Puisqu’il me faut continuer à écrire mes chroniques, autant le faire dans un cadre agréable. C’est l’occasion de découvrir le populaire Jardin des Doms, ce jardin extraordinaire attenant au Palais des Papes que je n’ai jamais eu l’idée d’arpenter, je monte par l’escalier Sainte-Anne, et c’est un effort comme s’en plaignent quelques estivants en mal de digestion.
Le soleil tape franchement mais le mistral souffle bruyamment, concurrençant les cigales qui sont en ce milieu d’après-midi au plus fort de leurs cymbalisations, à l’abri dans les grands platanes à l’écorce caractéristique.
Mon œil est attiré par cette photo, intitulée Un moment de répit, montrant Jean et Andrée Vilar, dans le Verger Urbain V en 1952, faite par Agnès Varda. Je réalise qu’elle est numérotée 23 et qu’il doit donc y en avoir d’autres.
Effectivement, d’immenses tirages en noir et blanc sont disposées, composant un parcours que l’on suit de manière aléatoire. Je me demande si les noms des personnalités, qui furent en leur temps des célébrités encensées, disent encore quelque chose à la jeunesse pour qui ce jardin est avant tout un lieu de rencontres où l’on peut bavarder sans masque et presque à l’abri des regards indiscrets.
Des policiers scrutent l’évolution de l'ancienne prison, où sans doute ils ont des souvenirs. L’espace sera reconverti en habitation haut de gamme. Je m’interroge sur la nature de la motivation qu’on pourrait avoir à y résider. Le panorama est grandiose de tous les cotés. A commencer par le clocher du cloître des Carmes que Gérard Philippe (en Prince de Hombourg en 1951 par Agnès Varda) semble contempler.
Je regarde ces participants aux Rencontres internationales de jeunes en visite au Fort saint André en 1956 (encore une photo d’Agnès Varda) et je réalise que mes parents devaient être habillés comme cela.
Je me souviens de mon premier festival, en 1981, deux ans avant celui qui a marqué Charles Berling puisqu’il jouait dans Dernières nouvelles de la peste créé par Jean-Pierre Vincent dans la Cour d’honneur. Je me retiens de n’être pas nostalgique de cette époque, pas tant parce que j’étais très jeune, avec comme on dit l’avenir devant moi, mais surtout parce que, bien que travaillant auprès d’artistes qu’on disait engagés, personne n’a rien vu venir des crises que nous subissons et qui ne sont peut-être qu’un début.
Sans doute avions nous l’insouciance de Jean-Pierre Darras et de Philippe Noiret saisis par l’objectif de Maurice Costa un jour de relâche à Sorgues en 1959 alors que les enfants d’aujourd’hui ne songent pas à jouer. Aucun n’enfourchera les chevaux artificiels.
Les statues portent des noms d’hommes qui furent illustres et qui, désormais, sont connus comme désignant des noms de rue que l’on avale à grandes enjambées pour aller d’un théâtre à un autre. Comme Paul Sain ou Félix Gras. S’il n’y avait pas ce détail on se croirait au Parc de Vincennes.
Agnès Varda signe un grand nombre de clichés. Les années ont passé mais le talent demeure intact. On voit ci-dessous un instant de pause entre deux répétitions pour Georges Wilson, Agnès Varda, Maria Casares et Gérard Philipe dans la Cour d’honneur du Palais des papes Avignon 1954 (photo A.Varda).
Le souci d’information du visiteur se manifeste sur des panneaux au texte abondant. Un ornithologue a sans doute voulu faire un geste éducatif en montrant que chaque oiseau a son propre habitat. La mésange bleue est une espèce forestière présente dans toute l’Europe. Elle se nourrit d’insectes et de chenilles, sa taille 12 cm, son poids 9 à 12 grammes, sa couvée de 9 à 13 œufs. Le moineau Friquet appartient à la famille des passereaux insectivore se nourrit d’insectes. Sa taille est de 15 cm, son poids 19 à 25 grammes et sa couvée de 2 à 7 œufs.
Par contre aucun jardinier n’est venu accrocher des étiquettes pour indiquer le nom des arbres. C’est pourtant à force de répétitions qu’on les mémorise. Je m’interroge sur celui-ci et ses petits fruits rouges. Un coup de Plannet bien sûr pour vérifier qu’il s’agit bien d’un mûrier.
Je suis surprise de découvrir un panneau à la gloire des Vins du Rhône qui, à mon approche, déclenche une alerte sur mon téléphone pour me motiver à ouvrir le site Internet correspondant. Comme si c’était d'un intérêt supérieur aux arbres.
Mon regard plonge sur les pieds de vignes.
Au loin s’étendent les terres cultivées de la ferme biologique de la Reboule.
Le Rhône coule puissamment. On aperçoit au loin l'usine-écluse d’Avignon
Vu d’ici, le pont a une toute autre allure et on comprend qu’il a été construit pour rallier le Palais à la Chartreuse. Je lui ai consacré un billet particulier hier.
Le fleuve va bientôt être en crue. Ce n'est pas cette année que les danseurs y répèterait Le sacre du printemps, ballet du XXeme siècle de Maurice Béjart, sur un îlot sur le Rhône devant le Pont Benezet.(photo de Maurice Costa). Je me passionne pour ces photos, si belles, et d'une époque où le festival d'Avignon n'était pas aussi frénétique.
Jean Vilar en pleine réflexion entre deux répétitions du Triomphe de l’amour au Tinel de la Grande Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon (photo Agnes Varda), et à droite, voilà sans doute comment on portait le masque en ce temps là.
Maria Casares en répétition de Macbeth dans les vergers Urbain V (ci-dessus) et Scheherazade en pause, Sylvia Monfort, verger Urbain V Avignon 1948, (Agnès Varda) ci-dessous.
Les clichés alternent entre pause et moment en costumes. Ici La Calandria avec Françoise Spira et Jean Négroni dans le Verger Urbain V Avignon 1951 (photo Agnès Varda).
Ils restituent la présence inoubliable de ceux qui ont fabriqué une autre façon de faire et de partager le théâtre : Jean Vilar et toute la belle troupe du TNP, Gérard Philipe, Maria Casarès, Philippe Noiret, Silvia Monfort, Daniel Gélin… et tant d’autres. Ces images nous révèlent l’autre côté du plateau, les coulisses des nuits avignonnaises : le travail, l’esprit d’équipe, la fatigue, le jeu, le repos, la famille, et toujours la présence clairvoyante de Jean Vilar qui dirige et invente en toute nécessité, le théâtre sous le soleil, le théâtre loin de Paris. Elles témoignent de l’empreinte d’Avignon dans le théâtre de Jean Vilar.
Elles nous disent aussi la force, la vitalité et la joie de faire du théâtre ensemble, hier comme aujourd’hui. Sans bureau grandiose mais une simple toile de tente où l'on reconnait le patron avec sa salopette, son chapeau son cartable.
Les artistes étaient aussi connus pour jouer au foot. Voici le match annuel entre l’équipe du TNP et l’Olympique Avignonnais autour de Daniel Gelin, au stade Bagatelle, île de la Barthelasse, Avignon 1960 (Photo Maurice Costa).
L'exposition d'une trentaine de photographies singulières, en grands formats, est présentée, cinquante ans après la disparition de Jean Vilar, par l’association Jean Vilar qui invite à parcourir en plein air l’aventure vilarienne Côté Jardin, hors du temps, des représentations, «sous le ciel et la pierre glorieuse» d’Avignon. Elle s’inscrit dans le 75e Festival d’Avignon et est à découvrir du 4 juin au 14 novembre 2021 au Jardin des Doms, en accès libre.
Issues d’un minutieux travail de recherche dans les archives de la Maison Jean Vilar et dans différents fonds publics et privés, ces photographies – souvent inédites – témoignent de la vitalité et de l’engagement de Jean Vilar et de sa troupe. Elles disent aussi le lien indéfectible du théâtre et du Festival avec la Ville d’Avignon. Elles sont signées d’Agnès Varda, l’amie sétoise, de Maurice Costa, le témoin local, et de tous les autres photographes qui ont suivi l’aventure du Théâtre National Populaire dans son midi : Suzanne Fournier, Serge Lido et Boris Lipnitski.
Pour ceux qui voudraient connaitre l'histoire du jardin il faut dire qu'à l'origine le site du Rocher des Doms n'était qu'un îlot calcaire dominant de plus de 30 mètres la plaine du Rhône, offrant un excellente protection naturelle aux premiers habitants du lieu à la fin de la Préhistoire. Il devient un important «oppidum» dès l'âge du Bronze (1800 à 900 av. J.-C.) et l’âge du Fer (900 à 50 avant JC) alors que la vie se développe à ses pieds.
Les Romains ne négligent pas cette position stratégique : L’oppidum fortifié se transforme en «castrum» protégeant la cité. Puis au fil du temps, cette citadelle laisse place à un château, emblème du pouvoir comtal. Déjà à proximité, siège et réside l’évêque. Au XIIe siècle, la Commune libre érige à son tour un palais sur l’éperon rocher, au sud de la cité épiscopale. Enfin, au XIVe siècle, est édifié le Palais des papes, véritable forteresse symbolisant le pouvoir suprême de l’église qui place l’ensemble des monarques du monde chrétien sous l’autorité spirituelle de son chef, le souverain pontife.
Préservée de l’urbanisation, la partie Nord du rocher devenu au Moyen Âge lieu de pacage communal, est durant plusieurs siècles, abandonné aux moutons. Seuls sur cette proéminence aride et déserte, balayés par le mistral se sont implantés quelques moulins à vent, utiles au cas où la ville aurait à soutenir un siège et lors des inondations. Au XVIIIe siècle, avec la vogue du mouvement aériste, le Rocher devient un lieu de promenade très fréquenté, apprécié pour son bon air et son panorama.
Créés en 1830 pour parer au chômage, des ateliers de charité permettent d’effectuer des terrassements importants et de niveler la partie haute du lieu, l’accès au Rocher étant facilité par la construction de larges rampes balancées à l’italienne à partir de la place du Palais et au nord de la cathédrale. C’est sous le Second Empire, que le projet d’aménagement est véritablement mis en œuvre.
L’architecte paysager a conçu un jardin anglais à rocaille avec cascade et fontaines, où alternent bosquets et pelouses ombragées d’arbres d’espèces variées. Dominé par une grotte artificielle au-dessus d’un bassin, le jardin est sillonné par des sentiers tortueux, au détour desquels le promeneur découvre des points de vue panoramiques.
Une pièce d’eau où cygnes et canards s’ébattent autour de la Vénus aux hirondelles de Félix Charpentier, 1894) renforce l’effet de paysage naturel.
Dès le milieu du XIXe siècle, le jardin est animé par des monuments érigés à la gloire de personnalités locales : l’agronome Jean Althen, introducteur de la garance dans le département du Vaucluse, le félibre Félix Gras, les artistes Paul Saïn et Paul Vayson. Un cadran solaire analemnatique est installé en 1930. Le monument aux morts du sculpteur Bottinelli a été inauguré en 1924.
L’eau est d’abord amenée au Rocher pour l’arrosage du jardin grâce à une pompe à vapeur, établie en 1847-48 au pied de l’escalier Sainte-Anne. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un premier projet d’adduction d’eau voit le jour avec la construction de réservoirs reliés à une usine des eaux située dans le quartier de Monclar (au sud de al ville). À partir de 1934 ceux-ci sont alimentés grâce à une conduite de 8 km par les eaux pompées dans la nouvelle usine de la Signone, construite près de Cantarel, sur la route de Marseille. Dans les années 70, de nouveaux réservoirs plus importants sont implantés.
Leur partie supérieure aménagée en terrasses, offre un panorama unique sur le Rhône, le pont, l’île de la Barthelasse et, au-delà, Villeneuve-lez-Avignon.
On a un point de vue intéressant sur la Chartreuse du Val de bénédiction, ensemble architectural exceptionnel au pied du Mont Andaon. Sur cet emplacement se trouvait la livrée du cardinal Étienne Aubert, futur pape Innocent VI. Elu en 1352, le nouveau pontife poursuit les travaux de son palais puis, en 1356, décide d’y fonder une chartreuse qui devient vite l’une des plus vastes et des plus opulentes de l’ordre. Agrandie au fil des siècles, elle s’organise autour de trois cloitres. La chapelle du tinel est encore ornée de fresques exécutes par Matteo Giovanetti, le «peintre du pape». Dans son église est conservé le tombeau d’Innocent VI. Au moins un spectacle du festival se déroule chaque année dans la Chartreuse.
Dans le lointain, par temps clair, se découpent le massif des Alpilles et le Mont Ventoux (que l'on devine ci-dessus). Une table d'orientation permet au visiteur de se repérer.
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