Sophie Forte écrit très bien pour le théâtre. Chagrin pour soi fut un triomphe et ce Voyage en ascenseur promet un succès comparable. C'est une auteure qui aime les contrastes et les oxymores.
Ce voyage immobile (l'ascenseur est bloqué) causera de grands bouleversements dans l'âme des deux occupants, bien obligés malgré eux, de cohabiter plusieurs jours. La panne commence en effet la veille du long week-end de l'Ascension ... et que l'on apprécie ou non la symbolique de la date le spectacle commence avec une illusion parfaite grâce au décor hyperréaliste de Jean-Michel Adam d'une fable urbaine.
Juliette, la femme du Patron, angoissée, énergique, drôle, hypocondriaque, fragile épouse d’un PDG qui la délaisse, complètement citadine et l'homme de ménage Moctawamba, originaire d’une Afrique lointaine, discret, lunaire, poète, père de famille libre et heureux, se retrouvent coincés au deuxième sous-sol de l'entreprise. Ces deux univers que tout oppose vont permettre d'agrandir cet espace de jeu peu à peu, pour s'ouvrir et s'enrichir, tout comme notre regard sur les autres.
La femme est gênée par la promiscuité imposée par les lieux. Sa bonne éducation lui impose d'être polie mais elle n'a pas l'habitude que quelque chose lui résiste. C'est plus fort qu'elle, il faut qu'elle parle et qu'elle agisse. Voyant que rien ne marche elle se démène de plus belle, quitte à subir une crise d'asthme (comme elle est drôle à inhaler sa Ventoline !).
L'homme est perplexe, mais stoïque. Sa bonne éducation lui impose le silence et il n'a pas pour habitude de se rebeller. Quand il se décide à parler c'est pour formuler un proverbe (africain si on veut bien croire l'auteure) : la normalité commence quand on découvre sa différence.
Juliette n'est pas en état d'apprécier la sagesse de la formule. Elle a le don de catastropher : on est foutu ! Ce qui lui vaut une nouvelle maxime : Tant que tu doutes, n'affirme pas. Mais si tu affirmes, ne doute pas.
L'intrigue est fort mince et pourtant Sophie forte parvient à broder sur le thème pendant une bonne heure sans que l'on ressente le moindre ennui. Tout est quasi plausible et on se demande dans quel état ces deux là sortiront de leur cage 48 heures plus tard, sans manger, ni boire, et en ayant du mal à dormir.
Ils utiliseront les moyens du bord, le matériel de ménage de Moctawamba, le sac à main (Chanel s'il vous plait) de Juliette. Et sous couvert de farce, Sophie nous amènera à réfléchir au moyen de vivre ensemble, de s’écouter, se supporter et se comprendre quand au départ tout nous oppose. Nous finirons par envier Juliette d'avoir eu la chance d'être écoutée comme elle l'est par cet homme dont les poèmes sont d'une grande beauté. Réciproquement l'homme de ménage conviendra que Juliette aura été la seule amie riche et blanche qu'il a jamais connue. On lui souhaite que ce ne soit pas la dernière.
Productrice audiovisuelle depuis dix-sept ans, et une belle centaine de téléfilms plus tard, Corinne Touzet est devenue entrepreneur de spectacle en 2012 pour qu’existe un de ses rêves, l’adaptation de la Journée particulière d’Ettore Scola. Ce rêve est devenu réalité au Chêne Noir en Avignon, un véritable succès suivi d’une magnifique tournée et d’une reprise à Paris au Théâtre du Petit Montparnasse. Le théâtre, depuis, est devenu un vrai choix de vie.
Après le succès de Un nouveau départ, pièce d’Antoine Rault, créée au Théâtre Actuel, le Théâtre des Variétés en 2016 et une magnifique tournée, elle a eu envie de retrouver Anne Bourgeois, metteur en scène avec qui elle avait adoré travailler en 2008 sur Mobile home de Sylvain Rougerie.
Voyage en ascenseur avait toutes les qualités pour la séduire, elle qui est sensible aux aprioris, à la tolérance et au regard qu'on pose sur les autres.
On ne le sait pas forcément, mais elle est d'origine antillaise par sa grand-mère, et le rôle de Juliette, devant cohabiter avec un homme d'une couleur de peau différente de la sienne, était une motivation supplémentaire. Elle était ravie d'interpréter quelqu'un qui allait tomber le masque.
Comédien, metteur en scène, Jean-Erns Marie-Louise a étudié l’écriture du scénario, l’analyse et la dramaturgie à Paris III. Il a également été formé par Christopher Barnett, Marcel Robert, Pierre Dougnac, et différents Master Class. Il a beaucoup tourné pour le cinéma et la télévision et joué au théâtre un large répertoire classique comme contemporain. Egalement artiste-peintre il a réalisé de nombreuses expositions en France et à l’étranger.
Après des études d’architecture d’intérieur, Sophie Forte quitte Lyon pour Paris afin de suivre les cours Simon. Un passage au petit conservatoire de Mireille et elle se lance en 1987 dans les cabarets comme chanteuse. Puis elle écrit et interprète des sketchs dans de nombreux festivals d’humour, crée cinq one woman shows qu’elle joue à Paris et en tournée durant quinze années. Egalement des chansons pour enfants et adultes.
Parallèlement elle travaille quatre ans dans l’émission La classe, cinq ans dans Rien à cirer sur France Inter, avec Michel Drucker dans Vivement dimanche, Christine Bravo dans Frou Frou et participe à de nombreuses autres émissions. Depuis les années 90, elle tourne dans de nombreux longs et courts métrages, dont un qu’elle réalise en 2017.
A partir de 2006, elle écrit des pièces de théâtre dans lesquelles elle joue ou qui sont interprétées par d’autres, au festival d’Avignon, à Paris ou en tournée. Voyage en Ascenseur est sa dixième pièce.
Les deux personnages enfermés dans l’ascenseur vont devenir un support magnifique l’un pour l’autre, et emmener le spectateur vers une émotion profonde. Comédie quasi burlesque au départ, la pièce devient finalement une très jolie variation sur la confrontation avec soi-même.
Les saluts sont à l'instar de la pièce, sérieux au début, déchainés et joyeux par la suite.
Voyage en ascenseurUne comédie de Sophie Forte
Mise en scène : Anne Bourgeois
Avec Corinne Touzet et Jean-Erns Marie-Louise
Décor jean-Michel Adam
Depuis le 18 mai jusqu'au 29 juillet 2018
Du mardi au samedi à 21h
Matinée le dimanche à 15h
Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté 75014 Paris
Tél : 01 43 35 32 31
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Fabienne Rappeneau
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