La journée fut calme, avec « seulement » 4 spectacles dont 3 dans le même théâtre, le Buffon.
Après une matinée consacrée à l’écriture (il faut bien voler le temps de chroniquer), à faire une interview dans le domaine culinaire (pour respecter l’alternance des articles) et à suivre la conférence de presse de Nathalie Béasse, qui me confirma toutes les impressions que j’avais ressenties hier soir au Cloître des Carmes, me voici de retour sur cette même place, mais au Théâtre des Carmes, pour découvrir, Marie Thomas parce que je ne la connaissais pas encore.
Elle y joue à 14 h 15 Pôvre vieille démocrasseuse, un texte de Marc Favreau, qu’elle a mis plus d’un an à mémoriser tant il est tant tellement complexe, dans la mise en scène de Michel Bruzat.
Mon voisin de fauteuil, qui m’entraîna dans cette aventure, me souffla que, ouf, le coquelicot-signature du trio est bien là, accroché au rideau, comme dans chacun de leurs spectacles. Aller le voir n’est pas anodin. On succombe au charme, on applaudit à s’en briser les poignets et on se promet de ne pas louper la prochaine création. C’est un joyau, une étincelle, une pépite.
Elle surgit de derrière le rideau dans le costume (magnifiquement décadent et poétique) de Dolores Alvez Bruzat en susurrant un « Il parait … » que l’on pressent lourd de sous-entendus. Elle nous transmet, un peu plus d’une heure durant ses envolées lyriques, son questionnement et ses réflexions philosophiques à propos de l’origine du monde, de la santé et de la conquête de l’Amérique sans jamais perdre les pétales des enchaînements poético-lexico-absurdo-drôlatiques et néanmoins pertinents à la manière d’une reine de Motordu.
Cette femme caoutchouc distille sa philosophie avec une diction parfaite et une naïveté confondante nourrie de citations retroussées, de proverbes introvertis, cueillis sur le champ. Quel vent de fraîcheur dans ce festival ! J’en suis toute contagiée, comme vous avez pu le constater en me lisant.
Direction le Buffon à 17 h 20 pour La folie Maupassant, qui est le résultat d’une commande que l’acteur Jean-Pierre Bouvier a faite à Gérard Savoisien après son immense succès avec Marie des poules, que j’avais vue dans ce même théâtre Buffon. Je lis dans le texte de présentation : La pièce décrie de l’intérieur La Folie Maupassant et lui rend sa souffrance qui fut extrême.
L’erreur orthographique sur le verbe décrire, lisible ici sous la forme du verbe décrier est un lapsus tout à fait significatif de ce que le spectateur peut ressentir. Dans la fiction plausible que l’auteur a écrite, on perçoit le caractère, la personnalité et l’humanité de l’écrivain qui a connu, séduit et aimé une centaine de femmes. Sa sexualité trépidante lui valut d’attraper la syphilis, et de sombrer dans la folie.
Revendiquant de n’avoir écrit ni un biopic ni une pièce historique, Gérard Savoisien a choisi de créer le personnage de Solange (Noémie Elbaz) comme condensé métaphorique de toutes ces femmes. Elle apparaît régulièrement devant Maupassant, incarnant son « rêve fou » et cette vision est, avec l’éther, la seule capable d’apaiser les migraines de l’écrivain. Le spectacle monte crescendo jusqu’à une scène plus intimiste où les deux comédiens donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Anne Bouvier a mis en scène ce Maupassant dans un décor qui symbolise intentionnellement un espace mental disproportionné.
Enchaînons avec La grande musique à 19 h 20, avec une autre commande, cette fois à Stéphane Guérin par Salomé Villiers (ci-dessus), qui met également en scène Badine au Théâtre des Gémeaux. Elle a laissé carte blanche à l’auteur pourvu qu’il écrive en pensant aux comédiens dont elle lui avait donné la liste. Parmi eux, Hélène Degy (ci-dessous) qui n’est pas visible sur la photo des saluts.
Stéphane Guérin s’est emparé de cette liberté pour creuser un thème qui lui et cher, le secret de famille, en développant des réponses aux questions : Croyez-vous que le passé passe ? Comment avancer si on laisse le passé où il est ? To see or not to see les soucis, pourrait en être la punchline. L’écriture est formidablement contemporaine, avec des références musicales et sociétales à peine appuyées.
Salomé Villiers a fait une mise en scène que je qualifierai de « discrète » ( c’est un compliment) et qui convient tout à fait à cette pièce. Il aurait été dommage de multiplier les effets alors que chaque comédien dispose d’un texte qui lui permet de révéler le meilleur de lui-même. Le résultat dégage un équilibre d’humanité, d’humour et de profondeur. Le fantôme du passé peut être rassuré. Il peux partir, son histoire a été racontée.
Pour terminer Contre-temps qui démarre à 21 h 25 et qui est encore un spectacle musical. C’est la dernière création du trio de choc Samuel Sené, Eric Chantelauze et Raphaël Bancou qui font une nouvelle fois appel à Marion Préïté dont la prestation dans Comédiens avait participé au succès de la pièce, couronnée de 5 statuettes aux Trophées de la Comédie musicale.
Elle fait bien la paire avec Marion Rybaka qui a une aussi jolie, et aussi puissante voix que la sienne. C’est un régal de les entendre interpréter des extraits des standards classiques ou issus de l’univers de la comédie musicale, de l’opérette ou du jazz dont l’une ou l’autre cite toujours les titres (les emprunts étant rarement crédités dans d’autres spectacles il m’a semblé important de le souligner).
Le décor d’Isabelle Huchet, manipulé comme un meccano par le pianiste (Raphaël Bancou) ne m’a pas convaincue mais il n’est pas l’essentiel du spectacle. Sans doute a-t-on voulu démontrer qu’on pouvait démonter l’histoire de la musique contemporaine pour bricoler une légende.
Toutes les photos sont © À bride abattue, à l’exception de la seconde photo de Marie Thomas qui est de Nicolas Gaillard.
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