qui vont le voir que le scénario (qui certes a été construit en collaboration entre l'écrivaine et la réalisatrice) en est assez éloigné. J'ai d'ailleurs relu le livre depuis et je comprends mieux ce qui m'a surprise pendant la projection.
Jeanne travaille comme auxiliaire dans une maternité de Marseille. Nuit et jour, Jeanne et ses collègues se battent pour défendre les mères et leurs bébés face au manque d’effectif et à la pression permanente de leur direction. Jeanne vit avec Zoé, sa fille de 18 ans, qu’elle élève seule. Lorsqu’un drame survient à la maternité et que Zoé part étudier à Paris, le passé secret de Jeanne resurgit soudain et la pousse à affirmer ses choix de vie.
J'ai été déroutée par des détails, comme le prénom de héroïne (Béatrice dans le roman, Jeanne dans le film, interprétée par Sandrine Bonnaire dont on a le sentiment qu'elle a toujours été sage-femme), le nombre et l'âge de ses enfants (elle n'a plus qu'une fille, de 18 ans, mais elle est là aussi seule pour l'élever) qui ne s'appelle plus Norma mais Zoé alors que le pédiatre (Stéphane Debac) a gardé son patronyme, Docteur Mille (p. 41). Et Francesca est devenue Sylvie pour, dans le film, occuper une place de modèle alors que dans le roman elle n'a pas la chance de Sylvie (Aure Atika) et perd sa place suite à une erreur qui lui est imputée.

Ce sont essentiellement des femmes qui travaillent en maternité, les hommes sont trop fragiles, le peu que j'ai croisé craquent très vite, ce n'est pas beau à voir (p. 12). Quand ils sont présents, ils occupent souvent un poste de chef de service.
Présente à la projection avec la réalisatrice, Marion Laine, dont c'est le troisième film, Julie Bonnie confirmera que le Docteur Mille n’est pas une caricature (elle dira même en avoir rencontré de bien pires), alors qu’il peut parfois apparaître comme tel pour nous qui ne connaissons pas cet univers de l’intérieur ou qui en avons une perception tronquée par une expérience ancienne, du temps où le nombre de jours d’hospitalisation n’était pas si drastiquement compté. Aujourd'hui on ne garde une femme ayant subi une césarienne que quatre jours, ce qui est très peu.

On retrouve, et c'est logique, plusieurs des situations qui sont décrites dans le roman, aussi bien parmi les accouchées que des détails de la vie courante comme l'accueil des stagiaires (l'une d'elles interprétée par Kenza Fortas est très représentative et sa transformation au contact de ses collègues est magnifique) ou l'usage des bas de contention (p. 72).

Le plus différent est sans doute la recherche de "normalité" du personnage du roman qui déploie une énergie dingue pour être lisse, transparente, se contenir pour surtout ne pas exploser (p. 39) même s'il y a de fortes ressemblances entre les deux femmes.

Dans le livre elle était danseuse nue dans sa vie d'avant et son passé surgit beaucoup plus tôt au fil des pages. Dans le film c'est une accouchée qui est danseuse (et on remarque combien Jeanne incite sur cette particularité) et elle est chanteuse, et dans un univers proche. Je ne suis pas en train de regretter la liberté d'écriture. Je sais bien, comme le disait François Truffaut qu'adapter c’est trahir.

Je trouve d'ailleurs le film de Marion Laine admirablement réussi et j'ai bien compris, pendant la projection, combien il était respectueux du point de vue de Julie Bonnie puisque lorsque Jeanne dit avoir fait la première partie d'un concert de Louise Attaque je sais bien que dans sa vraie vie -celle d'avant avoir été auxiliaire de puériculture car elle le fut aussi- Julie Bonnie a effectivement assuré ce concert.

dimanche 30 août 2020

L'amour égorgé de Patrice Trigano

Patrice Trigano est galeriste et à ce titre passionné d’art. Il est également écrivain, passionné par l’écriture. Les deux conjugués l'ont amené à se lancer dans la biographie d’un artiste dont il connait parfaitement la vie et dont j'ignorais tout.

Il s'agit de René Crevel (1900-1935) dont, à l'instar de Picasso qui ne cherchait pas à produire un portrait ressemblant de la femme qu’il aimait, Patrick Trigano n’a pas tenu à retracer les événements avec une exactitude absolue.

Il prévient d’avance le lecteur qui ne saurait rien donc lui reprocher : j'ai sacrifié l'exactitude sur l'autel de la vérité. La réalité voudra bien me le pardonner.

La confidence est à apprécier à la lumière de la citation du poète figurant page suivante : La mosaïque des simulacres ne tient pas.

De fait Patrice Trigano a composé une très riche biographie, admirablement documentée, qui se lit comme un roman historique sur l'histoire du mouvement surréaliste et ses implications politiques, philosophiques et même psychologiques. J'ignore quelle est la part de liberté dans l'écriture mais c'est peu dire que cette lecture est passionnante, et particulièrement à l’occasion du centenaire du surréalisme. On est au coeur du mouvement dont on redécouvre les principales facettes. A commencer par l'origine de son nom, Dada (p. 38). Le roman mérite d'être lu, relu, médité aussi.

La promesse des éditions Maurice Nadeau, est amplement tenue de faire revivre les moments d'exaltation, les sentiments de craintes, d'angoisses, les douleurs morales et physiques de René Crevel. De dresser une peinture des milieux intellectuels des années vingt et trente, alors que le fascisme était en embuscade, à travers des portraits saisissants des amis du poète : André Gide, Nancy Cunard, André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Tristan Tzara, Jean Cocteau, Salvador Dali, Alberto Giacometti ... et de toutes leurs muses.

Chaque artiste prend vie sous la plume alerte et on a souvent le sentiment d'assister à ces moments qui furent sans doute exaltants, comme la présentation à André Gide par son ami Marc Allégret, une séance de spiritisme conduite par Breton, la vie entre Gala et Salvador Dali, les réflexions des poètes sur la mutation de l'amour fou en bûcher des supplices (p. 204), les confidences de Giacometti à propos de ses perpétuelles insatisfactions, la rencontre avec Pablo Neruda par l'entremise de Buñuel.

samedi 29 août 2020

Effacer l’historique, un film de Gustave Kervern, Benoît Delépine

Effacer l’historique est sans nul doute un excellent titre de film mais il ne correspond pas à la problématique qui est traitée.

Dans un lotissement en province, trois voisins sont en prise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Il y a Marie, victime de chantage avec une sextape, Bertrand, dont la fille est harcelée au lycée, et Christine, chauffeur VTC dépitée de voir que les notes de ses clients refusent de décoller. Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet. Une bataille foutue d'avance, quoique...

Le souci de chacun des trois personnages principaux n’est pas du tout d’effacer un historique de navigation mais de supprimer une video (ce qui est plus compliqué) pour Bertrand (Denis Podalydès) parce qu'elle humilie sa fille, et pour Marie (Blanche Gardin) parce qu'elle est compromettante pour une mère de famille. Quant à Christine (Corinne Masiero) elle veut au contraire ajouter des mentions à son profil de manière à améliorer son image.

Quoiqu’il en soit le film est excellent pour nous amener à réfléchir, encore une fois pas tant sur les dérives des usages d’Internet, et qui correspondent à des séquences drôles, mais sur celles de notre société consumériste.

Quel dommage de dépendre d’un nombre de coeur pour gagner des clients. Quelle misère de devoir vendre ses meubles un à un pour avoir de quoi manger. Quelle tristesse d’être accro aux séries video au point de manquer du nécessaire pour avoir de quoi vivre. Quel paradoxe de louer son salon pour en faire une mosquée temporaire. Quel désespoir de ne pas oser dire que son mec et son fils sont partis et d’être réduit à se jouer la comédie à soi-même.
Annoncé comme une comédie, le film masque une tragédie qui ne surprendra pas tous ceux qui ont suivi l’actualité marquée par la détresse des gilets jaunes (bien que le scénario ait été commencé avant le mouvement).

Le film pointe, comme le fait Grégoire Delacourt dans le roman Un jour viendra, couleur d'orange comment les espoirs sont entretenus par l’inventivité et la solidarité de l’amitié.
 C’est juste cela qui fait tenir le trio. La société qui nous est montrée est essentiellement un monde d'adulte, même si ceux-ci sont restés relativement des enfants (ou sont infantilisés par la société). On en voit donc très peu. La fille de Bertrand, devenue quasiment mutique, et le fils de Marie qui choisit la vie avec son père pour les facilités financières que cela peut promettre. Faudra-t-il que sa mère devienne une célébrité pour reconquérir son estime ?

Le film est émaillé de beaucoup de scènes très drôles mais aussi de moments d’une intensité tragique : la crise de nerfs sur le rond-point pour Christine, la soirée d’anniversaire pour Marie, la rencontre avec l’âne pour Bertrand qui sont tous des moments de détresse absolue.
 Bien sûr il y a aussi des scènes surréalistes comme la gestion des mots de passe sur les parois d'un freezer, l’entrée dans le phone-call de l'ile Maurice, la séance de prières dans le salon, la tentative de manipulation par le jeune sextapeur (Vincent Lacoste), la toilette du feignasse (Philippe Rebbot), la rencontre avec le hackers qui n'est autre que Dieu (Bouli Lanners) et aussi évidemment, petits bijoux, la livraison par Benoît Poelvoorde et l’apparition de Michel Houellebecq en client suicidaire, personnage récurrent dans l'univers des réalisateurs à chaque fois qu'ils font appel à lui.


Si ce film met en garde contre les dérives du portable, qui nous tient en laisse plus qu’un bracelet électronique. Si l’on se dit qu’il faut prévenir nos enfants des risques encourrus, et que nous-mêmes avons intérêt à ne pas nous laisser filmer à notre insu, il pointe surtout les conséquences du surendettement, d'une mondialisation sans limite, d'une ère tout numérique qui préfigure une déshumanisation aussi tragique que la disparition du dodo de l'océan indien.

On remarquera que les marques étant mieux protégées que les personnes (victimes par exemple du chantage à la publication d'une video compromettante) aucune n'est citée dans le film. Voilà pourquoi par exemple le livreur de colis travaille pour Alimazone. Et il était évidemment hors de question de citer Cupertino, la ville d’Apple.

Benoit Delépine et Gustave Kervern, dont c'est la dixième collaboration (en comptant le moyen-métrage avec Brigitte Fontaine), se sont ultra documentés sur l'univers numérique et ses pratiques. Il s justifient le déplacement de Marie vers San Francisco par le fait que "le principe du cloud, c’est que les infos nous concernant sont réparties dans plusieurs endroits dans le monde. Mais il existe quand même un endroit physique où il est possible de supprimer une information, endroit généralement situé en Californie."

Comédie, ou tragédie, au spectateur de trancher et de remettre ses habitudes en question. Une chose est sûre, la poésie a encore de l'avenir comme en témoigne la redécouverte (en famille) de l'ancêtre du téléphone.
Effacer l’historique, un film de Gustave Kervern, Benoît Delépine
Avec Blanche Gardin (Marie), Denis Podalydès (Bertrand), Corinne Masiero (Christine), Vincent Lacoste (sextapeur), Benoît Poelvoorde (livreur Alimazone), Bouli Lanners (Dieu), Vincent Dedienne (le fermier bio), Philippe Rebbot (le feignasse), Michel Houellebecq (le client suicidaire), et aussi Yolande Moreau, Jackie Berroyer ...

jeudi 27 août 2020

Un jour viendra couleur d'orange de Grégoire Delacourt

Une fois n'est pas coutume, je ne pense pas parler très longuement d'Un jour viendra couleur d'orange, le dernier livre de Grégoire Delacourt, paru chez Grasset, il y a quelques jours.

Cela ne signifie pas qu'il y ait peu à en dire, bien au contraire. Cet "ouvrage", terme qui me semble hautement plus adéquat que celui de "roman", est extrêmement élaboré, ponctué d'une quantité remarquable de mots que je ne connaissais pas et de références culturelles (dont le sens par contre m'étaient plus immédiatement accessibles et qui de plus sont commentées en notes p. 236) et pourtant il se lit très aisément.

Grégoire Delacourt, dont je me demande pourquoi il a changé de maison d'édition, compose une chromatochronologie (permettez-moi d'oser ce néologisme) des événements que nous avons tous suivis pendant une douzaine de mois, avant que la crise sanitaire ne vienne rebattre les cartes et modifier les priorités.

S'il ne s'était agi que de cela, la mise en perspective de la lutte des gilets jaunes, comme le soudain enthousiasme pour la trottinette, me feraient comparer son travail à celui d'un sociologue comme Edgar Morin ou d'un sémiologue comme Roland Barthes. Cela faisait un moment qu'on n'avait pas écrit l'actualité de cette manière et ce serait déjà un motif de grande satisfaction.

Mais Grégoire Delacourt emmène le lecteur beaucoup plus loin en superposant les événements bien réels dans plusieurs récits initiatiques qui se déroulent en parallèle, et aux cours desquels chaque personnage principal va évoluer. Si bien que l'ensemble peut se concevoir comme une saga à visée philosophique.

On suit avec quasiment autant d'empathie les bons comme les méchants parce qu'ils ont tous leur part d'humanité. Pierre, révolté par un monde qu'il ne comprend pas et qui subira sa colère comme un boomerang jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle pourrait -peut-être- devenir le carburant d'un renversement de situation. Louise, infirmière en soins palliatifs qui soigne autant par les médicaments que par la douceur. Geoffroy, leur fils, grandissant avec un syndrome d'Asperger en ordonnant tout ce qu'il fait par chiffres et par gamme de couleurs. Djamila, sa camarade de classe, découvrant l'horreur de la radicalisation de ses frères et subissant la privation soudaine de liberté. Hagop Haytayan, le vieil arménien dont la sagesse et les actes relèvent parfois de la magie. Et tous les autres, camarades manifestant sur les ronds-points, collègues de travail, ...

Le récit avance au rythme des phrases longues de l’espoir, et des phrases courtes de la résignation, entre l’exactitude de la mathématique régie par le cerveau et la vérité poétique créée par le coeur (p. 177). Toutes les émotions traversent le livre.

Chaque chapitre est annoncé par une couleur. Certaines sont évidentes, comme le jaune des gilets. D'autres plus artistiques comme le vert Véronèse des yeux de Djamila parce que leur nuance de vert titre sur le jaune. Quelques-unes sont très particulières et justifiées par la narration comme rouge commanche, jonquille, et surtout hellébore, dont j'ignorais qu'on puisse utiliser les pétales de cette fleur comme référence de vert parce que j'en connais à la floraison aux tons blanc-vert autant que violet, en passant par le rose et le pourpre. Quoiqu'il en soit chacun de ces coloris permet d'exprimer toute une palette d'émotions.

L'auteur ne cache pas la référence au poème de Louis Aragon, Un jour, un jour, paru dans Le fou d'Elsa, que Jean Ferrat a mis en musique en 1967 et tant contribué à populariser, comme d'ailleurs plusieurs autres oeuvres du poète et avec son approbation. Louis Aragon avait écrit ce texte pour dénoncer la Guerre d'Espagne, en particulier le massacre de Grenade, et l'assassinat de Lorca. Mais aussi toutes sortes d'oppressions. Il avait voulu y placer une note d'espoir, quand ...
... un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront

Voilà sans doute pourquoi il est autant question d'amour que de combats (sur fond de guerre économique cette fois) sous la plume de Grégoire Delacourt avec la même chair à canon qu'en 39, mais dans une guerre mondiale feutrée cette fois (p. 131). La phrase mérite effectivement d'être écrite en lettres majuscules quand Pierre est licencié pour avoir volé dans des poubelles (p. 184) de quoi donner à manger à des gens qui étaient dépourvus de moyens. Intitulé Noir, le récit de son licenciement est édifiant de vérité (p. 190).

J'ai appris le sens de mots que je ne suis pas sûre d'avoir l'opportunité de recaser comme bistoule (café sucré arrosé dans le nord de la France), immarcescible (qui ne peut se flétrir), orexigène (susceptible de stimuler ou d'augmenter l'appétit de favoriser l'augmentation de la masse corporelle), arroches (sorte d'épinard ancien), voire même jaseurs et bruants (noms d'oiseaux).

Je n'avais jamais rencontré le verbe obombrer (estomper), et je sais aujourd'hui qu'on peut rêver d'un monde nouveau, meilleur, dont les forêts obombront les démons de l'ancien monde (p. 199). Un monde où l'humain sera replacé en son centre de gravité en vertu de la constatation que mieux vaut balancer de la bouffe que des pavés, ça va plus loin (p. 194).

S'il est vrai que les utopies sont le sang de nos rêves (p. 211), que nombre d'animaux ont disparu (comme le tarpan, depuis 1909 et dont j'ignorais même l'existence) et que de multiples ethnies sont elles aussi en voie d'extinction, il n'y a pas, pour amender le monde, une seule solution. Il y en a dix mille. C'est avec ces mots que se termine le livre en nous permettant de croire à l'espoir, au coeur des hommes, en leur capacité à aller vers un monde meilleur.

Grégoire Delacourt est né en 1960 à Valenciennes dans le Nord. Il a travaillé plus d'une vingtaine d'années dans la publicité (qu'il appelle "réclame"). Il écrit depuis très longtemps mais son premier roman, L’Écrivain de la Famille a été publié chez Lattès en 2010. Il enchaina ensuite de multiples succès littéraires, dont La liste de mes envies (2012) adapté au théâtre puis au cinéma, On ne voyait que le bonheur (2014), Les quatre saisons de l'été (2015) et plusieurs autres livres. Depuis quelques mois il vit à New York où il fut -lui aussi- confiné. Il y éprouva, dit-il, une furieuse envie de peindre la grisaille. Voilà qui est fait !

Un jour viendra couleur d'orange de Grégoire Delacourt, Grasset, en librairie le 19 août 2020
Lu en version numérique de 242 pages via NetGalley que je remercie.

samedi 22 août 2020

Nathan lance la nouvelle collection Court Toujours

Il est vrai que je n’appartiens pas directement à la cible (15-25 ans) mais si on considère l’adage "lecteur un jour, lecteur toujours" je suis totalement habilitée à donner mon point de vue sur cette collection, Court Toujours, pour laquelle j’ai d’ailleurs été sollicitée.

Je ne me serais pas précipitée spontanément sur ces "petits" livres, qui répondent tout à fait à la promesse Nathan, leur éditeur, de faire court. Tout simplement parce que je trouve les couvertures hideuses, voilà c’est dit. A tel point que j’ai mis un temps fou à me décider à en ouvrir un, comme on repousse le moment de  consommer l’en cas de dépannage. Je n’étais pas en manque de lecture, donc je pouvais attendre... J’ai d’ailleurs commencé par le titre le plus rébarbatif, et qui m’apparaissait adéquat "Le plus mauvais livre du monde".

J’ai apprécié le sujet et la tournure que prenaient les évènements qui étaient racontés sans chichi par Vincent Cuvellier, mais sans concession sur le style, le lexique, la syntaxe. Je me suis prise au jeu et ai poursuivi. Avec Son héroïneAux ordres du coeurLes potos d’abord. Ça s’enchaînait bien, composant une sorte de série un peu à l’instar de celles qui nous rendent addicts sur Netflix.

Comme un homme et Silent Boy m'ont tout autant satisfaite.

J'ai envie de dire qu'ils sont de la bonne longueur (64 pages)Chacun se lit en quelques heures, quasi d’une traite mais pas forcément, et il est très agréable d'avoir le plaisir d’y revenir.

Sincèrement bravo ! Les éditrices (Mélanie Decourt, directrice éditoriale du secteur Fiction et Alice Aschero, responsable éditoriale des romans français) ont su choisir leurs auteurs et ceux-ci leurs thèmes, illustrant idéalement la base-line de la collection, C'est maintenant que tout se vit. Chacune des histoire est un récit initiatique plus ou moins intense ou percutant, qui raconte un moment charnière de la vie d'un ou d'une ado d'aujourd'hui, tout en s'inscrivant dans une forme d'universalité. Par exemple des premières vacances entre amis sans parents, l'agression d'une jeune fille dans les transports en communs, la découverte d'un secret de famille, ou encore l'usage des réseaux sociaux.

Je trouve juste dommage que la sortie officielle ait été programmée le 3 septembre alors que voilà d’excellentes lectures de vacances qui auraient pu semer de jolies graines dans les cerveaux de la jeunesse.

Et puis je suis aussi un peu dérangée (même si j'en comprends parfaitement l'enjeu) que la série cible les "lecteurs décrocheurs". J'espère bien sincèrement que les autres, les accrochés, ne se sentiront pas exclus parce que ce serait vraiment dommage de les priver de ces sucreries littéraires. Et même que les adultes auront la curiosité de s'y plonger, pourvu que leurs enfants fassent exactement ce que je faisais quand j'étais une jeune maman, laissant traîner les livres sur les marches de l'escalier conduisant aux chambres, ... où ils finissaient par se retrouver comme par hasard.

Des trois formats (texte, audio et numérique) je me suis satisfaite du premier, par habitude, par simplicité, puisque je les avais sous la main, par honnêteté intellectuelle aussi car je tenais à comparer ce qui était comparable, donc en restant dans mes habitudes de lecture (même s’il m’arrive de céder au numérique pour sa praticité lorsque je pars en voyage à l’étranger). Du coup je peux dire sans sourciller que c’est un coup de coeur. Le numérique est sans doute inévitable et le mode de "lecture" audio est un atout supplémentaire.

L'éditeur a eu raison de viser l'accessibilité, en terme de format et aussi de prix (8 €). C'et une bonne idée que de permettre d'écouter la version audio, parfois lue par l'auteur. Et si la lecture sur tablette a la préférence du lecteur il peut l'obtenir via l'application Nathan Live après avoir scanné la page qui présente la couverture du roman, au début de l'histoire. Et du coup bénéficier aussi des interviews des auteurs-trices et d'articles étayant les sujets des récits déjà parus…
Je ne saurais dire lequel a ma préférence, même si j'ai énormément aimé Comme un homme et Aux ordres du coeur. Chacun mérite sa place. Ils me semblent augurer un genre nouveau, à mi-chemin entre la nouvelle et le roman, avec un je ne sais quoi de conte philosophique. Comme j’aimerais avoir près de moi quelques 15-25 ans pour recueillir leurs avis ! Je vais m’y employer dès que possible.

vendredi 21 août 2020

Mignonnes, premier long-métrage de Maïmouna Doucouré

Le premier plan de Mignonnes montre une main découpant des fleurs multicolores dessinées sur du carton d'emballage, que la jeune Amy dépose sur un dessus-de-lit autour d'une cellule familiale, elle aussi en carton, avant qu’on ne la voit pleurer ...

La comédienne est vêtue du costume de scène qu'elle porte à la fin du film et il devient évident, à la réflexion, que Maïmouna Doucouré montre l'enfant enterrer sa vie d'avant, celle du temps où elle croyait à un foyer idéal, qui serait composé d'un père, d'une fille et d'un garçon et surtout d'une seule maman.

Arrive ensuite le générique et l'histoire nous est retracée en reprenant la chronologie. Il est probable que ce soit la nécessité de disposer d'une pièce de plus qui pousse la famille à emménager dans un nouvel immeuble où la gamine ne connait encore personne.

Elle se réjouit trop vite, croyant gagner une indépendance par rapport à son petit frère mais sa mère l'arrête net : Cette chambre elle est à personne.

Amy (Fathia Youssoufobserve tout en silence, indécise, ballotée entre ce qu'elle va croire être la "vraie vie", celle de ses futures compagnes de jeu et de danse du collège et les séances de prières de la communauté féminine musulmane invoquant les anges qui lui font lever les yeux au ciel pour espérer les entrevoir. On découvre la très jeune fille, tête couverte, recevoir l’injonction de préserver sa pudeur, d'accorder l'obéissance au mari et de faire tout pour faire plaisir à sa maman.
Cette dernière recommandation serait facile à suivre car son amour pour sa mère est immense mais elle ne comprend pas ce qui se trame et quand elle réalise que son père prend une seconde femme qui va venir du Sénégal avec lui pour vivre dans leur appartement, sous les yeux et avec la bénédiction (forcée) de sa mère elle ne peut pas cautionner ce modèle de vie puisqu'elle a compris qu'il rend sa maman très malheureuse.

Elle découvre par hasard la liberté d'action (on réalisera plus tard que ce n'est pas tellement une liberté de pensée) de celles qui vont devenir ses nouvelles camarades, et ses nouveaux modèles car il lui faut bien s'intégrer dans l'un ou l'autre milieu ...

Elle va suivre leur modèle en faisant tout ce qu'elle peut pour s'identifier à ce qu'elle croit être un moyen de gagner une forme d'affranchissement. Elle franchit toutes les barrières, au sens propre comme au sens figuré, et malgré les déconvenues. Elle va se brûler les cheveux à vouloir les lisser avec un fer à repasser. Un caillou lui entaillera le front mais rien ne l'arrêtera tant leur impertinence la séduit. Elle est fascinée par une bande de délurées qui tient tête aux enseignants et qui sont les reines des réseaux sociaux. Cette vie là la tente plus que la contrainte socioculturelle de ses racines sénégalaises.

Un hasard lui permet de sauver la mise à Angelica (Medina El Aidi), qui est la leader du clan et qui va l'introniser. La gamine va se passionner pour le twerk, une danse sensuelle faite de déhanchés provocants qui lui permettra de ressentir des émotions nouvelles et elle va vite dépasser ses modèles. Tout s'accélère, aussi bien du coté familial où le père annonce son retour avec une femme qu'il va épouser en France en très grandes pompes, qu'au sein du groupe des Mignonnes, car tel est le nom de leur groupe, qui décident de participer à un concours de danse et qui travaillent d'arrache-pied une chorégraphie de plus en plus sexualisée.

Très vite Amy ne connait plus de limite, capable de voler un portable à un cousin, de regarder des images plus qu'érotiques à l’abri de son voile, de poster sur les réseaux sociaux, de s'infiltrer sans billet dans un espace de jeux de laser. Elles ont 11 ans mais affirment en avoir 14 (ce qui est déjà encore bien jeune) et s'affirment en défiant le monde adulte par toutes sortes d'actions. La scène où Coumba (Esther Gohourouaguiche des jeunes hommes au Parc de la Villette est caractéristique : Est-ce que vous avez un petit 06, ... 07, .... 01 ?

Chacune est bridée dans sa famille, par une mère faussement permissive, par un frère maltraitant, souffre manifestement d'un manque d'amour et de reconnaissance, qui les rend dépendantes des likes reçus (ou pas) par leurs publications sur les réseaux sociaux, et aucune ne dispose d'un lieu de paroles sincères. On note combien leur niveau d'information est limité, surtout en matière de sexualité. Jess (Ilanah Cami-Goursolass’effraie de penser qu'on puisse attraper un cancer ou le sida rien qu’en touchant une capote. Et quand Aminata a ses premières règles sa mère (Maïmouna Gueyen'explique rien, se satisfaisant de cette parole : Tu es une femme maintenant.
Comment s'étonner alors qu'elle la prenne au pied de la lettre ? La purification par l’eau tentée par la vieille la tante (Thérèse Mbissine Diop), et ses leçons de morale seront sans effet. Aminata est lâchée. Elles vont leur monter qu’elles sont des vraies meufs

jeudi 20 août 2020

Ida n'existe pas d'Adeline Fleury

Je connais la plume d'Adeline Fleury. Son précédent roman, Je, tu, elle m'avait fortement impressionnée par sa façon de nous raconter une passion dévorante, en posant la question de savoir si Se ravager d'amour (p. 186) était envisageable.

Manifestement l'auteure n'a pas épuisé le sujet car Ida n'existe pas s'inscrit dans une continuité. Et je l'affirme avec d'autant plus de force qu'Adeline Fleury m'a confirmé, au cours d'une interview, son intention de constituer un cycle sur la féminité en général, et sur le rapport au corps en particulier.

Dans le livre précédent, la femme meurtrie ne songeait qu'à fuir et tenter de se restaurer au bord de la mer. Rien d'étonnant donc à ce que l'auteure ait voulu s'emparer de ce fait divers : en 2013, un pêcheur de crevettes découvre une enfant de 15 mois morte sur une plage de Berck-sur-Mer. Elle y avait été déposée et abandonnée par sa mère au moment où la marée montait.

Adeline Fleury s'est documentée sur le procès qui a suivi comme sur la sorcellerie africaine puisque la maman était originaire du Gabon. Elle a fouillé avec précision les rites et les croyances qui régissent le rituel Ndjembè. Le lecteur n’a pas de doute. Tout semble (hélas) vrai et l’action se déroulant à notre époque il y a de quoi être effrayé par ces dérives communautaires encore pratiquées au nom du respect pour les ancêtres et ses racines culturelles. Comme il faut s’offusquer de l’excision et de multiples actions à l’encontre des femmes, tels que les mariages forcés dont le nombre est loin d’être en diminution. Et le pire est peut-être que ces violences sont perpétrées par les mères. Comme on peut le lire dans le roman les femmes sont les plus cruelles envers les petites filles (p. 52). On se demande ce que font les ONG ...

En tant que journaliste, Adeline Fleury aurait pu faire un livre journalistique mais celui-ci est encore plus puissant en s'inscrivant dans la continuité de Je, tu, elle surtout en l'écrivant à la première personne. Le lecteur, effrayé (et/ou mis en garde) par l'avant-propos et le chapitre zéro, va assez vite  écarter le débat de la culpabilité, et heureusement, puisque l'infanticide n'est pas du tout le sujet du roman, pour éprouver une forme d'empathie pour cette femme qui a subi une jeunesse terrible.

Etre blanche dans une société noire, avoir le QI d'un zèbre, voilà déjà deux handicaps majeurs dans une société où l'homme a tous les pouvoirs. Ajoutez à cela qu'elle est femme et qu'elle vient d'avoir un enfant voilà de quoi avoir un quadruple problème identitaire.

On ne saura jamais ni son nom ni son prénom. Et on tournera autour d'elle, à l'instar d'un caméraman, en tentant de coller à sa psyché, et en éprouvant à son égard une alternance de dégoût et de compassion, selon qu'elle-même ressent pour sa fille un profond rejet ou un désir de peau à peau.

On va plonger dans la psychologie trouble d’une mère prête à commettre l’irréparable, mais aussi l’histoire d’un corps féminin qui cherche à se libérer de ses démons, d’une féminité complexe en quête d’apaisement.

Alors forcément Ida n’existe pas est un texte puissant, dérangeant, émouvant ... tels sont les qualificatifs de Tatiana de Rosnay pour le caractériser et en refermant le roman j’approuve le choix de ces mots. Nous sommes d’accord sur le terme de roman parce qu’il faut bien le classer dans une catégorie mais on perçoit dans l’écriture les codes du conte, ce qui lui confère une portée de nature universelle.

Si bien qu’au delà du fait divers (une mère abandonne son bébé sur une plage et l’enfant meurt) on peut lire un récit initiatique (une femme maltraitée dans l’enfance dépose, comme une offrande, une part d’elle-même devant les vagues d’une déesse marine, et s’émancipe de son passé). Elle ne lui prend pas la vie, mais elle lui donne le statut d’enfant élue.

Elle accouche chez elle, toute seule, sans aucune aide, ni médicale, ni surtout psychologique (ça aurait sans doute changé les choses). On imagine que la grossesse n’a pas été suivie non plus, et on peut considérer que ce choix volontaire de procéder ainsi est une forme de préméditation, si ce n’est de la mort de son enfant, du moins de sa "non-existence", sur le plan légal. Ida n’existe pas. Pourtant elle a un prénom, sa mère non. Et elle existe bel et bien dans l’histoire de sa mère dont on ne connaîtra jamais l’identité civile.

Ida n'existe pas, cette formule est presque un mantra qui revient en boucle plusieurs fois. J’entendais Ita missa est, la messe est dite. Était-ce le fruit de mon imagination ou quelques bribes d’inconscient de l’auteure qui se seraient glissées entre les lignes de façon adéquate ?

Il n’y aura pas d’autre issue que celle qui nous est annoncée et confirmée dès le début. Mais la très grande force d’Adeline Fleury est de ne rien nous cacher tout en nous laissant la possibilité de croire, à de brefs instants, qu'un grain de sable pourrait bousculer le destin. Parce que l’histoire de cette femme est terrible, parce qu’on éprouve une certaine empathie pour elle, parce qu’aucune de ses confidences n’est contestable, parce qu’elle a bien mérité de connaître un peu de répit et même de bonheur. Alors on se surprend à être d’accord avec elle ...

On sent à de multiples reprises qu’il ne suffirait d'un rien pour que le cours s’inverse. Hélas on ne peut pas s'entrainer à être parent. La jeune femme n’a plus de famille, aucune amie, et l’homme n’assume pas du tout son rôle de père. Il peine déjà beaucoup à être le compagnon, plus souvent absent que présent. D’ailleurs pourquoi n’était-il pas dans les parages au moment de la naissance ... dont il devait bien à peu près subodorer la date ? C’est lui qui "gentiment" conduira la mère et l’enfant à la gare. Il est donc largement coupable d'homicide, certes involontaire, mais avec circonstances aggravantes (car il n’ignorait pas l’état de santé mentale de sa compagne) ce qui va tout de même chercher dans les 5 ans d’emprisonnement.

Certes ce livre est focalisé sur la féminité, mais il n’occulte pas les parts sombres de la masculinité. Les hommes sont tous des menteurs et des tricheurs à l’exception peut-être de celui qui est désigné comme l’Homme de la connaissance (même si le terme à un coté diabolique) qui est le seul à ne pas travestir ses intentions à son égard.

Alfonse est souvent là sans y être. Il ne prend pas sa place, ni de conjoint, ni de père, se satisfaisant d’utiliser le corps de la femme pour ses œuvres et pour s’en repaitre aussi. Lui, pourtant sculpteur, ne fait aucun effort pour gratter sous la surface lisse qu’elle lui présente. Il ne l’interroge pas davantage sur son passé. Il se complait dans une situation qui l'arrange. Il encourage même son inclinaison pour la cleptomanie, trouvant de l'érotisme à ce penchant qu'elle justifie de façon très touchante. Elle dérobe des affaires (de peu de valeur) qui ne lui appartiennent pas et elle se justifie en nous confiant :  Je m’emplis de petites touches de leur humanité quand la mienne est floue (p. 87).

On se surprend à espérer que tout pourrait peut-être bien se terminer parce que cette femme entretient un rapport particulier avec la vérité et le mensonge. Je mens depuis toujours. Ou plutôt je m’accorde des petits arrangements avec la vérité (p. 48). Sa grossesse démarre quasiment par un déni, autre forme de mensonge. Et la cleptomanie s'y apparente aussi.

S'il y a bien quelque chose qui l'a remplie, c'est la grossesse et on pourrait considérer que l'enfant est son bien propre, ce qui se confirme avec la disparition de la cleptomanie à la naissance de sa fille. Et dans ce cas elle pourrait se sentir autorisée à en disposer. Certes elle vole sa vie, mais on peut aussi considérer qu’elle lui évite le risque d’être malheureuse car dans sa tribu il semble que le sort de toutes les femmes est à peu près identique.

Le mensonge me donne une raison d'exister (p. 50). Ida n'est pas un mensonge. Voilà pourquoi elle ne peut pas exister ...

L'eau a une fonction essentielle puisque c'est quand elle allait respirer sur la plage qu'elle a connu de rares instants de répit en Afrique. C’est donc "naturellement" que ses pas sont comme aspirés par le bord de la mer.

L’illustration choisie pour la couverture convient parfaitement. La provenance de cette image a été vérifiée et elle appartient à cette partie là du Gabon dans laquelle l’histoire est ancrée. Ce masque a un coté féminin, intriguant, avec des touches de rouge évoquant le sang humain.

Ida a plusieurs marraines littéraires, Murielle Magellan qui a lu un premier jet et qui a poussé Adeline Fleury à continuer. Et Tatiana de Rosnay qui, lorsqu’elle s’enthousiasme pour un texte, est capable de le soutenir bec et ongles, en faisant abstraction des chapelles d’édition. Elle l’avait fait notamment pour Gaëlle Nohant. Et puis tous les lecteurs et lectrices passionnés qui comptent vous donner envie d'ouvriers ce livre.

Enfin je voudrais signaler une forme de parenté avec le thème du second livre d'Amélie Cordonnier, Un loup quelque part à la différence près que l'issue est différente, mais le contexte socio-familial est radicalement différent.

Adeline Fleury est journaliste, romancière et essayiste. Auteure d’un premier roman, Rien que des mots (François Bourin, 2016), elle se fait ensuite reporter de l’intime pour explorer la féminité et le désir dans le Petit Éloge de la jouissance féminine (François Bourin, 2015 ; rééd. poche La Musardine, 2018), Femme absolument (J.-C. Lattès, 2017 ; rééd. poche Marabout, 2018), et Je, tu, elle, de nouveau aux éditions François Bourin, en 2018.

 Ida n'existe pas d'Adeline Fleury, éditions François Bourin, en librairie depuis le 20 août 2020

lundi 17 août 2020

Gangrène, une histoire d'amour de L.-J. Wagner

Chloé, jeune femme libre et indépendante, a une conception toute personnelle de la vie et surtout de l'amour, ce qui désarçonne son entourage. Jusqu'au jour où elle rencontre Colin, à l'indéfectible sourire. Les sentiments vont peu à peu infecter Chloé malgré elle, jusqu'à provoquer la gangrène de son coeur. Mais Colin est-il arrivé par hasard dans sa vie ? Une anti-romance cynique, cruelle et corrosive qui pose un diagnostic sur la maladie d'amour.

Voilà comment  L.-J. Wagner présente son premier roman, qu’il fait bien de sous-titrer une histoire d’amour car la couverture aurait pu laisser supposer un autre thème. A la réflexion l'association entre le coeur et la tête est forte et m'évoque les calaveras recouvertes de perles de toutes les couleurs réalisées par la communauté des Huichols et qui me bouleversent à chacun de mes mes voyages au Mexique.

Il est publié aux Souffles Littéraires, qui est une maison d'édition fondée par la Société Littéraire de la Poste, et qui a confié la distribution à Hachette. 

Quand j’indique "premier" je dois préciser premier en terme de publication car en fait Julien écrit beaucoup et depuis très longtemps. De tout, des romans, des nouvelles, des sketchs, du théâtre ... et accessoirement des communiqués de presse qui me surprennent souvent par leur tonalité décalée même si le sérieux est toujours au rendez-vous.

Donc s’il y a bien une caractéristique que je m’attendais à trouver c’était l’humour. Je n’ai pas été déçue et je dois dire que même s’il prévient que son roman est corrosif il serait faux de le croire dénué de tendresse.

Certes on est immergé dans le registre de l’humour noir mais je suis persuadée qu’il aurait pu aller encore plus loin dans ce style. Il faudra que je lui demande s’il s’est contraint pour être au final aussi résolument optimiste, même si tout est question de point de vue.

L’ouvrage s’organise en cinq parties, qu’il serait plus juste de qualifier d’actes, l’avant-dernier étant franchement théâtral ... à tel point que j’imagine aisément une adaptation pour la scène.

Sans avoir été pensé intentionnellement pour un lectorat adolescent il me semble qu’il serait utile de mettre ce roman entre leurs mains (innocentes) pour les prévenir combien, entre révélations, prises de conscience, et malgré des tentatives de consolation dans les bras d’un amant occasionnel, l’amour est une plaie incurable (p. 179).

La trame Internet, ses mails, ses textos, les pratiques controversées comme le piratage inscrivent l’histoire dans l’actualité, sans oublier la pression des réseaux sociaux qui vont faire chanter puis déchanter Belle Chloé. Elle souffrira diverses affections, du petit rhume des foins Romain à la gangrène Colin. Son petit coeur va subir les pires affres mais rassurez-vous ce roman pourra se terminer bien, faites-moi confiance, du moins pour ceux qui le méritent. Car, au bout du compte, L.-J. Wagner est un auteur fort moraliste et son roman est une éducation sentimentale revue et corrigée.

Ce n’est pas parce qu’on a une seule vie qu’il faut mal la vivre (p. 212). A condition de ne pas accorder foi à toutes les (bonnes) intentions de son entourage en suivant les conseils de ceux qui ne seront jamais les payeurs. Il est néanmoins difficile de se faire confiance, surtout quand, comme Chloé, on a conscience que l'on joue avec nos émotions.

Il faut reconnaitre à L.-J. Wagner une grande compétence dans l'analyse du jeu des sentiments. Sa mise en garde en matière de lettre de rupture est savamment observée. On la reconnaît à la manière dont elle est adressée. Le mot doux qui vous qualifie est remplacé par votre prénom suivi de la terrible virgule, vous pouvez passer directement à la fin du courrier où l’être aimé vous souhaite tout le bonheur du monde sans lui, préfère votre amitié à votre amour, et vous embrasse tendrement en souvenir du passé (p. 177).

Le roman est très actuel aussi par la pertinence des questions auxquelles il nous force à réfléchir : pourquoi le célibat est-il un tabou social, au même titre que le refus d’enfant (p. 21). Par extension il a raison d’interroger : pourquoi le non-désir d’aimer est-il si mal perçu, surtout quand on est une femme somme toute désirable ?  A un homme sempiternellement célibataire, on disait qu’il agissait en Don Juan, qu’il finirait par tourner chaussure à son pied, qu’il avait tout le temps pour ça, qu’il pouvait se reproduire à tout moment, même au dernier, et on lui pardonnerait son passé de séducteur invétéré. Mais, pour une femme, jolie de surcroît, c’était le tabou ultime. Avec en prime l'injonction d’une obsolescence programmée.

Il a aussi le talent de placer cette observation fine des rapports amoureux dans un contexte social qui gratte les différences socio-culturelles et quelques autres luttes de pouvoir, même si les revendications des employés d'une grande enseigne culturelle vêtus de gilets vert est sans commune mesure avec celles d'autres gilets. On suit avec un plaisir supplémentaire les pérégrinations des personnages entre les joies de la vie parisienne, les contraintes provinciales et les angoisses africaines.

L'auteur est un homme cultivé qui a lu ses classiques avant de prendre la plume. Sa référence à la salle 101 et à la torture psychologique qui est l'un des points clés du 1984 de George Orwell  est pertinente. Les allusions à ce roman, paru en 1948 sont fréquentes pour rappeler le risque de l'hypersurveillance d'un Big Brother qui suit nos faits et gestes. La fiction rejoint presque la réalité. C'est un certain Ignacio qui tente de prévenir Chloé en lui proposant appelle-moi Winston et je t'appellerai Julia (p. 170). Chloé qui connait l'histoire s'interroge à propos du rôle de son Colin d'amour? Serait-il un O'Brien prêt à tout pour imposer la loi du Parti ? Le jeune homme lui répond qu'il conseillerait à Julia de se méfier. Quand on aime, on ne voit pas le mal qui nous entoure. Surtout s’il est doté d’un sourire (et Dieu sait combien celui de Colin est ravageur). Comme elle ne comprend pas il prend le contrepied et renonce  : allez, Julia, cours vers ton destin.

Il n’y a aucun doute à avoir, L.-J. Wagner sait écrire, avec psychologie, en glissant aussi quelques références littéraires au bon moment, en enchaînant des situations dans un style alerte et en osant des métaphores et des traits d’esprit. L'absence de temps mort produit un page-turner plutôt addictif.
Journaliste de formation, il vit et travaille à Paris, tout en vouant une passion à l'écriture et à la scène depuis son enfance, comme en témoigne son site internet. Il joue au sein d’une troupe, écrit régulièrement des nouvelles et des pièces de théâtre et a créé Hop Frog Entertainment, une société consacrée aux relations presse de spectacles vivants, que je vous invite à suivre.

Il n'est jamais en manque d’inspiration. D'ailleurs, à l'instant où vous lisez ces lignes il est encore en train d'écrire... et nous avons hâte de découvrir quelle nouvelle intrigue il a tricotée.

Gangrène de  L.-J. Wagner, Editeur Souffles littéraires, en librairie depuis le 23 juin 2020

jeudi 13 août 2020

Une vie de Gérard en Occident

Je n'avais pas lu le descriptif d'Une vie de Gérard en Occident avant de venir écouter Gérard Potier la raconter ... et à mesure que le spectacle se déroulait je retrouvais une proximité avec un univers que je connais assez bien, celui du conte. Quelques noms me venaient à l'esprit, comme s'il pouvait exister une sorte de fraternité entre celui qui était sur scène et certains autres que j'ai pris tant de plaisir à écouter.

La brève discussion que j'ai eue après la représentation avec Gérard Potier m'a surprise par son refus d'être associé à cet art, comme s'il y avait une sorte d'échelle entre la parole d'un conteur, supposée sans doute être en quelque sorte brute de décoffrage, ou disons un peu sauvage, et celle qu'il porte en se situant dans une lignée sur laquelle on trouve par exemple Joël Pommerat.

Et pourtant en lisant le feuillet remis aux spectateurs je lis bien que Gérard est présenté comme "un griot de notre temps". Dans sa notice biographique je remarque qu'il apprend le théâtre, le conte, le chant, la danse, le collectage d’histoires. Qu'il a participé à la création du festival La Roche aux contes ...

Je peux donc me sentir autoriser à dire -et cela de manière positive- que son spectacle s'inscrit dans cet interstice où se glissent les conteurs contemporains quand ils produisent un travail d'oralité entre le réel et la fiction documentaire.

Une vie de Gérard en Occident serait l’histoire de Gérard Airaudeau. Dans la salle des fêtes de Saint-Jean-des-Oies, on attend la visite de Marianne, une députée qui veut rencontrer "des vrais gens". La table est dressée sur des tréteaux avec ses gobelets en plastique et ses chips premiers prix. Pour faire patienter l'assistance, Gérard raconte sa vie, sa commune, son pays, sa France des années 70 à nos jours.

C'est vraiment Gérard (Gérard Potier) qui raconte ... mais c'est en fait l'histoire d'un certain Bernard, vendéen pur souche, que François Beaune a enregistré pendant des heures avant de s'inspirer de son récit pour écrire son livre. Le comédien s'en est emparé ensuite et en a fait son miel en s'appuyant sur ses propres racines puisqu'il est fils de paysan vendéen. Outre son talent il est probable que ce contexte a été un atout.

mardi 4 août 2020

Les arbres voyageurs de Chateaubriand

La crise sanitaire n'exclut pas tout. Le Département des Hauts-de-Seine a cherché quelques solutions pour permettre de maintenir des sites commentées dans de nombreux lieux, notamment le Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, composé de l'arboretum, du jardin d'artiste de l'Ile Verte, d'un parc boisé au-delà du Bois de la Cave et de la Maison de Chateaubriand, elle-même noyée dans la verdure où je suis revenue ces jours-ci.

On ne peut pas encore visiter l'intérieur de la demeure de l'écrivain à laquelle on accède au bout d'une petite route piétonne en lacets, qui démarre au 87 rue de Chateaubriand, mais on peut suivre, en extérieur, une conférence expliquant les divers aménagements architecturaux des propriétaires successifs. L'empreinte de François-René de Chateaubriand y est nette mais ce n'est pas la plus décisive puisqu'il n'y aura vécu que dix ans. Je reviendrai ultérieurement sur les transformations des façades et sur la construction de ce qui est aujourd'hui un salon de thé, très fréquenté dès qu'il fait beau.

Il est en effet accessible pour y prendre un rafraîchissement, y goûter (toutes les pâtisseries sont maison) et même y déjeuner. Il est prudent de réserver parce qu'un tel endroit, en plein air évidemment et dans un tel cadre est forcément très convoité. Il s'appelle Les Thés Brillants, et est ouvert du mercredi au dimanche de 11 h à 18 h 30 (sauf de novembre à février fermeture 16 h 30, fermeture totale en janvier).
Fidèles à leur caractéristique de maison d'écrivain, les lieux sont propices à la lecture, soit de ceux qu'on y amène, soit de ceux que l'on trouve sur place, laissés intentionnellement dans le tronc d'un vieil arbre, dans la tradition du bookcrossing née en 2001 aux Etats-Unis. De multiples bancs sont installés sous les arbres ou à l'ombre des bambous. 
Leur écorce invite à être touchée. Aussi bien celle du tilleul de Hollande, très structurée, que les noeuds du Châtaignier qui toutes deux deviennent plus écailleuses à mesure que les sujets avancent en âge ou celle, douce, soyeuse, filandreuse du Cyprès chauve de Louisiane. On retrouve la plupart dans l'arboretum voisin et je vous invite à jeter un oeil sur les spécimens en été, et au cours d'une autre promenade faite en hiver.
Ecorce du Tilleul de Hollande, Lilia platyphyllos et arbre en pied
 Châtaignier commun, Castanea sativa, diamètre 283 cm, 18 mètres de haut
  Ecorce et port du Cyprès chauve de Louisiane, 32 mètres de haut, 432 cm de circonférence
Mais, pour le moment, intéressons-nous aux arbres que Chateaubriand a voulu planter le long de la première allée de son parc, en souvenir de son périple en Orient sur le pourtour de la Méditerranée  dont il revient en 1807 (l'autre allée est dédiée à son voyage en Amérique, en 1791, alors qu'il n'a que 23 ans, avec notamment des Hêtres de Virginie et des Catalpas).

samedi 1 août 2020

Dans la solitude des champs de coton dans la mise en scène de Roland Auzet

Je croyais avoir fait toutes les expériences possibles en matière de théâtre.

Très peu sur un plateau, en toute logique puisque ce n'est pas mon métier d'être comédienne, même si, en tant que conteuse, j'ai été plusieurs fois face à un public, que je me suis trouvée sur scène en avril 2019 presque une heure trente à côté de Constance Dollé dans une représentation de Girls and boys, quelques jours après avoir participé au Grand Bazar des Savoirs mis en espace par Didier Ruiz pour  les dix ans du Théâtre Firmin Gémier-La Piscine de Châtenay-Malabry (92) parmi une centaine d'experts en tous genres qui ont partagé leur passion avec des petits groupe de spectateurs.

Et en tant que spectatrice je ne manque pas de souvenirs insolites. J'ai apprécié des mises en scène fracassants le fameux quatrième mur qui isole (théoriquement) les spectateurs des acteurs. En suivant des représentations dans une chambre d'hôtel, dans une reconstitution de palais de justice, sur une barque, dans une zone industrielle, en déambulation en pleine nature ou entre les différents espaces d'un ancien cinéma, et même au coeur d'un embouteillage.

Rien de tout cela n'était gadget. Le parti pris dramaturgique se justifiait. Ce sont de beaux et bons souvenirs. Mais Dans la solitude des champs de coton, conçue et mise en scène par Roland Auzet (qui a également créé la musique) surpasse de loin tout ce qui a précédé. Je croyais connaitre le théâtre immersif. Je me trompais.

Jusque là je n'avais vécu que des moments collectifs, même lorsqu'ils se déroulaient en petits groupes. Cette fois, et bien que la représentation se déroule à la vue de tous, on la vit de manière individuelle, personnelle, je dirais "solitaire", précisément solitaire et donc en parfait accord avec le thème du texte de Bernard-Marie Koltès, tant de fois représenté dans un espace théâtral.

Je n'avais pas programmé la soirée pour son originalité, mais parce que c'était le dernier événement de cette mini-première saison au Théâtre 14 qui nous a offert un si beau festival. Je suis venue aussi pour entendre Anne Alvaro qui est une comédienne exceptionnelle, ce qui ne signifie pas que sa partenaire de jeu, Audrey Bonnet ne le soit pas. Elle était l'été dernier dernier dans Architecture, le spectacle d'ouverture du festival d'Avignon, dans la Cour d'honneur du Palais des papes où Olivier Py affirmait vouloir désarmer les solitudes.

Ce soir c'est plus que jamais d'actualité.

Pour vous dire combien je venais les yeux fermés, je m'apprêtais à rejoindre le Gymnase Auguste Renoir, un des lieux du ParisOFFestival quand j'ai compris qu'il fallait se rendre au Gymnase Didot. Outre les recommandations sanitaires de port de masque et de désinfection des mains il fallait récupérer la contremarque (à signaler que ce spectacle exceptionnel était gratuit, sur réservation) puis échanger une pièce d'identité contre un jeton, lequel donnait accès à un équipement HF dont le fonctionnement était patiemment expliqué à chacun avant d'être lâché sur le terrain alors que la nuit tombait doucement sur le stade Didot.
J’ignorais quelle était la jauge. Je ne m’attendais pas à un extérieur (le gymnase est un lieu fermé) mais je trouvais -a priori- le cadre propice au sujet, et rassurant en cette période de reprise d'épidémie.

Ça se remplissait bien. Des petits groupes se sont assis sur la pelouse, dispersés. J'avais repéré les poursuites de part et d'autre, et un dispositif plus important en place sur la terrasse mais je ne disposais d'aucun indice pour me positionner. On m'ait juste dit qu'on avait le droit de bouger. J’ai fait intuitivement le bon choix, celui du banc sous abri, situé en bordure du terrain, où d'habitude prennent place les joueurs remplaçants.
Restait à deviner quand le spectacle proprement dit allait commencer. A quoi le saurait-t-on ? A une annonce ? A l'éclairage des comédiennes ?

Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir. Il sera souvent question de rapport sauvage entre les hommes et les animaux mais surtout il sera question quelques secondes plus tard de c’est que j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi (...) C’est pourquoi je m’approche de vous (p. 9).

Le spectateur est seul, parmi la foule. Il fait, les yeux grands ouverts, l'expérience déconcertante de la cécité. Quand on est interpelé dans le noir on se repère d'habitude à la perception de l'endroit d'où vient le son. L'entendre dans le casque abolit toute direction. On reçoit la voix dans la tête sans pouvoir déterminer si la comédienne est devant, derrière, loin, proche ... Alors le public s'ébranle dans l’espoir d’apercevoir son visage. En vain.

(...) et je vois votre désir comme on voit une lumière qui s’allume, à une fenêtre tout en haut d’un immeuble, dans le crépuscule ; je m’approche de vous comme le crépuscule approche cette première lumière, doucement, respectueusement, presque affectueusement (p. 10).

Comme notre position est étrange. Nous sommes contraints à accepter la frustration et à vivre la patience. Quelques notes de piano se superposent (j'apprendrais plus tard que les actrices sont privées de la musique). Des lampes s'allument ça et là aux étages des immeubles voisins.

Non pas que j’aie deviné ce que vous pouvez désirer, ni que je sois pressé de le connaître ; car le désir d’un acheteur est la plus mélancolique chose qu’il soit, qu’on contemple comme un petit secret qui ne demande qu’à être percé et qu’on prend son temps avant de percer ; comme un cadeau que l’on reçoit emballé et dont on prend son temps à tirer la ficelle (p. 10).

On perçoit nettement, au débit des paroles, que la comédienne n'est pas immobile. Alors je fais le pari de ne pas bouger et de la laisser venir, comme on le ferait d'un animal sauvage, en vivant la scène de intérieur.

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