Joueurs est une très belle surprise de l'été. C'est le premier film de Marie Monge qui a été inspirée de confier le rôle principal de Ella à Stacy Martin qui était déjà remarquable de naturel dans la peau d'Anne Wiazemsky, la muse du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard dans le biopic Le Redoutable réalisé par Michel Hazanavicius.
Son partenaire de jeu, dans tous les sens du terme, c'est Tahar Rahim, qui était le personnage principal du film culte de Jacques Audiard, Un Prophète, le délinquant Malik El Djebena, qui lui valut le César du Meilleur Espoir Masculin et celui du Meilleur Acteur, un doublon jamais vu dans l'histoire du cinéma.
Son père est Bruno Wolkowitch, un acteur bien connu des films policiers. On retrouve aussi Karim Leklou qui, après un petit rôle dans le Prophète, a enchainé avec La Source des femmes de Radu Mihaileanu aux côtés de Leila Bekhti et Hafsia Herzi et a été remarqué pour son interprétation d'Angel dans Les géants de Bouli Lanners.
Il est ici un très touchant amoureux platonique. On pourra le voir dans un registre plus comique dans le prochain film de Romain Gavras, Le monde est à toi. Il y sera François, un petit dealer qui a de grands rêves.
On le voit, Marie Monge a fait un casting de rêve et rien d'étonnant à ce qu'il ait été salué à Cannes par la Quinzaine des réalisateurs. Je ne lui reprocherais que l'affiche dont les couleurs ne correspondent pas à l'atmosphère du film. Ou alors juste aux couleurs ocres du générique et aux premières scènes, avant que la vie d'Ella ne bascule avec sa rencontre avec Abel.
La lumière est fondamentale dans ce film qui se déroule majoritairement la nuit. La réalisatrice a su rendre toutes les gammes de bleu, depuis le jour pointant au petit matin jusqu'au bleu indigo d'un crépuscule angoissant. Si bien que ce film noir est au fond très lumineux.
Abel surprend Ella à la fin du coup de feu alors qu'elle est épuisée. Il bluffe comme à son habitude. Il n'a pas de CV mais réussit à décrocher un essai dans le restaurant où tout le monde est débordé. On pourrait croire à un gentil garçon mais il n'est là que pour se "refaire", quitte à piquer dans la caisse.
Il sera dit que quelque chose d'important va se jouer entre les deux jeunes gens. Abel va initier Ella aux jeux d'argent comme on le ferait avec la drogue. Alors qu'il vient de la voler il renverse les rôles, prétend qu'il va lui faire confiance mais que c'est important qu'elle y croit (que gagner est dans ses cordes). On la voit basculer, sourire, se prendre au jeu, comme le dit l'expression.
Tout semble alors possible, comme de faire croire qu'on ne connait pas Forest Gump ... Ella débute fort.
On imagine que la réalisatrice (qui a aussi écrit le scénario) s'est soigneusement documenté. Les décors (reconstitués) sont plus vrais que natures avec des croupiers, des caissiers, des joueurs qui jouent leur propre rôle. Les dialogues sonnent justes. Les techniques sont dévoilées : miser l'inverse, s'appuyer sur des séries, faire des statistiques ... mais le plus juste est encore de regarder le nombre de jetons de la caisse.
Tout de suite Abel la met en garde contre les dérives, les femmes prêteuses (le plus souvent des chinoises) et les rabatteurs. Outre la qualité des lumières, le cadre est très soigné dans une sensualité débordante.
Chaque scène correspond à un ressort psychologique et est menée de manière à laisser place au suspense. Elle a découvert les Cercles de jeu qu'elle compare à des arènes qui composent un monde parallèle fascinant, très dangereux mais hypnotique dans un univers parisien basé sur les Grands Boulevards, entre Strasbourg Saint-Denis et République, loin des cartes postales.
Parce que ce qui différencie cet homme de cette femme c'est la motivation à jouer. Ella tombe dedans parce qu'elle est prise au piège de l'amour qu'elle porte avant tout à Abel. De tous petits gestes sont significatifs du changement qui s'opère, à commencer par le fait de se rougir les lèvres alors qu'elle ressent le manque de son amoureux évaporé en pleine nuit. Le film bascule alors. On a compris qu'Ella allait y retourner ... pour le retrouver, d'une manière ou d'une autre et il fera semblant d'être surpris par sa présence. On peut alors lire la satisfaction dans ses yeux à elle et l'admiration dans ceux de son amoureux.
Plus tard son visage subira une autre transformation plus radicale, avec une coupe de cheveux très courte, symbolisant une perte d'énergie.
Abel n'est pas un flambeur. Son visage porte les traces de coups et son tee-shirt d'un blanc douteux est élimé aux coutures. Il pourrait passer comme un manipulateur uniquement intéressé par l'argent mais le jeu est pour lui une vraie addiction et un mode de vie.
Une caméra sans concession nous montrera plus tard la jeune femme de plus en plus pâle, les joues creuses, et avançant comme un zombie, capable de voler père et mère pour tenter de sauver son amoureux. Les cadavres de bouteilles de bière jonchent la table, le sol. Il est évident qu'ils vont perdre leur logement. Le jeu mais aussi les courses poursuite sont autant de décharges d'adrénaline. Il y a de la sauvagerie dans leur équipée.
Il tente encore une fois de la convaincre qu'il pourra l'emmener au Mexique, qui serait selon lui l'endroit parfait pour disparaitre. Il jure que cette fois c'est vrai il arrête, se fait interdire de jeu, semble réellement décrocher. Faty Sy Savanet, la chanteuse punk originaire de Kinshasa, du groupe Tshegue est à l'écran et entonne Survivor. Ella et Abel dansent le Madison et on veut y croire nous aussi.
La rechute est pire encore et on les voit sous l'effet du manque qui provoque les mêmes ravages que l'angoisse. La jeune femme est presque méconnaissable. Comme son cri de bête est poignant lorsqu'elle découvre l'ultime trahison de son amant.
Ella pense longtemps avoir le ressort pour changer le cours des choses et l'illusion est entretenue par des plans filmés au ralenti, jusqu'à ce qu'elle capitule, et retourne bosser dans le restaurant de son père où elle a désormais l'interdiction de s'approcher de la caisse. On remarque que sa famille lui accorde un soutien sans faille malgré son comportement irrespectueux à l'égard de sa belle-mère enceinte, mais on verra que rien ne pourra récupérer la situation.
Ella veut retrouver Abel envers et contre tout, quitte à le trahir à son tour. La démonstration est magistrale dans un enchaînement de scènes autant violentes que poignantes.
Abel se révèle autant autodestructeur qu'il ne fut destructeur, semblant puiser sa force dans les situations les plus désespérées, au risque d'y laisser sa peau ... ce qui est une façon (certes tragique) d'arrêter. Son visage est quasiment entièrement dans le noir alors qu'il se confie sans masque : gagner tout le monde peut le faire, mais perdre, la plupart des gens ne s'en remettent pas. Ça les brise. Alors c'est puissant, ça devient ça la piqure, plus tu perds, plus tu te sens libre, invincible.
Suit une magnifique déclaration d'amour : je pouvais survivre à tout mais pas à toi. J'y arrive pas. je sais qu'ils sont en bas. C'était la seule façon pour que ça s'arrête.
Le scénario est formidablement bien ficelé puisque nous allons assister à une course poursuite en voitures, filmée comme un combat de fauves. Décidément ils ne carburent qu'à l'adrénaline.
Barbara peut bien chanter que le mal de vivre vient de loin (1965) ...
Marie Monge est née en 1987. Elle a suivi des études de cinéma à l’Université de la Sorbonne Nouvelle à Paris. Fille de parents magistrats (et cinéphiles) elle raconte que son enfance a été nourrie d'histoires improbables mais pourtant vraies. Elle est scénariste et réalisatrice de plusieurs courts métrages dont Marseille la nuit nommé aux César 2014. Rien d'étonnant alors à ce qu'elle ait choisi le monde peu connu des cercles de jeux et de la nuit comme cadre à son premier long-métrage.
Elle nous offre un thriller enfiévré et pourtant romantique ... dans le sillage d'un In the mood for love de Wong Kar-Wai
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