
Jean-Paul Farré met ses talents au service d’un pamphlet éblouissant contre l’absolutisme. Pourquoi les hommes acceptent-ils la domination d’un seul ?
Après avoir été créée au festival d’Avignon, au Petit Louvre, à l’été 2023 De la servitude volontaire s’installe au Théâtre Essaion, toujours avec l’immense comédien qu’est Jean-Paul Farré.

LM Formentin a récrit le texte pour mieux nous reposer la question à propos de cette constante de l'Histoire qui veut que des millions d'hommes toujours se soumettent à un maître. On ne peut pas dire qu’elle ne soit pas d’actualité, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.
Un tapis rouge traverse la scène de jardin à cour. Un long manteau pend à un crochet. Voilà le comédien qui descend l’escalier et que l’on surprend dans le miroir.
Il n’y a pas privilège plus grand que d’assister au lever du roi, prononce-t-il en majesté avec une diction exemplaire. Le roi en question est bien sûr notre bon Louis, si bien nommé le Roi-Soleil.
Prenant place sur le fauteuil, il ose le premier trait d’humour : Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul (…) Faire d’un tel objet de dégoût, un honneur… sérénissime défécation.
Commence alors la démonstration implacable de ce qu’il faut reconnaître comme la bêtise humaine. Travers des propos qui -mille fois hélas- font furieusement penser aux dernières annonces du président américain.
La démonstration de La Boétie n’a pas pris une ride, même si LM Formentin a entrepris de s’en emparer pour écrire un seul-en-scène qui est formidablement servi par Jean-Paul Farré, lequel n’a pas de piano pour nous dérider.
Se défendant de nous faire une leçon de morale, l’harangueur prétend parler tout seul (aux oiseaux et aux choses )… à son vieux manteau. Mais ses mots nous percent comme des flèches en particulier lorsqu’il dénonce la lâcheté des peuples et sous-entend que nous pourrions même éprouver une complice admiration à l’égard des tyrans.
Il va plus loin en nous donnant des clés pour comprendre ce comportement paradoxal qui veut que le faible se soumet tacitement au fort (on pourrait extrapoler dans les questions de harcèlement qui alimentent tant les débats quotidiens) en vertu notamment du principe illustré par le proverbe chinois du VII° siècle : Ne mords pas la main qui te nourrit.
Si nous sommes individuellement d’accord et pensons de concert nous n’agissons pas en nombre. Personne ne se risque au courage. Chacun attend tout de l’autre et rien ne se passe. Un homme tué en fait taire mille comme Machiavel l’avait si bien démontré.
Voilà pourquoi le tyran s’offre le droit de voler des millions de bouches, Il ne sera vaincu que par un autre tyran qui répétera le schéma.
Là où l’analyse est subtile c’est qu’elle pointe que la tyrannie s’alimente de ressentiment. Derrière la façade d’une force de caractère, les bourreaux sont dans l’incapacité à réfréner leurs instances, ce qui marque leur fragilité. Et pourtant ce n’est pas la privation de liberté qui déclenche les révolution mais toujours la misère.
Enfilant la veste après avoir rentré la chemise dans son pantalon, l’orateur se propose de nous faire entendre les tyrans. Le conformisme prépare à la tyrannie car la survie de la société prime sur tout en raison de l’attachement viscéral à la horde pour conjurer la peur de la solitude. C’est la fameuse injonction du pas de vague qui musèle la parole et pousse l’humanité à avancer sur un chemin tout tracé.
Il est vrai que la liberté peut faire peur. Être libre c’est vouloir, et vouloir c’est choisir. LM Formentin ne cherche pas à nous décourager mais à nous alerter. Comme nous en prévient le comédien avant de nous laisser à nos réflexions : L’histoire n’est pas finie. Elle regorge d’imagination. Où chacun de nous sera ?
Aurais-je moi seul plus de forces qu’un peuple tout entier ?
Il est amusant de constater quelques instants plus tard, car les deux spectacles se suivent, qu’Oblomov lui répond à sa manière … en demeurant dans son lit.
Mise en scène Jacques Connort
Avec Jean-Paul Farré
Décor de Jean-Christophe Choblet
Costume d’Isabelle Deffin
Musique de Raphael Elig
Lumières d’Arthur Deslandes
Costume d’Isabelle Deffin
Musique de Raphael Elig
Lumières d’Arthur Deslandes
Du 5 février au 27 avril 2025
Les mercredis et jeudis à 19H, vendredis et samedis à 21H, dimanches à 18H
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre au Lard (à l'angle du 24 rue du Renard) - 75004 Paris
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre au Lard (à l'angle du 24 rue du Renard) - 75004 Paris
Réservations : 01 42 78 46 42
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