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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 21 octobre 2020

Drunk de Thomas Vinterberg

Je crois qu’il ne faut pas trop en dire, choisir un axe et s'y cantonner en tournant autour sans chercher à intellectualiser le propos.

Si en danois le titre original est Druk (sans "n"), ce qui signifie "beuveries" le distributeur a choisi pour la France un terme qui ne laisse pas supposer une erreur orthographique. On connait tous la signification du mot Drunk qui veut dire ivre.

Drunk raconte une histoire d'amitié entre Martin, Tommy, Peter et Rektor, qui vont malheureusement être aveuglés par la confiance qu'ils ont les uns envers les autres, jusqu'à la folie. La bande des quatre décide de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une (soit-disant) rigueur scientifique, chacun relève le défi et tous espèrent que leur vie n’en sera que meilleure. Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.

Thomas Vinterberg a déclaré que "les scènes se déroulent, la caméra observe, mais ne dicte pas l’action". Le réalisateur danois insiste sur le fait que son film serait censé être le plus proche possible d'une réalité crue et sans artifices comme il l'avait déjà filmée dans Festen, son deuxième long métrage qui lui valut la reconnaissance de la profession.

Catalogué drame dans certains programmes, étiqueté comédie dans d'autres, ce long métrage navigue effectivement entre les deux extrêmes. Il est parfois d'une drôlerie absolue comme il peut virer au cauchemar le plan suivant. Parmi les moments amusants il y a la soirée d’anniversaire eau versus champagne 2013, une des premières scènes du film.

Mais ensuite le dérapage est poignant. Comment résister à l'argumentation bien connue, est-il raisonnable d’être sage ? Tu manques de confiance ... Et surtout à l'envie de goûter, juste un peu. Les gros plans sur le visage sont bouleversants, les mises au point annoncent l'imminence d'un basculement. Soudain il boit vite… et il passe au Bourgogne 2011 qu’il avale presque goulument.

Certaines scènes m'ont davantage choquée que d'autres. A commencer par la première montrant des jeunes étudiants devant faire le tour d'un lac en trimbalant des caisses de bouteilles de bière... qu'ils devront bien entendu ingurgiter. Je n'y ai pas vu le plaisir de s'amuser. Et apparemment quelques adultes de la communauté éducative partagent mon point de vue puisque la proviseure promet en matière d'alcool une tolérance zéro au prochain semestre.

C'est sans compter la théorie que les enseignants veulent expérimenter, d'abord sur eux, puis, occasionnant des dégâts collatéraux sur un élève à qui l'un d'eux suggère de boire avant ses examens oraux. La théorie en question a bel et bien été formulée le psychologue norvégien Finn Skårderud. On connait la vertu -si je puis dire- de l'alcool de calmer certaines angoisses mais on sait tout autant combien ses effets peuvent être catastrophiques et destructeurs.

Le réalisateur invoque le comportement de personnages célèbres, bien connus pour leur consommation abusive d'alcool comme Churchill ou Hemingway. On remarque que personne ne résiste mieux, qu'on soit prof de psychologie, de sport ou de chant.

Le réalisateur use avec intelligence des images floues et des ralentis en coupant le son pour symboliser la perte de conscience provoquée par l'ivresse puis par le coma éthylique. L'alcool est indéniablement un faux ami. Alors ne suivons pas leur exemple en cherchant à battre le record de Sazerac dont je vous dirai juste qu'il n'est évidemment pas le plus vieux cocktail au monde. 

J'ai voulu voir la toute fin comme étant positive (un baptême, une renaissance...), qui nous est offerte dans un élan de spontanéité. J’imagine qu’on peut l’interpréter de façon plus noire, mais je n’en ai pas envie. L'actualité est suffisamment sombre pour éviter d'en rajouter.
L'interprétation de Mads Mikkelsen dans le rôle de Martin est sans surprise, époustouflante. Mais ses partenaires lui donnent la réplique avec brio.

Au-delà de l'alcoolisme le film nous alerte sur le phénomène addictif. Dans son ensemble, le monde scientifique le considère comme une combinaison biopsychosociale, traduisant la rencontre entre un produit plus ou moins nocif, un individu plus ou moins vulnérable et un environnement plus ou moins incitateur.

Il a fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020. Thomas Vinterberg est un grand habitué du festival depuis qu'il a gagné le Prix du Jury pour Festen en 1998. En 2012, il a remporté le Prix du Jury œcuménique pour La Chasse. Il avait en 2013, assumé la fonction de président du jury de la sélection Un certain regard.

Drunk de Thomas Vinterberg
Avec Mads Mikkelsen (Martin), Thomas Bo Larsen (Tommy), Lars Ranthe (Peter), Susse Wold (Rektor)

vendredi 16 octobre 2020

Crise de nerfs, 3 farces de Tchekhov, mise en scène de Peter Stein

(mise à jour le 10 décembre 2020)
S'il y a bien des personnes qui peuvent légitimement faire une crise de nerfs ce sont les artistes et tous ceux qui sont touchés par le couvre-feu annoncé il y a 48 heures. 

Pourtant ils les ont solides, les nerfs, et Jacques Weber en a fait la démonstration en estimant à la fin de la représentation de mercredi que la situation n'était pas si catastrophique que cela. Le théâtre a résisté à tout et est resté vivant, alors s'il y a d'autres horaires ... (long silence, soupir) démerdez-vous !

Nous nous quittions rassurés, prêts à venir les applaudir en plein après-midi ou même le matin, pourquoi pas. Ce que les salles de cinéma d'avant-garde avaient réussi à faire n'était pas inaccessible aux salles de spectacle. On allait s'adapter de part et d'autre du "quatrième mur".

C'était sans compter l'aggravation de la situation qui allait contraindre les lieux culturels à fermer et à repousser sans cesse leur réouverture comme cela se murmurait déjà dans les cercles du pouvoir.

J'espère que vous pourrez bientôt aller savourer, le terme n'est pas trop fort, ces trois farces de Tchekhov qui constituent un ensemble très cohérent dans lequel Jacques Weber tient le premier rôle, je devrais écrire "les premiers rôles". Il n'est pas tout seul puisque Loïc Mobihan lui donne la réplique dans Le chant du cygne et dans Une demande en mariage. Et Manon Combes les rejoint dans cette dernière pièce.

Il n'empêche qu'il nous offre depuis le 22 septembre trois superbes numéros d'acteur, dans des registres très différents. Heureux sont ceux qui comme moi ont pu assister à une représentation. C'est du grand théâtre.
C’est assez étonnant d’avoir choisi Le chant du cygne pour commencer. Quoique à la réflexion il est plutôt astucieux d’y aller decrescendo en terme de pessimisme. Cela permet de finir la soirée dans les rires.

On comprend vite que l’on est censé être dans un théâtre vidé de ses spectateurs (ce qui hélas est prémonitoire, mais on l’ignore à cette heure). Le comédien se dit tranquille comme Baptiste, mais il crâne un peu. Je pique un roupillon, les spectateurs sont partis depuis longtemps.

On se rend compte qu’il est ivre. Sa voix résonne. On pourrait diminuer l’effet de réverbération. Jacques Weber n’a guère besoin de cet artifice pour faire passer l’émotion. Celle que suscite le désarroi d’un homme se retournant in extremis sur son passé. C'est noir et froid comme dans une cave, une fosse noire sans fin comme une tombe. La vie, elle a passé, juste un peu, 55 ans que je me voue à la scène et je la vois de nuit pour la première fois.
En compagnie de son souffleur qui n’a pas d’autre endroit où passer la nuit, celui qui a été autrefois tant encensé mesure la dégringolade que représente la vieillesse. La prise de conscience est terrible. Elle pourrait s’appliquer à toute personne ayant vécu dans les honneurs et le comédien nous la fait toucher d’un simple mouvement de la main.

Tour à tour envahi par le rôle du Roi Lear, d’Hamlet ou d’Othello, il se consume sous la musique d’un film de Chaplin. Avec un talent immense.
Le voilà qui revient, presque méconnaissable, en vieux prof conférencier qui cherche à nous faire croire qu’il médite et même parfois qu’il se risque à écrire des articles "quasiment" scientifiques sur Les méfaits du tabac dont il nous livre un extrait d’une voix quasi emphysémateuse. Il est au bord de s’effondrer et nous sommes ravis de son jeu d’acteur car on sait bien que c’est pour de faux, comme disent les enfants.

Je ne me souviens pas avoir vu Jacques Weber dans un rôle aussi allumé, à la fois follement pathétique et diablement drôle.

A l’instar de la farce précédente on est face à un homme malheureux et meurtri mais c’est une autre facette de la déchéance qui nous est donnée à voir. Le problème est devenue chronique et on ne peut qu’approuver le personnage d’espérer qu'on se sauve de cette vie à deux sous
La dernière est la plus joyeuse. Je la connaissais pour l’avoir vue, curieux hasard, interprétée par Emeline Bayart, laquelle joue et met en scène en ce moment dans ce même théâtre On purge bébé 🎶 
Je voulais m’interdire toue comparaison mais le texte est si bien ficelé que c’est un bonheur de le réentendre. Le jeu des comédiens est très physique, se répondant en miroir. On ne peut qu’adorer ce moment. On finit par ne plus avoir envie de compatir pour cet homme qui nous dit pourtant être le plus malheureux du monde. Car ce malheur là, ce soir, a fait notre bonheur.
Crises de nerfs3 farces d'Anton P. Tchekhov, mise en scène de Peter Stein
Avec Jacques Weber, Manon Combes et Loïc Mobihan
Scénographie Ferdinand Woegerbauer
Assistante à la mise en scène Nikolitsa Angelakopoulou
Costumes Anna-Maria Heinreich
Graphiste Cyrille Julien
Au Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin - 75018 Paris - 01 46 06 49 24
Se renseigner sur les nouveaux horaires tenant compte du confinement et du couvre-feu

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Maria-Letizia Piantoni

jeudi 15 octobre 2020

On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau, mis en scène par Emeline Bayart

Quelle atmosphère hier soir devant le Théâtre de l'Atelier où chaque spectateur a conscience que c'est peut-être une des dernières fois avant longtemps qu'il se rend au théâtre à un horaire "classique".

C'est en effet ce soir là que le gouvernement va annoncer de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation du Covid.

Mais avant cela, place à la comédie avec On purge bébé 🎶 dont la présentation vient d’avoir lieu devant le public parisien, après une création au théâtre Montansier de Versailles. J’ajoute qu’une longue tournée est d’ores et déjà prévue, avec notamment pour étape le Théâtre Firmin Gémier La Piscine de Chatenay-Malabry (92) qui est un des co-producteurs.

L’ouvreuse n’insiste plus longuement sur les interdictions d’usage du téléphone portable. Ce sont les restrictions sanitaires qui priment, la dernière étant la recommandation de sortir, à la fin du spectacle, comme les avions, par l’arrière, en commençant par le dernier rang et de nous répartir ensuite rapidement sur l’ensemble de la place Charles Dullin en évitant les attroupements. Une atmosphère de clandestinité s’installe subrepticement. On se croirait dans une scène du film Le Dernier Métro.

Encore heureux d’assister à une comédie. Cela va nous détendre.

Le décor n’est pas engageant à première vue. Un voile en masque l’essentiel derrière une chaise de velours bleu, abandonnée de travers au bord de la scène. Je remarque à Cour, sur un piano droit (qui sera un des éléments essentiels du spectacle), une Tour Eiffel qui me parait incongrue mais dont la présence va se justifier dans quelques instants.

Emeline Bayart n’est pas aussi célèbre que ce monument mais je pense pouvoir dire qu’elle sera bientôt reconnue comme une grande actrice comique. Il est tentant, en l’écoutant chanter, simplement vêtue d’un déshabillé peu flatteur alors qu’elle est ce qu’on appelle "une belle femme", d’y voir une sorte d’acte de bravoure. Elle sait tout faire. Jouer bien sûr, chanter évidemment, et aussi mettre en scène, comme elle le démontre avec cette pièce de Georges Feydeau, appartenant au répertoire du vaudeville.

Elle m’avait épatée il y a deux ans, au cinéma, dans le rôle-titre du film de Bruno Podalydès, Bécassine. Je l’avais déjà fort appréciée l’année suivante au Poche Montparnasse où elle jouait Tchekhov à la Folie dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît (une des farces sera d’ailleurs interprétée plus tard sur cette même scène par Jacques Weber dans la soirée au cours du spectacle Crise de nerfs). Je devais ensuite l’entendre chanter mais la crise a tout bouleversé.

Dans On purge bébé 🎶 elle interprète les chansons en direct et sa voix a une belle amplitude. La première célèbre la Tour Eiffel, d’où la présence de la statuette, que son personnage juge magique. La comédienne déclenche des cascades de rires quand le monument est qualifié d’obélisque à l’instar de la colonne de la Place Vendôme. Rien ne lui "arrive à la cheville" fait-elle remarquer à son époux Daniel, en sous-entendant des allusions coquines à sa virilité.

Les dialogues aussi nourrissent les rires. Par exemple à propos de la définition suivante : De la terre entourée d’eau, c’est de la boue ou une île ? On ne trouve rien dans ce dictionnaire se plaindra le mari qui estime que n’y figure que ce dont on n’a pas besoin. J’ai essayé de m’en tirer par la tangente, avouera-t-il.

Madame Follavoine n’est pas moins caricaturale, elle qui justifie d’avoir une bonne au fait que tant qu’elle la regarde elle lui sert (sous-entendu à quelque chose). Elle revendique être "femme d’intérieur, bonne ménagère, ... parce qu’on ne sait jamais dans la vie si on aura toujours des gens pour nous servir".

Au-delà de ses jugements à l’emporte-pièce, c’est surtout son caractère hystérique qui la caractérise et son amour démesuré pour son fils sans doute trop chéri, qu’elle appelle toujours Bébé (Valentine Alaqui, qui est aussi la bonne) et qui a tout de même sept ans. L’enfant est, on l’aura deviné, parfaitement caractériel. L’enfant chéri serait atteint de constipation, une situation avec laquelle il ne faut jamais plaisanter, insiste la mère, en appuyant lourdement sur le "a" du mot constipation. Et comme elle est tordante quand elle mime d’avaler de l’huile de ricin !

Le mari (Éric Prat) est pressé de conclure avec monsieur Chouilloux (Manuel Le Lièvre) un marché portant sur la vente de pots de chambre pour tous les soldats de l’Armée française, auxquels le gouvernement a promis un vase de nuit personnel gravé à son matricule, dans l’objectif d’améliorer leur sort. Le temps passe et sa femme déambule toujours en nuisette, pas gênée pour un sou alors que la perspective d’être étiquetée comme femme du marchand de pots de chambre ne lui convient pas du tout.

Les rebondissements s’enchaînent en multipliant les paradoxes. Jusqu’à l’invitation du client avec sa femme, et l’amant de celle-ci, comme si l’adultère "au grand complet" appartenait aux convenances.

Le jeu des comédiens est efficace, avec concours de grimaces, d’accents et de mimes. On chante, on se contorsionne et on s‘encouicouine. L’un mime parfaitement la colique et l’autre le désespoir.

On pense à une autre pièce de Feydeau, Mais ne te promène donc pas toute nue, qu’interpréta Arletty. On songe aussi à Jacqueline Maillan. Bref, on passe un bon début de soirée. Et on en a bien besoin.

On purge bébé 🎶 de Georges Feydeau
Mise en scène d'Emeline Bayart
Avec Éric Prat, Émeline Bayart, Manuel Le Lièvre, Valentine Alaqui, Thomas Ribière, Delphine Lacheteau et Manuel Peskine (piano et arrangements musicaux)
Scénographie et costumes de Charlotte Villermet et Lumières de Joël Fabing
À partir du 13 Octobre au Théâtre de l'Atelier
Place Charles Dullin - 75018 Paris - 01 46 06 49 24
Se renseigner sur les nouveaux horaires tenant compte du confinement et du couvre-feu
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Caroline Moreau

mercredi 14 octobre 2020

La Scala inaugure la Piccola Scala et présente le fauteuil d'artiste #6 signé par Elika Hedayat

Je suis revenue à La Scala pour découvrir la Piccola Scala et, à écouter la présidente et le directeur général,  Mélanie et Frédéric Biessy s’exprimer avec flamme, je retrouve exactement l’atmosphère de l'ouverture de l'établissement après l'immense chantier de rénovation des lieux.

Avant de descendre voir cette nouvelle salle (et je vous montrerai au passage des photos des loges que j'avais prises il y a quelques mois) j'ai envie de vous rapporter la manière dont le directeur présente la 6 ème installation qui trône dans le hall.

Il aime dire qu’il arrache un fauteuil à la salle pour le porter dans l’atelier d’un artiste qui en fera une œuvre d’art. En fait l’objet provient d’une réserve ou sera commandé chez le fournisseur quand le stock sera épuisé.

Ce dernier a été imaginé par Helika Hedayat, qui est une artiste iranienne qui connaît la Scala depuis le début de l’aventure (et réciproquement) et son œuvre a été conçue pour la réouverture après le confinement. Elle décline le "mode Scala » comme jamais jusque là. Elle était bien entendu venue voir les œuvres précédentes, lesquelles sont en photo dans l’escalier qui permet d’accéder à la grande salle.
Son titre, Abyssal, lui a été inspiré par le parallèle qu’elle fait entre notre monde et le cosmos, à travers sa perception du corps humain. Elle a imaginé une installation triptyque qui inclut deux vidéos loops de 30 à 40 secondes qui sont projetées en boucle chacun des murs qui se trouvent de part et d’autre du fauteuil, lequel est placé devant un dessin représentant une connexion de neurones (photo ci-dessous).
Je remarque que les fauteuils se ferment et s’ouvrent ... à l’instar d’une bouche et je ne suis pas surprise des titres des œuvres ... Sur la droite, un coeur se déploie sur un fauteuil (Monologue).
Sur la gauche des poissons sautillent d’un siège à l’autre (Dialogue).
Et au centre, bien entendu "le" fauteuil dont la découverte est hypnotique.

jeudi 8 octobre 2020

Un cadeau particulier de Didier Caron

Nous sommes dans un appartement stylé. Un sac enrubanné est posé ostensiblement sur une sellette. Ce cadeau particulier va dynamiter la soirée. Sur une petite table, attendent une bouteille de champagne et deux flûtes. Un fauteuil de velours. Un cactus derrière une porte coulissante vitrée évoque un balcon.

Éric (Didier Caronva fêter ses cinquante ans. Sabine (Bénédicte Bailbyson épouse dévouée a préparé une soirée en tout petit comité, car Éric n’aime pas les grands raouts. Gilles (Christophe Corsand), son meilleur ami — mais également son associé (et peut-être plus encore bientôt ...) — sera le seul à y être convié.

Ses filles Léa en Australie et Émilie aux États-Unis vont lui souhaiter une bonne soirée chacune à leur manière. On sent bien quelle est la préférée et de ce coté là le père n'est pas au bout de ses surprises.

Avant de passer à table pour déguster un bon coq au vin, Sabine et Gilles lui offrent ses cadeaux. Celui de son épouse le comble de joie… mais quand il déballe celui de Gilles le public découvre que c’est un livre (je ne vous en dirai pas plus) datant de 1923, un bel ouvrage dans lequel il est censé se retrouver mais qui provoque sa fureur.

Ce livre serait-il censé faire passer un message ?

Estomaqué, Eric lâche : Mais pourquoi m’offres-tu ça ?! avant de reconnaitre que C’est surtout le geste qui compte. Et justement, ce choix l'agace car il est justifié par le fait que depuis deux ans il est vu comme un gentil avec du caractère, en réalité un despote qui a horreur de la contradiction, quasiment un dictateur.

De déconvenues en révélations explosives, la soirée va alors s’avérer des moins paisibles …et le balcon sera souvent utile pour se réfugier quand l'atmosphère est à l'orage. Car Eric ne compose pas : il fait 100% la gueule.

Les surprises vont s'enchainer, preuve que Dickens avait raison d'affirmer : Chaque homme est pour son prochain un mystère et un secret. Sabine surprendra l'auditoire avec ses fantasmes. La jalousie marquera la conversation. Les jardins secrets seront saccagés et chacun se retrouvera à découvert à la fin de cette soirée très pimentée qui se terminera sur l'air de La mauvaise réputation de Georges Brassens.

A bien des égards j'ai pensé à la pièce Le prénom qui, avec moins de personnages, était elle aussi ponctuée de retournements de situations.

A l'approche des fêtes de Noël ce spectacle à l'humour décapant aura la vertu de mettre en garde les spectateurs contre les choix de cadeaux qui se veulent subtils autant que contre la manière d'annoncer de grandes nouvelles.

Un cadeau particulier de Didier Caron
Mise en scène Didier Caron et Karina Marimon
Avec Bénédicte Bailby, Didier Caron, Christophe Corsand
A partir du 24 septembre 2020
Du mercredi au samedi à 19h ou 21h (en alternance)
Les dimanches à 18h
Au Funambule Théâtre - 53 rue des Saules - 75018 Paris - 01 42 23 88 83
Production Le Funambule et Des Histoires de Théâtre

mercredi 7 octobre 2020

Au forceps, de et avec Pierre Devanne, Mélanie Le Duc et Mélanie Surian

C'est quoi être adulte ? La question, apparemment simple, est posée régulièrement sur le plateau, et finalement aussi aux spectateurs qui ont autant de mal que les comédiens à trouver la "juste" réponse. 

À partir de ce questionnement, trois êtres se construisent in vitro sur le plateau, avec malice, amusement et un grain de folie. Abordant la question du passage à l’âge adulte sans jamais donner de leçon ou de "recette", le spectacle vient interroger les spectateurs et s’amuser des bricolages et arrangements que chacun fait pour se construire en réponse à la famille, à l’autre et à la société.

Il ne faut pas perdre de vue que Au forceps est un spectacle conçu pour un jeune public (à partir de 12 ans), et pourtant il intéressera une large audience en raison de la qualité du jeu des acteurs, de leur manière si alerte de partager leurs interrogations, de l'équité avec laquelle ils se donnent la réplique (en toute logique puisqu'ils l'ont écrit de concert) et bien entendu aussi à cause du sujet.

Il y a un côté Auguste dans ce spectacle qui a un rythme fou, un jeu très physique, et qui intègre le chant et la danse.

C'est courageux de plancher sur ce thème alors que les gens s'inquiètent tant pour leur devenir. La crise sanitaire, promise comme temporaire, s'incruste et bouleverse nos certitudes. Elle provoque aussi en cascade des situations catastrophiques au plan économique. Les aléas climatiques n'arrangent rien. Etre adulte ce serait assumer tout cela avec courage et détermination en cherchant des solutions aux différentes problématiques, et surtout en faisant en sorte qu'elles soient mises en oeuvre. A ce compte là on dénombrerait très peu d'adultes dans la population.

Voilà donc un spectacle qui devrait être programmé largement sur une longue tournée. On peut penser que le texte évoluera au fil du temps, intégrant les réponses du public. Même s'il est très abouti, sa gestation est sans limite.

Je reste sceptique sur le titre qui, pour moi, évoque quelque chose de douloureux (et je suis sûre qu'il en est de même pour de nombreuses femmes) alors que ce spectacle est tout sauf négatif.

Ancien lavoir de la fin du 19ème siècle, Le Lavoir Moderne Parisien est devenu un théâtre en 1986 et reste à ce jour l’unique théâtre du quartier de la Goutte d’Or. Pendant plus de 30 ans, il a été un lieu de culture et de rencontres artistiques pluri-disciplinaires avec une orientation fortement marquée vers les jeunes auteurs. Ses murs ont accueilli de nombreux talents tels Joël Pommerat, Valère Novarina, Koffi Kwahulé, Hubert Koundé, Maïmouna Gueye, Mathieu Boogaerts, Abd Al Malik, Youssou N’Dour, Alain Mabanckou, Les têtes raides…   Il est dédié à la création contemporaine en demeurant résolument ancré sur son quartier. Son pari est de faire confiance aux jeunes compagnies, de promouvoir et de produire des formes et des écritures nouvelles.

Au Forceps
Écrit, mis en scène et joué par Pierre Devanne, Mélanie Le Duc et Mélanie Surian
Scénographie Suzanne Barbaud
Lumière Mathilde Malard
Création sonore Francis Meunier
Produit par Cie À Tout Va ! Avec le soutien de Ecclo
En partenariat avec l’Espace Michel Simon, ATD Quart Monde, MPT Champy, le Département 93
Au Lavoir Moderne Parisien - 35, rue Léon - 75018 Paris - 01 46 06 08 05
Du 30 septembre au 4 octobre
Du mercredi au samedi à 19 heures
Dimanche à 15 heures

dimanche 4 octobre 2020

La folle et inconvenante histoire des femmes avec Diane Prost

Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas des choses qu’elles n’existent pas. La phrase qui s’affiche sur l’écran. donne le ton de la pièce au public qui va découvrir l'histoire des femmes sous un autre angle que purement historique.

Les trois principales femmes qui sont aux commandes sont formidables : Laura Léoni pour l'écriture, Laetitia Gonzalbes pour la mise en scène (et les lumières) et l'exceptionnelle Diane Prost pour interpréter tous les rôles avec une justesse qui n'exclut pas l'humour et le décalage.

Elle campe les unes est les autres en faisant de son costume une utilisation quasi géniale.

Le spectacle commence par une introduction qui situe la position de la narratrice, tenant à préciser qu'elle a découvert son homosexualité à 11 ans et que son coming-out a bien failli être meurtrier à la fois à l’égard de sa mère et de son père.

Elle semblait très proche de sa grand-mère (qui repose sur scène, à cour, dans un cercueil de bois blond) dont elle admire l'investissement sur l'histoire des femmes, sujet auquel elle a consacré un épais ouvrage qui pèse lourd, prévient-elle en ajoutant qu'elle est restée insomniaque et névrotique et surtout pleine d'interrogations.

Elle avoue que ses personnages féminins sont parfois inventés mais que par contre la violence qu’elles ont subies a bien été réelle. Elle entend dénoncer les mensonges qui sont récurrents.
Je ne voudrais pas trop en raconter car cette Folle et inconvenante histoire des femmes mérite d'être découverte entièrement. J'ai encore appris plein de choses qui m'ont choquée. Par exemple le reproche légitime d'Olympe de Gouges disant avoir peut-être mal compris mais estimant que la Déclaration des droits de l'homme était forcément erronée puisqu’elle n'incluait nulle part de droit de la femme. Elle sera guillotinée.
Comme elle est méprisante cette phrase de Rousseau : L’amour a été inventé par les femmes pour permettre à ce sexe de dominer, alors qu’il était fait pour obéir. Je savais parfaitement que le Code civil de Napoléon était monstrueux de misogynie mais il est toujours utile de le rappeler.

Les scènettes s'enchainement alertement avec beaucoup d’humour, déclenchant parfois des rires, mais l'émotion n'est pas très loin. Elle prend à la gorge à la fin -comme à chaque fois que je l'entends- avec la chanson Debout les femmes ... à l'instar de la pièce Les années, mise en scène par Jeanne Champagne.

La comédienne trace alors On est la mémoire sur des feuilles posées sur le rebord de la scène, et on se fait chacune la promesse de poursuivre ce travail. Par exemple en amenant ses enfants au théâtre (à partir de 12-13 ans).
La folle et inconvenante histoire des femmes de Laura Léoni
Mise en scène (et lumières) Laetitia Gonzalbes
Avec Diane Prost
Du mercredi au samedi à 19h ou 21h (en alternance)
Le dimanche à 20h
Relâches : 24-25-31 décembre et 1er janvier
Au Funambule Théâtre - 53 rue des Saules - 75018 Paris - 01 42 23 88 83

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Chloé Nicosia

jeudi 1 octobre 2020

Ornithorama, un livre pour découvrir et comprendre les oiseaux chez Helvetiq

J'ai feuilleté une version numérique d'un ouvrage dont le titre est une promesse d'exhaustivité dans l'univers passionnant des oiseaux. Si je l'ai trouvé très bien conçu, et d'une clarté remarquable, j'ai cependant été déçue de ne pas pouvoir l'utiliser comme outil de reconnaissance d'espèces qui se trouvaient dans le jardin où je me trouvais.

Ce livre, organisé par habitat, dresse malgré tout le portrait de 80 oiseaux européens qui sont facilement observables dans nos contrées.

Chaque portrait est illustré de façon réaliste, indiquant les spécificités de chaque oiseau, de la taille et la couleur de ses oeufs à son alimentation, en passant par sa migration et même sa longévité. J'ai ainsi été surprise de me rendre compte qu'elle est souvent d'une quinzaine d'années.

Ce livre illustré est accessible aux enfants à partir de 8 ans et peut s'enrichir d'activités supplémentaires à télécharger gratuitement : coloriages, jeu de memory, portraits inédits etc.

J'imagine facilement des soirées enfiévrées à poser en famille des colles sur les habitudes des différentes espèces, à l'instar d'un Trivial Pursuit. Par exemple de citer trois oiseaux migrateurs, de donner une des espèces les plus petites, ou les plus grandes, parmi lesquelles le mâle se distingue le plus de la femelle, quel oiseau est capable réellement de dormir d'un seul oeil et pourquoi (le canard colvert pour rester vigilant sur d'éventuels dangers), comment un goéland s'y prend-t-il pour déguster un crustacé (en lâchant la carapace au-dessus d'un rocher pour qu'il se brise), comment pêche le martin-pêcheur (il attrape le poisson dans son bec, revient se poser sur une branche, l'assomme d'un coup sec avec son bec et l'avale tout rond), où le héron cendré construit-il son nid (au sommet de grands arbres où il fonde une héronnière)...

Il est illustré par Lisa Voisard qui est une graphiste et illustratrice lausannoise. Depuis 2016, elle produit des objets décoratifs tels que des illustrations encadrées, des créations textiles et des cartes postales. En tant qu’amoureuse de la nature, elle aime s’inspirer des animaux et des plantes. Feuilletons son ouvrage qui fourmille d'anecdotes :


Il est publié chez Helvetiq, une maison d’édition lausannoise fondée il y a une dizaine d'années par Hadi Barkat, qui, à un peu plus de 40 ans se définit comme une sorte de Géo Trouvetou du monde contemporain de l’édition.

Editeur de livres et de jeux de société à Lausanne, ce créateur insatiable conçoit Helvetiq avant tout comme une maison d’idées : J’en ai beaucoup, trop même. Je note tout dans un carnet, je les laisse reposer et je me bouge pour celles qui me restent en tête!

Hadi Barkat incarne un peu ce personnage de fiction, inventeur prolifique, créé par Disney. Pour lui, pas besoin de "nididé" avec trois corbeaux qui lui grattent le crâne, ses idées de livres ou de jeux lui viennent directement de son quotidien et une part de lui-même se glisse toujours dans ses projets. Rien d'étonnant à ce qu'un livre sur les oiseaux figure désormais à son catalogue qui comprend désormais une soixantaine de jeux et une quarantaine de livres, tous édités en français, en anglais et en allemand et distribués dans 30 pays.

Ornithorama - découvre et observe le monde merveilleux des oiseaux, de Lisa Voisard, Ed. Helvetiq, en librairie le 2 octobre 2020.

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