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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 14 juillet 2021

Avignon le 14 juillet aux Brunes et à l’Alchimique Circus

 Je me suis levée de bonne heure pour aller voir la dernière création que Emmanuelle Erambert met en scène au Théâtre des Brunes à 9 h 50. 

Elle a écrit le conte musical Nacé et la pierre d’arc-en-ciel pour un trio de comédiens-danseurs-chanteurs-musiciens. Le propos est adapté aux enfants à partir de 3 ans. Elle fait la démonstration qu’on peut aborder de vrais problèmes en employant un langage soutenu, pourvu qu’on reste dans le parler vrai et juste. 

Il y avait ce matin des tout-petits accrochés à leur doudou qui ont suivi le spectacle avec attention sans jamais broncher.Il y avait aussi de plus grands, sans doute déjà repérés par leurs enseignants pour leur haut potentiel. Les comédiens furent autant à la portée des premiers que des seconds.

Je salue particulièrement le parti-pris de n’avoir pas employé de sonorisation HF (inutile au demeurant mais si souvent utilisée pendant le festival sans admettre que cette façon de faire dé-localise celui qui parle ou chante, et du coup nuit à l’attention).

L’histoire est prétexte à traiter des sujets dont les enfants ont forcément entendu parler sans peut-être les avoir compris.

Nacé (Tiph Courau) est présentée comme un enfant, fille ou garçon, préférant plonger parmi les poissons qu’affronter le jugement des autres qui la trouvent insuffisamment fille et trop garçon manqué. Elle vivait cependant dans la joie et l’harmonie avec les autres habitants de son village de pêcheurs grâce à la pierre musicale aux couleurs de l’arc-en-ciel jusqu’à ce que celle-ci soit volée. La récitante (Garance Dupuy) interroge les enfants sur le nom des couleurs et ceux-ci se sentent immédiatement pris en considération et partant pour les reprendre en chantant sur un air de jazz.
Toutes les compostions musicales sont d’Arthur Dupuy, en collaboration avec Garance Dupuy. Elles sont simples mais variées et illustrent chacune un genre particulier. Après le jazz il y aura un air de musique latine, du reggae, du disco, du rap, et même une démonstration de looping. Chacun met en valeur un instrument plus ou moins « noble », la guitare, le saxophone, les castagnettes … Le déroulé présente aussi parallèlement les spécificités de plusieurs animaux marins, pas nécessairement très connus comme l’hippocampe, le crabe, le requin, le phoque, la pieuvre, la baleine, et même une créature chimérique familière à l’univers des enfants, la sirène. L’auteure n’a pas hésité, et elle a eu raison, à employer un lexique soutenu, avec les termes de corail, branchies, aurore boréale, cétacé … et à nous apprendre que la pieuvre, munie de huit tentacules, dispose de 2240 ventouses. Tout cela laisse entrevoir les prolongements que pourrait offrir le spectacle en ateliers complémentaires, par exemple dans un cadre scolaire ou parascolaire. Elle ose également un dialogue en espagnol, partiellement traduit. Et parfois, quand c’est à propos, un terme de verlan (comme t’es ma reusse pour tu es ma soeur).
A l’inverse des autres qui aideront Nacé à retrouver tous les morceaux de la pierre qui a été dérobée, la sirène n’est pas bienfaisante. On comprend qu’elle a volé le talisman par jalousie. Ce qui est très bien vu dans le scénario imaginé par Emmanuelle Erambert c’est qu’au lieu de la punir, comme on le fait traditionnellement dans les contes, on aidera ce personnage à surmonter ses frustrations et à trouver sa tessiture vocale.

La sensibilisation au dérèglement climatique, à l’écologie, et à la plus que jamais nécessaire préservation de la nature est très prégnante sans générer la moindre angoisse. Le discours est positif, accessible sans être bêtifiant et souvent teinté de poésie : dans le ventre de la baleine, Nacé n’est pas au bout de ses peines.

On sort plein d’espoir : il n’est jamais trop tard pour tenter de redresser la situation. Si chacun prend sa part
Jamais je n’ai autant apprécié de disposer d’une bicyclette pour la durée du festival. Je prends la direction l’île de la Barthelasse pour passer la journée avec la troupe de l’Alchimique Circus qui est installée au Kabarouf, Chemin des Canotiers. Et à cette heure ci il est trop tôt pour prendre la navette fluviale (gratuite, il faut le souligner).

Implantée à Annecy dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, L'Alchimique propose des spectacles de cirque et de théâtre sur des thématiques lucides, en prise avec notre temps, mais sans perdre pour autant sa part d'enfance et d'émerveillement.

Il est dirigé par Clément Victor. Cet ancien du Cours Florent et de L'Ecole Supérieure d'Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg (TNS) a déjà un parcours long comme le bras. Il a travaillé avec les plus grands mais il garde une simplicité et une bienveillance sans bornes qui se ressentent quand on passe un moment en sa compagnie.

C’est autour de l’éblouissant projet phare CeQuiNousLie, véritable feu d’artifice circassien, qui pour autant prend à bras le corps les thématiques d’aujourd’hui qui nous tiennent à coeur : écologie, égalité femme-homme, solidarité, réalisation de soi et sens du commun… qu’il a choisi de décliner d’autres spectacles tout aussi pertinents et originaux, auxquels s’ajoutent trois spectacles invités (dont je n’ai pu voir que celui qui retrace la vie de Frida Kahlo).
J’ai d’abord assisté à 11 h 15 à Tel & Vision, un duo burlesque, totalement accessible aux enfants. Les deux clowns sont aussi des acrobates impressionnants. L’un (Antoine Branche) spécialisé dans le diabolo, l’autre (Loucas Ledru) dans le vélo acrobatique. Ensemble ils combinent leurs talents pour évoquer l’art équestre.

Clément Victor a posé sur leur création un regard extérieur pour canaliser toutes les idées qu’ils ont à propos des plus ou moins nouvelles technologies, télé, téléphone qui conduisent parfois à des visions chamaniques obéissant à des logiques absurdes et loufoquesOn s’amuse et on salue leurs prouesses physiques. On devrait aussi nous interroger sur le peu d’enthousiasme du public à prêter son smartphone pour qu’un artiste puisse appeler une ambulance et porter ainsi secours à son camarade qui vient de faire une chute impressionnante. Peut-on rire de notre égoïsme et du refus de solidarité au motif que c’est pour de faux ? 
Place ensuite au théâtre sous ce même chapiteau avec L’Odyssée d’un acteur, un seul en scène d’une heure trente, ode d’amour au théâtre, qui lève le voile sur le travail de l’ombre des comédiens. Ecrit et mis en scène par Clément Victor il met en lumière toutes les subtilités de jeu de Benoit Asnoune-Delbort.

Tout acteur rêve de jouer une telle partition et de laisser une trace comparable à celle de Philippe Caubère, …ou d’Eva Rami qui avait remporté un immense succès à la Condition des soies en 2019. Benoit Asnoune-Delbort est un instrument dont Clément Victor révèle toutes les nuances de jeu en lui offrant un répertoire très large, allant de David Leon (Un jour nous serons humains), à Alexandre Nikolaïevitch Ostrovski, Heiner Muller (Ciment), Peter Handke (Par les villages), en passant par le célèbre monologue d’Hamlet de Shakespeare. Il est prodigieux dans l’extrait du film Série noire avec Patrick Dewaere.
On suit le jeune homme, passionné inlassable, tenter plusieurs fois sa chance en passant le concours d’entrée des meilleures écoles de théâtre. Aucune péripétie ne l’arrête. Il s’obstine à vouloir travailler les grands textes alors que sa mère l’aurait bien vu dans un Molière. Il nous fait partager toutes ses péripéties, et dont surtout à comprendre comment s’exerce le travail sur de grandes scènes classiques et contemporaines. Il lève le voile sur l'art véritable de l'acteur et mérite amplement que des metteurs en scène traversent le Rhône pour venir le voir « jouer » comme on dit dans le métier. Son humilité n’a d’égal que la générosité de son talent. L’entente avec Clément Victor (ci-dessous à gauche) est de celle dont rêvent tous les artistes.
Changement de registre avec  FUIR ! spectacle immersif et itinérant écrit suite à la crise du coronavirus,  faisant plus qu’évoquer le concept de résistance au complot. Il appartient à la catégorie des spectacles particuliers parce qu’ils impliquent les spectateurs. Celui-ci encore davantage que Coupables ou Terreur (qui sont programmés eux aussi dans le Off). S’il est une fantaisie, il est construit sur un thème qui nous parle encore très vivement et sur lequel on dot réfléchir car il n’y aura pas de deuxième lendemain.
Pour commencer, les téléphones portables sont confisqués. J’ai échappé à cette contrainte parce que j’ai rejoint le groupe avec quelques secondes de retard. Un mal pour un bien puisque j’ai pu prendre quelques clichés des moments les plus propices à être montrés.
C’est une expérience à vivre les pieds confortablement glissés dans des baskets. Nous parcourerons plusieurs kilomètres sur des chemins de campagne, le long du Rhône, dans les sous-bois, prévenus qu’il faut s’attendre à tout, à chaque instant.
Chaque scène est méticuleusement chronométrée de manière à ce que deux groupes puissent se succéder sur un parcours semé d’embûches qui font le régal d’un public parfois si investi qu’il en oublie qu’on est au théâtre. Il faut dire que les cigales s’en donnent à coeur joie pour assurer la bande-son.

Pas de saluts à la fin, la dizaine de comédiens sollicités pour tenir des personnages de circonstance doit préférer demeurer dans l’ombre de l’anonymat … mais chacun les aura finalement reconnu dans les autres rôles qu’ils remplissent dans les autres spectacles.
J’ai regretté de n’avoir pas pu retourner dans la ferme bio La reboule. J’en avais la disponibilité dans mon timing mais j’avais juste oublié que nous étions un jour férié et que je me heurterai à porte close.
Il est 17 h 30 et le voyage prend maintenant la forme d’une évocation du parcours singulier de Frida Kahlo par la Cie Burdin Rhodes. C’est du théâtre de tréteaux comme il en subsiste peu. C’est aussi du théâtre d’objets, fragile et poétique, qu’il est très agréable de regarder en plein air en s’émerveillant des images qui sont proposées. Frida est Une bombe dans un ruban de soie. Cette femme qui refusait qu’on la considère comme malade au motif qu’elle était brisée est bel et bien vivante, avec ses excès et ses souffrances. La magie est dans le coeur des artistes, Brigitte Bourdin et Gilles Rhode.
Est venue l’heure de retourner sous le chapiteau pour CeQuiNousLie, orthographié avec les majuscules intermédiaires pour signifier l’importance du lien qui unit en particulier les circassiens sur le plateau mais aussi tous les individus. La création a eu lieu en 2019 au Pôle Cirque d’Amiens, mais la pandémie a freiné la programmation de ce spectacle, mis en scène par Clément Victor à partir de toutes les idées partagées collectivement dans la troupe.
J’ai presque vu une centaine de spectacles de cirque contemporains, notamment au Pôle Cirque d’Antony. J’ai suivi le déroulement de celui-ci en me disant qu’il mérite amplement d’aller à Auch et d’être présenté sur les plus belles scènes. Je voudrais en rendre compte dans le détail, ce qui m’est impossible dans le marathon avignonnais. Je ne glisse ici que quelques photos des tableaux les moins difficiles à photographier depuis ma position de spectatrice.
La promesse d’allier le spectaculaire circassien à la poésie du théâtre en abordant  des thèmes contemporains tels que l’écologie, la violence de la société, le passage à l’âge adulte n’est jamais oubliée pendant les 90 minutes qui nous tiennent en haleine.
Avec des moments où la poésie ou l’humour viennent délicatement se poser. Je me souviendrai toujours de ce tableau de dressage d’humains en reprenant les codes des dompteurs de fauves illustrant mieux que tous les beaux discours la question de savoir ce que l’on faut subir aux bêtes.
Les numéros s’enchaînent dans une (très) apparente décontraction mais les risques sont énormes, notamment dans les numéros de voltige équestre et les applaudissements du public sont largement mérités. Bravo et respect pour leur courage à Zealand Mathez (trapèze), Antoine Branche (acrobatie, voltige équestre), Louison Cancel (cerceau), Lucie Dayot (corde lisse), Alexis Debris (équilibre, acrobatie), Armand Delattre (roue cyr), Dorian Didier (manipulation d’objets portés), Ancelin Dugué (bâton staff), Hortense Godard (équilibre, contorsion), Lucy Guillou (clown acrobatique), Clara Michel (équilibre, acrobatie), Loucas Ledru (vélo acrobatique) … et au cheval Estoqué
La bande-son (signée Delphine Mathieu) est subtilement ponctuée de titres comme Les gens qui doutent, avec la reprise de Lou Gala ou Mon manège à moi d’Edith Piaf sur lequel le spectacle s’achève dans une symbolique très forte.
Pour achever la journée sur un clin d’œil aux coulisses du cirque et à celles du festival d’Avignon Clément Victor a choisi de mettre en scène un ultime spectacle, La Nuit au Cirque de Olivier Py, qui est une sorte de fantaisie théâtrale et musicale qui est jouée en plein air, sous les grands arbres, dans le calme relatif de l’île, une fois que les cigales sont parties se coucher.

Olivier Py est un auteur prolifique et enchanteur qui a retravaillé les mythes pour montrer tout ce que j’aime, voir le spectacle qui se déboulonne. Ici l'histoire d'Amphitryon (on retrouve Benoit Asnoune-Delbortqu’il place dans les coulisses d'un cirque. Clownette, Squelette, Femme-Serpent... feront leur numéro. Les personnages fantasques (habillés des magnifiques costumes de Camille Grangerdéfilent, chantent, tandis qu'Amphitryon pris au piège par le Magicien se pose des questions existentielles !
 
Acceptera-t-il la réalité car ici tout est faux ? La belle Alcmène saura-t-elle le reconnaître ? Et les amoureux profiteront-ils de la mésaventure pour retrouver leurs rêves et leurs idéaux ?
La clownette reconnaîtra que l’histoire n’a plus aucun sens. On a le sentiment que l’âme de Shakespeare vient de se glisser derrière la scène.
Cette fois ils salueront tous : Mathilde Modde, Benoit Asnoune-Delbort, Hervé Charlton, Aurélie De Foresta, Ania Vercasson, Mirabelle Wassef  … tandis que Clément veille, discrètement sur tous.
Nous lèverons le camp puisqu’il nous est intimé l’ordre de dormir alors que le Pont Bénézet se pare des couleurs républicaines. Il est vrai que nous sommes le soir du 14 juillet. Le feu d’artifices n’aura pas été tiré, faute de pandémie m’a-t-on dit mais nos yeux auront été éblouis par le théâtre et le cirque réunis.

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