Un auteur enracinéClaudie Gallay a grandi en Isère, dans la campagne dauphinoise, au contact des bêtes, au rythme des labours.
Quand d’autres se nourrissent de descriptions littéraires la petite fille est en prise directe avec la nature, enregistre les odeurs, les bruits et les couleurs. Mille et une petites choses devenues presque invisibles aujourd’hui aux yeux des citadins.
Son écriture se nourrit directement de ce terreau. Des images surgissent, belles et brèves, un peu à l’instar de ces fichiers Power Point que les internautes transfèrent en boucle à leur carnet d’adresses. Sauf que ses phrases à elle ne parlent jamais pour ne rien dire. Si elle s’attarde sur le ventre d’une grenouille où palpitent encore quelques lucioles, c’est pour mieux nous faire toucher l’or du temps.
Chaque livre surgit d’un territoireC'est une exposition de
poupées Kachina au Pavillon des Arts en 1996 qui fut à l’origine de
L’or du temps. Il y avait un camp de gitans en bordure de la route qu’elle prenait pour aller travailler. Un soir elle s’est arrêtée et a passé 2-3 heures avec eux, le temps de s’imprégner d’une atmosphère, même si alors elle n’avait pas directement projeté d’écrire
Mon amour, ma vie.
Elle a séjourné plusieurs fois à
Venise, dans cette même maison d’hôte où elle situe l’action. Le patron ne s’appelait pas Luigi. C’est un autre vénitien qui en a été le modèle. Et pendant plus d’un an elle est allée à
la Hague :
Je peux situer le début du travail au jour où j’ai commencé à regarder le phare autrement. A partir de cet instant je n’étais plus en promenade sur les sentiers. J’ai marché sur la terre où mes personnages allaient avancer. Théo est né d’une silhouette entre aperçue un soir de brume.
Elle a forcément vu quelque part les gestes de Lily, le blouson de Lambert.
Mais elle prétend que ses personnages sont complètement imaginaires. Ce qui sous-entend que ses romans ne doivent pas être compris comme autobiographiques. Pourtant le réel se glisse subrepticement dans ses ouvrages. C’est André Breton et une kyrielle de surréalistes dans
l’Or du temps. C’est Jacques Prévert dans
les Déferlantes.
Claudie Gallay n’a pas eu de livres dans son enfance. Elle s’est rattrapée plus tard. Elle dit avoir été bouleversée par
Un barrage contre le pacifique de Marguerite Duras, un tout petit livre d’Albert Cossery
(chaque phrase va à l’essentiel, comment écrire après …),
l’Enfant méduse de Sylvie Germain,
Isabelle Bruges de Christian Bobin,
le Journal de Charles Juliet, un auteur terriblement marqué par la solitude ,qui va gratter très loin dans les silences, touchant l’universel de nos douleurs, le fabuleux poème de Prévert,
le Gardien de phare aime trop les oiseaux.
La mer, partout la merC’est un fait. L’eau est presque un des personnages principaux de tous ses livres. Avec les tourbillons qui alimentent le gouffre (
l’Office des vivants). Les vagues marines qui dévorent une falaise (Etretat dans
l’Or du temps, la Hague dans
les Déferlantes). Un père ou un animal peut s’y noyer, une maison s’y effondrer (
les Années cerises). C’est aussi un élément du décor de
Seule Venise.
Claudie adolescente a tant rêvé d’aller passer une journée au bord d’un océan qu’elle y emmène tous ses héros (Dan, le jeune rom, Pierre-Jean, dit l’Anéanti, Marc le fils aîné …) et même leur progéniture (les jumelles du narrateur de
l’Or du temps). Elle qualifie le lien avec la mer d’apaisant. C’est le bruit et le silence. Alors forcément ses personnages y vont et reviennent, ramassent des galets. Si j’étais psy … je trouverais cela tout à fait normal.
Un écrivain de la rencontreLes nouvelles technologies sont peu prégnantes même si on entend çà et là la sonnerie d’un portable. L’amour du couple décline au quotidien. La nature sauvage est exaltée. Claudie Gallay ne décrit pas les mondanités mais offre de belles rencontres. Cette façon de schématiser son œuvre surprend l’écrivain qui ne l’avait jamais analysée comme cela mais qui ne s’en défend pas :
je n’ai pas de message à transmettre contre la société. Juste le besoin d’écrire sur ces gens qui dans la vie ordinaire n’ont pas cette capacité à échanger par la parole. Sur ceux qui privilégient les gestes et les regards.
On entend beaucoup de silence dans ses livres. Ce qui permet d’écouter les non-dits. Claudie Gallay compare avec la vie courante où il faut vraiment être bien avec quelqu’un pour pouvoir se taire avec lui.
Je cherche à montrer l’envers d’un tissu, ce qui s’est perdu mais que l’on porte encore en nous. Nous sommes faits de rencontres, avec des personnes, des musiques, des peintures, qui font dévier légèrement nos vies. J’aime toucher à cela. A ce que dans la vraie vie on rate parfois faute de temps ou par excès de soucis.
A qui invoque positivement la spontanéité du langage elle répond d’un souffle qu’elle l’épuise. Que la parole orale est bien compliquée. Que malgré sa très grande vitesse il faut qu’elle soit vraie, au plus juste. Alors que l’écriture, à l’inverse, autorise toutes les corrections. Que ce soir, dans sa chambre d’hôtel, elle va regretter de ne pas avoir dit plus.
La belle place aux personnes âgéesElles sont dépositaires d’un secret de leur histoire qu’elles offrent en provoquant chez le confident la révélation de son moi profond. Le dialogue est réel et non à sens unique. Souvent entre une personne âgée et un quarantenaire (la narratrice et le prince russe Vladimir Pofkovitchine dans
Seule Venise, Alice et le narrateur de
l’Or du temps …). Claudie Gallay rend hommage à sa façon à son grand-père menuisier, toujours curieux d’apprendre, qui lui a transmis l’amour des livres sans avoir été lui-même à l’école. Décédé deux ans avant la parution de son premier livre tout en sachant qu’il était en cours.
Des romans durs et pourtant paisiblesLa cruauté des hommes est plus dure que toutes les autres. La nature et les animaux peuvent apporter cette force qui permet de survivre. Le petit gitan de
Mon amour, ma vie parviendra à sortir de l’enfance grâce à l’amour de Tamya, sa guenon, sans doute plus humaine que bien des hommes. Claudie Gallay en profite pour rassurer les lecteurs : non l’enfant ne meurt pas à la fin de l’histoire
(soulagement de l’auditoire). Il accompagne l’animal, c’est tout. Zaza, sa petite amie difforme à cause de la poliomyélite, est elle aussi un beau personnage, inspiré sans doute par un des enfants dont elle a été proche dans sa vie professionnelle.
On sent l’attachement de Claudie Gallay à ses personnages, même à ceux qu’on penserait secondaires. Elle confie avoir été très inquiète pour Max (
les Déferlantes) et même pour le rat. Derrière l’encre il y a comme de vraies personnes. Et nous la croyons quand elle dit que si le prince russe rentrait dans la salle elle le reconnaîtrait.
On note aussi la tentation de prendre du recul. La solitude n'est magnifique que si elle est choisie. Née à proximité du monastère de la Grande Chartreuse, Claudie Gallay peut placer un couvent dans
Seule Venise, décrire l’art sacré dans
l’or du temps.
Une travailleuse patiente et méthodiqueA force d’avoir perdu des idées dont elle croyait pouvoir se souvenir sans aide, Claudie Gallay ne se sépare plus de plusieurs carnets où elle note tout, au fur et à mesure. Le temps, le lieu, les personnages, comme des acteurs. Qui vont avoir leur caractère, leurs habitudes. Certains seront éliminés. Seuls les plus forts resteront.
De chaque livre, elle écrit 7 ou 8 versions, reprenant sans cesse son travail comme un sculpteur modèle la terre, par ajouts et retraits successifs. Le chapitrage n’est pas échafaudé dès le début. C’est à la fin que Claudie entreprend le découpage, ce qui explique sans doute que les chapitres se succèdent avec densité et pertinence. L’écrivain coupe au-delà de ce qu’il est imaginable, jusqu’au moment où l’imprimeur déclenche la machine. Phrases courtes. Enchaînements simples. Claudie Gallay en révèle le secret : le manuscrit est lu à haute voix dans son bureau. Et comme elle-même ne sait pas bien respirer, la sentence tombe impitoyable au moindre alourdissement de la syntaxe. On comprend mieux pourquoi ses livres sont physiquement « faciles » à lire.
(Il faudrait bien que j’en prenne de la graine)Le titre est donné tout à la fin. Ce n’est pas la chose la plus simple, trop réductrice.
Un succès qui fait du bienElle assume facilement la célébrité consécutive aux
Déferlantes parce qu’elle vit loin de Paris. La pression des attentes des lecteurs est vite oubliée dès qu’elle retrouve la bergerie où elle écrit. Ne reste que l’apaisement de la reconnaissance après des années qui n’ont pas été faciles. Le soulagement aussi d’avoir pu régler les soucis financiers. Claudie Gallay demeure prudente, consciente que ce succès est d’abord un cadeau de la vie qui n’exonère pas l’avenir de l’effort. Elle apprécie. Et va pouvoir consacrer tout son temps à l’écriture. Jusque juin elle enseignera à mi-temps dans une classe de CE1 du Vaucluse. Pour des élèves qui lisent et écrivent beaucoup. Elle a ce don d’être la médiatrice qui facilite l’acquisition de leurs propres savoirs. Inversement, l’exercice de ce métier difficile la maintenait dans la réalité la plus à vif.
Ensuite, et au moins deux années durant, elle vivra sans regarder la montre, affranchie du calendrier scolaire, ce qui représente une merveilleuse liberté et l’autorisera à écrire et à vivre à sa propre vitesse. Nous attendons avec patience le prochain livre comme la promesse d’un rêve abouti. A moins que le projet d’écrire pour le théâtre ne se faufile entre temps.
Les Déferlantes vont être traduites à l’étranger. Le livre sera prochainement adapté pour le cinéma. François Dupeyron avait été annoncé mais on sait que la production recherche quelqu’un d’autre.
(Personnellement je verrais bien Nicole Garcia ou Martin Provost). Claudie Gallay fait confiance. Elle a un droit de regard sur le scénario mais ne veut pas s’engager davantage. Le risque serait trop grand de se disperser et c’est un autre métier.
Claudie Gallay sera présente au
Salon du Livre à Paris, Porte de Versailles, les 13, 14 et 15 mars, sur le stand des éditions du Rouergue.
Elle a publié
l'Amour est une île en 2010, chez Actes sud.