Le rendez-vous d'hier soir était convenu depuis longtemps. Face au succès de son dernier film, Séraphine, la ministre de la culture en personne, Christine Albanel, avait demandé une projection privée. Une promesse est une promesse. Martin Provost a laissé son équipe avec les personnalités pour rencontrer le public du Sélect, le cinéma d'art et d'essai d'Antony (92).
Il connait déjà la salle où il était venu pour la sortie du Ventre de Juliette, en 2003. Il est sincèrement ému de voir quelques affiches de ce film punaisées sur les murs à coté de celles de Séraphine.
Christine Beauchemin-Flot a l'habitude de programmer des avant-premières et des rencontres avec les réalisateurs des long-métrages qu'elle défend. Ce soir elle nous donne à voir un film intelligent, sobre et sensible qui retrace l'élan artistique et le talent d'une peintre singulière. Et par chance Martin Provost est là pour répondre à toutes les questions, sans en esquiver aucune, avec franchise et authenticité. Ce n'est pas si fréquent.
Il confesse d'abord humblement avoir connu un creux de vague. Sans avance sur recettes impossible de se lancer dans un projet d'envergure. Mais cet homme a plusieurs talents. Il est romancier. Il est comédien (ancien pensionnaire de la Comédie-Française). Alors il va laisser le cinéma quelque temps et travailler pour la radio.
C'est Nelly Le Normand, responsable du bureau de lecture de France-Culture qui la première le met sur la piste : Tu devrais t'intéresser à Séraphine Louis. Je ne te dis pas pourquoi. Cherche et tu comprendras.
Le terme de peintre naif le rebute. Il va pourtant à Senlis voir de près 3 tableaux de cette femme. Il était clair que cette peinture avait quelque chose à me dire et que j'allais mieux comprendre qui était Séraphine et quel avait été son chemin de vie.
Il consulte Françoise Cloarec, psychanalyste et peintre, diplômée des Beaux-arts de Paris, auteur d'une thèse en psychologie clinique intitulée "Séraphine de Senlis, un cas de peinture spontanée". Il a déjà exploré des questions autour de l'attachement. Il va littéralement se passionner pour la rencontre improbable entre deux marginaux partageant la même vision de la peinture.
Avec la collaboration de Marc Abdelnour il construit tout le scénario autour de ce thème central sans chercher à retracer la vie entière de celle qu'on appelle alors Séraphine de Senlis. Il obtient le grand prix du Meilleur Scénariste en novembre 2006. Rien ne peut plus l'arrêter.
Après, ce sont, comme souvent , des rencontres croisées avec des hasards qui font le reste. Surtout le fait d'habiter non loin de Yolande Moreau, une actrice qu'il pressent pour le rôle -titre et que lui présente l'artisan qui refait sa maison.
On la connait pour son personnage loufoque de déjantée dans la série télévisée des Deschiens où elle a travaillé presque dix ans. Mais ce fut aussi la Levaque du Germinal de Claude Berri (1993), la concierge, Madeleine Wallace, du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001) et Irène, César de la meilleure actrice en 2004 pour Quand la mer monte... un film dont elle signe aussi la réalisation avec Gilles Porte.
De prime abord la comédienne s'effraie d'interpréter un tel rôle. Mais que l'artiste peintre fut méconnue était un cadeau qu'elle ne pouvait se résoudre à laisser passer. Aucune référence dans la tête du spectateur. Tout était à construire. Face à un tableau elle se défend: Tiens, je mettrais pas çà chez moi ... avant de se récuser : on y voit comme de la broderie, quelque chose de très besogneux. Et puis il y eut ce portrait si troublant de Séraphine que Martin montre à Yolande : c'est pas flatteur, mais c'est moi, j'en conviens.
Ils ont arpenté les lieux où Séraphine a vécu, monté les mêmes escaliers, frappé aux mêmes portes. Cela créé des liens. Yolande Moreau n'avait pas l'habitude de marcher avec des sabots. Une paire de godillots de soldat, avec les vieux fers d'origine, lui a permis de devenir le personnage, de marcher sur ses traces. La direction d'acteur s'est condensée dans un conseil : Pense à Dieu car Séraphine vit avec çà.
Après c'est le miracle du travail, du travail et encore du travail ... évidemment. Yolande Moreau n'a pas été doublée pour les scènes de ménage. Ce sont ses vraies mains qu'elle accepte de maltraiter.
Bien sûr, un film est le résultat d'une série de choix artistiques mûrement réfléchis. A commencer par la pellicule, ici une Fuji très sensible pour exalter la froideur des verts. Des costumes dans des camaieux de gris et de bleus. L'emploi des couleurs froides avec de temps en temps une note vive : le rouge garance des culottes des soldats, le jaune safran de quelques fleurs arrachées le long d'un chemin de terre.
Le réalisateur explique patiemment ses parti-pris : C'est une époque où on vivait souvent dans la pénombre, où seule la bourgeoisie écrasante utilisait largement les lampes à pétrole. L'explosion des couleurs est le domaine du monde intérieur de Séraphine, qui n'apparait que dans les tableaux qu'elle peint la nuit, quand elle se livre à ce qu'elle désigne sous le nom de travaux de lumières.
Orpheline à 8 ans, placée à 13 comme domestique, elle rêvait d'être soeur. Mais pour devenir religieuse il fallait être riche. Elle a eu la révélation de la peinture à 40 ans, sans avoir le moins du monde étudié quoi que ce soit. Cette femme inconnue du grand public (plus pour longtemps) a été le modèle des primitifs modernes. Sans le savoir, parce quelle accomplissait son travail de création sans rien en attendre en retour. Si elle se déclarait parfois "unique et sans rivale" c'était en toute objectivité. Et force est de reconnaitre qu'elle avait raison puisqu'elle est exposée dans le monde entier. La mégalomanie qui l'a conduite à l'asile était en fin de compte totalement légitime.
Malheureusement, elle n'a pas eu pour la soutenir, un entourage bienveillant pour l'aider à passer le cap. Elle s'est consumée. A écouter Martin Provost l'injustice est flagrante, le malheur est frappant. On ressent de la compassion et une forme, disons d'attachement ,ou à tout le moins de respect pour cette femme qui, partie de pas grand chose, est allée très loin. Qui peignait par terre, à genoux, dans la même position que celle qu'elle adoptait pour récurer les sols ou pour prier à l'église.
Les puristes diront que c'est parce qu'elle utilisait la peinture Ripolin et que travailler verticalement était impossible : les dégoulinures auraient tout gaché. On dit tellement de choses ! Qu'elle volait l'huile dans les églises pour en faire du liant. Qu'elle peignait avec son propre sang. Ce qui est prouvé c'est qu'elle acueillait les craquelures de ses toiles comme une bénédiction et non un défaut : cela faisait vieux et donc authentique.
Martin Provost n'a pas cherché à faire le "biopic" d'un peintre (autrement dit une biographie comme il semblerait que ce soit la mode actuellement) mais à représenter l'acte créateur, en filmant le travail à travers un rapport singulier à la matière et à la nature, en contrepoint de la routine quotidienne. C'est sans doute très personnel mais il y a dans son allure physique comme dans sa manière de filmer quelque chose qui me fait penser à Wim Wenders et à la manière dont il parlait de son travail dans les années 80.
Les toiles de Séraphine Louis ont été refaites pour les besoins du film. Elles sont belles mais cela n'a rien à voir, nous dit le réalisateur avec le choc qu'on peut ressentir face aux 18 tableaux qui sont exposés jusqu'en janvier 2009 au Musée Maillol et qu'il nous incite à aller voir au plus vite. On aura compris que s'il pouvait refaire l'histoire et au contraire de Wilhelm Uhde (dont il ménage malgré tout la mémoire dans son film) Martin Provost n'aurait jamais abandonné son artiste.
Il nous quitte sans dire un mot de plusieurs "petits" projets qu'il porte en ce moment, par modestie ou par superstition. La création demeure toujours un acte fragile et risqué.
Le public de la banlieue Sud a bien de la chance. la prochaine avant-première est déjà programmée au Sélect jeudi 6 novembre avec Les grandes personnes, premier long métrage d'Anna Novion. Judith Henry y est remarquablement drôle. Jean-Pierre Daroussin, égal à lui-même, devrait être présent ce soir-là. Sans dévoiler l'issue de l'intrigue (que j'ai eu encore plus de chance à découvrir en avant-avant-première dans le cadre du festival Paysages de Cinéastes de Châtenay-Malabry en juin dernier) on se demande si les grandes personnes se comportent toujours avec la sagesse qu'on attend d'elles.
Le Sélect est situé 10 avenue de la division Leclerc à Antony, tel 01 42 37 59 45
Il connait déjà la salle où il était venu pour la sortie du Ventre de Juliette, en 2003. Il est sincèrement ému de voir quelques affiches de ce film punaisées sur les murs à coté de celles de Séraphine.
Christine Beauchemin-Flot a l'habitude de programmer des avant-premières et des rencontres avec les réalisateurs des long-métrages qu'elle défend. Ce soir elle nous donne à voir un film intelligent, sobre et sensible qui retrace l'élan artistique et le talent d'une peintre singulière. Et par chance Martin Provost est là pour répondre à toutes les questions, sans en esquiver aucune, avec franchise et authenticité. Ce n'est pas si fréquent.
Il confesse d'abord humblement avoir connu un creux de vague. Sans avance sur recettes impossible de se lancer dans un projet d'envergure. Mais cet homme a plusieurs talents. Il est romancier. Il est comédien (ancien pensionnaire de la Comédie-Française). Alors il va laisser le cinéma quelque temps et travailler pour la radio.
C'est Nelly Le Normand, responsable du bureau de lecture de France-Culture qui la première le met sur la piste : Tu devrais t'intéresser à Séraphine Louis. Je ne te dis pas pourquoi. Cherche et tu comprendras.
Le terme de peintre naif le rebute. Il va pourtant à Senlis voir de près 3 tableaux de cette femme. Il était clair que cette peinture avait quelque chose à me dire et que j'allais mieux comprendre qui était Séraphine et quel avait été son chemin de vie.
Il consulte Françoise Cloarec, psychanalyste et peintre, diplômée des Beaux-arts de Paris, auteur d'une thèse en psychologie clinique intitulée "Séraphine de Senlis, un cas de peinture spontanée". Il a déjà exploré des questions autour de l'attachement. Il va littéralement se passionner pour la rencontre improbable entre deux marginaux partageant la même vision de la peinture.
Avec la collaboration de Marc Abdelnour il construit tout le scénario autour de ce thème central sans chercher à retracer la vie entière de celle qu'on appelle alors Séraphine de Senlis. Il obtient le grand prix du Meilleur Scénariste en novembre 2006. Rien ne peut plus l'arrêter.
Après, ce sont, comme souvent , des rencontres croisées avec des hasards qui font le reste. Surtout le fait d'habiter non loin de Yolande Moreau, une actrice qu'il pressent pour le rôle -titre et que lui présente l'artisan qui refait sa maison.
On la connait pour son personnage loufoque de déjantée dans la série télévisée des Deschiens où elle a travaillé presque dix ans. Mais ce fut aussi la Levaque du Germinal de Claude Berri (1993), la concierge, Madeleine Wallace, du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001) et Irène, César de la meilleure actrice en 2004 pour Quand la mer monte... un film dont elle signe aussi la réalisation avec Gilles Porte.
De prime abord la comédienne s'effraie d'interpréter un tel rôle. Mais que l'artiste peintre fut méconnue était un cadeau qu'elle ne pouvait se résoudre à laisser passer. Aucune référence dans la tête du spectateur. Tout était à construire. Face à un tableau elle se défend: Tiens, je mettrais pas çà chez moi ... avant de se récuser : on y voit comme de la broderie, quelque chose de très besogneux. Et puis il y eut ce portrait si troublant de Séraphine que Martin montre à Yolande : c'est pas flatteur, mais c'est moi, j'en conviens.
Ils ont arpenté les lieux où Séraphine a vécu, monté les mêmes escaliers, frappé aux mêmes portes. Cela créé des liens. Yolande Moreau n'avait pas l'habitude de marcher avec des sabots. Une paire de godillots de soldat, avec les vieux fers d'origine, lui a permis de devenir le personnage, de marcher sur ses traces. La direction d'acteur s'est condensée dans un conseil : Pense à Dieu car Séraphine vit avec çà.
Après c'est le miracle du travail, du travail et encore du travail ... évidemment. Yolande Moreau n'a pas été doublée pour les scènes de ménage. Ce sont ses vraies mains qu'elle accepte de maltraiter.
Bien sûr, un film est le résultat d'une série de choix artistiques mûrement réfléchis. A commencer par la pellicule, ici une Fuji très sensible pour exalter la froideur des verts. Des costumes dans des camaieux de gris et de bleus. L'emploi des couleurs froides avec de temps en temps une note vive : le rouge garance des culottes des soldats, le jaune safran de quelques fleurs arrachées le long d'un chemin de terre.
Le réalisateur explique patiemment ses parti-pris : C'est une époque où on vivait souvent dans la pénombre, où seule la bourgeoisie écrasante utilisait largement les lampes à pétrole. L'explosion des couleurs est le domaine du monde intérieur de Séraphine, qui n'apparait que dans les tableaux qu'elle peint la nuit, quand elle se livre à ce qu'elle désigne sous le nom de travaux de lumières.
Orpheline à 8 ans, placée à 13 comme domestique, elle rêvait d'être soeur. Mais pour devenir religieuse il fallait être riche. Elle a eu la révélation de la peinture à 40 ans, sans avoir le moins du monde étudié quoi que ce soit. Cette femme inconnue du grand public (plus pour longtemps) a été le modèle des primitifs modernes. Sans le savoir, parce quelle accomplissait son travail de création sans rien en attendre en retour. Si elle se déclarait parfois "unique et sans rivale" c'était en toute objectivité. Et force est de reconnaitre qu'elle avait raison puisqu'elle est exposée dans le monde entier. La mégalomanie qui l'a conduite à l'asile était en fin de compte totalement légitime.
Malheureusement, elle n'a pas eu pour la soutenir, un entourage bienveillant pour l'aider à passer le cap. Elle s'est consumée. A écouter Martin Provost l'injustice est flagrante, le malheur est frappant. On ressent de la compassion et une forme, disons d'attachement ,ou à tout le moins de respect pour cette femme qui, partie de pas grand chose, est allée très loin. Qui peignait par terre, à genoux, dans la même position que celle qu'elle adoptait pour récurer les sols ou pour prier à l'église.
Les puristes diront que c'est parce qu'elle utilisait la peinture Ripolin et que travailler verticalement était impossible : les dégoulinures auraient tout gaché. On dit tellement de choses ! Qu'elle volait l'huile dans les églises pour en faire du liant. Qu'elle peignait avec son propre sang. Ce qui est prouvé c'est qu'elle acueillait les craquelures de ses toiles comme une bénédiction et non un défaut : cela faisait vieux et donc authentique.
Martin Provost n'a pas cherché à faire le "biopic" d'un peintre (autrement dit une biographie comme il semblerait que ce soit la mode actuellement) mais à représenter l'acte créateur, en filmant le travail à travers un rapport singulier à la matière et à la nature, en contrepoint de la routine quotidienne. C'est sans doute très personnel mais il y a dans son allure physique comme dans sa manière de filmer quelque chose qui me fait penser à Wim Wenders et à la manière dont il parlait de son travail dans les années 80.
Les toiles de Séraphine Louis ont été refaites pour les besoins du film. Elles sont belles mais cela n'a rien à voir, nous dit le réalisateur avec le choc qu'on peut ressentir face aux 18 tableaux qui sont exposés jusqu'en janvier 2009 au Musée Maillol et qu'il nous incite à aller voir au plus vite. On aura compris que s'il pouvait refaire l'histoire et au contraire de Wilhelm Uhde (dont il ménage malgré tout la mémoire dans son film) Martin Provost n'aurait jamais abandonné son artiste.
Il nous quitte sans dire un mot de plusieurs "petits" projets qu'il porte en ce moment, par modestie ou par superstition. La création demeure toujours un acte fragile et risqué.
Le public de la banlieue Sud a bien de la chance. la prochaine avant-première est déjà programmée au Sélect jeudi 6 novembre avec Les grandes personnes, premier long métrage d'Anna Novion. Judith Henry y est remarquablement drôle. Jean-Pierre Daroussin, égal à lui-même, devrait être présent ce soir-là. Sans dévoiler l'issue de l'intrigue (que j'ai eu encore plus de chance à découvrir en avant-avant-première dans le cadre du festival Paysages de Cinéastes de Châtenay-Malabry en juin dernier) on se demande si les grandes personnes se comportent toujours avec la sagesse qu'on attend d'elles.
Le Sélect est situé 10 avenue de la division Leclerc à Antony, tel 01 42 37 59 45
1 commentaire:
C'est toujours enrichissant d'avoir un retour de la part de nos spectateurs.
Rendez-vous à la prochaine soirée-débat.
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